Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Tristesse et espoir composent souvent la trame de fond du rap conscient, le tout porté par un enchaînement de paroles sur l’injustice, le racisme et la brutalité. Cette musique chante les difficultés auxquelles se heurtent les communautés Noires et exhorte ces dernières à rester fortes malgré les préjugés. La musique contribue largement à la survie de la culture et de l’identité Noires, mais aussi à la santé mentale des personnes Noires, car elle vient exprimer les conflits internes, externes et apparemment éternels découlant de l’oppression.

Malgré nos bonnes résolutions en matière d’équité, chaque jour, le racisme emprunte les traits de la normalité et agit dans notre quotidien. Ces micro-agressions paraissent souvent insignifiantes ou habituelles, et bien qu’elles fassent mal, il est parfois plus facile de les ignorer que de s’y attaquer. Lorsque j’étais adjointe politique sur la colline du Parlement, il y a de nombreuses années, de petits autobus verts se déplaçaient dans l’enceinte du Parlement pour transporter le personnel et les députés d’un édifice à l’autre. Ces autobus passaient régulièrement devant moi sans s’arrêter. Les chauffeurs me voyaient bien leur faire signe, mais dans leur esprit, une femme Noire ne pouvait pas faire partie du personnel parlementaire. Alors ils passaient tout droit. Cela se produisait si fréquemment que lorsqu’ils s’arrêtaient, j’en restais tout étonnée.

Le cercle vicieux

Freda Bizimana

Ces comportements racistes sont si fréquents qu’ils sont considérés comme trop mineurs pour s’y attaquer. Pourtant, ils ont un effet d’usure et alimentent les relations sociales de pouvoir et d’oppression et, au fil du temps, ils nuisent à la santé et au bien-être des personnes Noires et d’autres personnes de couleur. En effet, ce racisme quotidien est à l’origine du racisme systémique. Et le racisme systémique permet au racisme quotidien de proliférer. L’un et l’autre minent la santé mentale.

Comment ne pas s’abandonner au désespoir ou au cynisme quand la violence contre des citoyens Noirs est normalisée ou passée sous silence et que personne ne réagit, et encore moins les médias ou le gouvernement? Selon une étude publiée en 2018 dans The Lancet, les Noirs américains qualifient leur santé mentale de mauvaise pendant au moins 14 jours après chaque incident au cours duquel un Noir américain non armé est assassiné par la police dans l’État où ils résident.

Tout ça se répercute sur des générations entières. La discrimination subie par un parent peut également entraîner des répercussions sur la santé mentale de son enfant, même si ce dernier n’a pas subi directement de traitement discriminatoire. Toujours selon l’étude dont traite The Lancet, les effets du racisme « indirect » ou « vicariant » aggravent la progression des maladies inflammatoires, des troubles du sommeil, des affections chroniques et des fonctions cognitives, autant de choses qui détériorent la santé mentale.

La musique est, et sera toujours, un moyen d’expression important de la culture Noire. Elle a le pouvoir de transmettre des messages et des émotions complexes. C’est sa redoutable efficacité qui a poussé le législateur américain à interdire le tambour aux esclaves en 1739. Près de 150 ans plus tard, en 1988, la chanson de NWA, « F–k tha Police », a eu le même effet et a suscité des inquiétudes de la part des autorités lors de sa sortie.

Il n’est donc pas surprenant que la musique rap et la culture hip-hop jouent un rôle important dans l’expression des préoccupations, des craintes, de l’espoir des Noirs d’aujourd’hui, ainsi que des possibilités qui s’offrent à eux, et qu’elles contribuent aussi à leur santé mentale. En 1998, le Dr Edgar Tyson, chercheur et clinicien, a présenté la thérapie hip-hop lors du 20e symposium annuel de l’Association for the Advancement of Social Work.

La thérapie hip-hop marie le hip-hop, la bibliothérapie et la musicothérapie. La musicothérapie a fait ses preuves depuis les recherches menées par Zane Ragland et Maurice Apprey, dès 1974. De même, la bibliothérapie, dont le traitement repose sur l’utilisation de la littérature, comme la lecture d’histoires et de poésie, est également bien établie et a fait ses preuves, comme le révèlent diverses études systématiques portant sur le traitement de problèmes d’ordre affectif, physique et psychologique chez l’adulte.

Les travaux de recherche d’Edgar Tyson sont la pierre angulaire de la thérapie hip-hop contemporaine qui convient parfaitement bien à une approche thérapeutique adaptée à la culture, particulièrement chez des jeunes.

À Toronto, au Growth and Wellness Therapy Centre, Freda Bizimana, M.S.S., T.S.A., travaille avec de jeunes Noirs et des jeunes racisés qui ont des démêlés avec la justice. Elle explique combien il est difficile d’entrer en contact avec un jeune Noir, surtout celui qui se retrouve en thérapie en raison de problèmes avec le système judiciaire. « Le jeune n’a pas envie de parler à une pure étrangère, raconte-t-elle. Le hip-hop crée un pont entre nous, on arrive à communiquer grâce à quelque chose qu’il aime. C’est une approche qui n’est pas enracinée dans l’expérience européenne. Ça fait écho aux tambours de la diaspora africaine. »

Nouvelle sortie

Dans sa pratique, Mme Bizimana remarque que les clients semblent souvent détachés et que, au début d’une rencontre, leurs réponses se résument souvent à un seul mot. Elle regarde alors leurs écouteurs et leur demande ce qu’ils écoutent. Ils commencent par parler de leurs chansons préférées, puis s’attardent sur les paroles. À un moment donné, Mme Bizimana leur demande : « Est-ce que tu te sens comme ça des fois? » Et c’est le début d’une conversation. « Cette approche les attire plus facilement dans le processus thérapeutique », explique-t-elle.

Que répond Mme Bizimana aux personnes qui mettent en doute l’efficacité ou la pertinence de cette approche thérapeutique? « Le hip-hop est un miroir de la société. Si ça ne vous plaît pas, vous devez regarder ce qui se passe autour de vous, souligne-t-elle. Comment luttons-nous contre le racisme envers les Noirs? Comment nos systèmes scolaires composent-ils avec la jeunesse noire? Que faisons-nous pour mettre un terme à la brutalité policière? Pourquoi les jeunes cherchent-ils à s’abrutir? »

Le rap sert à surfer sur les tensions, c’est un exutoire. Quand on parle de politique sur une mesure à quatre temps, on transforme la frustration qu’engendre le racisme structurel en un hymne à l’expérience collective. L’album de Kendrick Lemar, To Pimp a Butterfly, contient des commentaires politiques sur la foi, la culture et la race. En 2015, la chanson « Alright », qui concentre toutes ces idées, s’est retrouvée sur la liste des grands succès du classement Pitchfork et Billboard. Dans le poème qui précède et suit la chanson, le chanteur note que la discrimination et l’apartheid sont à l’origine des tensions. À l’instar des chants d’esclaves, il chante qu’avec Dieu, tout ira bien. La grande popularité de cette chanson et son rythme entraînant en ont fait l’hymne du mouvement Black Lives Matter, ce qui vient renforcer la relation entre le rap conscient et l’activisme.

L’union fait la force

Le rap traite de thèmes, à la fois spécifiques et inspirants, qui portent sur la capacité à surmonter les obstacles et les défis de la vie. Les thèmes reflètent les réalités de la vie quotidienne de nombreuses communautés Noires. La thérapie hip-hop emprunte à la musique rap et à d’autres éléments de la culture hip-hop afin de créer un cocktail thérapeutique adapté à la culture. Contrairement à la musicothérapie traditionnelle, la thérapie hip-hop s’applique aussi à la thérapie de groupe. Elle permet d’échanger au sujet de son vécu et de sortir de l’isolement dans lequel le racisme plonge souvent les personnes qui en sont victimes. Les études montrent que cette approche peut réduire la dépression et l’anxiété et améliorer la communication et l’expression de ses émotions.

La thérapie hip-hop a un autre atout : elle rend plus fort. La musique rap est très variée et peut renforcer les doctrines du sexisme, du mercantilisme et de la culture de la drogue. Pour les femmes Noires, cela peut être une autre source d’irrespect et de déni. Grâce à la thérapie hip-hop, les femmes peuvent contrecarrer ces influences en créant des paroles et des discussions qui racontent leur histoire avec leur propre voix.

« Le hip-hop donne une voix aux jeunes Noirs, explique Bizimana. Il leur permet d’avoir un espace pour s’exprimer, guérir et grandir grâce à un moyen d’expression qui leur est familier. J’aimerais qu’il soit utilisé plus fréquemment au Canada », avoue-t-elle, tout en précisant que de plus en plus de thérapeutes adoptent cette approche dans le cadre de séances individuelles et de groupe. Elle constate que les écoles l’intègrent à leurs programmes d’études. « Parfois, l’aide peut prendre la forme d’une liste de lecture adaptée aux humeurs, dit-elle, par exemple, une liste pour les moments de tristesse et une autre pour les moments où l’on a besoin de motivation. »

Il y a quelques années, si on me l’avait demandé, j’aurais exprimé un certain dédain pour la culture hip-hop. Elle m’apparaissait souvent comme une autoflagellation et je ne comprenais pas pourquoi tant de jeunes Noirs, en particulier des femmes, s’y adonnaient. Cependant, lorsque mon fils a commencé à me faire écouter du rap conscient et que j’ai entendu des paroles qui reflétaient mes propres vérités, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur mon point de vue. Aujourd’hui, dans les moments de doute et de lutte, lorsque les normes culturelles me laissent peu d’options ou rétrécissent mes horizons, je trouve cette musique édifiante. Il n’est donc pas étonnant que j’aie été séduite par la thérapie hip-hop. Elle saisit et formalise ce que beaucoup d’entre nous, dans la communauté Noire, savent déjà : la musique guérit, et aucune musique ne guérit aussi bien que la nôtre.

Auteure : Après s’être penchée sur le sujet pour rédiger cet article, Debra Yearwood, leader certifiée en santé, a dressé une liste de lecture de rap conscient. Elle signe régulièrement des articles dans Le Vecteur.

Illustration : Dans ses œuvres, Holly Craib explore la relation entre la couleur et la lumière. Elle s’est vu décerner le prix Applied Arts pour une série d’illustrations conceptuelles.

À l’approche de la Journée internationale de la visibilité transgenre, un événement annuel visant à soutenir les personnes transgenres et à lutter contre la discrimination, Jessica Ward-King, militante en matière de santé mentale, également connue sous le nom de The Stigma Crusher (la pourfendeuse de préjugés), réfléchit aux moyens de manifester son soutien.

Il est facile d’être un ami, un réconfort, un confident, un amoureux ou un fidèle compagnon de films d’horreur de fin de soirée, mais ce n’est pas ce qui définit un allié. Alors, comment devenons-nous des alliés? Et plus précisément, comment pouvons-nous être de bons alliés des communautés transgenres et non binaires dans un climat politique et social qui est parfois carrément hostile, voire dangereux?

Un allié est une personne, souvent cisgenre (dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance), qui soutient ou défend les personnes transgenres et non binaires. Être un allié peut sembler une tâche colossale dans un monde où la haine se fait omniprésente. J’ai parfois plutôt envie de me cacher jusqu’à ce que le monde soit un peu plus sûr, mais pour tous ceux que j’aime, je ne le ferai pas. D’ailleurs, nous pouvons prendre des mesures simples dès maintenant pour devenir de meilleurs alliés.

Tout commence par l’éducation

Selon Statistique Canada, le Canada compte 100 815 personnes transgenres et non binaires, soit 1 Canadien sur 300. Le genre désigne l’identité personnelle et sociale d’une personne. Le terme « transgenre » désigne les personnes dont le genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance (en fonction de l’appareil reproducteur et d’autres caractéristiques physiques). Le terme « non binaire » désigne les personnes qui ne sont pas exclusivement des hommes ou des femmes. Dans les deux cas, l’identité de genre, qui représente l’expérience interne du genre, ne correspond pas aux attentes de la société.

En tant qu’allié des personnes transgenres et non binaires, vous connaissez peut-être ces termes, mais connaissez-vous l’histoire des droits des personnes transgenres et non binaires au Canada? Avez‑vous lu récemment des ressources rédigées par des personnes transgenres ou non binaires? Un bon allié est plus qu’un ami : il est important de s’informer des expériences vécues par les personnes transgenres et non binaires afin de mieux comprendre leur quotidien. Et nous devons nous éduquer nous‑mêmes. Il est essentiel de nous demander à qui incombe le fardeau de ce travail.

Noms et pronoms

Pour de nombreuses personnes transgenres et non binaires, les noms et les pronoms sont une question importante. Certaines personnes les appelleront par leur ancien nom (« mort ») ou emploieront le mauvais genre ou pronom (« mégenrées »), ce qui peut être extrêmement blessant. L’approche la plus respectueuse consiste à vous présenter en utilisant le nom et les pronoms que vous privilégiez et à demander ce que préfère votre interlocuteur en cas de doute. Vous vous êtes trompé? Excusez-vous respectueusement, puis efforcez-vous de vous corriger à l’avenir.

Sécurité

Les alliés peuvent réellement contribuer à la sécurité des personnes transgenres et non binaires, en particulier dans le climat politique actuel. Et les enfants peuvent même s’y initier. Mae Ajayi, qui est non binaire et parent, affirme qu’en formant nos enfants à devenir des alliés, nous pouvons assurer la sécurité des enfants transgenres et non binaires.

« Il s’agit d’avoir des conversations très explicites sur la transphobie avec les enfants », explique Mae Ajayi. Rachel Malone, parent de Sacha, un garçon bigenre, et de Peter, un garçon cisgenre, abonde dans le même sens.

« Nous ne pouvons pas empêcher nos enfants de vivre, n’est-ce pas? Et nous ne pouvons pas être présents tout le temps. Nous ne pouvons donc pas être les seuls à les protéger. » Rachel Malone sait qu’il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer la sécurité des personnes transgenres et non binaires. En raison de son identité de genre, Sacha a subi de l’intimidation cruelle à la maternelle et en a gravement souffert sur le plan psychologique. Rachel Malone m’a demandé de ne pas révéler son nom ni celui de ses enfants par crainte de représailles, des familles d’enfants transgenres étant victimes de violence selon plusieurs observations.

La sécurité est un enjeu qui touche non seulement les enfants, mais aussi les adultes transgenres et non binaires, qui sont plus susceptibles que les adultes cisgenres de subir de la violence. Les alliés qui défendent leurs amis, leurs collègues et leurs voisins transgenres et non binaires sont essentiels pour améliorer la sécurité de ces adultes.

Trois amis aux coiffures colorées souriant et posant ensemble à l'extérieur.

Santé mentale

Robyn Letson, titulaire d’une maîtrise en service social, travailleur social autorisé et psychothérapeute, travaille auprès d’une clientèle transgenre et non binaire et estime que le potentiel de devenir un allié en offrant des soins de santé mentale liés à l’affirmation du genre aux personnes transgenres et non binaires est énorme.

Les personnes transgenres et non binaires sont plus susceptibles que les personnes cisgenres de souffrir de problèmes de santé mentale, lesquels peuvent s’expliquer de différentes façons, mais la transphobie, les préjugés et la discrimination dont elles sont victimes n’arrangent certainement pas les choses.

Selon Robyn Letson, un allié peut contribuer à la santé mentale des personnes transgenres et non binaires en leur apportant son soutien, en respectant leur vie privée, notamment en ne posant pas de questions médicales indiscrètes sur leur transition ou les hormones, et en leur demandant leur avis sur la manière dont il peut adapter son approche des soins (vous ne savez peut-être pas que votre approche ne fonctionne pas si vous ne posez pas la question). Des panneaux d’affichage peuvent signaler que les milieux de travail, les écoles et les cliniques sont des endroits sûrs et accueillants pour les personnes transgenres et non binaires.

Il faut également faire un travail sur soi. « Je suggère de commencer par faire un examen de conscience, déclare Robyn Letson. Pour les personnes cisgenres qui souhaitent entamer ou approfondir une démarche d’allié et de solidarité auprès des personnes transgenres, je leur suggère toujours de commencer par examiner leur propre relation au genre. »

Engagement soutenu

Le travail d’un allié n’est jamais terminé. L’apprentissage est continu, la lutte contre la discrimination et la transphobie est un travail de longue haleine, et nos propres préjugés doivent être remis en question.

« Laissez moins de place aux suppositions et acceptez de ne pas savoir », suggère Mae Ajayi. Les personnes cisgenres devraient comprendre à quel point les gens sont tristes et effrayés en ce moment et que la situation est terrifiante en tant que personne transgenre et parent. Le danger est très réel. »

Je ne peux qu’imaginer à quel point il est terrifiant d’être une personne transgenre ou non binaire au Canada en ce moment. En tant qu’alliée, la situation me fait bouillir de colère. Cependant, la colère ne suffit pas : être cisgenre est actuellement un privilège dans notre société, et il est de la responsabilité d’un allié d’utiliser ce privilège comme tremplin pour agir.

La tâche semble ardue, mais si vous commencez par soutenir les personnes transgenres et non binaires, que vous vous éduquez, que vous êtes déterminé à apprendre et à utiliser les noms et les pronoms appropriés, que vous pensez à assurer leur sécurité, que vous favorisez leur santé mentale et que vous vous engagez à lutter contre la transphobie et la discrimination, vous serez en bonne voie de devenir un meilleur allié.

BSc, PhD, aka the StigmaCrusher, is a mental health advocate and keynote speaker with a rare blend of academic expertise and lived experience. Equipped with a doctorate in experimental psychology and firsthand knowledge of bipolar disorder, she’s both heavily educated and, as she likes to say, heavily medicated. Crazy smart, she’s been crushing mental health stigma since 2010.

Morceaux choisis à relire dans le magazine de la Commission de la santé mentale du Canada

Avec notre slogan « Conversations sur la santé mentale », c’est tout un buffet de thèmes qui est proposé dans Le Vecteur. C’est voulu. Une partie du travail de la Commission de la santé mentale du Canada consiste à réduire la stigmatisation, en commençant par créer des espaces pour discuter de réalités vécues, de difficultés rencontrées, de nouvelles et d’idées en lien avec la santé mentale. Pour lancer la nouvelle année, nous avons préparé un résumé des récits publiés en 2023 qui reflètent cette philosophie. Bonne lecture!

L’éléphant dans la pièce Les histoires émanent d’une multitude de sources. L’article « Comment rompre avec son thérapeute » est né de conciliabules avec des amis et des collègues, embarrassés de dire tout haut que le courant ne passait pas avec leur thérapeute. Lorsque j’ai proposé de publier un article sur l’art subtil de dire « Ce n’est pas toi, c’est moi », tout le monde a reconnu la pertinence du sujet. Nous avons donc mandaté l’autrice Moira Farr pour scruter la question dans le numéro de juillet 2023. Quelques mois plus tard, en octobre 2023, le New York Times a repris le sujet, sous un titre et un sous-titre semblables. Très flatteur!

Toujours dans la rubrique des sujets dont on parle trop peu, en mars, Debra Yearwood a traité des faux pas qui peuvent gâcher une cérémonie de funérailles (comme de mal prononcer le nom du défunt – horreur!) et expliqué comment on peut faciliter le travail de deuil en faisant ses adieux à la personne décédée. L’illustration humoristique de l’en-tête donne le ton et invite les lecteurs à se plonger dans l’article.

Des séries pour tous les goûts

Une collection de récits thématiques nous permet d’explorer une question en profondeur sur plusieurs semaines. Nous planifions les contenus pour donner aux auteurs le temps de faire leurs recherches, réflexions et rédaction afin de produire des articles d’actualité contenant de l’information à jour et avant-gardiste. En novembre, nous avons publié quatre papiers sous le thème de l’argent et de la santé mentale pour souligner le Mois de la littératie financière. Ils traitent de mentalités, de logement, de littératie et d’autonomisation économiques ainsi que du coût d’une thérapie.

Notre série littéraire annuelle, intitulée La santé mentale pendant les Fêtes porte quant à elle sur le côté moins scintillant de la période des Fêtes. Nos auteurs y plongent dans les dynamiques familiales complexes en racontant comment ils ont surmonté les défis qui sont souvent passés sous silence dans les publicités de cadeaux. Ils racontent des histoires vraies empreintes d’espoir et d’humour.

Expériences vécues

Le degré de détail et les nuances qui émergent d’un témoignage personnel peuvent apporter un éclairage précieux. Le récit de Jessica Ruano sur le suicide de sa conjointe en est un excellent exemple. En parallèle, Florence K – musicienne, mère, animatrice chez CBC et candidate au doctorat – s’est inspirée du mot-clic #MonHistoire de la Semaine de la santé mentale pour partager son récit sur les problèmes de santé mentale, le bien-être et la découverte.

Les mots justes

Lorsqu’on cherche à enrayer la stigmatisation, on choisit les histoires à partager, mais aussi la façon de les raconter. Nous faisons chaque année l’examen interne de notre guide stylistique, qui nous amène notamment à nous pencher sur le choix des mots. Nous avons entrepris d’expliquer ces choix dans une série intitulée Le choix des mots est important. Cela nous permet de partager notre raisonnement au-delà de notre organisation, dans l’espoir que les bons mots seront entendus. Nous y indiquons par exemple comment traiter de suicide ou de consommation de drogues, d’alcool ou d’autres substances.

À relire

Les articles suivants – dont deux proviennent de notre série littéraire annuelle sur la Santé mentale pendant les Fêtes – ont reçu des nominations des Canadian Online Publishing Awards. Les gagnants seront dévoilés en février. Dans la catégorie de la meilleure chronique, on retrouve le papier de Dave Bidini, Prendre une bouffée d’air frais et plonger au cœur de ses pensées, et l’essai de Moira Farr, Que vos jours soient aussi joyeux et lumineux que possible, tous deux publiés en 2022. L’article de Debra Yearwood, Les hommes et la santé mentale, a été nommé dans la catégorie du meilleur article informatif, tandis que Ces peurs qui nous habitent, qui porte sur l’écoanxiété, est en lice pour le prix du meilleur article sur l’art de vivre.

Auteure : est éditrice du Vecteur. Elle est gestionnaire des communications à la CSMC.

Fateema Sayani

Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.

Notre série littéraire annuelle porte sur la complexité du temps des Fêtes.

La signature du Vecteur est « Conversations sur la santé mentale ». Elle véhicule bien la raison d’être de notre magazine, tout en faisant comprendre à nos lecteurs que la porte est grande ouverte pour toute discussion sur la santé mentale.

Cet accueil à bras ouverts témoigne aussi de la mission générale de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) : réduire la stigmatisation. Lorsque nous parlons ouvertement de nos difficultés, maladies et problèmes et de notre bien-être, nous reconnaissons que la santé mentale fait partie intégrante de notre santé générale. De telles conversations peuvent mener à des changements de taille, et le temps des Fêtes est une période tout indiquée pour s’attaquer à la complexité et à la pluralité des problèmes de santé mentale.

C’est ainsi que tous les mois de décembre, nous publions une série des Fêtes pour couvrir les sujets qui sont passés sous silence dans les scintillantes publicités de cadeaux. Ce faisant, nous cherchons à normaliser les difficultés que les célébrations de fin d’année peuvent entraîner avec elles et insuffler une dose d’espoir et d’humour à nos lecteurs.

Chaque année propose un sous-thème. La série 2023 portait sur la mélancolie, l’adaptation et l’espoir. En 2024, nous nous intéressons aux bonnes nouvelles, aux difficiles séparations et aux nouvelles traditions. Nous espérons que notre message ouvrira une voie d’espoir et d’optimisme, en faisant entendre les témoignages de vraies personnes dans leur quotidien.

 J’ai lancé cette série en 2022, quelques mois après mon entrée en poste comme gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la CSMC. Le Vecteur est l’une de mes responsabilités et constitue l’un des aspects les plus visibles de mon travail à la Commission, qui mène une foule d’autres initiatives comme la production de rapports de recherche, la mobilisation du public, la transposition des connaissances au moyen de guides, d’outils, de cours et de webinaires. Le Vecteur se veut un outil accessible, clair et vivant qui couvre une gamme de sujets, d’idées et de recherches dans le domaine de la santé mentale. C’est un heureux mélange de Psychology Today rehaussé d’un soupçon de New Yorker et d’une bonne dose de conseils amicaux.

La « recette » pour cette série annuelle est basée sur des récits qui comblent le fossé entre les attentes et la réalité. Elle met en vedette des gens qui acceptent leur situation et qui choisissent de faire de la limonade lorsque la vie leur donne des citrons, sans oublier les petits biscuits pour l’accompagner. On y découvre des histoires de personnes qui vivent des difficultés, sans clichés ni platitudes.

Trouver sa voix

 Les auteurs relatent habituellement un fait vécu en lien avec le thème choisi.  Par exemple, en 2022, Dave Bidini, éditeur du journal West End Phoenix et membre du groupe rock Rheostatics, a parlé de patinage, de la genèse de ses mémoires, de nostalgie, de patinoires et de rituels avec moult détails et une belle musicalité.

Je suis reconnaissant que le patinage m’ait inspiré cette idée créative, même si elle m’a astreint à revivre le stress, la douleur et la colère qui viennent avec la réminiscence de cette période de ma vie. J’ai tenté de faire œuvre utile en déballant mes souvenirs de cette époque. Toutefois, bien qu’il réveille des vérités crues enfouies dans le passé, le sentiment de nostalgie nous amène souvent à célébrer ce qu’il y a de meilleur dans la jeunesse, la simplicité et la nouveauté. 

Lisez l’article « Prendre une bouffée d’air frais et plonger au cœur de ses pensées » ici.

L’autrice et formatrice Moira Farr a raconté, avec une conscience de soi pleine d’humour, les hauts et les bas des Fêtes quand on vit avec un trouble de l’humeur et des parents vieillissants, tout en faisant l’éloge du bavardage.

Le confort et la joie ne sont pas le fruit du hasard. Il faut les inviter dans sa vie et faire preuve d’une bonne dose de générosité d’esprit (comme l’a appris le fameux Grincheux de Noël) au lieu de se replier sur soi au point de n’avoir pour horizon que son propre nombril.

Lisez l’article « Que vos jours soient aussi joyeux et lumineux que possible » ici.

L’autrice Debra Yearwood a tenté de décortiquer – comme une chaîne de lumières emmêlée – sa relation compliquée avec Kwanzaa, ses questionnements quant à son identité et à la commercialisation de Noël. Son écriture rythmée foisonne de réflexions inspirées, pendant qu’elle tente de se soulager du fardeau émotionnel qui accompagne les attentes et les traditions des Fêtes de fin d’année.

Puis vient la culpabilité. J’ai beaucoup trop mangé. Tout ce beurre et ce sucre. Beurk! Je crois que je sens le durcissement de mes artères. Ensuite viennent les promesses habituelles de faire mieux le lendemain. Demain, je mangerai une salade…  mais voilà que quelqu’un m’invite à bruncher. Le lendemain, je soupe avec des amis et, c’est comme ça, je ne les ai pas vus depuis une éternité. On en profite! L’alcool coule à flots! Santé tout le monde! Voilà la meilleure bouteille de rhum de ma vie! Oh, et que dire de ce Côtes du Rhône? Les remords surviennent au petit matin, exprimés de cette voix éraillée que je ne réserve que pour moi-même. Encore raté! Mais la valse entre le plaisir et le châtiment ne fait que commencer.

Lisez Entre traditions revisitées et effluves de sucreries.

Cette année

 L’autrice Eleanor Sage s’intéresse à un sujet très actuel dans « Sœurs en déroute ». Dans ce billet, elle relate les efforts qu’elle a déployés pour tenter d’extirper sa sœur d’un abîme de désinformation et sauvegarder leur relation, tout en pleurant leur proximité passée. Demeurez à l’affût du numéro de décembre pour lire son témoignage.

La mission de composer cette série est pour moi un cadeau et un honneur. Je suis ravie d’épauler des auteurs émergents et établis et de collaborer avec une équipe extraordinaire d’auteurs, d’éditeurs, d’experts du numérique et du web, de gestionnaires de projet, de traducteurs et d’illustrateurs. J’espère que vous y prendrez autant de plaisir que nous avons à vous la présenter. Joyeuses Fêtes!

Auteur: Fateema Sayani est gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada. Elle espère publier cette série sous forme de livre un jour.

Ce numéro à trois chiffres, facile à retenir, pour la prévention du suicide, permet aux personnes ayant besoin d’un soutien immédiat d’appeler ou d’envoyer un texto pour obtenir de l’aide.

Au début du mois de novembre, l’acteur américain Mark Duplass a fait une publication sur Instagram au sujet de ses problèmes de santé mentale, tenant notamment un espace en direct pour discuter de ses stratégies d’adaptation, y compris « le déni temporaire d’une partie de l’obscurité lourde pour pouvoir me concentrer sur la lumière ». 
 
L’acteur, qui a joué dans The Morning Show et The Mindy Project, a encouragé ses abonnés à composer le 988, un service d’appel et de messagerie accessible en tout temps, qui existe aux États-Unis depuis juillet 2022. Mentionnés dans chaque publication, référence, article et conversation, ces trois chiffres pourraient bientôt être connus de toutes et de tous, comme c’est le cas pour le 911.
 
La ligne d’aide 988 pour la prévention du suicide a été lancée au Canada le 30 novembre. Cela signifie que n’importe qui, n’importe où au Canada, peut obtenir de l’aide par téléphone ou par texto 24 h sur 24.
 
En composant ou en envoyant un texto au 988, les appelants obtiendront un soutien bilingue, adapté à leur culture et tenant compte des traumatismes de la part d’intervenants formés.
 
Bien que le service soit conçu pour répondre aux personnes à risque de suicide, personne ne sera refusé. Les personnes qui cherchent à accéder à d’autres services de soutien en santé mentale pourront être dirigées vers d’autres services dans leur région, par exemple.
 
« Cela permettra de sauver des vies », déclare Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. « Le service 988 est bien plus qu’un numéro; c’est un soutien essentiel. Un simple appel en temps de crise peut marquer un tournant. Cette ligne d’écoute téléphonique permet de briser le silence et d’aider les gens ».
 
Comment fonctionne le service?
L’appelant peut composer le 988 ou envoyer un texto à ce numéro et il recevra un bref message lui confirmant qu’il est au bon numéro. On lui posera des questions de base, par exemple, s’il souhaite parler à quelqu’un en anglais ou en français. L’appelant est ensuite mis en relation avec un intervenant dûment formé de sa collectivité, qui l’écoutera et le soutiendra.
 
Les appels et les textos au 988 sont confidentiels. Aucun renseignement permettant d’identifier une personne ne sera divulgué ou partagé en dehors du réseau 988, sauf si la loi l’exige ou le permet, ou lorsque la situation nécessite une intervention d’urgence.
 
Le service repose sur des approches collaboratives axées sur la personne, privilégiant les interventions les moins intrusives pour accroître la sécurité. En cas de risque immédiat pour la sécurité d’une personne, le service des urgences peut être appelé.
 
Ce service a été mis en place par le gouvernement du Canada et est offert par le Centre de toxicomanie et de santé mentale sous la forme d’un modèle communautaire décentralisé, par l’intermédiaire de plus de 39 centres et organismes partenaires dans tout le pays, y compris des centres de détresse et des lignes d’écoute téléphonique, ainsi que des organismes nationaux, comme Jeunesse, J’écoute, et locaux, comme South Asian Canadians Health and Social Services (SACHSS), un organisme sans but lucratif situé à Brampton, en Ontario. Les intervenants locaux qui répondent aux appels et aux textos sont formés selon des modèles de prévention du suicide certifiés et reconnus mondialement, comme la formation appliquée en techniques d’intervention face au suicide, aussi appelée ASIST en anglais.
 
Kathyrn Leroux a suivi cette formation. Elle est responsable des médias, du marketing et de la communication au Centre de détresse d’Ottawa et de la région, l’un des centres affiliés à la ligne d’aide téléphonique 988. Les appels provenant des indicatifs 613 et 343 sont dirigés vers le centre. Les intervenants suivent la formation ASIST dans le cadre de leur formation de 60 heures, qui couvre tous les aspects du service, du système téléphonique à l’écoute active, en passant par l’intervention en cas de crise. 
 
Comme les intervenants vivent dans les collectivités locales, ils disposent des connaissances locales nécessaires pour orienter les appelants vers d’autres services sociaux ou d’urgence au besoin. Lorsqu’un appel provenant d’une autre collectivité ou d’une autre ville est transféré à un centre en raison d’un volume d’appels trop élevé, les intervenants s’appuient sur des services comme le 211, une base de données de services de soutien communautaires, pour orienter les appelants. Le fait de désigner des centres auxquels transférer les appels permet d’éviter les longs délais d’attente et de s’assurer que les centres sont en mesure de répondre à la demande. Lorsqu’il y a du temps d’attente, les appelants recevront un message les encourageant à rester en ligne ou dans le fil de discussion.
 
Enseignements tirés des États-Unis
Les préoccupations quant à la capacité ont été examinées dans le cadre d’études sur le déploiement du 988, notamment un document d’information de la Commission de la santé mentale du Canada publié en 2021, soulignant qu’une nouvelle ligne pourrait également accroître le volume d’appels – parfois au-delà de la capacité à doter le service en personnel. Les responsables du déploiement au Canada ont pu s’inspirer des États-Unis et des Pays-Bas – où le numéro est le 113 – pour se faire une idée de la situation avant la mise en œuvre.
 
Aux États-Unis, près d’un milliard de dollars a été investi dans ce service, qui a répondu à près de 5 millions de contacts depuis juillet 2022. Selon le Substance Abuse and Mental Health Services Administration (administration des services de santé mentale et d’abus de substances) du gouvernement américain, le temps de réponse moyen est passé de 2 minutes 39 secondes à 41 secondes au cours de la première année, et le service est soutenu par plus de 200 centres d’appel locaux et publics. Au fil du temps, le service 988 aux États-Unis s’est enrichi de services de texto et de clavardage en espagnol et de services spécialisés pour les jeunes 2ELGBTQI+. Parmi les développements à venir, mentionnons des services de vidéoconférence pour mieux servir les personnes sourdes et malentendantes. À mesure que le service se bonifie, d’autres campagnes publiques pourraient s’avérer nécessaires. Un article récent du USA Today a montré qu’un an après sa mise en œuvre, peu de gens (13 %) aux États-Unis connaissaient l’existence du service 988. 
 
Au Canada, la mise en place et la gestion du 988 représentent une tâche complexe. Un service doit être conçu en tenant compte de l’immensité, de la diversité et des principes d’inclusion du pays, en plus des considérations techniques. Par exemple, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans le nord de l’Ontario et à Yellowknife, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a dû mettre en place le numéro à 10 chiffres avant de mettre le 988 en service.
 
Les Canadiens commenceront à voir des renseignements circuler sur les médias sociaux d’ici février, à mesure que le service est mis en œuvre et que les fournisseurs de services s’adaptent. Au Canada, le service 988 est financé par le gouvernement canadien à raison de 158 millions de dollars sur trois ans. 
 
Au fur et à mesure de son déploiement, 988 fournisseurs suivront le nombre de contacts (appels et SMS), les temps d’attente et le taux d’abandon – lorsqu’un appelant ou un texteur met fin au contact avant de se connecter avec un intervenant – dans le but d’améliorer les délais de service.
 
Parlez-en rapidement, parlez-en souvent
Cette phrase – « Parlez-en rapidement, parlez-en souvent » – sert de raccourci pour les intervenants et pour toute personne participant à des conversations sur le suicide. Elle insiste sur le dialogue ouvert, direct et sans jugement qui est au cœur des initiatives de formation.
 
« Le discours est important », explique Mme Leroux du Centre de détresse d’Ottawa. « Nous voulons nous éloigner des questions du genre “Pensez-vous à vous faire du mal?” et poser des questions plus directes comme : “Pensez-vous au suicide?”, puis “Avez-vous fait quoi que ce soit pour vous faire du mal aujourd’hui?”. Cela permet vraiment de se concentrer sur le sujet, cela aide les gens à s’ouvrir et à se sentir à l’aise. Cela montre que vous êtes prêt à en parler et à le faire de manière directe, et permet de déterminer où les gens se situent et de leur apporter l’aide dont ils ont besoin ».
 
Les intervenants sont formés pour désamorcer les crises à l’aide d’une série de questions permettant de déterminer l’ampleur du problème et les prochaines étapes. Selon Mme Leroux, quel que soit l’appel, l’objectif est le même : mettre les gens en sécurité ou leur proposer un plan de sécurité.
 
L’ampleur du problème
Au Canada, le suicide demeure un problème de santé publique important qui touche des personnes de tous âges, de tous genres et de tous milieux. Certaines communautés canadiennes sont touchées de manière disproportionnée par le suicide, notamment les filles, les hommes et les garçons, les personnes purgeant une peine fédérale, les survivants d’une perte par suicide ou d’une tentative de suicide, les personnes 2ELGBTQIA+ et certaines communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
 
Selon Statistique Canada, environ 4 500 personnes meurent par suicide chaque année au pays, soit environ 12 personnes par jour. Pour chaque personne qui décède par suicide, de nombreuses autres sont en proie à des pensées suicidaires ou font des tentatives de suicide.
 
Les causes du suicide sont complexes : elles sont d’ordre biologique, psychologique, social, culturel, spirituel, économique, et autres. Selon Edwin S. Shneidman, un éminent chercheur dans le domaine, les personnes qui songent au suicide et qui font une tentative de suicide désirent mettre fin à une douleur psychique profonde et intense. Notre façon d’en parler importe. Des représentations et des messages sûrs, factuels et responsables sur le suicide et sa prévention peuvent avoir une incidence positive sur la prévention des décès par suicide.
 
Pour avoir une incidence réelle et positive lorsque l’on parle du suicide, il faut décrire les mesures à prendre pour le prévenir et donner des exemples porteurs d’espoir et de résilience quant au rétablissement, et présenter les ressources disponibles pour obtenir de l’aide et du soutien.
 
Changements sociétaux
C’est ainsi que le discours évolue.
En juin, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié un rapport intitulé Se laisser guider par les résultats : repenser le Cadre fédéral de prévention du suicide, dans lequel il formule une série de recommandations, dont les suivantes :
 
  • reconnaître l’impact de la consommation de substances sur la prévention du suicide au Canada et financer la recherche sur les interventions;
  • créer une base de données nationale permettant de mieux recueillir les données nationales sur le suicide, les tentatives de suicide et les mesures de prévention efficaces;
  • remplacer les axes d’« espoir » et de « résilience » mentionnés dans le Cadre par ceux de « sens » et de « connectivité ».
Ce changement de langage fait écho à d’autres perspectives. Par exemple, dans de nombreuses communautés autochtones, des termes comme « promotion de la vie » ou « mieux-être » sont plus souvent utilisés pour aborder le sujet. Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations — mis au point par Thunderbird Partnership Foundation, avec des partenaires autochtones et non autochtones — souligne que l’espoir, le sens, le sentiment d’appartenance et le fait d’avoir un but sont le socle de nombreuses formes de savoirs autochtones. Comme l’explique le Cadre, si ces quatre aspects sont en harmonie dans la vie quotidienne d’une personne, elle éprouve un sentiment de plénitude qui la protège et agit comme un amortisseur contre les troubles de santé mentale et de possibles comportements suicidaires.
 
Moira Farr, autrice d’After Daniel : A Suicide Survivor’s Tale (Le récit d’une survivante du suicide), qui traite du décès de son conjoint, s’est entretenue avec Le Vecteur plus tôt cette année. Journaliste et formatrice, elle effectue des recherches et écrit sur divers sujets pour des publications nationales et internationales. Elle a remarqué un changement de discours depuis la publication de son livre, en 1999.
 
« Je dirais que depuis 20 ans, les gens parlent plus ouvertement des problèmes de santé mentale, y compris du suicide, explique-t-elle. Les campagnes visant à faire connaître comment et où obtenir de l’aide et à amener les gens à parler plus honnêtement de leurs propres problèmes de santé mentale me semblent avoir été une force positive », ajoute-t-elle.
 
En encourageant la compréhension et l’empathie, nous pouvons créer un environnement dans lequel les gens se sentent en sécurité et à l’aise de parler de leurs problèmes de santé mentale. Cela signifie qu’il faut aussi reconnaître que le fait de demander de l’aide est un signe de force – et non de faiblesse – et que la santé mentale est tout aussi importante que la santé physique.
 
« La création de cette ligne d’écoute téléphonique souligne la réalité et l’importance de la prévention du suicide », déclare M. Rodrigue, directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. « Cela démontre bien que le suicide est un problème de santé publique important qui touche des personnes de tous âges et de tous horizons, et qu’il est possible de le prévenir. Il s’agit d’un effort collectif qui permettra de sensibiliser un plus grand nombre de Canadiens afin de favoriser leur bien-être. » 
 
Outils et ressources
Auteure : est gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Fateema Sayani

Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.

Dans ce quatrième et dernier article de la série, nous explorons les coûts de la thérapie et les décisions financières que les gens prennent lorsqu’ils cherchent de l’aide.

Lorsque Katie McCowan, fondatrice du réseau de thérapeutes à prix abordable Affordable Therapy Network, en était à sa dernière année de formation de thérapeute, elle a commencé à éprouver des problèmes de santé mentale et a décidé de suivre une thérapie.

« J’étais aux études, je travaillais comme serveuse et je ne gagnais pas beaucoup d’argent. Je me suis donc retrouvée à chercher sur Google des options abordables de thérapie en Ontario », raconte‑t‑elle, en évoquant les raisons qui l’ont poussée en 2015 à lancer cette base de données en ligne à l’échelle du Canada. Pour répondre à ses besoins, elle a eu recours à une thérapie offerte par son école à 40 $ par séance et a également essayé un thérapeute privé à 140 $. Mais même si les séances privées se sont révélées utiles, elles lui coûtaient une journée de salaire. « Les honoraires de 40 $ étaient raisonnables, mais je ne pouvais pas choisir mon thérapeute, alors que la compatibilité avec le patient est très importante ».

Madame McCowan a réalisé qu’il s’agissait là d’un problème courant et s’est dit : « Et si je créais un site Web et répertoriais les thérapeutes qui proposent des honoraires moins élevés, permettant ainsi aux gens de communiquer avec eux plus facilement »? Elle a commencé en faisant appel à ses précieux collègues, car les nouveaux diplômés ont souvent des honoraires moins élevés. La nouvelle s’est répandue. Le réseau s’est agrandi. Et pendant la pandémie, la demande a explosé.

Le site Web regroupe aujourd’hui plus de 550 thérapeutes reconnus, qui proposent tous des honoraires dégressifs et, pour la moitié d’entre eux, des places subventionnées à 65 dollars ou moins (dont certaines options gratuites ou des paiements basés sur vos moyens). « Une grande variété de thérapeutes s’inscrivent sur notre liste, et la plupart d’entre eux proposent une quantité de places à bas prix – environ cinq – qui sont subventionnées ».

Bien que ces honoraires réduits représentent en général moins de la moitié du prix d’une thérapie en pratique privée, compte tenu des réalités socio-économiques actuelles, « je suis consciente que cela équivaut à beaucoup d’argent aux yeux de plusieurs », dit-elle. Néanmoins, Madame McCowan estime que les honoraires en vigueur dans le secteur privé sont justes et appropriés. « Les thérapeutes ne facturent pas plus cher qu’ils ne le devraient. Ils doivent suivre une formation approfondie et se soumettre à des supervisions rigoureuses; c’est une profession très exigeante ».

L’insécurité financière et la thérapie
Si vous trouvez qu’il est plus difficile de joindre les deux bouts dernièrement, vous avez raison. Selon l’Enquête sociale canadienne sur la qualité et le coût de la vie, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 6,8 % en 2022 – la plus forte hausse en quarante ans – les coûts des aliments (+8,9 %), du logement (+6,9 %) et des transports (+10,6 %) ont connu les plus fortes augmentations.

Cette situation a eu des répercussions sur la santé mentale de nombreuses personnes. La moitié de notre population a été touchée par « l’inflation, l’économie et l’insécurité financière », selon un sondage post-pandémique réalisé par Recherche en santé mentale Canada (RSMC), et « présente des signes de détérioration de leur santé mentale ». En fait, depuis le sondage de l’année dernière, ce groupe a signalé « une hausse de l’anxiété (33 %) et de la dépression (32 %), des pensées suicidaires (31 %), ainsi que de la dépendance à l’alcool (23 %) ou au cannabis (22 %), » pour ne citer que quelques exemples.

De fait, le stress financier peut non seulement avoir des conséquences directes sur la santé mentale, mais aussi sur les décisions relatives à la thérapie et aux autres ressources en matière de santé mentale. Au Canada, les services de psychothérapie et de psychologie peuvent être couverts (en partie ou en totalité) par une assurance maladie privée, comme les régimes d’assurance fournis par un employeur, ou achetés directement par un particulier. Les fournisseurs de services de santé mentale fournissent des soins plus spécialisés, qui varient en fonction de la gravité du problème. La recommandation d’un médecin est exigée pour certains services, tandis que d’autres sont autogérés et offerts en ligne, par téléphone ou par messagerie texte. D’autres relèvent du secteur public (financé par les gouvernements) ou sont fournis par des organismes de charité, des groupes communautaires et d’autres organisations. À titre d’exemple, l’Association canadienne pour la santé mentale dispose de bureaux qui orientent les gens vers des services de soutien — notamment des services de counseling gratuits mis à disposition dans quelques-unes de ses 330 communautés réparties dans 70 régions dans l’ensemble du Canada.

Les programmes de l’ACSM sont « efficaces et adaptés à la réalité culturelle », ce qui est non négligeable si l’on considère les répercussions de l’insécurité financière sur la santé mentale et l’accès aux mesures de soutien, notamment à la thérapie, pour diverses populations. Pour ne citer qu’un exemple, le sondage de RSMC a révélé que les personnes racisées, les membres des communautés 2ELGBTQI+, les jeunes adultes (âgés de 18 à 34 ans), les étudiants et les personnes sans emploi, à faible revenu ou en difficulté financière sont plus susceptibles de signaler des niveaux élevés d’anxiété.

Des barèmes d’honoraires pour améliorer l’accès
Pour faciliter l’accès aux soins de santé mentale, le Calgary Counselling Centre mis en place un système d’honoraires dégressifs depuis son ouverture en 1962, explique sa directrice générale, Robbie Babins-Wagner, qui est également professeure adjointe et instructrice spécialisée à l’Université de Calgary.

« Nous devons nous assurer de répondre aux besoins des personnes vulnérables, y compris celles qui sont en situation de précarité financière en raison de problèmes de santé physique, des troubles de santé mentale ou d’autres enjeux sociaux », explique la Dre Babins-Wagner, dont la passion tient à « la pratique clinique et au fait de veiller à ce que les clients obtiennent les meilleurs résultats auxquels ils peuvent aspirer ». Dre Babins-Wagner et son équipe ont recours à des méthodes et à des outils à la fois fondés sur la recherche scientifique et sur les données, notamment la mesure des résultats « séance par séance » (avec des outils sous forme de questionnaires en 24 langues) et la modélisation financière. « Nous utilisons ces données pour mieux comprendre de quelle façon nous aidons les gens et pour améliorer ce que nous proposons ».

Après avoir reçu une demande, le Centre affecte chaque nouveau client à un conseiller « au plus tard le lendemain à midi » et ne procède à aucune évaluation formelle de ses ressources. « Nous demandons au client quel est son revenu et nous lui faisons confiance », explique-t-elle. Lorsqu’un client dit qu’il n’a pas les moyens de payer les honoraires proposés, nous lui répondons : « Votre conseiller en discutera avec vous; les honoraires ne seront pas un obstacle aux services. Le conseiller a la possibilité de réduire les honoraires à 8 dollars de l’heure, mais si cela s’avère nécessaire, nous les réduirons davantage. Nous voulons vraiment éviter que les frais soient un obstacle ».

Le Centre recueille ces données, explique Dre Babins-Wagner, « parce que nous voulons comprendre les besoins et les préoccupations de notre clientèle ». Grâce à un processus interne fondé sur des données à l’aveugle, chaque fois qu’il y a un changement d’honoraires, « nous examinons quels étaient les honoraires suggérés, ainsi que ce que le client pouvait se permettre. Nous entrons ensuite ces renseignements dans notre base de données et les analysons pour vérifier si les clients appartenant à certains groupes de revenus ont plus de difficultés que d’autres et s’il est nécessaire d’apporter des changements. C’est le genre de modifications que nous apportons au barème d’honoraires, et nous le testons souvent pour nous assurer qu’il donne les résultats escomptés, à savoir la satisfaction des besoins de la clientèle ».

Compte tenu des difficultés économiques que Calgary traverse depuis la fin de 2014, elle explique que le Centre revoit désormais son barème tous les ans ou tous les deux ans, au lieu de tous les cinq ans, « parce que nous savons qu’il n’est pas avisé d’attendre trop longtemps, sachant que les gens sont frappés plus durement que par le passé. Nous nous appuyons donc sur les données et les conditions actuelles pour analyser ces facteurs ».

Trouver les moyens
Elana Bloom, psychologue et directrice des services de mieux-être et de soutien sur le campus de l’Université Concordia, reconnaît qu’il peut être difficile de « se retrouver parmi les ressources disponibles en santé mentale ». Bien que son expertise ne soit pas liée à l’accessibilité financière en soi, elle comprend cette problématique grâce à sa pratique clinique et connaît les ressources en santé mentale dans sa province, en particulier celles qui s’adressent à la population étudiante.

« Au Québec, les personnes (y compris les jeunes adultes) peuvent avoir accès à des services de santé mentale et à des services psychosociaux, notamment la psychothérapie et le soutien en cas de crise, dans les CIUSSS » [Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux]. À l’Université Concordia, nous offrons une variété de services de santé mentale, dont des programmes de mieux-être et de la psychothérapie avec des conseillers et des psychothérapeutes. Si vous n’êtes pas en mesure d’accéder aux services ou aux ressources en temps opportun, ou s’il y a une liste d’attente, vous pouvez également faire appel à des services privés ».

La Dre Bloom préconise une « conception globale du mieux-être » – où le fait de consulter un thérapeute peut faire partie d’une stratégie de mieux-être élargie intégrant aussi les autosoins, les interactions sociales et le bien-être physique – et le recours à la technologie pour tirer le maximum des outils et des ressources de santé mentale autogérés. « Étant moi-même psychologue, je connais les bienfaits de la psychologie et de la consultation d’un thérapeute, explique-t-elle. Cependant, je pense aussi que la santé mentale ne se résume pas à une simple rencontre avec un psychologue; il est important de prendre soin de sa santé mentale et de son bien-être au moyen de stratégies variées basées sur la résilience, lesquelles vont au-delà de la consultation d’un psychologue ou d’un thérapeute ».

Elle souligne par ailleurs que des services sont disponibles pour répondre aux besoins particuliers de certaines populations, comme les Autochtones, les membres de la communauté 2ELGBTQI+ et les personnes d’origine Africaine, Caribéenne ou Noire.

La thérapie 2.0?
Certes, les jeunes (et le reste d’entre nous) mènent de plus en plus leur vie en ligne – et cela vaut aussi pour les thérapies – mais toutes les applications de santé mentale ne se valent pas. Par exemple, on a vu les données personnelles de gens divulguées aux fins de marketing et, dans un autre cas, le numéro d’une ligne téléphonique d’urgence figurant dans une application était erroné. La Commission de la santé mentale du Canada a découvert cette erreur lorsqu’elle a consulté des jeunes pour élaborer la première stratégie au pays en matière de cybersanté mentale, laquelle vise à améliorer les pratiques dans ce domaine; elle sera publiée au début de l’année 2024.

Dans le but de contrôler la validité et la sécurité des applications de santé mentale, la CSMC a également lancé un Cadre d’évaluation des applications de santé mentale. Les développeurs, les concepteurs et les propriétaires d’applications peuvent s’en servir pour évaluer leurs applications et en améliorer la sécurité, la qualité et l’efficacité. Le Cadre comporte en outre des éléments d’information sur la sécurité, la responsabilité sociale et l’équité, et présente les perspectives de divers groupes, âges et populations.

Outre les options numériques, Madame McCowan précise qu’il est également important d’en parler à son médecin de famille. « Je considère qu’il est facile de basculer dans un engrenage où l’on a l’impression qu’il n’y a pas d’issue. Le fait de consulter quelqu’un, d’obtenir son point de vue objectif, et de bénéficier de différentes ressources ou de divers types de soutien, est très salutaire ».


Ressource : Où obtenir des soins – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.

Autres lectures : Comment rompre avec son thérapeute.

Lisez la série l’argent et santé mentale.

Auteure : est écrivaine, journaliste et professionnelle de la communication et du contenu créatif. Elle a pour passion d’apprendre, de raconter des histoires et d’inspirer les autres.

Simona Rabinovitch

Le manque de connaissances économiques ou de contrôle sur nos propres finances peut avoir des répercussions à long terme. Examen du lien entre la violence conjugale et l’argent dans ce troisième article de notre série pour le Mois de la littératie financière.

Au début de leur union, Margaret Williams (un pseudonyme) ne voyait aucun inconvénient à laisser son mari prendre l’initiative et planifier leur budget et leur vie professionnelle.

« Il m’assurait que c’était mieux pour notre famille si j’élevais les enfants en faisant l’administration de son entreprise à temps partiel, raconte Williams. Essentiellement, cela a fait en sorte que je n’ai acquis aucune qualification utile sur le marché du travail. Il veillait à tout ce qui touchait nos finances. C’est seulement plus tard que je me suis aperçue que toutes ses décisions étaient à son avantage. »

Par « plus tard », elle entend le moment où l’abus physique et psychologique perpétré par son mari l’a poussée au point de rupture, quand elle a voulu le quitter.

« Lorsque les choses ont dégénéré, il m’a menacée de retirer tout son argent de notre compte conjoint, relate-t-elle. Et comme il était officiellement le seul à travailler, c’était tout l’argent que nous avions. Et c’est exactement ce qui s’est produit lorsque j’ai mis fin au mariage, poursuit Williams. Je me suis retrouvée les mains vides. »

Mais son ex-mari ne s’est pas contenté de vider le compte conjoint. Après le divorce, il a poursuivi ses abus économiques en refusant de verser la pension alimentaire pour enfants ordonnée par la cour, entaché l’historique de crédit de son ex-épouse en lui laissant peu d’autres options que d’accumuler des dettes sur la marge de crédit d’un membre de sa famille.

Le contrôle coercitif
Hélas, ce genre de récits n’est que trop courant. Bien des gens croient que la violence conjugale est avant tout physique, sexuelle et émotionnelle, mais on estime que des mauvais traitements économiques ont lieu dans 99 p. 100 des cas de violence conjugale, selon une étude publiée dans le magazine Forbes.

L’abus économique peut faire en sorte qu’il est particulièrement difficile pour la personne visée de quitter la situation. Il pose également un obstacle considérable au rétablissement et à la bonne santé mentale de la personne survivante.

« Si vous ne disposez pas des ressources financières pour obtenir des services de santé mentale, votre rétablissement sera beaucoup plus long, explique Kristina Nikolova, Ph. D., dont les recherches à l’Université de Windsor portent sur l’abus économique. Pourtant, malgré les effets dommageables de cette forme d’abus, le soutien en la matière est souvent négligé au Canada.

« Nous sommes dotés de bons refuges, de banques alimentaires, de systèmes d’aide d’urgence et de lignes d’écoute téléphonique, énumère Meseret Haileyesus, fondatrice et directrice générale du Centre canadien pour l’autonomisation des femmes (CCFWE). Mais les survivantes ont aussi besoin d’un solide programme d’émancipation économique. » Pour répondre à ce besoin, le CCFWE offre plusieurs ressources, par exemple des ateliers de littératie financière et des listes de contrôle pour les survivantes de mauvais traitements économiques, en plus de militer pour des changements systémiques. En commençant par la sensibilisation.

« Cette forme de violence n’a pas réellement été définie au Canada, signale Haileyesus. Les définitions qui existent sont généralement articulées en trois volets, à commencer par le contrôle des finances : le conjoint va délibérément restreindre l’accès aux comptes de banque, les communications et le transport, mais aussi le travail, l’éducation et la formation. »

Meseret Haileyesus

Meseret Haileyesus

Le deuxième volet est l’exploitation économique, qui peut prendre la forme de destruction matérielle (p. ex. du logement, de la voiture) ou de dommages infligés aux finances de la victime en s’adonnant au jeu, en réalisant des dépenses excessives ou en faisant traîner les coûteuses procédures de garde d’enfants et de divorce. « Dans cette exploitation économique, le partenaire violent peut contracter des dettes au nom de la victime, explique Nikolova. Techniquement, il existe des lois antifraudes pour ces cas, mais dans une relation de couple, il est très difficile de prouver à qui une dette appartient réellement. »

Le troisième volet est le sabotage de l’emploi, un comportement délibéré visant à empêcher la victime de travailler en la privant de transport, en la confinant ou en la surveillant dans son milieu de travail. Selon Nikolova, parce que les employeurs ne sont souvent pas au courant de la situation de harcèlement économique, ils tiennent souvent les victimes pour responsables de leur absentéisme ou de leur piètre rendement, même si la cause directe est plutôt la violence conjugale.

« En Ontario, les milieux de travail sont censés être dotés de directives et de protocoles de sécurité pour les cas de violence conjugale, mais rares sont les personnes qui reçoivent cette formation, indique-t-elle. En conséquence, la maltraitance économique passe souvent inaperçue, jusqu’à ce que quelqu’un arrive en criant, une arme au poing. C’est la seule forme de violence où la victime pourrait être reconnue et éviter de perdre son emploi en raison de l’abus qu’elle subit. »

D’autres chercheurs dans le domaine ainsi que des personnes ayant un savoir expérientiel en la matière signalent que d’une certaine façon, même involontairement, les employeurs se rangent du côté de l’agresseur.  Williams affirme que son expérience de séparation et de divorce l’a amenée à croire que les cours de justice comprennent mal l’abus économique, ce qui permet aux agresseurs de facilement tirer profit du système.

« J’ai toujours cru que si les choses tournaient mal, la loi et la justice veilleraient au bien-être de mes enfants, dit-elle. J’y croyais, mais j’ignorais que c’est loin d’être la réalité. J’ai le regret d’affirmer que ce n’est pas la société que j’espérais léguer à mes enfants. »

Le changement systémique
Bien que la Loi sur le divorce du Canada ait été modifiée en 2021 pour reconnaître le rôle que les abus financiers jouent dans l’iniquité des genres, le système dans son ensemble doit être réformé pour que les choses puissent changer. Par exemple, Williams est d’avis que les Bureaux des obligations familiales ne détiennent pas les outils pour obliger le paiement des pensions alimentaires pour enfants – du moins dans sa province.

Il y a également beaucoup de place à amélioration dans la sensibilisation aux abus économiques, notamment en ce qui concerne le logement et les soins de santé. Selon le CCFWE, environ les deux tiers des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé n’ont suivi aucune formation en dépistage de la maltraitance économique. C’est pourquoi l’organisme a lancé un outil de dépistage à l’intention des fournisseurs de services.

Mais c’est l’industrie financière qui détient le plus d’influence à cet égard, puisque c’est là où la grande majorité des actes d’abus économique se produisent. « En Australie et au Royaume-Uni, des programmes sont désormais en place pour aider les victimes de maltraitance économique », indique Haileyesus, en référence à de récentes initiatives pour faciliter l’accès au crédit et aux comptes bancaires personnels pour les personnes survivantes.

Cette année, une banque britannique a modifié son application pour permettre aux usagers de mettre en sourdine les messages qui accompagnent les transferts d’argent, afin d’éviter aux victimes de recevoir d’éventuelles menaces de la part de leur agresseur en même temps que leur pension alimentaire. Ce changement peut sembler minime, en comparaison avec le rétablissement d’un crédit entaché, mais il illustre de façon éloquente les nombreux angles morts et lacunes qui permettent à la maltraitance économique de se poursuivre, même après la fin d’une relation.

Malheureusement, les banques canadiennes ont encore beaucoup à faire dans ce domaine. « En termes simples, résume Haileyesus, le manque de compréhension et de politiques fait en sorte que notre système bancaire n’est pas outillé pour aider les victimes. » Cet automne, le CCFWE a dévoilé un tableau de bord de l’abus économique, qui comprend des recommandations stratégiques destinées au secteur financier. 

Pour Nikolova, ces lacunes ont des répercussions concrètes immédiates qui nuisent au rétablissement des personnes survivantes et à leur bonne santé mentale. Selon ses études, c’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones, Africaines, Caribéennes et Noires, qui subissent généralement une plus grande discrimination dans les systèmes judiciaire, financier et de soins de santé. « Nous mesurons aujourd’hui le stress financier des personnes survivantes pour déterminer l’impact qu’elles ont subi, et nous avons constaté que celui-ci est fortement corrélé avec l’anxiété, la dépression et les symptômes accrus de stress post-traumatique, résume-t-elle. Nous avons remarqué que même cinq ou dix ans après la fin d’une relation, les femmes qui ont vécu de la maltraitance économique ont toujours un statut socioéconomique inférieur à celui de leurs pairs. »

Williams continue de subir le dénigrement et l’abus financier de son ex-mari, plusieurs années après la séparation. « Il répète que je ne réussirai jamais seule, ce qui est absolument faux, raconte-t-elle. Dans ces cas, c’est presque comme si l’abus continuait. Cela ajoute l’insulte à l’injure et nous empêche de nous concentrer sur la guérison et de remettre notre vie sur les rails. C’est difficile quand on tente par tous les moyens de se reconstruire. »

En dépit de ces difficultés, Williams est convaincue que son engagement nouveau envers son indépendance – qu’elle souhaite d’ailleurs transmettre à ses enfants – lui permettra de se rétablir des abus financiers qu’elle a subis. C’est cet espoir qui lui permet de faire face au défi quotidien de jongler avec le travail, l’éducation des enfants, la formation pour une nouvelle carrière et les procédures judiciaires.


Autres lectures : Le jour où j’ai décidé de partir : Le Vecteur

Ressource : Services de soutien partout au Canada, de la Fondation canadienne des femmes.

Auteure : est chercheuse et écrivaine établie à Toronto. Ses domaines de spécialisation sont l’histoire culturelle, l’alimentation, les politiques progressistes, la technologie intersectionnelle et les espaces publics.
Encadré : Meseret Haileyesus, fondatrice et directrice générale du Centre canadien pour l’autonomisation des femmes.

Le manque d’options en matière de logement entraîne un sentiment de mal du pays qui lui est propre. Nous nous pencherons sur le lien entre le logement et la santé dans ce deuxième article de la série publiée dans le cadre du Mois de la littératie financière.

J’ai récemment reçu de la part d’un ami un message texte de masse trop bien connu : « Connaissez‑vous quelqu’un qui déménage d’un quatre et demie? Notre propriétaire a obtenu un permis de rénovation et nous devons partir au plus vite. »

Malheureusement, il est difficile de trouver des pistes de solution. C’est la réalité de Halifax. Bien qu’elle ait la réputation d’être une ville balnéaire décontractée, son marché locatif dégage une autre impression. Ne disposant d’aucune solution concrète et sachant très bien que cela n’allait pas l’aider, j’ai souhaité bonne chance à mon ami par message texte.

Si c’était possible, j’expédierais ces souhaits en grande quantité à la plus grande province canadienne, où un rapport sur le logement de la Chambre de commerce de l’Ontario révèle que 1,85 million de logements seraient nécessaires afin de rétablir l’accessibilité au logement, et ce, en plus des logements dont la construction est déjà prévue.

Ce nombre effarant est très préoccupant pour les jeunes Canadiens, groupe dont je fais partie en tant qu’étudiant universitaire songeant à son avenir. Pour plusieurs, la foi en un avenir abordable a été ébranlée. Les personnes qui ont une vision des choses plus optimiste cherchent pourtant des moyens d’agir et de nouveaux modes de vie.

La tête, le cœur et la maison
La maison n’est pas qu’une simple habitation : sa valeur psychologique dépasse largement ses quatre murs. Elle représente la fiabilité et la routine, explique Madeleine Hebert, qui travaille à titre de spécialiste principale du logement chez Happy Cities, une société d’experts‑conseils à Vancouver qui œuvre dans les domaines de l’aménagement urbain, de l’esthétique urbaine et de la recherche urbaine.

« Le plus éprouvant pour la santé mentale des locataires est le moment où le problème de l’accessibilité les pousse à vivre dans des situations plus transitoires, dit‑elle. Nous avons constaté un lien très fort entre le temps où l’on vit dans un endroit, la capacité à tisser des liens sociaux ainsi que le sentiment d’appartenance et la raison d’être. Il est difficile pour les locataires de prendre racine dans les villes où la sécurité du logement est limitée par les propriétaires privés, qui peuvent leur demander de partir à tout moment ».

Les pressions liées à l’accessibilité poussent les gens à faire des choix de vie difficiles, comme quitter leur communauté, trouver un nouveau foyer pour leur animal de compagnie ou emménager chez leur partenaire plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient.

« Il existe un grand nombre de besoins pour différentes personnes », souligne Mme Hebert tout en mentionnant que la disponibilité et l’accessibilité constituent des besoins essentiels lorsqu’il est question du logement. « De nombreux locataires à faible revenu n’ont plus le luxe de choisir et c’est là où l’on commence à observer des problèmes de santé mentale. »

Ce manque d’options abordables s’ajoute à d’autres obstacles auxquels les gens font face. Valery Navarrete en a fait l’expérience en 2022. Cette année‑là, sa mère est décédée. Cette dernière avait été la principale proche aidante du frère de Mme Navarrete, qui habite à Toronto et qui vit avec une maladie mentale grave et des problèmes de consommation de substances. Lorsque Mme Navarrete a commencé à chercher des options de logement supervisé ou subventionné pour son frère, elle s’est heurtée à un mur.

« Si vous avez la chance de trouver quelque chose, rien ne garantit que ce sera situé près des services de soutien médical et d’aide personnelle », dit‑elle. Mme Navarrete est experte‑conseil pour des organismes sans but lucratif et elle a travaillé pendant des décennies dans les domaines de la politique et de la défense des droits en matière de santé. Elle a également produit un balado sur des modèles de logement collectif. Bien qu’elle comprenne les points d’accès et les obstacles, ces connaissances se heurtent à la réalité de la demande. Les listes d’attente pour des logements supervisés à Toronto se situent dans les deux chiffres (14 ans), ce qui laisse sa famille sans options. Son frère est actuellement pris en charge par sa famille où une personne âgée agit comme personne de soutien. La situation n’est donc pas durable.

« La plupart des familles n’ont pas les moyens de s’offrir des options médicalisées à long terme, dit Mme Navarrete, et de nombreuses personnes souhaitent conserver leur autonomie. » À son avis, le Canada a besoin de plus de logements sociaux, et vite.

Alors que la population est aux prises avec le coût élevé de la vie, les demandes de logement plus abordable se font de plus en plus pressantes et deviennent un enjeu électoral au Canada. Parallèlement, les longs délais d’attente nécessaires pour des changements systémiques face à des besoins immédiats en matière de logement stimulent la création de nouveaux modèles et donnent un souffle nouveau aux anciens.

Diana Lind donne des détails sur les modèles de la cohabitation et des communautés de micrologements dans Brave New Home: Our Future in Smarter, Simpler, Happier Housing [notre avenir dans des logements plus intelligents, plus simples et plus joyeux] [en anglais seulement]. Son livre publié en 2020 se concentre en grande partie sur New York, d’abord rétrospectivement sur son extraordinaire croissance au cours du XIXe siècle par l’intermédiaire d’immeubles à usage locatif, puis par l’étude d’Airbnb et des autres formes temporaires. Selon Mme Lind, le modèle de la maison unifamiliale auquel la société nous a fait aspirer n’est pas durable. L’accès au marché des maisons unifamiliales nécessite à lui seul un investissement considérable et ce type de logement utilise l’espace de manière inefficace. De nos jours, la fameuse clôture en lattes verticales blanches est devenue une image d’une autre époque pour beaucoup de gens. Mme Lind considère que le temps est venu de renoncer au rêve américain d’une maison avec un garage double. Non seulement ces maisons sont trop chères et constituent une source de solitude, mais d’autres modèles de logement nous permettraient de mieux vivre ensemble en tant que communautés, étant donné que de nombreuses personnes vivent seules, se marient plus tard dans la vie, ont des familles moins nombreuses, adoptent davantage le mode virtuel et se déplacent plus. En d’autres termes, les modèles de logement ne suivent pas le rythme de nos besoins actuels.

Mme Hebert parle de l’un de ces projets, que Happy Cities nomme Co‑housing lite [que l’on pourrait traduire par « cohabitat léger »]. Tomo (qui correspond à la contraction des mots together [ensemble] et more [plus] en anglais) sur la rue Main à Vancouver est un modèle de logement sans coûts initiaux importants. Ce complexe abrite 12 familles sous un même toit qui partagent une structure et une cour communes. Ces plus petits logements qui appartiennent aux occupants laissent suffisamment de place aux grands espaces communs, dont une cuisine, une salle à manger et un salon commun. Des repas sont pris en commun trois fois par semaine et les résidents accomplissent des tâches dans la cuisine à tour de rôle. En outre, plusieurs comités s’occupent de prendre diverses décisions touchant l’autogestion.

« Le but est de renforcer l’entraide et d’aider les gens à veiller les uns sur les autres, dit Mme Hebert. Les avantages sont substantiels. » Elle souligne que de tels immeubles ont des taux de rétention élevés et qu’ils permettent de nouer des liens communautaires plus forts. « Les gens ont également tendance à se sentir plus concernés et à mieux s’occuper des espaces dont ils disposent, ajoute‑t‑elle. Les voisins qui entretiennent de meilleures relations règlent les différends plus facilement entre eux. »

Prendre de l’âge
Lorsque nous vieillissons, nos besoins en matière de logement évoluent également en fonction de facteurs aggravants, qui vont de la mobilité réduite aux problèmes de santé, en passant par la solitude, et nous sommes plus nombreux à vivre plus longtemps. Selon Statistique Canada, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus ne cesse d’augmenter au fil du temps. En 1971, 139 000 personnes avaient plus de 85 ans au Canada. En 2021, ce nombre était six fois plus élevé, soit 871 400 personnes. Les projections démographiques indiquent que ce groupe s’accroîtra encore davantage entre 2031 et 2050, puisque la génération du baby‑boom entrera dans l’âge d’or. Y entrera‑t‑elle en conservant son autonomie et ses penchants à contre-courant qui lui sont caractéristiques?

L’un des modèles va dans ce sens. Les collectivités de retraités formées naturellement gagnent en popularité. Ce terme désigne un pâté de maisons ou un immeuble d’habitation qui abrite une forte population de personnes âgées. Ces collectivités peuvent comporter des services de soutien comme des activités sociales, récréatives et liées à la santé, qui peuvent être offertes grâce à un financement public, à un financement privé ou aux deux. Les raisons peuvent varier selon les personnes et peuvent comprendre le souhait ou l’incapacité d’entretenir une maison unifamiliale, les pressions économiques ou le souhait de se rapprocher des gens ou des services. Ces logements constituent une option prometteuse pour créer une communauté tout en permettant aux personnes de conserver leur autonomie et de bénéficier d’un soutien.

Disposer d’un endroit où se sentir chez soi est essentiel à notre stabilité et à l’établissement d’une base pour la vie. De plus, le lien avec la santé mentale est indéniable, comme l’a montré le mouvement Logement d’abord. Son principe sous‑jacent, selon lequel les gens peuvent mieux avancer dans leur vie s’ils sont d’abord logés, leur permet de s’investir dans leurs activités sociales, professionnelles, récréatives et d’emploi pour favoriser leur rétablissement et leur bien‑être, et ainsi briser le cycle de l’itinérance.

En réalité, le modèle Logement d’abord s’est révélé être la façon la plus efficace de réduire l’itinérance. C’est l’une des principales constatations de l’étude Chez Soi lancée par la Commission de la santé mentale du Canada en 2008. Ce projet mené pendant quatre ans dans cinq villes avait pour objectif de fournir un soutien concret et significatif aux Canadiens en situation d’itinérance et souffrant de problèmes de santé mentale.

Quelles sont les prochaines étapes?
J’aimerais dire que nous sommes tous dans le même bateau, mais il est clair que certains d’entre nous sont plus en crise que d’autres. Il n’existe pas de situation unique pour tous lorsqu’il est question du logement et le sentiment de sécurité du logement d’une personne peut varier en fonction des aléas de la vie. Diverses options en matière de logement seront nécessaires pour garantir que l’on tienne compte de la diversité des besoins et que l’on ne s’en remette pas seulement à la chance. En attendant, il m’arrivera peut‑être encore d’être désabusé. Toutefois, puisque de nouvelles options en matière de logement abordable voient le jour, j’essaierai aussi de garder espoir lorsque j’enverrai un message à mes amis.


Autres lectures : Série l’argent et santé mentale

Ailleurs dans Le Vecteur : Seul chez soi : Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons‑nous endiguer ce phénomène?

Auteur : étudie les sciences humaines et la psychologie à l’Université de King’s College à Halifax, en Nouvelle Écosse.

Lucas Tennen

L’incertitude de l’avenir financier pèse sur notre santé mentale. Dans cet article, nous nous pencherons sur le lien entre ces deux éléments qui marque le coup d’envoi d’une série portant sur le Mois de la littératie financière.

Nous avons tous un complexe lié à l’argent. Cet état d’esprit peut revêtir un caractère profondément imprévisible (en se manifestant soudainement pour éclipser tout le reste) ou un caractère délibéré qui instaure le calme comme s’il s’agissait d’un flux continu de points de données. Les psychologues d’aujourd’hui affirment que les croyances au sujet de l’argent apparaissent généralement à l’adolescence. Celles‑ci se forment en fonction des exemples donnés par les personnes qui nous ont élevés et ont une influence sur notre situation financière actuelle. En ces temps où le coût de la vie n’a jamais été aussi élevé, il convient de se poser la question suivante : votre conception de l’argent vous convient‑elle toujours?

Nombre d’entre nous ont une situation financière différente de celle de leur enfance, mais rien ne détermine nos rapports à l’argent comme la turbulence qu’apportent les nouvelles responsabilités et les changements imprévus. On ne peut évidemment pas se sortir de la crise de l’accessibilité financière dans un claquement de doigts. Le coût élevé de la vie vient ajouter un fardeau bien réel à nos dépenses en matière d’alimentation, de logement, de soins de santé et de santé mentale, surtout pour les communautés qui vivent des iniquités en santé et des inégalités sociales. Il s’agit notamment des communautés rurales et éloignées, les communautés de nouveaux arrivants, les communautés racisées, les communautés 2SLGBTQI+, les personnes aux prises avec une précarité d’emploi et de logement, les personnes en situation de handicap ou souffrant d’une maladie mentale grave, les chefs de familles monoparentales et les proches aidants non rémunérés. De surcroît, il existe un lien étroit entre l’insécurité financière et l’insécurité alimentaire, les logements inabordables ainsi que notre santé mentale et notre bien‑être.

Le lien
Lorsque le stress financier remplace la stabilité, il peut anéantir l’avenir que nous nous étions imaginé. Le sondage mené au cours de l’été par Recherche en santé mentale Canada (RSMC) révèle que les facteurs de stress financier ont des répercussions importantes sur la santé mentale et le bien‑être des Canadiens. Dans cette étude menée en ligne auprès de 3 819 adultes, 39 % des personnes ont déclaré que les problèmes économiques portent un dur coup à leur santé mentale et 41 % des répondants qui connaissent des difficultés financières déclarent avoir eu des pensées suicidaires.

Le nombre de répondants qui ont dû payer de leur poche des services de santé mentale en raison d’un régime d’avantages sociaux insuffisant est également passé de 23 % en mai à 30 % en août. De plus, 29 % des répondants ont mentionné que leur incapacité à payer était la raison pour laquelle ils n’ont pas accédé à des soins de santé mentale alors qu’ils en avaient besoin, ce qui représente une hausse de 11 % par rapport aux sondages précédents de RSMC.

Un enjeu électoral
Compte tenu de ces résultats, il n’est guère surprenant que l’accessibilité financière devienne un enjeu électoral majeur au Canada. Après tout, peu importe votre situation, elle aura sans doute une incidence sur votre vie. Afin d’en savoir plus sur ses répercussions sur la santé mentale, nous avons discuté avec Natasha Knox, conseillère financière à Alaphia Financial Wellness à Vancouver. Cette organisation fait partie de la Financial Therapy Association, qui regroupe des professionnels qui intègrent à leur pratique les dimensions cognitive, comportementale, relationnelle et financière du bien‑être.

Mme Knox utilise diverses stratégies pour aider ses clients à découvrir leur propre discours interne et les besoins qu’ils tentent de satisfaire. L’une des questions les plus efficaces est la suivante : « Si vous pouviez expliquer votre situation actuelle à une version plus jeune de vous‑même, comment lui décririez‑vous votre parcours pour arriver ici? »

Natasha Knox

Natasha Knox

Les réponses de ses clients font ressortir, de différentes manières, leurs rapports à l’argent. Les plus courants sont le statut socioéconomique (faire équivaloir la valeur personnelle à sa valeur nette), le culte de l’argent (considérer l’argent comme la véritable clé du bonheur par rapport à d’autres aspects de la vie), la vigilance face à l’argent (planifier en permanence pouvant entraîner de la sécurité ou de l’anxiété) et l’évitement de l’argent (croire que l’argent est une mauvaise chose et parfois confirmer cette idée par le sabotage de son avenir financier).

Que vous vous reconnaissiez dans l’un de ces rapports à l’argent ou dans plusieurs d’entre eux, ou que vous y reconnaissiez d’autres personnes, chacun de nous est touché par l’influence de l’argent et de la vie économique, et ce, peu importe la façon dont nous réagissons.

Margaret Landry s’en rend maintenant compte par elle‑même. Diplômée du programme d’études cinématographiques de l’Université Dalhousie, elle a connu des débuts prometteurs dans l’industrie cinématographique en plein essor de la côte est. Or, lorsque la grève des scénaristes de la télévision et du cinéma a poussé de nombreuses productions à se retirer de la province, elle s’est retrouvée avec peu de travail. C’est à la suite de changement qu’elle a commencé à réexaminer son enfance et ses expériences récentes. Elle a commencé à ressentir un manque et à éviter les questions d’argent.

« Je ne voulais pas regarder les chiffres. J’étais économe, mais je n’établissais pas de budget. Je ne voulais pas penser au coût de la vie. Toutefois, en tentant de la réprimer, j’ai constaté que l’anxiété s’infiltrer dans tout ce que je faisais ». Tout en faisant face à ces pensées, Mme Landry s’efforce d’adapter sa carrière à l’évolution des conditions de travail.

Les articles sur les finances personnelles portent souvent sur les petits sacrifices financiers que peuvent faire les gens. Il suffit de penser à tous les conseils reçus, comme se passer de lattés et de tartines d’avocat. Cependant, comme de nombreuses personnes le soulignent, cette vision aussi étroite passe sous silence les différents problèmes systémiques qui peuvent nuire aux finances des gens.

Pour ce qui est du suivi des dépenses et des stratégies budgétaires, que l’on peut trouver sur Internet et dans des applications, Mme Knox s’efforce de ne pas se montrer trop rigide puisque les choix des clients, quels qu’ils soient, doivent d’abord et avant tout être adaptés à leur situation. « On peut budgéter au sou près ou créer des catégories dont on fait le suivi chaque mois, dit‑elle. On doit essayer des choses pour voir ce que l’on peut maintenir puisque différentes choses fonctionnent pour différentes personnes ». Son conseil préféré est de dire aux clients de s’en tenir à leurs décisions : « Engagez‑vous à les respecter pendant un mois. Si ces choix ne vous plaisent pas, cela ne veut pas dire que vous êtes incapable de préparer un budget, mais plutôt que vous n’avez pas encore trouvé la méthode qui fonctionne pour vous. » Mme Knox mentionne que les bases de la littératie financière sont très variées, mais elle indique que le site Web GérezMieuxVotreArgent.ca et le cours de finances personnelles de l’Université McGill sont des ressources utiles et accessibles qui permettent d’accroître les connaissances pendant le Mois de la littératie financière ou à tout autre moment de l’année.

Apprendre et se tourner vers l’avenir
À la suite de la période d’urgence sanitaire de la pandémie, les Canadiens font face à des difficultés économiques sans précédent qui ont un effet négatif sur leur santé mentale. Actuellement, le coût élevé de la vie au pays a accentué l’insécurité financière, la pression sur l’accessibilité aux aliments et aux logements ainsi que l’inégalité des revenus. L’inflation et l’augmentation e coût des emprunts s’ajoutent également à la liste. En 2022, la dette non hypothécaire moyenne au Canada dépassait 21 000 $.

La sécurité financière et la santé mentale ont toujours été interreliées : non seulement les effets négatifs sur la santé mentale sont plus fréquents lorsque les revenus sont faibles, mais les problèmes de santé mentale et les maladies mentales peuvent entraîner de l’insécurité financière. Dans ce contexte, même si vous trouvez une méthode de budgétisation et de suivi des dépenses qui vous convient, vous pourriez tout de même vous sentir complètement dépassé et ressentir le besoin d’aller chercher de l’aide auprès d’un conseiller en crédit.

Notre série intitulée « L’argent et la santé mentale » aborde des thèmes liés au logement, au coût de l’accès à des prestations de santé mentale et à l’autonomisation financière, à raison d’un article par semaine en novembre. Vous pouvez consulter ces articles sur la page Web Le Vecteur : conversations sur la santé mentale, où vous pourrez également vous abonner à notre infolettre.

Auteur : étudie les sciences humaines et la psychologie à l’Université de King’s College à Halifax.

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