Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Morceaux choisis à relire dans le magazine de la Commission de la santé mentale du Canada

Avec notre slogan « Conversations sur la santé mentale », c’est tout un buffet de thèmes qui est proposé dans Le Vecteur. C’est voulu. Une partie du travail de la Commission de la santé mentale du Canada consiste à réduire la stigmatisation, en commençant par créer des espaces pour discuter de réalités vécues, de difficultés rencontrées, de nouvelles et d’idées en lien avec la santé mentale. Pour lancer la nouvelle année, nous avons préparé un résumé des récits publiés en 2023 qui reflètent cette philosophie. Bonne lecture!

L’éléphant dans la pièce Les histoires émanent d’une multitude de sources. L’article « Comment rompre avec son thérapeute » est né de conciliabules avec des amis et des collègues, embarrassés de dire tout haut que le courant ne passait pas avec leur thérapeute. Lorsque j’ai proposé de publier un article sur l’art subtil de dire « Ce n’est pas toi, c’est moi », tout le monde a reconnu la pertinence du sujet. Nous avons donc mandaté l’autrice Moira Farr pour scruter la question dans le numéro de juillet 2023. Quelques mois plus tard, en octobre 2023, le New York Times a repris le sujet, sous un titre et un sous-titre semblables. Très flatteur!

Toujours dans la rubrique des sujets dont on parle trop peu, en mars, Debra Yearwood a traité des faux pas qui peuvent gâcher une cérémonie de funérailles (comme de mal prononcer le nom du défunt – horreur!) et expliqué comment on peut faciliter le travail de deuil en faisant ses adieux à la personne décédée. L’illustration humoristique de l’en-tête donne le ton et invite les lecteurs à se plonger dans l’article.

Des séries pour tous les goûts

Une collection de récits thématiques nous permet d’explorer une question en profondeur sur plusieurs semaines. Nous planifions les contenus pour donner aux auteurs le temps de faire leurs recherches, réflexions et rédaction afin de produire des articles d’actualité contenant de l’information à jour et avant-gardiste. En novembre, nous avons publié quatre papiers sous le thème de l’argent et de la santé mentale pour souligner le Mois de la littératie financière. Ils traitent de mentalités, de logement, de littératie et d’autonomisation économiques ainsi que du coût d’une thérapie.

Notre série littéraire annuelle, intitulée La santé mentale pendant les Fêtes porte quant à elle sur le côté moins scintillant de la période des Fêtes. Nos auteurs y plongent dans les dynamiques familiales complexes en racontant comment ils ont surmonté les défis qui sont souvent passés sous silence dans les publicités de cadeaux. Ils racontent des histoires vraies empreintes d’espoir et d’humour.

Expériences vécues

Le degré de détail et les nuances qui émergent d’un témoignage personnel peuvent apporter un éclairage précieux. Le récit de Jessica Ruano sur le suicide de sa conjointe en est un excellent exemple. En parallèle, Florence K – musicienne, mère, animatrice chez CBC et candidate au doctorat – s’est inspirée du mot-clic #MonHistoire de la Semaine de la santé mentale pour partager son récit sur les problèmes de santé mentale, le bien-être et la découverte.

Les mots justes

Lorsqu’on cherche à enrayer la stigmatisation, on choisit les histoires à partager, mais aussi la façon de les raconter. Nous faisons chaque année l’examen interne de notre guide stylistique, qui nous amène notamment à nous pencher sur le choix des mots. Nous avons entrepris d’expliquer ces choix dans une série intitulée Le choix des mots est important. Cela nous permet de partager notre raisonnement au-delà de notre organisation, dans l’espoir que les bons mots seront entendus. Nous y indiquons par exemple comment traiter de suicide ou de consommation de drogues, d’alcool ou d’autres substances.

À relire

Les articles suivants – dont deux proviennent de notre série littéraire annuelle sur la Santé mentale pendant les Fêtes – ont reçu des nominations des Canadian Online Publishing Awards. Les gagnants seront dévoilés en février. Dans la catégorie de la meilleure chronique, on retrouve le papier de Dave Bidini, Prendre une bouffée d’air frais et plonger au cœur de ses pensées, et l’essai de Moira Farr, Que vos jours soient aussi joyeux et lumineux que possible, tous deux publiés en 2022. L’article de Debra Yearwood, Les hommes et la santé mentale, a été nommé dans la catégorie du meilleur article informatif, tandis que Ces peurs qui nous habitent, qui porte sur l’écoanxiété, est en lice pour le prix du meilleur article sur l’art de vivre.

Auteure : est éditrice du Vecteur. Elle est gestionnaire des communications à la CSMC.

Fateema Sayani est gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Notre série littéraire annuelle porte sur la complexité du temps des Fêtes

La signature du Vecteur est « Conversations sur la santé mentale ». Elle véhicule bien la raison d’être de notre magazine, tout en faisant comprendre à nos lecteurs que la porte est grande ouverte pour toute discussion sur la santé mentale.

Cet accueil à bras ouverts témoigne aussi de la mission générale de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) : réduire la stigmatisation. Lorsque nous parlons ouvertement de nos difficultés, maladies et problèmes et de notre bien-être, nous reconnaissons que la santé mentale fait partie intégrante de notre santé générale. De telles conversations peuvent mener à des changements de taille, et le temps des Fêtes est une période tout indiquée pour s’attaquer à la complexité et à la pluralité des problèmes de santé mentale.

C’est ainsi que tous les mois de décembre, nous publions une série des Fêtes pour couvrir les sujets qui sont passés sous silence dans les scintillantes publicités de cadeaux. Ce faisant, nous cherchons à normaliser les difficultés que les célébrations de fin d’année peuvent entraîner avec elles et insuffler une dose d’espoir et d’humour à nos lecteurs.

Chaque année propose un sous-thème. La série 2023 portait sur la mélancolie, l’adaptation et l’espoir. En 2024, nous nous intéressons aux bonnes nouvelles, aux difficiles séparations et aux nouvelles traditions. Nous espérons que notre message ouvrira une voie d’espoir et d’optimisme, en faisant entendre les témoignages de vraies personnes dans leur quotidien.

J’ai lancé cette série en 2022, quelques mois après mon entrée en poste comme gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la CSMC. Le Vecteur est l’une de mes responsabilités et constitue l’un des aspects les plus visibles de mon travail à la Commission, qui mène une foule d’autres initiatives comme la production de rapports de recherche, la mobilisation du public, la transposition des connaissances au moyen de guides, d’outils, de cours et de webinaires. Le Vecteur se veut un outil accessible, clair et vivant qui couvre une gamme de sujets, d’idées et de recherches dans le domaine de la santé mentale. C’est un heureux mélange de Psychology Today rehaussé d’un soupçon de New Yorker et d’une bonne dose de conseils amicaux.

La « recette » pour cette série annuelle est basée sur des récits qui comblent le fossé entre les attentes et la réalité. Elle met en vedette des gens qui acceptent leur situation et qui choisissent de faire de la limonade lorsque la vie leur donne des citrons, sans oublier les petits biscuits pour l’accompagner. On y découvre des histoires de personnes qui vivent des difficultés, sans clichés ni platitudes.

Trouver sa voix

Les auteurs relatent habituellement un fait vécu en lien avec le thème choisi.  Par exemple, en 2022, Dave Bidini, éditeur du journal West End Phoenix et membre du groupe rock Rheostatics, a parlé de patinage, de la genèse de ses mémoires, de nostalgie, de patinoires et de rituels avec moult détails et une belle musicalité.

Je suis reconnaissant que le patinage m’ait inspiré cette idée créative, même si elle m’a astreint à revivre le stress, la douleur et la colère qui viennent avec la réminiscence de cette période de ma vie. J’ai tenté de faire œuvre utile en déballant mes souvenirs de cette époque. Toutefois, bien qu’il réveille des vérités crues enfouies dans le passé, le sentiment de nostalgie nous amène souvent à célébrer ce qu’il y a de meilleur dans la jeunesse, la simplicité et la nouveauté. 

Lisez l’article « Prendre une bouffée d’air frais et plonger au cœur de ses pensées » ici.

L’autrice et formatrice Moira Farr a raconté, avec une conscience de soi pleine d’humour, les hauts et les bas des Fêtes quand on vit avec un trouble de l’humeur et des parents vieillissants, tout en faisant l’éloge du bavardage.

Le confort et la joie ne sont pas le fruit du hasard. Il faut les inviter dans sa vie et faire preuve d’une bonne dose de générosité d’esprit (comme l’a appris le fameux Grincheux de Noël) au lieu de se replier sur soi au point de n’avoir pour horizon que son propre nombril.

Lisez l’article « Que vos jours soient aussi joyeux et lumineux que possible » ici.

L’autrice Debra Yearwood a tenté de décortiquer – comme une chaîne de lumières emmêlée – sa relation compliquée avec Kwanzaa, ses questionnements quant à son identité et à la commercialisation de Noël. Son écriture rythmée foisonne de réflexions inspirées, pendant qu’elle tente de se soulager du fardeau émotionnel qui accompagne les attentes et les traditions des Fêtes de fin d’année.

Puis vient la culpabilité. J’ai beaucoup trop mangé. Tout ce beurre et ce sucre. Beurk! Je crois que je sens le durcissement de mes artères. Ensuite viennent les promesses habituelles de faire mieux le lendemain. Demain, je mangerai une salade…  mais voilà que quelqu’un m’invite à bruncher. Le lendemain, je soupe avec des amis et, c’est comme ça, je ne les ai pas vus depuis une éternité. On en profite! L’alcool coule à flots! Santé tout le monde! Voilà la meilleure bouteille de rhum de ma vie! Oh, et que dire de ce Côtes du Rhône? Les remords surviennent au petit matin, exprimés de cette voix éraillée que je ne réserve que pour moi-même. Encore raté! Mais la valse entre le plaisir et le châtiment ne fait que commencer.

Lisez Entre traditions revisitées et effluves de sucreries.

Cette année

L’autrice Eleanor Sage s’intéresse à un sujet très actuel dans « Sœurs en déroute ». Dans ce billet, elle relate les efforts qu’elle a déployés pour tenter d’extirper sa sœur d’un abîme de désinformation et sauvegarder leur relation, tout en pleurant leur proximité passée. Demeurez à l’affût du numéro de décembre pour lire son témoignage.

La mission de composer cette série est pour moi un cadeau et un honneur. Je suis ravie d’épauler des auteurs émergents et établis et de collaborer avec une équipe extraordinaire d’auteurs, d’éditeurs, d’experts du numérique et du web, de gestionnaires de projet, de traducteurs et d’illustrateurs. J’espère que vous y prendrez autant de plaisir que nous avons à vous la présenter. Joyeuses Fêtes!

Auteurer : est gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada. Elle espère publier cette série sous forme de livre un jour.

Ce numéro à trois chiffres, facile à retenir, pour la prévention du suicide, permet aux personnes ayant besoin d’un soutien immédiat d’appeler ou d’envoyer un texto pour obtenir de l’aide.

Au début du mois de novembre, l’acteur américain Mark Duplass a fait une publication sur Instagram au sujet de ses problèmes de santé mentale, tenant notamment un espace en direct pour discuter de ses stratégies d’adaptation, y compris « le déni temporaire d’une partie de l’obscurité lourde pour pouvoir me concentrer sur la lumière ». 
 
L’acteur, qui a joué dans The Morning Show et The Mindy Project, a encouragé ses abonnés à composer le 988, un service d’appel et de messagerie accessible en tout temps, qui existe aux États-Unis depuis juillet 2022. Mentionnés dans chaque publication, référence, article et conversation, ces trois chiffres pourraient bientôt être connus de toutes et de tous, comme c’est le cas pour le 911.
 
La ligne d’aide 988 pour la prévention du suicide a été lancée au Canada le 30 novembre. Cela signifie que n’importe qui, n’importe où au Canada, peut obtenir de l’aide par téléphone ou par texto 24 h sur 24.
 
En composant ou en envoyant un texto au 988, les appelants obtiendront un soutien bilingue, adapté à leur culture et tenant compte des traumatismes de la part d’intervenants formés.
 
Bien que le service soit conçu pour répondre aux personnes à risque de suicide, personne ne sera refusé. Les personnes qui cherchent à accéder à d’autres services de soutien en santé mentale pourront être dirigées vers d’autres services dans leur région, par exemple.
 
« Cela permettra de sauver des vies », déclare Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. « Le service 988 est bien plus qu’un numéro; c’est un soutien essentiel. Un simple appel en temps de crise peut marquer un tournant. Cette ligne d’écoute téléphonique permet de briser le silence et d’aider les gens ».
 
Comment fonctionne le service?
L’appelant peut composer le 988 ou envoyer un texto à ce numéro et il recevra un bref message lui confirmant qu’il est au bon numéro. On lui posera des questions de base, par exemple, s’il souhaite parler à quelqu’un en anglais ou en français. L’appelant est ensuite mis en relation avec un intervenant dûment formé de sa collectivité, qui l’écoutera et le soutiendra.
 
Les appels et les textos au 988 sont confidentiels. Aucun renseignement permettant d’identifier une personne ne sera divulgué ou partagé en dehors du réseau 988, sauf si la loi l’exige ou le permet, ou lorsque la situation nécessite une intervention d’urgence.
 
Le service repose sur des approches collaboratives axées sur la personne, privilégiant les interventions les moins intrusives pour accroître la sécurité. En cas de risque immédiat pour la sécurité d’une personne, le service des urgences peut être appelé.
 
Ce service a été mis en place par le gouvernement du Canada et est offert par le Centre de toxicomanie et de santé mentale sous la forme d’un modèle communautaire décentralisé, par l’intermédiaire de plus de 39 centres et organismes partenaires dans tout le pays, y compris des centres de détresse et des lignes d’écoute téléphonique, ainsi que des organismes nationaux, comme Jeunesse, J’écoute, et locaux, comme South Asian Canadians Health and Social Services (SACHSS), un organisme sans but lucratif situé à Brampton, en Ontario. Les intervenants locaux qui répondent aux appels et aux textos sont formés selon des modèles de prévention du suicide certifiés et reconnus mondialement, comme la formation appliquée en techniques d’intervention face au suicide, aussi appelée ASIST en anglais.
 
Kathyrn Leroux a suivi cette formation. Elle est responsable des médias, du marketing et de la communication au Centre de détresse d’Ottawa et de la région, l’un des centres affiliés à la ligne d’aide téléphonique 988. Les appels provenant des indicatifs 613 et 343 sont dirigés vers le centre. Les intervenants suivent la formation ASIST dans le cadre de leur formation de 60 heures, qui couvre tous les aspects du service, du système téléphonique à l’écoute active, en passant par l’intervention en cas de crise. 
 
Comme les intervenants vivent dans les collectivités locales, ils disposent des connaissances locales nécessaires pour orienter les appelants vers d’autres services sociaux ou d’urgence au besoin. Lorsqu’un appel provenant d’une autre collectivité ou d’une autre ville est transféré à un centre en raison d’un volume d’appels trop élevé, les intervenants s’appuient sur des services comme le 211, une base de données de services de soutien communautaires, pour orienter les appelants. Le fait de désigner des centres auxquels transférer les appels permet d’éviter les longs délais d’attente et de s’assurer que les centres sont en mesure de répondre à la demande. Lorsqu’il y a du temps d’attente, les appelants recevront un message les encourageant à rester en ligne ou dans le fil de discussion.
 
Enseignements tirés des États-Unis
Les préoccupations quant à la capacité ont été examinées dans le cadre d’études sur le déploiement du 988, notamment un document d’information de la Commission de la santé mentale du Canada publié en 2021, soulignant qu’une nouvelle ligne pourrait également accroître le volume d’appels – parfois au-delà de la capacité à doter le service en personnel. Les responsables du déploiement au Canada ont pu s’inspirer des États-Unis et des Pays-Bas – où le numéro est le 113 – pour se faire une idée de la situation avant la mise en œuvre.
 
Aux États-Unis, près d’un milliard de dollars a été investi dans ce service, qui a répondu à près de 5 millions de contacts depuis juillet 2022. Selon le Substance Abuse and Mental Health Services Administration (administration des services de santé mentale et d’abus de substances) du gouvernement américain, le temps de réponse moyen est passé de 2 minutes 39 secondes à 41 secondes au cours de la première année, et le service est soutenu par plus de 200 centres d’appel locaux et publics. Au fil du temps, le service 988 aux États-Unis s’est enrichi de services de texto et de clavardage en espagnol et de services spécialisés pour les jeunes 2ELGBTQI+. Parmi les développements à venir, mentionnons des services de vidéoconférence pour mieux servir les personnes sourdes et malentendantes. À mesure que le service se bonifie, d’autres campagnes publiques pourraient s’avérer nécessaires. Un article récent du USA Today a montré qu’un an après sa mise en œuvre, peu de gens (13 %) aux États-Unis connaissaient l’existence du service 988. 
 
Au Canada, la mise en place et la gestion du 988 représentent une tâche complexe. Un service doit être conçu en tenant compte de l’immensité, de la diversité et des principes d’inclusion du pays, en plus des considérations techniques. Par exemple, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans le nord de l’Ontario et à Yellowknife, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a dû mettre en place le numéro à 10 chiffres avant de mettre le 988 en service.
 
Les Canadiens commenceront à voir des renseignements circuler sur les médias sociaux d’ici février, à mesure que le service est mis en œuvre et que les fournisseurs de services s’adaptent. Au Canada, le service 988 est financé par le gouvernement canadien à raison de 158 millions de dollars sur trois ans. 
 
Au fur et à mesure de son déploiement, 988 fournisseurs suivront le nombre de contacts (appels et SMS), les temps d’attente et le taux d’abandon – lorsqu’un appelant ou un texteur met fin au contact avant de se connecter avec un intervenant – dans le but d’améliorer les délais de service.
 
Parlez-en rapidement, parlez-en souvent
Cette phrase – « Parlez-en rapidement, parlez-en souvent » – sert de raccourci pour les intervenants et pour toute personne participant à des conversations sur le suicide. Elle insiste sur le dialogue ouvert, direct et sans jugement qui est au cœur des initiatives de formation.
 
« Le discours est important », explique Mme Leroux du Centre de détresse d’Ottawa. « Nous voulons nous éloigner des questions du genre “Pensez-vous à vous faire du mal?” et poser des questions plus directes comme : “Pensez-vous au suicide?”, puis “Avez-vous fait quoi que ce soit pour vous faire du mal aujourd’hui?”. Cela permet vraiment de se concentrer sur le sujet, cela aide les gens à s’ouvrir et à se sentir à l’aise. Cela montre que vous êtes prêt à en parler et à le faire de manière directe, et permet de déterminer où les gens se situent et de leur apporter l’aide dont ils ont besoin ».
 
Les intervenants sont formés pour désamorcer les crises à l’aide d’une série de questions permettant de déterminer l’ampleur du problème et les prochaines étapes. Selon Mme Leroux, quel que soit l’appel, l’objectif est le même : mettre les gens en sécurité ou leur proposer un plan de sécurité.
 
L’ampleur du problème
Au Canada, le suicide demeure un problème de santé publique important qui touche des personnes de tous âges, de tous genres et de tous milieux. Certaines communautés canadiennes sont touchées de manière disproportionnée par le suicide, notamment les filles, les hommes et les garçons, les personnes purgeant une peine fédérale, les survivants d’une perte par suicide ou d’une tentative de suicide, les personnes 2ELGBTQIA+ et certaines communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
 
Selon Statistique Canada, environ 4 500 personnes meurent par suicide chaque année au pays, soit environ 12 personnes par jour. Pour chaque personne qui décède par suicide, de nombreuses autres sont en proie à des pensées suicidaires ou font des tentatives de suicide.
 
Les causes du suicide sont complexes : elles sont d’ordre biologique, psychologique, social, culturel, spirituel, économique, et autres. Selon Edwin S. Shneidman, un éminent chercheur dans le domaine, les personnes qui songent au suicide et qui font une tentative de suicide désirent mettre fin à une douleur psychique profonde et intense. Notre façon d’en parler importe. Des représentations et des messages sûrs, factuels et responsables sur le suicide et sa prévention peuvent avoir une incidence positive sur la prévention des décès par suicide.
 
Pour avoir une incidence réelle et positive lorsque l’on parle du suicide, il faut décrire les mesures à prendre pour le prévenir et donner des exemples porteurs d’espoir et de résilience quant au rétablissement, et présenter les ressources disponibles pour obtenir de l’aide et du soutien.
 
Changements sociétaux
C’est ainsi que le discours évolue.
En juin, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié un rapport intitulé Se laisser guider par les résultats : repenser le Cadre fédéral de prévention du suicide, dans lequel il formule une série de recommandations, dont les suivantes :
 
  • reconnaître l’impact de la consommation de substances sur la prévention du suicide au Canada et financer la recherche sur les interventions;
  • créer une base de données nationale permettant de mieux recueillir les données nationales sur le suicide, les tentatives de suicide et les mesures de prévention efficaces;
  • remplacer les axes d’« espoir » et de « résilience » mentionnés dans le Cadre par ceux de « sens » et de « connectivité ».
Ce changement de langage fait écho à d’autres perspectives. Par exemple, dans de nombreuses communautés autochtones, des termes comme « promotion de la vie » ou « mieux-être » sont plus souvent utilisés pour aborder le sujet. Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations — mis au point par Thunderbird Partnership Foundation, avec des partenaires autochtones et non autochtones — souligne que l’espoir, le sens, le sentiment d’appartenance et le fait d’avoir un but sont le socle de nombreuses formes de savoirs autochtones. Comme l’explique le Cadre, si ces quatre aspects sont en harmonie dans la vie quotidienne d’une personne, elle éprouve un sentiment de plénitude qui la protège et agit comme un amortisseur contre les troubles de santé mentale et de possibles comportements suicidaires.
 
Moira Farr, autrice d’After Daniel : A Suicide Survivor’s Tale (Le récit d’une survivante du suicide), qui traite du décès de son conjoint, s’est entretenue avec Le Vecteur plus tôt cette année. Journaliste et formatrice, elle effectue des recherches et écrit sur divers sujets pour des publications nationales et internationales. Elle a remarqué un changement de discours depuis la publication de son livre, en 1999.
 
« Je dirais que depuis 20 ans, les gens parlent plus ouvertement des problèmes de santé mentale, y compris du suicide, explique-t-elle. Les campagnes visant à faire connaître comment et où obtenir de l’aide et à amener les gens à parler plus honnêtement de leurs propres problèmes de santé mentale me semblent avoir été une force positive », ajoute-t-elle.
 
En encourageant la compréhension et l’empathie, nous pouvons créer un environnement dans lequel les gens se sentent en sécurité et à l’aise de parler de leurs problèmes de santé mentale. Cela signifie qu’il faut aussi reconnaître que le fait de demander de l’aide est un signe de force – et non de faiblesse – et que la santé mentale est tout aussi importante que la santé physique.
 
« La création de cette ligne d’écoute téléphonique souligne la réalité et l’importance de la prévention du suicide », déclare M. Rodrigue, directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. « Cela démontre bien que le suicide est un problème de santé publique important qui touche des personnes de tous âges et de tous horizons, et qu’il est possible de le prévenir. Il s’agit d’un effort collectif qui permettra de sensibiliser un plus grand nombre de Canadiens afin de favoriser leur bien-être. » 
 
Outils et ressources
Auteure : est gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Fateema Sayani est gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Dans ce quatrième et dernier article de la série, nous explorons les coûts de la thérapie et les décisions financières que les gens prennent lorsqu’ils cherchent de l’aide.

Lorsque Katie McCowan, fondatrice du réseau de thérapeutes à prix abordable Affordable Therapy Network, en était à sa dernière année de formation de thérapeute, elle a commencé à éprouver des problèmes de santé mentale et a décidé de suivre une thérapie.

« J’étais aux études, je travaillais comme serveuse et je ne gagnais pas beaucoup d’argent. Je me suis donc retrouvée à chercher sur Google des options abordables de thérapie en Ontario », raconte‑t‑elle, en évoquant les raisons qui l’ont poussée en 2015 à lancer cette base de données en ligne à l’échelle du Canada. Pour répondre à ses besoins, elle a eu recours à une thérapie offerte par son école à 40 $ par séance et a également essayé un thérapeute privé à 140 $. Mais même si les séances privées se sont révélées utiles, elles lui coûtaient une journée de salaire. « Les honoraires de 40 $ étaient raisonnables, mais je ne pouvais pas choisir mon thérapeute, alors que la compatibilité avec le patient est très importante ».

Madame McCowan a réalisé qu’il s’agissait là d’un problème courant et s’est dit : « Et si je créais un site Web et répertoriais les thérapeutes qui proposent des honoraires moins élevés, permettant ainsi aux gens de communiquer avec eux plus facilement »? Elle a commencé en faisant appel à ses précieux collègues, car les nouveaux diplômés ont souvent des honoraires moins élevés. La nouvelle s’est répandue. Le réseau s’est agrandi. Et pendant la pandémie, la demande a explosé.

Le site Web regroupe aujourd’hui plus de 550 thérapeutes reconnus, qui proposent tous des honoraires dégressifs et, pour la moitié d’entre eux, des places subventionnées à 65 dollars ou moins (dont certaines options gratuites ou des paiements basés sur vos moyens). « Une grande variété de thérapeutes s’inscrivent sur notre liste, et la plupart d’entre eux proposent une quantité de places à bas prix – environ cinq – qui sont subventionnées ».

Bien que ces honoraires réduits représentent en général moins de la moitié du prix d’une thérapie en pratique privée, compte tenu des réalités socio-économiques actuelles, « je suis consciente que cela équivaut à beaucoup d’argent aux yeux de plusieurs », dit-elle. Néanmoins, Madame McCowan estime que les honoraires en vigueur dans le secteur privé sont justes et appropriés. « Les thérapeutes ne facturent pas plus cher qu’ils ne le devraient. Ils doivent suivre une formation approfondie et se soumettre à des supervisions rigoureuses; c’est une profession très exigeante ».

L’insécurité financière et la thérapie
Si vous trouvez qu’il est plus difficile de joindre les deux bouts dernièrement, vous avez raison. Selon l’Enquête sociale canadienne sur la qualité et le coût de la vie, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 6,8 % en 2022 – la plus forte hausse en quarante ans – les coûts des aliments (+8,9 %), du logement (+6,9 %) et des transports (+10,6 %) ont connu les plus fortes augmentations.

Cette situation a eu des répercussions sur la santé mentale de nombreuses personnes. La moitié de notre population a été touchée par « l’inflation, l’économie et l’insécurité financière », selon un sondage post-pandémique réalisé par Recherche en santé mentale Canada (RSMC), et « présente des signes de détérioration de leur santé mentale ». En fait, depuis le sondage de l’année dernière, ce groupe a signalé « une hausse de l’anxiété (33 %) et de la dépression (32 %), des pensées suicidaires (31 %), ainsi que de la dépendance à l’alcool (23 %) ou au cannabis (22 %), » pour ne citer que quelques exemples.

De fait, le stress financier peut non seulement avoir des conséquences directes sur la santé mentale, mais aussi sur les décisions relatives à la thérapie et aux autres ressources en matière de santé mentale. Au Canada, les services de psychothérapie et de psychologie peuvent être couverts (en partie ou en totalité) par une assurance maladie privée, comme les régimes d’assurance fournis par un employeur, ou achetés directement par un particulier. Les fournisseurs de services de santé mentale fournissent des soins plus spécialisés, qui varient en fonction de la gravité du problème. La recommandation d’un médecin est exigée pour certains services, tandis que d’autres sont autogérés et offerts en ligne, par téléphone ou par messagerie texte. D’autres relèvent du secteur public (financé par les gouvernements) ou sont fournis par des organismes de charité, des groupes communautaires et d’autres organisations. À titre d’exemple, l’Association canadienne pour la santé mentale dispose de bureaux qui orientent les gens vers des services de soutien — notamment des services de counseling gratuits mis à disposition dans quelques-unes de ses 330 communautés réparties dans 70 régions dans l’ensemble du Canada.

Les programmes de l’ACSM sont « efficaces et adaptés à la réalité culturelle », ce qui est non négligeable si l’on considère les répercussions de l’insécurité financière sur la santé mentale et l’accès aux mesures de soutien, notamment à la thérapie, pour diverses populations. Pour ne citer qu’un exemple, le sondage de RSMC a révélé que les personnes racisées, les membres des communautés 2ELGBTQI+, les jeunes adultes (âgés de 18 à 34 ans), les étudiants et les personnes sans emploi, à faible revenu ou en difficulté financière sont plus susceptibles de signaler des niveaux élevés d’anxiété.

Des barèmes d’honoraires pour améliorer l’accès
Pour faciliter l’accès aux soins de santé mentale, le Calgary Counselling Centre mis en place un système d’honoraires dégressifs depuis son ouverture en 1962, explique sa directrice générale, Robbie Babins-Wagner, qui est également professeure adjointe et instructrice spécialisée à l’Université de Calgary.

« Nous devons nous assurer de répondre aux besoins des personnes vulnérables, y compris celles qui sont en situation de précarité financière en raison de problèmes de santé physique, des troubles de santé mentale ou d’autres enjeux sociaux », explique la Dre Babins-Wagner, dont la passion tient à « la pratique clinique et au fait de veiller à ce que les clients obtiennent les meilleurs résultats auxquels ils peuvent aspirer ». Dre Babins-Wagner et son équipe ont recours à des méthodes et à des outils à la fois fondés sur la recherche scientifique et sur les données, notamment la mesure des résultats « séance par séance » (avec des outils sous forme de questionnaires en 24 langues) et la modélisation financière. « Nous utilisons ces données pour mieux comprendre de quelle façon nous aidons les gens et pour améliorer ce que nous proposons ».

Après avoir reçu une demande, le Centre affecte chaque nouveau client à un conseiller « au plus tard le lendemain à midi » et ne procède à aucune évaluation formelle de ses ressources. « Nous demandons au client quel est son revenu et nous lui faisons confiance », explique-t-elle. Lorsqu’un client dit qu’il n’a pas les moyens de payer les honoraires proposés, nous lui répondons : « Votre conseiller en discutera avec vous; les honoraires ne seront pas un obstacle aux services. Le conseiller a la possibilité de réduire les honoraires à 8 dollars de l’heure, mais si cela s’avère nécessaire, nous les réduirons davantage. Nous voulons vraiment éviter que les frais soient un obstacle ».

Le Centre recueille ces données, explique Dre Babins-Wagner, « parce que nous voulons comprendre les besoins et les préoccupations de notre clientèle ». Grâce à un processus interne fondé sur des données à l’aveugle, chaque fois qu’il y a un changement d’honoraires, « nous examinons quels étaient les honoraires suggérés, ainsi que ce que le client pouvait se permettre. Nous entrons ensuite ces renseignements dans notre base de données et les analysons pour vérifier si les clients appartenant à certains groupes de revenus ont plus de difficultés que d’autres et s’il est nécessaire d’apporter des changements. C’est le genre de modifications que nous apportons au barème d’honoraires, et nous le testons souvent pour nous assurer qu’il donne les résultats escomptés, à savoir la satisfaction des besoins de la clientèle ».

Compte tenu des difficultés économiques que Calgary traverse depuis la fin de 2014, elle explique que le Centre revoit désormais son barème tous les ans ou tous les deux ans, au lieu de tous les cinq ans, « parce que nous savons qu’il n’est pas avisé d’attendre trop longtemps, sachant que les gens sont frappés plus durement que par le passé. Nous nous appuyons donc sur les données et les conditions actuelles pour analyser ces facteurs ».

Trouver les moyens
Elana Bloom, psychologue et directrice des services de mieux-être et de soutien sur le campus de l’Université Concordia, reconnaît qu’il peut être difficile de « se retrouver parmi les ressources disponibles en santé mentale ». Bien que son expertise ne soit pas liée à l’accessibilité financière en soi, elle comprend cette problématique grâce à sa pratique clinique et connaît les ressources en santé mentale dans sa province, en particulier celles qui s’adressent à la population étudiante.

« Au Québec, les personnes (y compris les jeunes adultes) peuvent avoir accès à des services de santé mentale et à des services psychosociaux, notamment la psychothérapie et le soutien en cas de crise, dans les CIUSSS » [Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux]. À l’Université Concordia, nous offrons une variété de services de santé mentale, dont des programmes de mieux-être et de la psychothérapie avec des conseillers et des psychothérapeutes. Si vous n’êtes pas en mesure d’accéder aux services ou aux ressources en temps opportun, ou s’il y a une liste d’attente, vous pouvez également faire appel à des services privés ».

La Dre Bloom préconise une « conception globale du mieux-être » – où le fait de consulter un thérapeute peut faire partie d’une stratégie de mieux-être élargie intégrant aussi les autosoins, les interactions sociales et le bien-être physique – et le recours à la technologie pour tirer le maximum des outils et des ressources de santé mentale autogérés. « Étant moi-même psychologue, je connais les bienfaits de la psychologie et de la consultation d’un thérapeute, explique-t-elle. Cependant, je pense aussi que la santé mentale ne se résume pas à une simple rencontre avec un psychologue; il est important de prendre soin de sa santé mentale et de son bien-être au moyen de stratégies variées basées sur la résilience, lesquelles vont au-delà de la consultation d’un psychologue ou d’un thérapeute ».

Elle souligne par ailleurs que des services sont disponibles pour répondre aux besoins particuliers de certaines populations, comme les Autochtones, les membres de la communauté 2ELGBTQI+ et les personnes d’origine Africaine, Caribéenne ou Noire.

La thérapie 2.0?
Certes, les jeunes (et le reste d’entre nous) mènent de plus en plus leur vie en ligne – et cela vaut aussi pour les thérapies – mais toutes les applications de santé mentale ne se valent pas. Par exemple, on a vu les données personnelles de gens divulguées aux fins de marketing et, dans un autre cas, le numéro d’une ligne téléphonique d’urgence figurant dans une application était erroné. La Commission de la santé mentale du Canada a découvert cette erreur lorsqu’elle a consulté des jeunes pour élaborer la première stratégie au pays en matière de cybersanté mentale, laquelle vise à améliorer les pratiques dans ce domaine; elle sera publiée au début de l’année 2024.

Dans le but de contrôler la validité et la sécurité des applications de santé mentale, la CSMC a également lancé un Cadre d’évaluation des applications de santé mentale. Les développeurs, les concepteurs et les propriétaires d’applications peuvent s’en servir pour évaluer leurs applications et en améliorer la sécurité, la qualité et l’efficacité. Le Cadre comporte en outre des éléments d’information sur la sécurité, la responsabilité sociale et l’équité, et présente les perspectives de divers groupes, âges et populations.

Outre les options numériques, Madame McCowan précise qu’il est également important d’en parler à son médecin de famille. « Je considère qu’il est facile de basculer dans un engrenage où l’on a l’impression qu’il n’y a pas d’issue. Le fait de consulter quelqu’un, d’obtenir son point de vue objectif, et de bénéficier de différentes ressources ou de divers types de soutien, est très salutaire ».


Ressource : Où obtenir des soins – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.

Autres lectures : Comment rompre avec son thérapeute.

Lisez la série l’argent et santé mentale.

Auteure : est écrivaine, journaliste et professionnelle de la communication et du contenu créatif. Elle a pour passion d’apprendre, de raconter des histoires et d’inspirer les autres.

Le manque d’options en matière de logement entraîne un sentiment de mal du pays qui lui est propre. Nous nous pencherons sur le lien entre le logement et la santé dans ce deuxième article de la série publiée dans le cadre du Mois de la littératie financière.

J’ai récemment reçu de la part d’un ami un message texte de masse trop bien connu : « Connaissez‑vous quelqu’un qui déménage d’un quatre et demie? Notre propriétaire a obtenu un permis de rénovation et nous devons partir au plus vite. »

Malheureusement, il est difficile de trouver des pistes de solution. C’est la réalité de Halifax. Bien qu’elle ait la réputation d’être une ville balnéaire décontractée, son marché locatif dégage une autre impression. Ne disposant d’aucune solution concrète et sachant très bien que cela n’allait pas l’aider, j’ai souhaité bonne chance à mon ami par message texte.

Si c’était possible, j’expédierais ces souhaits en grande quantité à la plus grande province canadienne, où un rapport sur le logement de la Chambre de commerce de l’Ontario révèle que 1,85 million de logements seraient nécessaires afin de rétablir l’accessibilité au logement, et ce, en plus des logements dont la construction est déjà prévue.

Ce nombre effarant est très préoccupant pour les jeunes Canadiens, groupe dont je fais partie en tant qu’étudiant universitaire songeant à son avenir. Pour plusieurs, la foi en un avenir abordable a été ébranlée. Les personnes qui ont une vision des choses plus optimiste cherchent pourtant des moyens d’agir et de nouveaux modes de vie.

La tête, le cœur et la maison
La maison n’est pas qu’une simple habitation : sa valeur psychologique dépasse largement ses quatre murs. Elle représente la fiabilité et la routine, explique Madeleine Hebert, qui travaille à titre de spécialiste principale du logement chez Happy Cities, une société d’experts‑conseils à Vancouver qui œuvre dans les domaines de l’aménagement urbain, de l’esthétique urbaine et de la recherche urbaine.

« Le plus éprouvant pour la santé mentale des locataires est le moment où le problème de l’accessibilité les pousse à vivre dans des situations plus transitoires, dit‑elle. Nous avons constaté un lien très fort entre le temps où l’on vit dans un endroit, la capacité à tisser des liens sociaux ainsi que le sentiment d’appartenance et la raison d’être. Il est difficile pour les locataires de prendre racine dans les villes où la sécurité du logement est limitée par les propriétaires privés, qui peuvent leur demander de partir à tout moment ».

Les pressions liées à l’accessibilité poussent les gens à faire des choix de vie difficiles, comme quitter leur communauté, trouver un nouveau foyer pour leur animal de compagnie ou emménager chez leur partenaire plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient.

« Il existe un grand nombre de besoins pour différentes personnes », souligne Mme Hebert tout en mentionnant que la disponibilité et l’accessibilité constituent des besoins essentiels lorsqu’il est question du logement. « De nombreux locataires à faible revenu n’ont plus le luxe de choisir et c’est là où l’on commence à observer des problèmes de santé mentale. »

Ce manque d’options abordables s’ajoute à d’autres obstacles auxquels les gens font face. Valery Navarrete en a fait l’expérience en 2022. Cette année‑là, sa mère est décédée. Cette dernière avait été la principale proche aidante du frère de Mme Navarrete, qui habite à Toronto et qui vit avec une maladie mentale grave et des problèmes de consommation de substances. Lorsque Mme Navarrete a commencé à chercher des options de logement supervisé ou subventionné pour son frère, elle s’est heurtée à un mur.

« Si vous avez la chance de trouver quelque chose, rien ne garantit que ce sera situé près des services de soutien médical et d’aide personnelle », dit‑elle. Mme Navarrete est experte‑conseil pour des organismes sans but lucratif et elle a travaillé pendant des décennies dans les domaines de la politique et de la défense des droits en matière de santé. Elle a également produit un balado sur des modèles de logement collectif. Bien qu’elle comprenne les points d’accès et les obstacles, ces connaissances se heurtent à la réalité de la demande. Les listes d’attente pour des logements supervisés à Toronto se situent dans les deux chiffres (14 ans), ce qui laisse sa famille sans options. Son frère est actuellement pris en charge par sa famille où une personne âgée agit comme personne de soutien. La situation n’est donc pas durable.

« La plupart des familles n’ont pas les moyens de s’offrir des options médicalisées à long terme, dit Mme Navarrete, et de nombreuses personnes souhaitent conserver leur autonomie. » À son avis, le Canada a besoin de plus de logements sociaux, et vite.

Alors que la population est aux prises avec le coût élevé de la vie, les demandes de logement plus abordable se font de plus en plus pressantes et deviennent un enjeu électoral au Canada. Parallèlement, les longs délais d’attente nécessaires pour des changements systémiques face à des besoins immédiats en matière de logement stimulent la création de nouveaux modèles et donnent un souffle nouveau aux anciens.

Diana Lind donne des détails sur les modèles de la cohabitation et des communautés de micrologements dans Brave New Home: Our Future in Smarter, Simpler, Happier Housing [notre avenir dans des logements plus intelligents, plus simples et plus joyeux] [en anglais seulement]. Son livre publié en 2020 se concentre en grande partie sur New York, d’abord rétrospectivement sur son extraordinaire croissance au cours du XIXe siècle par l’intermédiaire d’immeubles à usage locatif, puis par l’étude d’Airbnb et des autres formes temporaires. Selon Mme Lind, le modèle de la maison unifamiliale auquel la société nous a fait aspirer n’est pas durable. L’accès au marché des maisons unifamiliales nécessite à lui seul un investissement considérable et ce type de logement utilise l’espace de manière inefficace. De nos jours, la fameuse clôture en lattes verticales blanches est devenue une image d’une autre époque pour beaucoup de gens. Mme Lind considère que le temps est venu de renoncer au rêve américain d’une maison avec un garage double. Non seulement ces maisons sont trop chères et constituent une source de solitude, mais d’autres modèles de logement nous permettraient de mieux vivre ensemble en tant que communautés, étant donné que de nombreuses personnes vivent seules, se marient plus tard dans la vie, ont des familles moins nombreuses, adoptent davantage le mode virtuel et se déplacent plus. En d’autres termes, les modèles de logement ne suivent pas le rythme de nos besoins actuels.

Mme Hebert parle de l’un de ces projets, que Happy Cities nomme Co‑housing lite [que l’on pourrait traduire par « cohabitat léger »]. Tomo (qui correspond à la contraction des mots together [ensemble] et more [plus] en anglais) sur la rue Main à Vancouver est un modèle de logement sans coûts initiaux importants. Ce complexe abrite 12 familles sous un même toit qui partagent une structure et une cour communes. Ces plus petits logements qui appartiennent aux occupants laissent suffisamment de place aux grands espaces communs, dont une cuisine, une salle à manger et un salon commun. Des repas sont pris en commun trois fois par semaine et les résidents accomplissent des tâches dans la cuisine à tour de rôle. En outre, plusieurs comités s’occupent de prendre diverses décisions touchant l’autogestion.

« Le but est de renforcer l’entraide et d’aider les gens à veiller les uns sur les autres, dit Mme Hebert. Les avantages sont substantiels. » Elle souligne que de tels immeubles ont des taux de rétention élevés et qu’ils permettent de nouer des liens communautaires plus forts. « Les gens ont également tendance à se sentir plus concernés et à mieux s’occuper des espaces dont ils disposent, ajoute‑t‑elle. Les voisins qui entretiennent de meilleures relations règlent les différends plus facilement entre eux. »

Prendre de l’âge
Lorsque nous vieillissons, nos besoins en matière de logement évoluent également en fonction de facteurs aggravants, qui vont de la mobilité réduite aux problèmes de santé, en passant par la solitude, et nous sommes plus nombreux à vivre plus longtemps. Selon Statistique Canada, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus ne cesse d’augmenter au fil du temps. En 1971, 139 000 personnes avaient plus de 85 ans au Canada. En 2021, ce nombre était six fois plus élevé, soit 871 400 personnes. Les projections démographiques indiquent que ce groupe s’accroîtra encore davantage entre 2031 et 2050, puisque la génération du baby‑boom entrera dans l’âge d’or. Y entrera‑t‑elle en conservant son autonomie et ses penchants à contre-courant qui lui sont caractéristiques?

L’un des modèles va dans ce sens. Les collectivités de retraités formées naturellement gagnent en popularité. Ce terme désigne un pâté de maisons ou un immeuble d’habitation qui abrite une forte population de personnes âgées. Ces collectivités peuvent comporter des services de soutien comme des activités sociales, récréatives et liées à la santé, qui peuvent être offertes grâce à un financement public, à un financement privé ou aux deux. Les raisons peuvent varier selon les personnes et peuvent comprendre le souhait ou l’incapacité d’entretenir une maison unifamiliale, les pressions économiques ou le souhait de se rapprocher des gens ou des services. Ces logements constituent une option prometteuse pour créer une communauté tout en permettant aux personnes de conserver leur autonomie et de bénéficier d’un soutien.

Disposer d’un endroit où se sentir chez soi est essentiel à notre stabilité et à l’établissement d’une base pour la vie. De plus, le lien avec la santé mentale est indéniable, comme l’a montré le mouvement Logement d’abord. Son principe sous‑jacent, selon lequel les gens peuvent mieux avancer dans leur vie s’ils sont d’abord logés, leur permet de s’investir dans leurs activités sociales, professionnelles, récréatives et d’emploi pour favoriser leur rétablissement et leur bien‑être, et ainsi briser le cycle de l’itinérance.

En réalité, le modèle Logement d’abord s’est révélé être la façon la plus efficace de réduire l’itinérance. C’est l’une des principales constatations de l’étude Chez Soi lancée par la Commission de la santé mentale du Canada en 2008. Ce projet mené pendant quatre ans dans cinq villes avait pour objectif de fournir un soutien concret et significatif aux Canadiens en situation d’itinérance et souffrant de problèmes de santé mentale.

Quelles sont les prochaines étapes?
J’aimerais dire que nous sommes tous dans le même bateau, mais il est clair que certains d’entre nous sont plus en crise que d’autres. Il n’existe pas de situation unique pour tous lorsqu’il est question du logement et le sentiment de sécurité du logement d’une personne peut varier en fonction des aléas de la vie. Diverses options en matière de logement seront nécessaires pour garantir que l’on tienne compte de la diversité des besoins et que l’on ne s’en remette pas seulement à la chance. En attendant, il m’arrivera peut‑être encore d’être désabusé. Toutefois, puisque de nouvelles options en matière de logement abordable voient le jour, j’essaierai aussi de garder espoir lorsque j’enverrai un message à mes amis.


Autres lectures : Série l’argent et santé mentale

Ailleurs dans Le Vecteur : Seul chez soi : Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons‑nous endiguer ce phénomène?

Auteur : étudie les sciences humaines et la psychologie à l’Université de King’s College à Halifax, en Nouvelle Écosse.

L’incertitude de l’avenir financier pèse sur notre santé mentale. Dans cet article, nous nous pencherons sur le lien entre ces deux éléments qui marque le coup d’envoi d’une série portant sur le Mois de la littératie financière.

Nous avons tous un complexe lié à l’argent. Cet état d’esprit peut revêtir un caractère profondément imprévisible (en se manifestant soudainement pour éclipser tout le reste) ou un caractère délibéré qui instaure le calme comme s’il s’agissait d’un flux continu de points de données. Les psychologues d’aujourd’hui affirment que les croyances au sujet de l’argent apparaissent généralement à l’adolescence. Celles‑ci se forment en fonction des exemples donnés par les personnes qui nous ont élevés et ont une influence sur notre situation financière actuelle. En ces temps où le coût de la vie n’a jamais été aussi élevé, il convient de se poser la question suivante : votre conception de l’argent vous convient‑elle toujours?

Nombre d’entre nous ont une situation financière différente de celle de leur enfance, mais rien ne détermine nos rapports à l’argent comme la turbulence qu’apportent les nouvelles responsabilités et les changements imprévus. On ne peut évidemment pas se sortir de la crise de l’accessibilité financière dans un claquement de doigts. Le coût élevé de la vie vient ajouter un fardeau bien réel à nos dépenses en matière d’alimentation, de logement, de soins de santé et de santé mentale, surtout pour les communautés qui vivent des iniquités en santé et des inégalités sociales. Il s’agit notamment des communautés rurales et éloignées, les communautés de nouveaux arrivants, les communautés racisées, les communautés 2SLGBTQI+, les personnes aux prises avec une précarité d’emploi et de logement, les personnes en situation de handicap ou souffrant d’une maladie mentale grave, les chefs de familles monoparentales et les proches aidants non rémunérés. De surcroît, il existe un lien étroit entre l’insécurité financière et l’insécurité alimentaire, les logements inabordables ainsi que notre santé mentale et notre bien‑être.

Le lien
Lorsque le stress financier remplace la stabilité, il peut anéantir l’avenir que nous nous étions imaginé. Le sondage mené au cours de l’été par Recherche en santé mentale Canada (RSMC) révèle que les facteurs de stress financier ont des répercussions importantes sur la santé mentale et le bien‑être des Canadiens. Dans cette étude menée en ligne auprès de 3 819 adultes, 39 % des personnes ont déclaré que les problèmes économiques portent un dur coup à leur santé mentale et 41 % des répondants qui connaissent des difficultés financières déclarent avoir eu des pensées suicidaires.

Le nombre de répondants qui ont dû payer de leur poche des services de santé mentale en raison d’un régime d’avantages sociaux insuffisant est également passé de 23 % en mai à 30 % en août. De plus, 29 % des répondants ont mentionné que leur incapacité à payer était la raison pour laquelle ils n’ont pas accédé à des soins de santé mentale alors qu’ils en avaient besoin, ce qui représente une hausse de 11 % par rapport aux sondages précédents de RSMC.

Un enjeu électoral
Compte tenu de ces résultats, il n’est guère surprenant que l’accessibilité financière devienne un enjeu électoral majeur au Canada. Après tout, peu importe votre situation, elle aura sans doute une incidence sur votre vie. Afin d’en savoir plus sur ses répercussions sur la santé mentale, nous avons discuté avec Natasha Knox, conseillère financière à Alaphia Financial Wellness à Vancouver. Cette organisation fait partie de la Financial Therapy Association, qui regroupe des professionnels qui intègrent à leur pratique les dimensions cognitive, comportementale, relationnelle et financière du bien‑être.

Mme Knox utilise diverses stratégies pour aider ses clients à découvrir leur propre discours interne et les besoins qu’ils tentent de satisfaire. L’une des questions les plus efficaces est la suivante : « Si vous pouviez expliquer votre situation actuelle à une version plus jeune de vous‑même, comment lui décririez‑vous votre parcours pour arriver ici? »

Natasha Knox

Natasha Knox

Les réponses de ses clients font ressortir, de différentes manières, leurs rapports à l’argent. Les plus courants sont le statut socioéconomique (faire équivaloir la valeur personnelle à sa valeur nette), le culte de l’argent (considérer l’argent comme la véritable clé du bonheur par rapport à d’autres aspects de la vie), la vigilance face à l’argent (planifier en permanence pouvant entraîner de la sécurité ou de l’anxiété) et l’évitement de l’argent (croire que l’argent est une mauvaise chose et parfois confirmer cette idée par le sabotage de son avenir financier).

Que vous vous reconnaissiez dans l’un de ces rapports à l’argent ou dans plusieurs d’entre eux, ou que vous y reconnaissiez d’autres personnes, chacun de nous est touché par l’influence de l’argent et de la vie économique, et ce, peu importe la façon dont nous réagissons.

Margaret Landry s’en rend maintenant compte par elle‑même. Diplômée du programme d’études cinématographiques de l’Université Dalhousie, elle a connu des débuts prometteurs dans l’industrie cinématographique en plein essor de la côte est. Or, lorsque la grève des scénaristes de la télévision et du cinéma a poussé de nombreuses productions à se retirer de la province, elle s’est retrouvée avec peu de travail. C’est à la suite de changement qu’elle a commencé à réexaminer son enfance et ses expériences récentes. Elle a commencé à ressentir un manque et à éviter les questions d’argent.

« Je ne voulais pas regarder les chiffres. J’étais économe, mais je n’établissais pas de budget. Je ne voulais pas penser au coût de la vie. Toutefois, en tentant de la réprimer, j’ai constaté que l’anxiété s’infiltrer dans tout ce que je faisais ». Tout en faisant face à ces pensées, Mme Landry s’efforce d’adapter sa carrière à l’évolution des conditions de travail.

Les articles sur les finances personnelles portent souvent sur les petits sacrifices financiers que peuvent faire les gens. Il suffit de penser à tous les conseils reçus, comme se passer de lattés et de tartines d’avocat. Cependant, comme de nombreuses personnes le soulignent, cette vision aussi étroite passe sous silence les différents problèmes systémiques qui peuvent nuire aux finances des gens.

Pour ce qui est du suivi des dépenses et des stratégies budgétaires, que l’on peut trouver sur Internet et dans des applications, Mme Knox s’efforce de ne pas se montrer trop rigide puisque les choix des clients, quels qu’ils soient, doivent d’abord et avant tout être adaptés à leur situation. « On peut budgéter au sou près ou créer des catégories dont on fait le suivi chaque mois, dit‑elle. On doit essayer des choses pour voir ce que l’on peut maintenir puisque différentes choses fonctionnent pour différentes personnes ». Son conseil préféré est de dire aux clients de s’en tenir à leurs décisions : « Engagez‑vous à les respecter pendant un mois. Si ces choix ne vous plaisent pas, cela ne veut pas dire que vous êtes incapable de préparer un budget, mais plutôt que vous n’avez pas encore trouvé la méthode qui fonctionne pour vous. » Mme Knox mentionne que les bases de la littératie financière sont très variées, mais elle indique que le site Web GérezMieuxVotreArgent.ca et le cours de finances personnelles de l’Université McGill sont des ressources utiles et accessibles qui permettent d’accroître les connaissances pendant le Mois de la littératie financière ou à tout autre moment de l’année.

Apprendre et se tourner vers l’avenir
À la suite de la période d’urgence sanitaire de la pandémie, les Canadiens font face à des difficultés économiques sans précédent qui ont un effet négatif sur leur santé mentale. Actuellement, le coût élevé de la vie au pays a accentué l’insécurité financière, la pression sur l’accessibilité aux aliments et aux logements ainsi que l’inégalité des revenus. L’inflation et l’augmentation e coût des emprunts s’ajoutent également à la liste. En 2022, la dette non hypothécaire moyenne au Canada dépassait 21 000 $.

La sécurité financière et la santé mentale ont toujours été interreliées : non seulement les effets négatifs sur la santé mentale sont plus fréquents lorsque les revenus sont faibles, mais les problèmes de santé mentale et les maladies mentales peuvent entraîner de l’insécurité financière. Dans ce contexte, même si vous trouvez une méthode de budgétisation et de suivi des dépenses qui vous convient, vous pourriez tout de même vous sentir complètement dépassé et ressentir le besoin d’aller chercher de l’aide auprès d’un conseiller en crédit.

Notre série intitulée « L’argent et la santé mentale » aborde des thèmes liés au logement, au coût de l’accès à des prestations de santé mentale et à l’autonomisation financière, à raison d’un article par semaine en novembre. Vous pouvez consulter ces articles sur la page Web Le Vecteur : conversations sur la santé mentale, où vous pourrez également vous abonner à notre infolettre.

Auteur : étudie les sciences humaines et la psychologie à l’Université de King’s College à Halifax.

Comment engager la conversation

Quand le célèbre auteur de littérature jeunesse Robert Munsch a commencé à vivre des difficultés sur le plan de sa santé mentale, la première étape pour se sentir mieux était la plus simple à franchir. C’était également la plus difficile.

« La stigmatisation associée à la maladie mentale m’a empêché de demander de l’aide pendant 20 ans », raconte-t-il. Lors d’une discussion qu’il a eue en 2013 avec la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), Munsch a raconté son long combat contre la stigmatisation entourant la maladie mentale, avant de recevoir son diagnostic de trouble bipolaire et sa dépendance connexe à l’alcool.

La première étape – en parler à quelqu’un – allait de soi, explique l’auteur, mais elle demandait un courage inouï en raison des stéréotypes négatifs contre la maladie mentale. « Votre nom n’a aucune importance. Votre talent n’a aucune importance. Tout le monde peut avoir un problème. Il est crucial d’être ouvert et entouré d’un réseau de soutien pour en venir à bout. »

Pour les personnes aux prises avec des troubles liés à la santé mentale ou à l’usage de substances, il peut être hautement bénéfique de parler ouvertement de santé mentale. Mais en renforçant la compréhension et en réduisant la stigmatisation de façon globale, on les aide également à obtenir les soins dont elles ont besoin sans crainte.

La stigmatisation est un problème répandu
Un sondage Léger réalisé en 2022 a révélé que la stigmatisation constituait un problème répandu pour les personnes ayant des troubles liés à la santé mentale ou à l’usage de substances au Canada : 95 p. 100 des répondants ont dit avoir vécu de la stigmatisation au cours des cinq dernières années et 72 p. 100 ont déclaré avoir vécu de l’« autostigmatisation » (préjugés négatifs intériorisés). Plus révélateur encore, le sondage a montré que la population canadienne « s’attend à ce que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de consommation de substances soient dévalorisées ou qu’elles fassent l’objet de discrimination dans leur quotidien. »

Selon les répondants, la réduction de la stigmatisation doit être l’une des trois principales priorités pour améliorer l’accès aux soins et favoriser le rétablissement (les deux autres sont un accès élargi aux soins et davantage de services de prévention en santé mentale). Il apparaît clairement que la réduction de la stigmatisation et de ses effets néfastes est une étape essentielle pour assurer que les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou d’usage de substances ont accès aux soins qu’elles méritent.

Pourquoi c’est important
Le programme Changer les mentalités de la CSMC a été élaboré précisément pour cette raison : réduire la discrimination résultant des attitudes négatives entourant la maladie mentale et la consommation de substances. Elle constitue aujourd’hui la plus vaste initiative systémique vouée à enrayer la stigmatisation au pays. Près d’un million de personnes au Canada ont suivi au moins un des cours ou des programmes de Changer les mentalités, qui a fait ses débuts en 2009. Face à ce nombre qui ne cesse de croître, les milieux de travail, les salles de classe et les petites et grandes entreprises reconnaissent l’importance de créer un environnement sain et sécuritaire sur le plan psychologique.

Comme organisation, la CSMC possède une solide expertise de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail (la Norme), qui a été élaborée et lancée en 2013 pour fournir des lignes directrices sur la promotion de la santé mentale et pour reconnaître et soutenir les personnes qui vivent avec des maladies ou des problèmes liés à la santé mentale. Si de plus en plus d’organisations connaissent les bienfaits de la santé et de la sécurité psychologiques, plusieurs ne savent pas par où commencer leur démarche en ce sens. Pour ces organisations, la formation Changer les mentalités est l’une des meilleures fondations pour bâtir une telle culture.

Changer les mentalités offre également les programmes Premiers soins en santé mentale (PSSM), L’esprit au travail (EAT) et L’esprit curieux. Compte tenu du nombre élevé de personnes, d’organisations et de communautés ayant déjà pris part à l’un d’eux, peut-être que vous faites déjà partie des diplômés (et que vous détenez le badge de certification sur votre profil LinkedIn).

Ceux et celles qui ont suivi un programme Changer les mentalités se sentent plus confiants et apte à approcher une personne vivant une crise ou un problème de santé mentale. Par exemple, Steve Jones a le sentiment d’avoir sauvé plus de vies comme formateur du programme L’esprit au travail – Premiers répondants qu’en 20 ans de carrière comme pompier.

Premiers soins en santé mentale
Les PSSM s’apparentent aux premiers soins traditionnels. La formation enseigne aux participants à apporter une aide immédiate à une personne vivant une crise ou un problème de santé mentale, en attendant qu’elle reçoive un traitement approprié.

Elle peut prévenir l’aggravation d’une difficulté présente, mais elle comporte aussi des bienfaits plus généraux. Des données probantes montrent en effet que les cours de PSSM réduisent la stigmatisation, améliorent la compréhension des indices et symptômes d’une crise en santé mentale et procurent aux participants la confiance d’approcher une personne qui vit une telle situation.

Les participants ont affirmé que le programme les avait positivement transformés, en les rendant plus empathiques et compréhensifs à l’égard des personnes vivant des problèmes de santé mentale.

L’esprit au travail et L’esprit curieux
Le programme L’esprit au travail (EAT), fondé sur des données probantes, vise à réduire la stigmatisation dans les milieux de travail. En plus des versions standard de l’EAT, des formations adaptées sont aussi offertes pour les premiers répondants, le secteur de la santé, le domaine juridique et le sport.

Le cours, qui a été adopté par des sociétés, des organismes sans but lucratif et des gouvernements partout au pays, a été suivi par plus de 260 000 personnes à ce jour.

Les participants et les formateurs trouvent que l’EAT leur a permis de devenir plus empathiques et compréhensifs, en plus d’avoir un effet bénéfique immédiat sur leur milieu de travail.

L’esprit curieux est une version de l’EAT conçue pour les établissements universitaires et collégiaux.

Communication claire
Le site web refondu de Changer les mentalités comporte une nouvelle image et un portail web qui facilite la recherche de cours, notamment en fonction de critères précis. Les utilisateurs seront également en mesure de voir les plans de cours détaillés, les profils des formateurs de même que leur propre historique d’apprentissage.

Ces améliorations permettront à la CSMC de poursuivre son travail pour garantir à tous un milieu de travail ou un environnement d’apprentissage où le respect de la sécurité psychologique constitue une priorité. Grâce à son format simplifié et efficace, Changer les mentalités pourra continuer d’exercer son leadership en offrant des programmes de lutte contre la stigmatisation fondés sur des données probantes.

Pour Munsch, surmonter la stigmatisation, autant la sienne que celle des autres, a changé sa vie.

« Les gens doivent se rendre compte que la maladie mentale découle d’un mauvais fonctionnement du cerveau, et qu’il existe plusieurs traitements possibles. »


Ressource : Le nouveau site web de Changer les mentalités

Auteur : écrit professionnellement depuis plus de 20 ans dans les domaines du journalisme et de la communication. Diplômé des programmes de journalisme de l’université Carleton et d’Algonquin, il a travaillé comme journaliste et rédacteur en chef pour des quotidiens, des hebdomadaires et des journaux communautaires. Il est rédacteur à la Commission de la santé mentale du Canada.

Surmonter la stigmatisation, le chagrin et la perte et emprunter le chemin de la guérison, de l’espoir et du soutien auprès d’une communauté après le décès par suicide d’un être cher. Une histoire personnelle.

Chaque année, en novembre, des événements spéciaux sont organisés dans le monde entier pour marquer la Journée internationale des survivants d’une perte par suicide. Les personnes directement touchées par le suicide d’un être cher profitent souvent de cette journée pour se souvenir de cette personne, raconter leur histoire et leur vécu. C’est ce que je vous propose aujourd’hui. J’ai changé les noms pour des raisons de confidentialité.

Rachel s’est suicidée le 15 juin 2022, six semaines après son 30e anniversaire. Je la connaissais depuis un peu plus d’un an. Nous avions été voisines, puis amies proches, puis brièvement amantes. Ma relation avec elle, bien que tendre, était affligée par des conflits et j’ai ressenti une immense culpabilité lorsqu’elle s’est suicidée. Je me suis attribué un rôle dans sa décision, car je n’avais pas été la partenaire qu’elle espérait et je ne l’avais pas aimée comme elle en aurait eu besoin. 

Je vous raconte mon histoire, car le suicide continue d’être stigmatisé et les personnes qui restent peuvent se sentir isolées dans leur chagrin.

Comme toute tragédie, le suicide a une portée qui va bien au-delà de l’acte lui-même; ses répercussions sont considérables. Je pense aux nombreuses personnes qui ont été touchées par le décès de Rachel et qui continueront probablement à l’être : sa meilleure amie, qui l’a découverte chez elle deux jours après son décès; ses collègues, qui l’appréciaient, pas seulement pour sa productivité et son perfectionnisme; les membres de sa famille biologique et de sa famille d’élection qui, dans les semaines qui ont suivi son décès, m’ont contactée sur Facebook pour avoir des réponses à leurs questions; sa cousine adolescente transgenre, qui considérait Rachel comme un modèle et une confidente et son ex-partenaire, Nigel, avec qui elle avait eu une relation de neuf ans et qui a eu la responsabilité peu enviable de vendre la maison dont ils étaient copropriétaires et de trier tous ses effets personnels. 

Des conversations honnêtes
Lorsque j’ai appris le décès de Rachel, j’ai d’abord pensé à ma fille, Joy, qui n’avait pas encore deux ans et demi à l’époque. Joy avait connu Rachel pendant la moitié de sa courte vie. Leur magnifique lien comprenait des visites à la ferme du Musée de l’Agriculture du Canada ou des séances de musique devant le piano, Joy assise sur les genoux de Rachel. En tant que parent seul élevant un jeune enfant pendant une pandémie mondiale, j’étais reconnaissante envers Rachel, elle était l’une des rares personnes à qui je pouvais confier Joy sans aucune inquiétude.

Joy et Jessica Ruano

Joy et Jessica Ruano

Je crois qu’il faut être transparent et sincère avec les enfants. J’ai donc dit à Joy, dès qu’elle l’a demandé, que nous ne verrions plus Rachel parce qu’elle était décédée, que c’était très triste, qu’elle allait nous manquer et qu’il était normal d’en parler.

La semaine suivante, nous avons rendu visite à plusieurs de nos anciens voisins, dont beaucoup sont venus s’asseoir près de Joy et moi, pour partager leur tristesse et leur solidarité. J’ai répondu à leurs questions, car beaucoup d’entre eux n’avaient toujours pas compris les circonstances du décès de Rachel. Et dans notre petit cul-de-sac ont soudainement plané un malaise et un climat de tristesse. L’année précédente, j’avais invité Junkyard Symphony, un groupe de percussion respectueux de l’environnement. Ils avaient joué au milieu de la rue. C’est l’un des nombreux événements qui témoignent de l’atmosphère et de la culture de notre rue; un endroit où les enfants jouaient ensemble, où Joy pouvait en toute quiétude cueillir des tomates chez les voisins et les croquer à belles dents. Un endroit où nous connaissions le nom de chaque chat et chaque chien, et même de la tortue, Miguel. Rachel adorait cette communauté, qu’elle appelait affectueusement « rue Sésame », et sa petite maison dans laquelle elle voulait vivre pour toujours. 

Après deux semaines de congé, j’ai tenté de reprendre le travail. J’arrivais à me concentrer sur mes tâches pendant de courtes périodes, puis tout à coup je fixais le vide. J’avais souvent les nerfs à fleur de peau, des sanglots dans la gorge ou alors j’étais au bord de crise de panique. Mes émotions étaient instables. J’ai fait ce que j’ai pu, puis j’ai demandé un autre congé avec le soutien de mon médecin de famille. Mais j’avais du mal à canaliser mon énergie et à trouver la voie de la guérison. Les personnes qui m’avaient manifesté leur soutien au cours des premiers jours et des premières semaines ont rapidement disparu pour reprendre le cours de leur vie, ce qui est normal. Puis, certains de mes amis proches ont cessé de communiquer avec moi. La plupart se sont excusés en disant qu’ils étaient occupés, alors qu’avant le décès de Rachel nous nous rencontrions régulièrement, et l’une d’entre elles m’a même envoyé un courriel expliquant qu’elle avait besoin de mettre notre amitié « en pause » en raison du suicide de Rachel. Ce fut un coup dur, car mes relations avec ma famille immédiate étaient tendues, et j’avais besoin du soutien de la famille que je m’étais choisie.

Trouver du soutien
À la mi-août, me sentant perdue et très seule dans mon deuil, j’ai contacté Familles endeuillées de l’Ontario et j’ai commencé à participer au groupe de soutien du jeudi après-midi, sur Zoom. On y traitait de questions politiques relatives au décès, à la mort et à la maladie en rapport avec la communauté queer; par exemple, le fait que l’on compte davantage sur la famille choisie plutôt que sur la famille biologique qui n’offre pas de soutien. J’ai commencé à écouter le balado de Paula Fontenelle, Understand Suicide, qui a récemment atteint les 100 épisodes.

C’étaient les voix que j’avais besoin d’entendre : des personnes prêtes à surmonter leur malaise face à la mort et au suicide et à en parler ouvertement, que la perte soit récente ou pas. Je me suis surprise à sortir de ma propre douleur pour compatir avec l’homme dont la femme avec qui il était marié depuis 50 ans était décédée d’un cancer; avec la jeune femme dont le père avait été assassiné pour des raisons politiques, avec des personnes qui avaient subi de multiples pertes au fil des ans et qui se sentaient complètement déstabilisées par les coups répétés du destin. Contrairement à mon impression, je n’étais donc pas seule à vivre cette expérience. Le seul fait d’être en contact avec d’autres personnes, même des inconnus que je ne rencontrerais peut-être jamais en dehors du monde virtuel, m’a aidée à me le rappeler. 

Pendant toute cette période, je voulais m’assurer d’être un parent sur lequel Joy pouvait compter. Une amie m’a demandé récemment comment j’avais réussi à tenir le coup pendant l’année écoulée, et la réponse qui m’est venue était tout simplement « Joy » — on ne peut pas s’effondrer quand un enfant a besoin de nous. En tout cas, pas moi. Je ne l’ai pas fait. Je n’aurais pas pu. 

Mais ça n’a pas été facile. Joy évoquait souvent Rachel – les endroits où elles allaient ensemble, les jeux auxquels elles jouaient, et les objets de notre maison – comme des ustensiles de cuisine ou des vêtements – qui lui rappelaient Rachel. J’ai toujours essayé de répondre à Joy de manière positive, même s’il était parfois douloureux d’entendre parler de Rachel. Une nuit, Joy s’est réveillée en criant et, plus tard, entre deux sanglots, elle m’a dit :  « Je suis triste. . . parce que Rachel est partie. » Pendant de nombreux mois, elle avait dormi confortablement dans son propre lit, mais après le décès de Rachel, elle est devenue de plus en plus réticente à l’idée de ne pas dormir avec moi. Quand je l’ai interrogée à ce sujet, elle a fini par m’expliquer qu’elle avait peur de me laisser dormir seul sans elle – parce que je risquais de mourir comme Rachel. Et d’autres questions ont suivi :

« Pourquoi Rachel est-elle décédée? »

Elle était malade, mon amour.

« Est-ce qu’elle était vieille? »

Non ma chérie, elle était jeune. Plus jeune que moi.

« Je ne veux pas qu’elle soit décédée. »

Moi non plus.

« Elle me manque. »

À moi aussi.

Bien que je ne puisse pas ramener Rachel ou promettre que nous ne perdrons pas d’autres personnes proches à l’avenir, j’ai fait de mon mieux pour la rassurer en lui disant que « Maman et Joy sont pour toujours », au cas où elle aurait des doutes.

« Et Ba aussi? » demande-t-elle en parlant de son béluga en peluche.

Et Ba aussi.

Plus d’un an a passé maintenant, et je ressens encore les effets du décès de Rachel, y compris les symptômes de stress post-traumatique. J’ai de la difficulté à me concentrer et à gérer mon anxiété, en particulier devant un ordinateur, ce qui m’empêche de travailler comme avant. J’ai donc récemment abandonné mon emploi de salariée et me suis lancée à mon compte pour pouvoir gérer mes horaires avec plus de souplesse. Dans le cadre d’une thérapie soutenue, j’ai travaillé sur mes sentiments de culpabilité et sur ma volonté d’être le meilleur parent possible pour Joy. J’ai reconstitué un réseau de soutien, trouvant du réconfort auprès des personnes qui m’ont soutenue dans les moments les plus difficiles. Je fais de l’exercice et de la méditation pour garder un corps sain et un esprit paisible. Et j’écris autant que possible.

Au début de l’année, peut-être en réaction au deuil, j’ai acheté des billets d’avion pour Londres, en Angleterre, où j’ai vécu quatre ans il y a un peu plus de dix ans. Pendant quatre semaines, en juillet dernier, nous avons traversé l’Europe en train avec seulement une petite valise et un sac à dos. Le fait de sortir de notre routine nous a fait du bien. Nous avons laissé derrière nous tous les souvenirs de l’été dernier. Outre les difficultés que l’on peut avoir quand on se déplace avec un jeune enfant, qui peut faire des crises de colère quand son environnement change sans cesse, ce voyage nous a beaucoup rapprochées, Joy et moi. 

J’aime ma vie et chaque jour j’éprouve de la reconnaissance d’être en vie et de vouloir le rester, même aux jours les plus sombres. Je tiens farouchement, non seulement à survivre, mais à m’épanouir pleinement. Alors, avec Joy à mes côtés, c’est exactement ce que je vais continuer à faire. 


Soutien en cas de crise – Espace Mieux-être Canada : Si vous éprouvez de la détresse, à n’importe quel moment, vous pouvez texter MIEUX au 741741. S’il s’agit d’une urgence, composez le 911 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Aide : Les personnes en détresse au Canada peuvent obtenir de l’aide par l’intermédiaire de Parlons Suicide Canada. Composez le numéro sans frais :  1-833-456-4566

Ressource :

Auteure : (elle) est une femme queer qui écrit, joue, enseigne et fait de l’art sous de nombreuses formes. Elle éprouve de la gratitude de vivre sur le territoire Algonquin Anishinaabe (Ottawa) avec sa fille Joy.

Rédiger son histoire en fin de vie a des effets thérapeutiques.

Coutume plus que centenaire, la notice nécrologique, ou obituary, en anglais, est l’avis écrit qui annonce la mort d’une personne et fournit quelques détails biographiques. 

Selon le dictionnaire Merriam-Webster, le mot anglais obituary, du latin médiéval obituarius qui signifie sombre, voire menaçant, aurait été utilisé pour la première fois en 1703. Le français dispose du mot « obituaire », mais lui préfère le terme « notice nécrologique » ou « nécrologie ». Ce dernier, d’origine grecque, signifie « discours relatif à la mort », et son emploi date de la même époque, selon le Robert. Depuis le 18e siècle, il est d’usage qu’un membre de la famille ou un ami rédige cette notice. Ce n’est jamais une partie de plaisir ni une tâche à prendre à la légère, mais le rituel est devenu si habituel qu’il existe même des ouvrages qui recensent les meilleures notices.  Certaines organisations préparent à l’avance la notice des personnages célèbres, l’industrie funéraire fournit conseils et modèles, et des prête-plume peuvent l’écrire pour vous. Mais un nombre croissant de personnes écrivent leur propre notice nécrologique.  

Certaines de ces « autonotices », irrévérencieuses, avouant candidement un certain nombre de défauts, de conflits familiaux ou des problèmes de santé mentale, font sourire des gens qui ne connaissaient pas du tout la personne défunte et deviennent virales.  C’est ainsi que la composition d’Angus Macdonald, de Glace Bay, en Nouvelle-Écosse, figure maintenant à la rubrique des notices comiques sur le site Legacy.com, pour son humour et son caractère poignant. Dans ce texte qu’il a rédigé avant sa mort à l’âge de 67 ans, en 2016, ce monsieur a écrit : « Je pense avoir été un chic type, malgré mes antécédents punk et en dépit de ce que certaines et certains diront de moi. Que savent-ils de moi, de toute façon? J’ai aimé ma famille et j’en ai pris soin dans les bons moments comme dans les mauvais. J’ai fait de mon mieux. »

À l’approche de la mort, certains « autobiographes » veulent tirer les choses au clair, régler des comptes ou réconforter leurs proches avec honnêteté, humour et courage, y voyant peut-être aussi l’occasion de réfléchir à l’ensemble de leur vie, à leurs réussites, triomphes, ratés et regrets, ainsi qu’aux leçons apprises. Ce peut être aussi un moyen de léguer quelques sages paroles qui, dans leur esprit du moins, valent d’être préservées. Les personnes qui, se sachant proches de la fin, décident d’écrire sans fard y trouvent peut-être un éclairage précieux qui leur permet d’accepter paisiblement l’inévitable.

Une vie sous la lorgnette
Thérapeutes, conseillers et coachs en écriture constatent l’effet bénéfique qu’a sur leur clientèle la rédaction de leur propre avis de décès, peu importe leur âge ou le nombre d’années censé leur rester.

L’idée peut sembler morbide, mais elle gagne en popularité comme autoexamen thérapeutique et comme moyen de clarifier certains éléments importants de la vie.

Il n’est pas forcément facile d’envisager sa propre mortalité mais, disent les spécialistes, une réflexion sur ce qu’on aimerait voir dans sa notice nécrologique peut déboucher sur une vie meilleure : plus heureuse, plus sensée et plus productive. Notons d’ailleurs que le verbe obire, racine latine du mot anglais obituary, signifie « aller vers », « se présenter devant ».

« L’exercice amène certaines personnes à jeter un regard critique sur leur vie et à se dire : “Ma vie est tout à fait contraire à ce que je voudrais qu’on retienne de moi” », dit Talia Akerman, conseillère en santé mentale autorisée chez Humantold, à New York. Sa clientèle est composée en majorité de gens dans la jeune vingtaine qui souffrent de dépression, d’anxiété ou d’un traumatisme et qui cherchent une réponse aux grandes questions de la vie tout en tentant de se remettre d’expériences pénibles et de construire leur vie d’adulte.

La thérapie existentielle, démarche largement fondée sur les idées élaborées par Viktor Frankl, psychiatre réputé du début du 20e siècle, invite à rédiger son propre avis de décès comme moyen de trouver un sens et un but authentiques à sa vie.  Selon Akerman, « l’exercice vous force à placer un miroir devant votre vie, vos gestes, vos valeurs et les gens qui vous entourent. Il provoque un moment très intense qui vous amènera peut-être à constater que ce reflet ne correspond pas à ce que vous voulez et à apporter des changements. Je demande alors aux gens de repérer des thèmes dans leur notice. “Si vous devez changer quelque chose, comment vous y prendrez-vous?” » Dans d’autres cas, les gens sont surpris que l’image ressemble davantage au portrait espéré qu’ils ne l’attendaient.

Pour une personne qui souffre de dépression, cette rédaction est l’occasion de travailler avec son thérapeute à stimuler son estime de soi, à se reconnecter avec ce qui va bien et à retrouver l’espoir. « Cela leur rappelle leurs forces, ce qui est particulièrement bénéfique, souligne Akerman. Pour certaines personnes vivant avec une maladie mentale, l’exercice est toutefois un peu plus difficile. Tout le monde n’est pas prêt à faire ce bilan. C’est alors qu’un bon thérapeute a un rôle à jouer. Vous devez instiller un espoir dans la personne, l’accompagner le temps qu’elle arrive à s’approprier cet espoir. »

Il peut être utile de relire sa notice nécrologique au bout de quelques mois ou de quelques années pour voir en quoi la vie a changé, pour le meilleur ou pour le pire, et réfléchir de nouveau à la voie à suivre.  « J’incite les gens à conserver leur notice, mais si l’idée les bouleverse trop, je propose de la conserver pour eux seuls, dans un endroit sûr, et d’y revenir avec eux, explique Akerman. Ils pourront vérifier s’ils ont apporté les corrections qu’ils souhaitaient ou, dans le cas contraire, pourquoi rien n’a changé. »

Changements de direction
Akerman rappelle que la pandémie en a forcé beaucoup à transformer leur vie professionnelle ou à composer avec des pertes de tous types qui ont parfois mené à une crise de santé mentale, ce qui a rendu la rédaction de la notice nécrologique encore plus pertinente.  

« Je pense que cet outil a été vraiment utile pendant la COVID, mentionne-t-elle. Pour plusieurs, à défaut de pouvoir maîtriser quoi que ce soit sur le plan social, il restait possible de déterminer que faire de sa vie, de revenir sur ses valeurs, sur ce qui compte vraiment et sur ce qu’il y avait lieu de changer, sur le plan professionnel ou relationnel. »

Peu importe notre âge et peu importe que la mort soit lointaine ou proche, réfléchir à notre vie passée, présente ou à venir a d’évidents avantages : on y trouve la quiétude nécessaire pour se réorienter et apprécier tout simplement qui on est, où on en est, ce qu’on a accompli et ce qu’on aimerait bien faire avant de disparaître.


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Lectures complémentaires :

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