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Le manque de connaissances économiques ou de contrôle sur nos propres finances peut avoir des répercussions à long terme. Examen du lien entre la violence conjugale et l’argent dans ce troisième article de notre série pour le Mois de la littératie financière.
Au début de leur union, Margaret Williams (un pseudonyme) ne voyait aucun inconvénient à laisser son mari prendre l’initiative et planifier leur budget et leur vie professionnelle.
« Il m’assurait que c’était mieux pour notre famille si j’élevais les enfants en faisant l’administration de son entreprise à temps partiel, raconte Williams. Essentiellement, cela a fait en sorte que je n’ai acquis aucune qualification utile sur le marché du travail. Il veillait à tout ce qui touchait nos finances. C’est seulement plus tard que je me suis aperçue que toutes ses décisions étaient à son avantage. »
Par « plus tard », elle entend le moment où l’abus physique et psychologique perpétré par son mari l’a poussée au point de rupture, quand elle a voulu le quitter.
« Lorsque les choses ont dégénéré, il m’a menacée de retirer tout son argent de notre compte conjoint, relate-t-elle. Et comme il était officiellement le seul à travailler, c’était tout l’argent que nous avions. Et c’est exactement ce qui s’est produit lorsque j’ai mis fin au mariage, poursuit Williams. Je me suis retrouvée les mains vides. »
Mais son ex-mari ne s’est pas contenté de vider le compte conjoint. Après le divorce, il a poursuivi ses abus économiques en refusant de verser la pension alimentaire pour enfants ordonnée par la cour, entaché l’historique de crédit de son ex-épouse en lui laissant peu d’autres options que d’accumuler des dettes sur la marge de crédit d’un membre de sa famille.
Le contrôle coercitif
Hélas, ce genre de récits n’est que trop courant. Bien des gens croient que la violence conjugale est avant tout physique, sexuelle et émotionnelle, mais on estime que des mauvais traitements économiques ont lieu dans 99 p. 100 des cas de violence conjugale, selon une étude publiée dans le magazine Forbes.
L’abus économique peut faire en sorte qu’il est particulièrement difficile pour la personne visée de quitter la situation. Il pose également un obstacle considérable au rétablissement et à la bonne santé mentale de la personne survivante.
« Si vous ne disposez pas des ressources financières pour obtenir des services de santé mentale, votre rétablissement sera beaucoup plus long, explique Kristina Nikolova, Ph. D., dont les recherches à l’Université de Windsor portent sur l’abus économique. Pourtant, malgré les effets dommageables de cette forme d’abus, le soutien en la matière est souvent négligé au Canada.
« Nous sommes dotés de bons refuges, de banques alimentaires, de systèmes d’aide d’urgence et de lignes d’écoute téléphonique, énumère Meseret Haileyesus, fondatrice et directrice générale du Centre canadien pour l’autonomisation des femmes (CCFWE). Mais les survivantes ont aussi besoin d’un solide programme d’émancipation économique. » Pour répondre à ce besoin, le CCFWE offre plusieurs ressources, par exemple des ateliers de littératie financière et des listes de contrôle pour les survivantes de mauvais traitements économiques, en plus de militer pour des changements systémiques. En commençant par la sensibilisation.
« Cette forme de violence n’a pas réellement été définie au Canada, signale Haileyesus. Les définitions qui existent sont généralement articulées en trois volets, à commencer par le contrôle des finances : le conjoint va délibérément restreindre l’accès aux comptes de banque, les communications et le transport, mais aussi le travail, l’éducation et la formation. »

Meseret Haileyesus
Le deuxième volet est l’exploitation économique, qui peut prendre la forme de destruction matérielle (p. ex. du logement, de la voiture) ou de dommages infligés aux finances de la victime en s’adonnant au jeu, en réalisant des dépenses excessives ou en faisant traîner les coûteuses procédures de garde d’enfants et de divorce. « Dans cette exploitation économique, le partenaire violent peut contracter des dettes au nom de la victime, explique Nikolova. Techniquement, il existe des lois antifraudes pour ces cas, mais dans une relation de couple, il est très difficile de prouver à qui une dette appartient réellement. »
Le troisième volet est le sabotage de l’emploi, un comportement délibéré visant à empêcher la victime de travailler en la privant de transport, en la confinant ou en la surveillant dans son milieu de travail. Selon Nikolova, parce que les employeurs ne sont souvent pas au courant de la situation de harcèlement économique, ils tiennent souvent les victimes pour responsables de leur absentéisme ou de leur piètre rendement, même si la cause directe est plutôt la violence conjugale.
« En Ontario, les milieux de travail sont censés être dotés de directives et de protocoles de sécurité pour les cas de violence conjugale, mais rares sont les personnes qui reçoivent cette formation, indique-t-elle. En conséquence, la maltraitance économique passe souvent inaperçue, jusqu’à ce que quelqu’un arrive en criant, une arme au poing. C’est la seule forme de violence où la victime pourrait être reconnue et éviter de perdre son emploi en raison de l’abus qu’elle subit. »
D’autres chercheurs dans le domaine ainsi que des personnes ayant un savoir expérientiel en la matière signalent que d’une certaine façon, même involontairement, les employeurs se rangent du côté de l’agresseur. Williams affirme que son expérience de séparation et de divorce l’a amenée à croire que les cours de justice comprennent mal l’abus économique, ce qui permet aux agresseurs de facilement tirer profit du système.
« J’ai toujours cru que si les choses tournaient mal, la loi et la justice veilleraient au bien-être de mes enfants, dit-elle. J’y croyais, mais j’ignorais que c’est loin d’être la réalité. J’ai le regret d’affirmer que ce n’est pas la société que j’espérais léguer à mes enfants. »
Le changement systémique
Bien que la Loi sur le divorce du Canada ait été modifiée en 2021 pour reconnaître le rôle que les abus financiers jouent dans l’iniquité des genres, le système dans son ensemble doit être réformé pour que les choses puissent changer. Par exemple, Williams est d’avis que les Bureaux des obligations familiales ne détiennent pas les outils pour obliger le paiement des pensions alimentaires pour enfants – du moins dans sa province.
Il y a également beaucoup de place à amélioration dans la sensibilisation aux abus économiques, notamment en ce qui concerne le logement et les soins de santé. Selon le CCFWE, environ les deux tiers des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé n’ont suivi aucune formation en dépistage de la maltraitance économique. C’est pourquoi l’organisme a lancé un outil de dépistage à l’intention des fournisseurs de services.
Mais c’est l’industrie financière qui détient le plus d’influence à cet égard, puisque c’est là où la grande majorité des actes d’abus économique se produisent. « En Australie et au Royaume-Uni, des programmes sont désormais en place pour aider les victimes de maltraitance économique », indique Haileyesus, en référence à de récentes initiatives pour faciliter l’accès au crédit et aux comptes bancaires personnels pour les personnes survivantes.
Cette année, une banque britannique a modifié son application pour permettre aux usagers de mettre en sourdine les messages qui accompagnent les transferts d’argent, afin d’éviter aux victimes de recevoir d’éventuelles menaces de la part de leur agresseur en même temps que leur pension alimentaire. Ce changement peut sembler minime, en comparaison avec le rétablissement d’un crédit entaché, mais il illustre de façon éloquente les nombreux angles morts et lacunes qui permettent à la maltraitance économique de se poursuivre, même après la fin d’une relation.
Malheureusement, les banques canadiennes ont encore beaucoup à faire dans ce domaine. « En termes simples, résume Haileyesus, le manque de compréhension et de politiques fait en sorte que notre système bancaire n’est pas outillé pour aider les victimes. » Cet automne, le CCFWE a dévoilé un tableau de bord de l’abus économique, qui comprend des recommandations stratégiques destinées au secteur financier.
Pour Nikolova, ces lacunes ont des répercussions concrètes immédiates qui nuisent au rétablissement des personnes survivantes et à leur bonne santé mentale. Selon ses études, c’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones, Africaines, Caribéennes et Noires, qui subissent généralement une plus grande discrimination dans les systèmes judiciaire, financier et de soins de santé. « Nous mesurons aujourd’hui le stress financier des personnes survivantes pour déterminer l’impact qu’elles ont subi, et nous avons constaté que celui-ci est fortement corrélé avec l’anxiété, la dépression et les symptômes accrus de stress post-traumatique, résume-t-elle. Nous avons remarqué que même cinq ou dix ans après la fin d’une relation, les femmes qui ont vécu de la maltraitance économique ont toujours un statut socioéconomique inférieur à celui de leurs pairs. »
Williams continue de subir le dénigrement et l’abus financier de son ex-mari, plusieurs années après la séparation. « Il répète que je ne réussirai jamais seule, ce qui est absolument faux, raconte-t-elle. Dans ces cas, c’est presque comme si l’abus continuait. Cela ajoute l’insulte à l’injure et nous empêche de nous concentrer sur la guérison et de remettre notre vie sur les rails. C’est difficile quand on tente par tous les moyens de se reconstruire. »
En dépit de ces difficultés, Williams est convaincue que son engagement nouveau envers son indépendance – qu’elle souhaite d’ailleurs transmettre à ses enfants – lui permettra de se rétablir des abus financiers qu’elle a subis. C’est cet espoir qui lui permet de faire face au défi quotidien de jongler avec le travail, l’éducation des enfants, la formation pour une nouvelle carrière et les procédures judiciaires.
Autres lectures : Le jour où j’ai décidé de partir : Le Vecteur
Ressource : Services de soutien partout au Canada, de la Fondation canadienne des femmes.
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Le manque d’options en matière de logement entraîne un sentiment de mal du pays qui lui est propre. Nous nous pencherons sur le lien entre le logement et la santé dans ce deuxième article de la série publiée dans le cadre du Mois de la littératie financière.
J’ai récemment reçu de la part d’un ami un message texte de masse trop bien connu : « Connaissez‑vous quelqu’un qui déménage d’un quatre et demie? Notre propriétaire a obtenu un permis de rénovation et nous devons partir au plus vite. »
Malheureusement, il est difficile de trouver des pistes de solution. C’est la réalité de Halifax. Bien qu’elle ait la réputation d’être une ville balnéaire décontractée, son marché locatif dégage une autre impression. Ne disposant d’aucune solution concrète et sachant très bien que cela n’allait pas l’aider, j’ai souhaité bonne chance à mon ami par message texte.
Si c’était possible, j’expédierais ces souhaits en grande quantité à la plus grande province canadienne, où un rapport sur le logement de la Chambre de commerce de l’Ontario révèle que 1,85 million de logements seraient nécessaires afin de rétablir l’accessibilité au logement, et ce, en plus des logements dont la construction est déjà prévue.
Ce nombre effarant est très préoccupant pour les jeunes Canadiens, groupe dont je fais partie en tant qu’étudiant universitaire songeant à son avenir. Pour plusieurs, la foi en un avenir abordable a été ébranlée. Les personnes qui ont une vision des choses plus optimiste cherchent pourtant des moyens d’agir et de nouveaux modes de vie.
La tête, le cœur et la maison
La maison n’est pas qu’une simple habitation : sa valeur psychologique dépasse largement ses quatre murs. Elle représente la fiabilité et la routine, explique Madeleine Hebert, qui travaille à titre de spécialiste principale du logement chez Happy Cities, une société d’experts‑conseils à Vancouver qui œuvre dans les domaines de l’aménagement urbain, de l’esthétique urbaine et de la recherche urbaine.
« Le plus éprouvant pour la santé mentale des locataires est le moment où le problème de l’accessibilité les pousse à vivre dans des situations plus transitoires, dit‑elle. Nous avons constaté un lien très fort entre le temps où l’on vit dans un endroit, la capacité à tisser des liens sociaux ainsi que le sentiment d’appartenance et la raison d’être. Il est difficile pour les locataires de prendre racine dans les villes où la sécurité du logement est limitée par les propriétaires privés, qui peuvent leur demander de partir à tout moment ».
Les pressions liées à l’accessibilité poussent les gens à faire des choix de vie difficiles, comme quitter leur communauté, trouver un nouveau foyer pour leur animal de compagnie ou emménager chez leur partenaire plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient.
« Il existe un grand nombre de besoins pour différentes personnes », souligne Mme Hebert tout en mentionnant que la disponibilité et l’accessibilité constituent des besoins essentiels lorsqu’il est question du logement. « De nombreux locataires à faible revenu n’ont plus le luxe de choisir et c’est là où l’on commence à observer des problèmes de santé mentale. »
Ce manque d’options abordables s’ajoute à d’autres obstacles auxquels les gens font face. Valery Navarrete en a fait l’expérience en 2022. Cette année‑là, sa mère est décédée. Cette dernière avait été la principale proche aidante du frère de Mme Navarrete, qui habite à Toronto et qui vit avec une maladie mentale grave et des problèmes de consommation de substances. Lorsque Mme Navarrete a commencé à chercher des options de logement supervisé ou subventionné pour son frère, elle s’est heurtée à un mur.
« Si vous avez la chance de trouver quelque chose, rien ne garantit que ce sera situé près des services de soutien médical et d’aide personnelle », dit‑elle. Mme Navarrete est experte‑conseil pour des organismes sans but lucratif et elle a travaillé pendant des décennies dans les domaines de la politique et de la défense des droits en matière de santé. Elle a également produit un balado sur des modèles de logement collectif. Bien qu’elle comprenne les points d’accès et les obstacles, ces connaissances se heurtent à la réalité de la demande. Les listes d’attente pour des logements supervisés à Toronto se situent dans les deux chiffres (14 ans), ce qui laisse sa famille sans options. Son frère est actuellement pris en charge par sa famille où une personne âgée agit comme personne de soutien. La situation n’est donc pas durable.
« La plupart des familles n’ont pas les moyens de s’offrir des options médicalisées à long terme, dit Mme Navarrete, et de nombreuses personnes souhaitent conserver leur autonomie. » À son avis, le Canada a besoin de plus de logements sociaux, et vite.
Alors que la population est aux prises avec le coût élevé de la vie, les demandes de logement plus abordable se font de plus en plus pressantes et deviennent un enjeu électoral au Canada. Parallèlement, les longs délais d’attente nécessaires pour des changements systémiques face à des besoins immédiats en matière de logement stimulent la création de nouveaux modèles et donnent un souffle nouveau aux anciens.
Diana Lind donne des détails sur les modèles de la cohabitation et des communautés de micrologements dans Brave New Home: Our Future in Smarter, Simpler, Happier Housing [notre avenir dans des logements plus intelligents, plus simples et plus joyeux] [en anglais seulement]. Son livre publié en 2020 se concentre en grande partie sur New York, d’abord rétrospectivement sur son extraordinaire croissance au cours du XIXe siècle par l’intermédiaire d’immeubles à usage locatif, puis par l’étude d’Airbnb et des autres formes temporaires. Selon Mme Lind, le modèle de la maison unifamiliale auquel la société nous a fait aspirer n’est pas durable. L’accès au marché des maisons unifamiliales nécessite à lui seul un investissement considérable et ce type de logement utilise l’espace de manière inefficace. De nos jours, la fameuse clôture en lattes verticales blanches est devenue une image d’une autre époque pour beaucoup de gens. Mme Lind considère que le temps est venu de renoncer au rêve américain d’une maison avec un garage double. Non seulement ces maisons sont trop chères et constituent une source de solitude, mais d’autres modèles de logement nous permettraient de mieux vivre ensemble en tant que communautés, étant donné que de nombreuses personnes vivent seules, se marient plus tard dans la vie, ont des familles moins nombreuses, adoptent davantage le mode virtuel et se déplacent plus. En d’autres termes, les modèles de logement ne suivent pas le rythme de nos besoins actuels.
Mme Hebert parle de l’un de ces projets, que Happy Cities nomme Co‑housing lite [que l’on pourrait traduire par « cohabitat léger »]. Tomo (qui correspond à la contraction des mots together [ensemble] et more [plus] en anglais) sur la rue Main à Vancouver est un modèle de logement sans coûts initiaux importants. Ce complexe abrite 12 familles sous un même toit qui partagent une structure et une cour communes. Ces plus petits logements qui appartiennent aux occupants laissent suffisamment de place aux grands espaces communs, dont une cuisine, une salle à manger et un salon commun. Des repas sont pris en commun trois fois par semaine et les résidents accomplissent des tâches dans la cuisine à tour de rôle. En outre, plusieurs comités s’occupent de prendre diverses décisions touchant l’autogestion.
« Le but est de renforcer l’entraide et d’aider les gens à veiller les uns sur les autres, dit Mme Hebert. Les avantages sont substantiels. » Elle souligne que de tels immeubles ont des taux de rétention élevés et qu’ils permettent de nouer des liens communautaires plus forts. « Les gens ont également tendance à se sentir plus concernés et à mieux s’occuper des espaces dont ils disposent, ajoute‑t‑elle. Les voisins qui entretiennent de meilleures relations règlent les différends plus facilement entre eux. »
Prendre de l’âge
Lorsque nous vieillissons, nos besoins en matière de logement évoluent également en fonction de facteurs aggravants, qui vont de la mobilité réduite aux problèmes de santé, en passant par la solitude, et nous sommes plus nombreux à vivre plus longtemps. Selon Statistique Canada, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus ne cesse d’augmenter au fil du temps. En 1971, 139 000 personnes avaient plus de 85 ans au Canada. En 2021, ce nombre était six fois plus élevé, soit 871 400 personnes. Les projections démographiques indiquent que ce groupe s’accroîtra encore davantage entre 2031 et 2050, puisque la génération du baby‑boom entrera dans l’âge d’or. Y entrera‑t‑elle en conservant son autonomie et ses penchants à contre-courant qui lui sont caractéristiques?
L’un des modèles va dans ce sens. Les collectivités de retraités formées naturellement gagnent en popularité. Ce terme désigne un pâté de maisons ou un immeuble d’habitation qui abrite une forte population de personnes âgées. Ces collectivités peuvent comporter des services de soutien comme des activités sociales, récréatives et liées à la santé, qui peuvent être offertes grâce à un financement public, à un financement privé ou aux deux. Les raisons peuvent varier selon les personnes et peuvent comprendre le souhait ou l’incapacité d’entretenir une maison unifamiliale, les pressions économiques ou le souhait de se rapprocher des gens ou des services. Ces logements constituent une option prometteuse pour créer une communauté tout en permettant aux personnes de conserver leur autonomie et de bénéficier d’un soutien.
Disposer d’un endroit où se sentir chez soi est essentiel à notre stabilité et à l’établissement d’une base pour la vie. De plus, le lien avec la santé mentale est indéniable, comme l’a montré le mouvement Logement d’abord. Son principe sous‑jacent, selon lequel les gens peuvent mieux avancer dans leur vie s’ils sont d’abord logés, leur permet de s’investir dans leurs activités sociales, professionnelles, récréatives et d’emploi pour favoriser leur rétablissement et leur bien‑être, et ainsi briser le cycle de l’itinérance.
En réalité, le modèle Logement d’abord s’est révélé être la façon la plus efficace de réduire l’itinérance. C’est l’une des principales constatations de l’étude Chez Soi lancée par la Commission de la santé mentale du Canada en 2008. Ce projet mené pendant quatre ans dans cinq villes avait pour objectif de fournir un soutien concret et significatif aux Canadiens en situation d’itinérance et souffrant de problèmes de santé mentale.
Quelles sont les prochaines étapes?
J’aimerais dire que nous sommes tous dans le même bateau, mais il est clair que certains d’entre nous sont plus en crise que d’autres. Il n’existe pas de situation unique pour tous lorsqu’il est question du logement et le sentiment de sécurité du logement d’une personne peut varier en fonction des aléas de la vie. Diverses options en matière de logement seront nécessaires pour garantir que l’on tienne compte de la diversité des besoins et que l’on ne s’en remette pas seulement à la chance. En attendant, il m’arrivera peut‑être encore d’être désabusé. Toutefois, puisque de nouvelles options en matière de logement abordable voient le jour, j’essaierai aussi de garder espoir lorsque j’enverrai un message à mes amis.
Autres lectures : Série l’argent et santé mentale
Ailleurs dans Le Vecteur : Seul chez soi : Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons‑nous endiguer ce phénomène?
Lucas Tennen
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L’incertitude de l’avenir financier pèse sur notre santé mentale. Dans cet article, nous nous pencherons sur le lien entre ces deux éléments qui marque le coup d’envoi d’une série portant sur le Mois de la littératie financière.
Nous avons tous un complexe lié à l’argent. Cet état d’esprit peut revêtir un caractère profondément imprévisible (en se manifestant soudainement pour éclipser tout le reste) ou un caractère délibéré qui instaure le calme comme s’il s’agissait d’un flux continu de points de données. Les psychologues d’aujourd’hui affirment que les croyances au sujet de l’argent apparaissent généralement à l’adolescence. Celles‑ci se forment en fonction des exemples donnés par les personnes qui nous ont élevés et ont une influence sur notre situation financière actuelle. En ces temps où le coût de la vie n’a jamais été aussi élevé, il convient de se poser la question suivante : votre conception de l’argent vous convient‑elle toujours?
Nombre d’entre nous ont une situation financière différente de celle de leur enfance, mais rien ne détermine nos rapports à l’argent comme la turbulence qu’apportent les nouvelles responsabilités et les changements imprévus. On ne peut évidemment pas se sortir de la crise de l’accessibilité financière dans un claquement de doigts. Le coût élevé de la vie vient ajouter un fardeau bien réel à nos dépenses en matière d’alimentation, de logement, de soins de santé et de santé mentale, surtout pour les communautés qui vivent des iniquités en santé et des inégalités sociales. Il s’agit notamment des communautés rurales et éloignées, les communautés de nouveaux arrivants, les communautés racisées, les communautés 2SLGBTQI+, les personnes aux prises avec une précarité d’emploi et de logement, les personnes en situation de handicap ou souffrant d’une maladie mentale grave, les chefs de familles monoparentales et les proches aidants non rémunérés. De surcroît, il existe un lien étroit entre l’insécurité financière et l’insécurité alimentaire, les logements inabordables ainsi que notre santé mentale et notre bien‑être.
Le lien
Lorsque le stress financier remplace la stabilité, il peut anéantir l’avenir que nous nous étions imaginé. Le sondage mené au cours de l’été par Recherche en santé mentale Canada (RSMC) révèle que les facteurs de stress financier ont des répercussions importantes sur la santé mentale et le bien‑être des Canadiens. Dans cette étude menée en ligne auprès de 3 819 adultes, 39 % des personnes ont déclaré que les problèmes économiques portent un dur coup à leur santé mentale et 41 % des répondants qui connaissent des difficultés financières déclarent avoir eu des pensées suicidaires.
Le nombre de répondants qui ont dû payer de leur poche des services de santé mentale en raison d’un régime d’avantages sociaux insuffisant est également passé de 23 % en mai à 30 % en août. De plus, 29 % des répondants ont mentionné que leur incapacité à payer était la raison pour laquelle ils n’ont pas accédé à des soins de santé mentale alors qu’ils en avaient besoin, ce qui représente une hausse de 11 % par rapport aux sondages précédents de RSMC.
Un enjeu électoral
Compte tenu de ces résultats, il n’est guère surprenant que l’accessibilité financière devienne un enjeu électoral majeur au Canada. Après tout, peu importe votre situation, elle aura sans doute une incidence sur votre vie. Afin d’en savoir plus sur ses répercussions sur la santé mentale, nous avons discuté avec Natasha Knox, conseillère financière à Alaphia Financial Wellness à Vancouver. Cette organisation fait partie de la Financial Therapy Association, qui regroupe des professionnels qui intègrent à leur pratique les dimensions cognitive, comportementale, relationnelle et financière du bien‑être.
Mme Knox utilise diverses stratégies pour aider ses clients à découvrir leur propre discours interne et les besoins qu’ils tentent de satisfaire. L’une des questions les plus efficaces est la suivante : « Si vous pouviez expliquer votre situation actuelle à une version plus jeune de vous‑même, comment lui décririez‑vous votre parcours pour arriver ici? »

Natasha Knox
Les réponses de ses clients font ressortir, de différentes manières, leurs rapports à l’argent. Les plus courants sont le statut socioéconomique (faire équivaloir la valeur personnelle à sa valeur nette), le culte de l’argent (considérer l’argent comme la véritable clé du bonheur par rapport à d’autres aspects de la vie), la vigilance face à l’argent (planifier en permanence pouvant entraîner de la sécurité ou de l’anxiété) et l’évitement de l’argent (croire que l’argent est une mauvaise chose et parfois confirmer cette idée par le sabotage de son avenir financier).
Que vous vous reconnaissiez dans l’un de ces rapports à l’argent ou dans plusieurs d’entre eux, ou que vous y reconnaissiez d’autres personnes, chacun de nous est touché par l’influence de l’argent et de la vie économique, et ce, peu importe la façon dont nous réagissons.
Margaret Landry s’en rend maintenant compte par elle‑même. Diplômée du programme d’études cinématographiques de l’Université Dalhousie, elle a connu des débuts prometteurs dans l’industrie cinématographique en plein essor de la côte est. Or, lorsque la grève des scénaristes de la télévision et du cinéma a poussé de nombreuses productions à se retirer de la province, elle s’est retrouvée avec peu de travail. C’est à la suite de changement qu’elle a commencé à réexaminer son enfance et ses expériences récentes. Elle a commencé à ressentir un manque et à éviter les questions d’argent.
« Je ne voulais pas regarder les chiffres. J’étais économe, mais je n’établissais pas de budget. Je ne voulais pas penser au coût de la vie. Toutefois, en tentant de la réprimer, j’ai constaté que l’anxiété s’infiltrer dans tout ce que je faisais ». Tout en faisant face à ces pensées, Mme Landry s’efforce d’adapter sa carrière à l’évolution des conditions de travail.
Les articles sur les finances personnelles portent souvent sur les petits sacrifices financiers que peuvent faire les gens. Il suffit de penser à tous les conseils reçus, comme se passer de lattés et de tartines d’avocat. Cependant, comme de nombreuses personnes le soulignent, cette vision aussi étroite passe sous silence les différents problèmes systémiques qui peuvent nuire aux finances des gens.
Pour ce qui est du suivi des dépenses et des stratégies budgétaires, que l’on peut trouver sur Internet et dans des applications, Mme Knox s’efforce de ne pas se montrer trop rigide puisque les choix des clients, quels qu’ils soient, doivent d’abord et avant tout être adaptés à leur situation. « On peut budgéter au sou près ou créer des catégories dont on fait le suivi chaque mois, dit‑elle. On doit essayer des choses pour voir ce que l’on peut maintenir puisque différentes choses fonctionnent pour différentes personnes ». Son conseil préféré est de dire aux clients de s’en tenir à leurs décisions : « Engagez‑vous à les respecter pendant un mois. Si ces choix ne vous plaisent pas, cela ne veut pas dire que vous êtes incapable de préparer un budget, mais plutôt que vous n’avez pas encore trouvé la méthode qui fonctionne pour vous. » Mme Knox mentionne que les bases de la littératie financière sont très variées, mais elle indique que le site Web GérezMieuxVotreArgent.ca et le cours de finances personnelles de l’Université McGill sont des ressources utiles et accessibles qui permettent d’accroître les connaissances pendant le Mois de la littératie financière ou à tout autre moment de l’année.
Apprendre et se tourner vers l’avenir
À la suite de la période d’urgence sanitaire de la pandémie, les Canadiens font face à des difficultés économiques sans précédent qui ont un effet négatif sur leur santé mentale. Actuellement, le coût élevé de la vie au pays a accentué l’insécurité financière, la pression sur l’accessibilité aux aliments et aux logements ainsi que l’inégalité des revenus. L’inflation et l’augmentation e coût des emprunts s’ajoutent également à la liste. En 2022, la dette non hypothécaire moyenne au Canada dépassait 21 000 $.
La sécurité financière et la santé mentale ont toujours été interreliées : non seulement les effets négatifs sur la santé mentale sont plus fréquents lorsque les revenus sont faibles, mais les problèmes de santé mentale et les maladies mentales peuvent entraîner de l’insécurité financière. Dans ce contexte, même si vous trouvez une méthode de budgétisation et de suivi des dépenses qui vous convient, vous pourriez tout de même vous sentir complètement dépassé et ressentir le besoin d’aller chercher de l’aide auprès d’un conseiller en crédit.
Notre série intitulée « L’argent et la santé mentale » aborde des thèmes liés au logement, au coût de l’accès à des prestations de santé mentale et à l’autonomisation financière, à raison d’un article par semaine en novembre. Vous pouvez consulter ces articles sur la page Web Le Vecteur : conversations sur la santé mentale, où vous pourrez également vous abonner à notre infolettre.
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Comment engager la conversation
Quand le célèbre auteur de littérature jeunesse Robert Munsch a commencé à vivre des difficultés sur le plan de sa santé mentale, la première étape pour se sentir mieux était la plus simple à franchir. C’était également la plus difficile.
« La stigmatisation associée à la maladie mentale m’a empêché de demander de l’aide pendant 20 ans », raconte-t-il. Lors d’une discussion qu’il a eue en 2013 avec la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), Munsch a raconté son long combat contre la stigmatisation entourant la maladie mentale, avant de recevoir son diagnostic de trouble bipolaire et sa dépendance connexe à l’alcool.
La première étape – en parler à quelqu’un – allait de soi, explique l’auteur, mais elle demandait un courage inouï en raison des stéréotypes négatifs contre la maladie mentale. « Votre nom n’a aucune importance. Votre talent n’a aucune importance. Tout le monde peut avoir un problème. Il est crucial d’être ouvert et entouré d’un réseau de soutien pour en venir à bout. »
Pour les personnes aux prises avec des troubles liés à la santé mentale ou à l’usage de substances, il peut être hautement bénéfique de parler ouvertement de santé mentale. Mais en renforçant la compréhension et en réduisant la stigmatisation de façon globale, on les aide également à obtenir les soins dont elles ont besoin sans crainte.
La stigmatisation est un problème répandu
Un sondage Léger réalisé en 2022 a révélé que la stigmatisation constituait un problème répandu pour les personnes ayant des troubles liés à la santé mentale ou à l’usage de substances au Canada : 95 p. 100 des répondants ont dit avoir vécu de la stigmatisation au cours des cinq dernières années et 72 p. 100 ont déclaré avoir vécu de l’« autostigmatisation » (préjugés négatifs intériorisés). Plus révélateur encore, le sondage a montré que la population canadienne « s’attend à ce que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de consommation de substances soient dévalorisées ou qu’elles fassent l’objet de discrimination dans leur quotidien. »
Selon les répondants, la réduction de la stigmatisation doit être l’une des trois principales priorités pour améliorer l’accès aux soins et favoriser le rétablissement (les deux autres sont un accès élargi aux soins et davantage de services de prévention en santé mentale). Il apparaît clairement que la réduction de la stigmatisation et de ses effets néfastes est une étape essentielle pour assurer que les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou d’usage de substances ont accès aux soins qu’elles méritent.
Pourquoi c’est important
Le programme Changer les mentalités de la CSMC a été élaboré précisément pour cette raison : réduire la discrimination résultant des attitudes négatives entourant la maladie mentale et la consommation de substances. Elle constitue aujourd’hui la plus vaste initiative systémique vouée à enrayer la stigmatisation au pays. Près d’un million de personnes au Canada ont suivi au moins un des cours ou des programmes de Changer les mentalités, qui a fait ses débuts en 2009. Face à ce nombre qui ne cesse de croître, les milieux de travail, les salles de classe et les petites et grandes entreprises reconnaissent l’importance de créer un environnement sain et sécuritaire sur le plan psychologique.
Comme organisation, la CSMC possède une solide expertise de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail (la Norme), qui a été élaborée et lancée en 2013 pour fournir des lignes directrices sur la promotion de la santé mentale et pour reconnaître et soutenir les personnes qui vivent avec des maladies ou des problèmes liés à la santé mentale. Si de plus en plus d’organisations connaissent les bienfaits de la santé et de la sécurité psychologiques, plusieurs ne savent pas par où commencer leur démarche en ce sens. Pour ces organisations, la formation Changer les mentalités est l’une des meilleures fondations pour bâtir une telle culture.
Changer les mentalités offre également les programmes Premiers soins en santé mentale (PSSM), L’esprit au travail (EAT) et L’esprit curieux. Compte tenu du nombre élevé de personnes, d’organisations et de communautés ayant déjà pris part à l’un d’eux, peut-être que vous faites déjà partie des diplômés (et que vous détenez le badge de certification sur votre profil LinkedIn).
Ceux et celles qui ont suivi un programme Changer les mentalités se sentent plus confiants et apte à approcher une personne vivant une crise ou un problème de santé mentale. Par exemple, Steve Jones a le sentiment d’avoir sauvé plus de vies comme formateur du programme L’esprit au travail – Premiers répondants qu’en 20 ans de carrière comme pompier.
Premiers soins en santé mentale
Les PSSM s’apparentent aux premiers soins traditionnels. La formation enseigne aux participants à apporter une aide immédiate à une personne vivant une crise ou un problème de santé mentale, en attendant qu’elle reçoive un traitement approprié.
Elle peut prévenir l’aggravation d’une difficulté présente, mais elle comporte aussi des bienfaits plus généraux. Des données probantes montrent en effet que les cours de PSSM réduisent la stigmatisation, améliorent la compréhension des indices et symptômes d’une crise en santé mentale et procurent aux participants la confiance d’approcher une personne qui vit une telle situation.
Les participants ont affirmé que le programme les avait positivement transformés, en les rendant plus empathiques et compréhensifs à l’égard des personnes vivant des problèmes de santé mentale.
L’esprit au travail et L’esprit curieux
Le programme L’esprit au travail (EAT), fondé sur des données probantes, vise à réduire la stigmatisation dans les milieux de travail. En plus des versions standard de l’EAT, des formations adaptées sont aussi offertes pour les premiers répondants, le secteur de la santé, le domaine juridique et le sport.
Le cours, qui a été adopté par des sociétés, des organismes sans but lucratif et des gouvernements partout au pays, a été suivi par plus de 260 000 personnes à ce jour.
Les participants et les formateurs trouvent que l’EAT leur a permis de devenir plus empathiques et compréhensifs, en plus d’avoir un effet bénéfique immédiat sur leur milieu de travail.
L’esprit curieux est une version de l’EAT conçue pour les établissements universitaires et collégiaux.
Communication claire
Le site web refondu de Changer les mentalités comporte une nouvelle image et un portail web qui facilite la recherche de cours, notamment en fonction de critères précis. Les utilisateurs seront également en mesure de voir les plans de cours détaillés, les profils des formateurs de même que leur propre historique d’apprentissage.
Ces améliorations permettront à la CSMC de poursuivre son travail pour garantir à tous un milieu de travail ou un environnement d’apprentissage où le respect de la sécurité psychologique constitue une priorité. Grâce à son format simplifié et efficace, Changer les mentalités pourra continuer d’exercer son leadership en offrant des programmes de lutte contre la stigmatisation fondés sur des données probantes.
Pour Munsch, surmonter la stigmatisation, autant la sienne que celle des autres, a changé sa vie.
« Les gens doivent se rendre compte que la maladie mentale découle d’un mauvais fonctionnement du cerveau, et qu’il existe plusieurs traitements possibles. »
Ressource : Le nouveau site web de Changer les mentalités
Wes Smiderle
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Surmonter la stigmatisation, le chagrin et la perte et emprunter le chemin de la guérison, de l’espoir et du soutien auprès d’une communauté après le décès par suicide d’un être cher. Une histoire personnelle.
Chaque année, en novembre, des événements spéciaux sont organisés dans le monde entier pour marquer la Journée internationale des survivants d’une perte par suicide. Les personnes directement touchées par le suicide d’un être cher profitent souvent de cette journée pour se souvenir de cette personne, raconter leur histoire et leur vécu. C’est ce que je vous propose aujourd’hui. J’ai changé les noms pour des raisons de confidentialité.
Rachel s’est suicidée le 15 juin 2022, six semaines après son 30e anniversaire. Je la connaissais depuis un peu plus d’un an. Nous avions été voisines, puis amies proches, puis brièvement amantes. Ma relation avec elle, bien que tendre, était affligée par des conflits et j’ai ressenti une immense culpabilité lorsqu’elle s’est suicidée. Je me suis attribué un rôle dans sa décision, car je n’avais pas été la partenaire qu’elle espérait et je ne l’avais pas aimée comme elle en aurait eu besoin.
Je vous raconte mon histoire, car le suicide continue d’être stigmatisé et les personnes qui restent peuvent se sentir isolées dans leur chagrin.
Comme toute tragédie, le suicide a une portée qui va bien au-delà de l’acte lui-même; ses répercussions sont considérables. Je pense aux nombreuses personnes qui ont été touchées par le décès de Rachel et qui continueront probablement à l’être : sa meilleure amie, qui l’a découverte chez elle deux jours après son décès; ses collègues, qui l’appréciaient, pas seulement pour sa productivité et son perfectionnisme; les membres de sa famille biologique et de sa famille d’élection qui, dans les semaines qui ont suivi son décès, m’ont contactée sur Facebook pour avoir des réponses à leurs questions; sa cousine adolescente transgenre, qui considérait Rachel comme un modèle et une confidente et son ex-partenaire, Nigel, avec qui elle avait eu une relation de neuf ans et qui a eu la responsabilité peu enviable de vendre la maison dont ils étaient copropriétaires et de trier tous ses effets personnels.
Des conversations honnêtes
Lorsque j’ai appris le décès de Rachel, j’ai d’abord pensé à ma fille, Joy, qui n’avait pas encore deux ans et demi à l’époque. Joy avait connu Rachel pendant la moitié de sa courte vie. Leur magnifique lien comprenait des visites à la ferme du Musée de l’Agriculture du Canada ou des séances de musique devant le piano, Joy assise sur les genoux de Rachel. En tant que parent seul élevant un jeune enfant pendant une pandémie mondiale, j’étais reconnaissante envers Rachel, elle était l’une des rares personnes à qui je pouvais confier Joy sans aucune inquiétude.

Joy et Jessica Ruano
Je crois qu’il faut être transparent et sincère avec les enfants. J’ai donc dit à Joy, dès qu’elle l’a demandé, que nous ne verrions plus Rachel parce qu’elle était décédée, que c’était très triste, qu’elle allait nous manquer et qu’il était normal d’en parler.
La semaine suivante, nous avons rendu visite à plusieurs de nos anciens voisins, dont beaucoup sont venus s’asseoir près de Joy et moi, pour partager leur tristesse et leur solidarité. J’ai répondu à leurs questions, car beaucoup d’entre eux n’avaient toujours pas compris les circonstances du décès de Rachel. Et dans notre petit cul-de-sac ont soudainement plané un malaise et un climat de tristesse. L’année précédente, j’avais invité Junkyard Symphony, un groupe de percussion respectueux de l’environnement. Ils avaient joué au milieu de la rue. C’est l’un des nombreux événements qui témoignent de l’atmosphère et de la culture de notre rue; un endroit où les enfants jouaient ensemble, où Joy pouvait en toute quiétude cueillir des tomates chez les voisins et les croquer à belles dents. Un endroit où nous connaissions le nom de chaque chat et chaque chien, et même de la tortue, Miguel. Rachel adorait cette communauté, qu’elle appelait affectueusement « rue Sésame », et sa petite maison dans laquelle elle voulait vivre pour toujours.
Après deux semaines de congé, j’ai tenté de reprendre le travail. J’arrivais à me concentrer sur mes tâches pendant de courtes périodes, puis tout à coup je fixais le vide. J’avais souvent les nerfs à fleur de peau, des sanglots dans la gorge ou alors j’étais au bord de crise de panique. Mes émotions étaient instables. J’ai fait ce que j’ai pu, puis j’ai demandé un autre congé avec le soutien de mon médecin de famille. Mais j’avais du mal à canaliser mon énergie et à trouver la voie de la guérison. Les personnes qui m’avaient manifesté leur soutien au cours des premiers jours et des premières semaines ont rapidement disparu pour reprendre le cours de leur vie, ce qui est normal. Puis, certains de mes amis proches ont cessé de communiquer avec moi. La plupart se sont excusés en disant qu’ils étaient occupés, alors qu’avant le décès de Rachel nous nous rencontrions régulièrement, et l’une d’entre elles m’a même envoyé un courriel expliquant qu’elle avait besoin de mettre notre amitié « en pause » en raison du suicide de Rachel. Ce fut un coup dur, car mes relations avec ma famille immédiate étaient tendues, et j’avais besoin du soutien de la famille que je m’étais choisie.
Trouver du soutien
À la mi-août, me sentant perdue et très seule dans mon deuil, j’ai contacté Familles endeuillées de l’Ontario et j’ai commencé à participer au groupe de soutien du jeudi après-midi, sur Zoom. On y traitait de questions politiques relatives au décès, à la mort et à la maladie en rapport avec la communauté queer; par exemple, le fait que l’on compte davantage sur la famille choisie plutôt que sur la famille biologique qui n’offre pas de soutien. J’ai commencé à écouter le balado de Paula Fontenelle, Understand Suicide, qui a récemment atteint les 100 épisodes.
C’étaient les voix que j’avais besoin d’entendre : des personnes prêtes à surmonter leur malaise face à la mort et au suicide et à en parler ouvertement, que la perte soit récente ou pas. Je me suis surprise à sortir de ma propre douleur pour compatir avec l’homme dont la femme avec qui il était marié depuis 50 ans était décédée d’un cancer; avec la jeune femme dont le père avait été assassiné pour des raisons politiques, avec des personnes qui avaient subi de multiples pertes au fil des ans et qui se sentaient complètement déstabilisées par les coups répétés du destin. Contrairement à mon impression, je n’étais donc pas seule à vivre cette expérience. Le seul fait d’être en contact avec d’autres personnes, même des inconnus que je ne rencontrerais peut-être jamais en dehors du monde virtuel, m’a aidée à me le rappeler.
Pendant toute cette période, je voulais m’assurer d’être un parent sur lequel Joy pouvait compter. Une amie m’a demandé récemment comment j’avais réussi à tenir le coup pendant l’année écoulée, et la réponse qui m’est venue était tout simplement « Joy » — on ne peut pas s’effondrer quand un enfant a besoin de nous. En tout cas, pas moi. Je ne l’ai pas fait. Je n’aurais pas pu.
Mais ça n’a pas été facile. Joy évoquait souvent Rachel – les endroits où elles allaient ensemble, les jeux auxquels elles jouaient, et les objets de notre maison – comme des ustensiles de cuisine ou des vêtements – qui lui rappelaient Rachel. J’ai toujours essayé de répondre à Joy de manière positive, même s’il était parfois douloureux d’entendre parler de Rachel. Une nuit, Joy s’est réveillée en criant et, plus tard, entre deux sanglots, elle m’a dit : « Je suis triste. . . parce que Rachel est partie. » Pendant de nombreux mois, elle avait dormi confortablement dans son propre lit, mais après le décès de Rachel, elle est devenue de plus en plus réticente à l’idée de ne pas dormir avec moi. Quand je l’ai interrogée à ce sujet, elle a fini par m’expliquer qu’elle avait peur de me laisser dormir seul sans elle – parce que je risquais de mourir comme Rachel. Et d’autres questions ont suivi :
« Pourquoi Rachel est-elle décédée? »
Elle était malade, mon amour.
« Est-ce qu’elle était vieille? »
Non ma chérie, elle était jeune. Plus jeune que moi.
« Je ne veux pas qu’elle soit décédée. »
Moi non plus.
« Elle me manque. »
À moi aussi.
Bien que je ne puisse pas ramener Rachel ou promettre que nous ne perdrons pas d’autres personnes proches à l’avenir, j’ai fait de mon mieux pour la rassurer en lui disant que « Maman et Joy sont pour toujours », au cas où elle aurait des doutes.
« Et Ba aussi? » demande-t-elle en parlant de son béluga en peluche.
Et Ba aussi.
Plus d’un an a passé maintenant, et je ressens encore les effets du décès de Rachel, y compris les symptômes de stress post-traumatique. J’ai de la difficulté à me concentrer et à gérer mon anxiété, en particulier devant un ordinateur, ce qui m’empêche de travailler comme avant. J’ai donc récemment abandonné mon emploi de salariée et me suis lancée à mon compte pour pouvoir gérer mes horaires avec plus de souplesse. Dans le cadre d’une thérapie soutenue, j’ai travaillé sur mes sentiments de culpabilité et sur ma volonté d’être le meilleur parent possible pour Joy. J’ai reconstitué un réseau de soutien, trouvant du réconfort auprès des personnes qui m’ont soutenue dans les moments les plus difficiles. Je fais de l’exercice et de la méditation pour garder un corps sain et un esprit paisible. Et j’écris autant que possible.
Au début de l’année, peut-être en réaction au deuil, j’ai acheté des billets d’avion pour Londres, en Angleterre, où j’ai vécu quatre ans il y a un peu plus de dix ans. Pendant quatre semaines, en juillet dernier, nous avons traversé l’Europe en train avec seulement une petite valise et un sac à dos. Le fait de sortir de notre routine nous a fait du bien. Nous avons laissé derrière nous tous les souvenirs de l’été dernier. Outre les difficultés que l’on peut avoir quand on se déplace avec un jeune enfant, qui peut faire des crises de colère quand son environnement change sans cesse, ce voyage nous a beaucoup rapprochées, Joy et moi.
J’aime ma vie et chaque jour j’éprouve de la reconnaissance d’être en vie et de vouloir le rester, même aux jours les plus sombres. Je tiens farouchement, non seulement à survivre, mais à m’épanouir pleinement. Alors, avec Joy à mes côtés, c’est exactement ce que je vais continuer à faire.
Soutien en cas de crise – Espace Mieux-être Canada : Si vous éprouvez de la détresse, à n’importe quel moment, vous pouvez texter MIEUX au 741741. S’il s’agit d’une urgence, composez le 911 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.
Aide : Les personnes en détresse au Canada peuvent obtenir de l’aide par l’intermédiaire de Parlons Suicide Canada. Composez le numéro sans frais : 1-833-456-4566
Ressource :
- Prévention du suicide (Commission de la santé mentale du Canada).
- Parler d’un suicide à des enfants.
Jessica Ruano
(elle) est écrivaine, interprète et éducatrice queer. Au cours des 20 dernières années, elle a collaboré avec des compagnies de théâtre et des organismes artistiques à Ottawa et à London. Elle travaille actuellement sur son premier mémoire, une histoire d’amour queer, et sur un second qui porte sur son parcours d’adoption en tant que parent seul. Elle étudie aussi la psychologie en vue d’obtenir une maîtrise en éducation dans le domaine de la psychologie du counseling. Dans ses temps libres, Jessica pose comme modèle pour divers artistes, lui permettant ainsi de s’éloigner un peu de l’ordinateur et de préserver sa santé mentale.
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Rédiger son histoire en fin de vie a des effets thérapeutiques.
Coutume plus que centenaire, la notice nécrologique, ou obituary, en anglais, est l’avis écrit qui annonce la mort d’une personne et fournit quelques détails biographiques.
Selon le dictionnaire Merriam-Webster, le mot anglais obituary, du latin médiéval obituarius qui signifie sombre, voire menaçant, aurait été utilisé pour la première fois en 1703. Le français dispose du mot « obituaire », mais lui préfère le terme « notice nécrologique » ou « nécrologie ». Ce dernier, d’origine grecque, signifie « discours relatif à la mort », et son emploi date de la même époque, selon le Robert. Depuis le 18e siècle, il est d’usage qu’un membre de la famille ou un ami rédige cette notice. Ce n’est jamais une partie de plaisir ni une tâche à prendre à la légère, mais le rituel est devenu si habituel qu’il existe même des ouvrages qui recensent les meilleures notices. Certaines organisations préparent à l’avance la notice des personnages célèbres, l’industrie funéraire fournit conseils et modèles, et des prête-plume peuvent l’écrire pour vous. Mais un nombre croissant de personnes écrivent leur propre notice nécrologique.
Certaines de ces « autonotices », irrévérencieuses, avouant candidement un certain nombre de défauts, de conflits familiaux ou des problèmes de santé mentale, font sourire des gens qui ne connaissaient pas du tout la personne défunte et deviennent virales. C’est ainsi que la composition d’Angus Macdonald, de Glace Bay, en Nouvelle-Écosse, figure maintenant à la rubrique des notices comiques sur le site Legacy.com, pour son humour et son caractère poignant. Dans ce texte qu’il a rédigé avant sa mort à l’âge de 67 ans, en 2016, ce monsieur a écrit : « Je pense avoir été un chic type, malgré mes antécédents punk et en dépit de ce que certaines et certains diront de moi. Que savent-ils de moi, de toute façon? J’ai aimé ma famille et j’en ai pris soin dans les bons moments comme dans les mauvais. J’ai fait de mon mieux. »
À l’approche de la mort, certains « autobiographes » veulent tirer les choses au clair, régler des comptes ou réconforter leurs proches avec honnêteté, humour et courage, y voyant peut-être aussi l’occasion de réfléchir à l’ensemble de leur vie, à leurs réussites, triomphes, ratés et regrets, ainsi qu’aux leçons apprises. Ce peut être aussi un moyen de léguer quelques sages paroles qui, dans leur esprit du moins, valent d’être préservées. Les personnes qui, se sachant proches de la fin, décident d’écrire sans fard y trouvent peut-être un éclairage précieux qui leur permet d’accepter paisiblement l’inévitable.
Une vie sous la lorgnette
Thérapeutes, conseillers et coachs en écriture constatent l’effet bénéfique qu’a sur leur clientèle la rédaction de leur propre avis de décès, peu importe leur âge ou le nombre d’années censé leur rester.
L’idée peut sembler morbide, mais elle gagne en popularité comme autoexamen thérapeutique et comme moyen de clarifier certains éléments importants de la vie.
Il n’est pas forcément facile d’envisager sa propre mortalité mais, disent les spécialistes, une réflexion sur ce qu’on aimerait voir dans sa notice nécrologique peut déboucher sur une vie meilleure : plus heureuse, plus sensée et plus productive. Notons d’ailleurs que le verbe obire, racine latine du mot anglais obituary, signifie « aller vers », « se présenter devant ».
« L’exercice amène certaines personnes à jeter un regard critique sur leur vie et à se dire : “Ma vie est tout à fait contraire à ce que je voudrais qu’on retienne de moi” », dit Talia Akerman, conseillère en santé mentale autorisée chez Humantold, à New York. Sa clientèle est composée en majorité de gens dans la jeune vingtaine qui souffrent de dépression, d’anxiété ou d’un traumatisme et qui cherchent une réponse aux grandes questions de la vie tout en tentant de se remettre d’expériences pénibles et de construire leur vie d’adulte.
La thérapie existentielle, démarche largement fondée sur les idées élaborées par Viktor Frankl, psychiatre réputé du début du 20e siècle, invite à rédiger son propre avis de décès comme moyen de trouver un sens et un but authentiques à sa vie. Selon Akerman, « l’exercice vous force à placer un miroir devant votre vie, vos gestes, vos valeurs et les gens qui vous entourent. Il provoque un moment très intense qui vous amènera peut-être à constater que ce reflet ne correspond pas à ce que vous voulez et à apporter des changements. Je demande alors aux gens de repérer des thèmes dans leur notice. “Si vous devez changer quelque chose, comment vous y prendrez-vous?” » Dans d’autres cas, les gens sont surpris que l’image ressemble davantage au portrait espéré qu’ils ne l’attendaient.
Pour une personne qui souffre de dépression, cette rédaction est l’occasion de travailler avec son thérapeute à stimuler son estime de soi, à se reconnecter avec ce qui va bien et à retrouver l’espoir. « Cela leur rappelle leurs forces, ce qui est particulièrement bénéfique, souligne Akerman. Pour certaines personnes vivant avec une maladie mentale, l’exercice est toutefois un peu plus difficile. Tout le monde n’est pas prêt à faire ce bilan. C’est alors qu’un bon thérapeute a un rôle à jouer. Vous devez instiller un espoir dans la personne, l’accompagner le temps qu’elle arrive à s’approprier cet espoir. »
Il peut être utile de relire sa notice nécrologique au bout de quelques mois ou de quelques années pour voir en quoi la vie a changé, pour le meilleur ou pour le pire, et réfléchir de nouveau à la voie à suivre. « J’incite les gens à conserver leur notice, mais si l’idée les bouleverse trop, je propose de la conserver pour eux seuls, dans un endroit sûr, et d’y revenir avec eux, explique Akerman. Ils pourront vérifier s’ils ont apporté les corrections qu’ils souhaitaient ou, dans le cas contraire, pourquoi rien n’a changé. »
Changements de direction
Akerman rappelle que la pandémie en a forcé beaucoup à transformer leur vie professionnelle ou à composer avec des pertes de tous types qui ont parfois mené à une crise de santé mentale, ce qui a rendu la rédaction de la notice nécrologique encore plus pertinente.
« Je pense que cet outil a été vraiment utile pendant la COVID, mentionne-t-elle. Pour plusieurs, à défaut de pouvoir maîtriser quoi que ce soit sur le plan social, il restait possible de déterminer que faire de sa vie, de revenir sur ses valeurs, sur ce qui compte vraiment et sur ce qu’il y avait lieu de changer, sur le plan professionnel ou relationnel. »
Peu importe notre âge et peu importe que la mort soit lointaine ou proche, réfléchir à notre vie passée, présente ou à venir a d’évidents avantages : on y trouve la quiétude nécessaire pour se réorienter et apprécier tout simplement qui on est, où on en est, ce qu’on a accompli et ce qu’on aimerait bien faire avant de disparaître.
Ressource : Partagez votre récit de façon sécuritaire
Lectures complémentaires :
Moira Farr
Journaliste, auteure et professeure primée, est diplômée de l’Université Ryerson et de l’Université de Toronto. Ses écrits ont été publiés notamment dans The Walrus, Canadian Geographic, Châtelaine et The Globe and Mail, et abordent des thèmes comme l’environnement, la santé mentale et les enjeux de genre. Outre l’enseignement et l’édition, elle travaille à son compte en tant qu’auteure, et a également été rédactrice universitaire dans le cadre du programme de journalisme littéraire du Banff Centre for Arts and Creativity.
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Explorer l’incidence, les ressources et les stratégies de prévention du suicide
Septembre est le Mois de la sensibilisation au suicide. Il s’agit d’un rappel poignant de l’importance de la santé mentale et c’est l’occasion d’informer le public, de comprendre et de défendre les personnes touchées par le suicide.
L’ampleur du problème
Au Canada, le suicide reste un problème de santé publique important, qui touche aussi bien les personnes de tous âges, de tous genres et de tous milieux. Selon Statistique Canada, environ 4 500 personnes meurent par suicide chaque année au pays, soit environ 12 personnes par jour. Pour chaque personne qui décède par suicide, de nombreuses autres sont en proie à des pensées suicidaires ou font des tentatives de suicide. La COVID-19 a également eu des effets négatifs sur la santé mentale, notamment une hausse significative des cas d’idées suicidaires. Chez les jeunes gens (de 15 à 24 ans), le suicide est souvent considéré comme l’une des trois principales causes de décès, et son taux d’incidence est amplifié par ses effets sur les familles, les personnes et les communautés aux quatre coins du pays (et dans le monde entier).
Les raisons du suicide sont complexes : elles sont d’ordre biologique, psychologique, social, culturel, spirituel, économique et autres. Selon un éminent chercheur dans le domaine, les personnes qui songent au suicide et qui font une tentative de suicide désirent mettre fin à une douleur psychologique profonde et intense. Pourtant, malgré la complexité de la question, il y a lieu d’être optimiste.
Il est possible de réduire le taux de suicide et son incidence au Canada au moyen d’interventions empruntées aux domaines de la santé mentale et de la santé publique. Dans ce contexte, le Mois de la sensibilisation au suicide joue un rôle essentiel en sensibilisant le public à cette question et en favorisant le dialogue.
Comment parler du suicide
Plusieurs ressources que la CSMC soutient ou qu’elle a contribué à créer insistent sur l’importance d’une communication ouverte et sans jugement. Il peut être difficile d’entamer une conversation sur le suicide, mais il s’agit d’une étape nécessaire pour aider les personnes qui ont besoin de soutien à aller en chercher.
Parler d’un suicide à des enfants est un outil de conversation destiné à aider les soignants, les parents et les tuteurs à comprendre comment parler aux enfants lorsqu’un suicide se produit dans la communauté ou si une personne qu’ils connaissent est décédée par suicide. La recherche a montré que le fait de parler du suicide n’augmente pas le risque de suicide chez l’enfant. En fait, cela peut être une expérience utile.
Le suicide : Confronter ensemble ce sujet sensible est un module en ligne conçu pour aider les professionnels de la santé à se préparer à de telles conversations. Les fournisseurs de soins de santé jouent un rôle essentiel en matière de prévention du suicide au Canada. Ils sont souvent les mieux placés pour identifier les personnes qui risquent de se suicider et pour leur fournir les soins dont elles ont besoin ou les aiguiller vers ces soins.
À l’heure actuelle, une grande partie de nos interactions se font en ligne. Pour composer avec cette réalité, l’organisme australien, Orygen, a élaboré des lignes directrices pour que les jeunes puissent clavarder en toute sécurité (#ChatSafe), mais cet outil peut servir à tout le monde, peu importe l’âge.
Le guide des médias, En-tête : Reportage et santé mentale s’adresse aux journalistes, mais il est utile à toute personne qui écrit sur le suicide ou sur d’autres sujets sensibles. Les recommandations suivantes sont essentielles pour favoriser la rédaction de reportages sûrs et responsables :
- respecter la vie privée et le deuil des proches;
- inclure les numéros de lignes d’écoute locales vers lesquelles les lecteurs peuvent se tourner pour obtenir du soutien;
- présenter le suicide comme quelque chose qui est évitable.
En outre, les journalistes sont invités à ne pas donner une vision romantique du suicide et à ne pas le présenter comme une solution à des problèmes de la personne, de ne pas détailler la méthode utilisée et de ne pas publier de notes de suicide.
Depuis longtemps, les stratégies nationales de prévention du suicide insistent sur le fait que la couverture médiatique doit être sûre et responsable. Cette recommandation figure en bonne place dans les lignes directrices sur la prévention du suicide des Nations Unies; dans le plan directeur de l’Association canadienne pour la prévention du suicide et dans le rapport sur la prévention du suicide de l’OMS. Pourtant, les films et les émissions de télévision présentent souvent le suicide sous un angle problématique. On peut saisir ces occasions pour engager la conversation et recadrer la question.
Lutter contre la stigmatisation et les idées fausses
L’un des principaux aspects du Mois de la sensibilisation au suicide consiste à lutter contre la stigmatisation et les idées fausses qui entourent la santé mentale et le suicide. Depuis de nombreuses années, la CSMC insiste sur le fait que la stigmatisation nuit aux personnes éprouvant des difficultés sur le plan de la santé mentale. La stigmatisation peut les dissuader de chercher de l’aide, ce qui peut exacerber leurs difficultés et potentiellement avoir des issues tragiques.
En encourageant la compréhension et l’empathie, nous pouvons créer un environnement dans lequel les personnes se sentent en sécurité et à l’aise de parler de leurs problèmes de santé mentale. Dans cet esprit, il faut reconnaître que le fait de demander de l’aide est un signe de force – et non de faiblesse – et que la santé mentale est tout aussi importante que la santé physique.
Moira Farr a écrit After Daniel : A Suicide Survivor’s Tale (Le récit d’une survivante du suicide), qui traite du décès de son partenaire. Journaliste et formatrice, elle effectue des recherches et écrit sur divers sujets pour des publications nationales et internationales, dont Le Vecteur. Elle a remarqué un changement de discours depuis la publication de son livre, en 1999.
« Je dirais que depuis 20 ans, les gens parlent plus ouvertement des problèmes de santé mentale, y compris du suicide, explique-t-elle. Les campagnes de sensibilisation sur les moyens et les endroits où obtenir de l’aide et à amener les gens à parler plus honnêtement de leurs propres problèmes de santé mentale me semblent avoir été une force positive », ajoute-t-elle.
« J’imagine qu’il est difficile de déterminer si cela a permis de réduire le taux global de suicide au Canada. Il peut encore être difficile de trouver les ressources en santé mentale dont on a besoin. Étant donné une plus grande prise de conscience à cet égard, la demande de soins de santé mentale a augmenté, et il n’y en a pas nécessairement assez pour tout le monde. »
Temps d’attente
Il est important de disposer de soutiens en santé mentale pour intervenir en cas de suicide. Cependant, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, il faut compter en moyenne 22 jours à l’échelle nationale avant de pouvoir pour obtenir des services de psychothérapie au sein de la communauté.
Pourtant, les stratégies provinciales visant à réduire les temps d’attente sont prometteuses. L’Île-du-Prince-Édouard insiste sur la nécessité d’augmenter les points d’accès aux soins, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des hôpitaux. Face aux longs délais d’attente pour se prévaloir de services de santé mentale dans la province, l’Île-du-Prince-Édouard a commencé à s’inspirer de sa voisine, Terre-Neuve-et-Labrador, qui a récemment réduit de 67 % les délais d’attente dans ce domaine. L’Île-du-Prince-Édouard suit maintenant le mouvement en mettant également en œuvre le modèle de soins par paliers 2.0, qui permet de fournir des services plus rapides et plus holistiques grâce à une série de méthodes comme la télésanté, les services en ligne et les cliniques sans rendez-vous.
Le modèle de soins par paliers 2.0 s’articule autour de neuf étapes, dont le soutien informationnel, les soins autogérés, les soins actifs, la navigation dans les systèmes, la gestion de cas et la défense des droits. Pour mettre en œuvre le modèle, les organismes de services choisissent des stratégies en fonction des besoins et des préférences de chaque client (p. ex., les interventions de cybersanté mentale, l’autoassistance, le soutien par les pairs, la thérapie en personne) qui s’harmonisent avec cette structure et le nombre d’étapes qui convient pour chaque collectivité.
Ligne d’écoute à trois chiffres
Un autre soutien important — le numéro d’appel d’urgence 988 pour la prévention du suicide et la résolution de crises en santé mentale — sera mis en place en novembre. Les personnes ayant besoin d’un soutien psychologique immédiat pourront composer le 988 ou envoyer un texto à ce numéro pour être dirigées vers un service d’aide gratuit de prévention du suicide ou de crise en santé mentale.
Cette idée fait l’objet d’une étude sérieuse depuis plusieurs années au Canada, et reçoit un soutien enthousiaste d’experts en prévention du suicide, de professionnels de la santé mentale et des représentants politiques de tous les ordres de gouvernement. Au cours des dernières années, d’autres pays comme les Pays-Bas et les États-Unis ont également mis en place un numéro à trois chiffres pour la prévention du suicide.
Les voies vers l’avenir
Par ailleurs, en juin, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié un rapport intitulé Se laisser guider par les résultats : repenser le Cadre fédéral de prévention du suicide, dans lequel il formule une série de recommandations, dont les suivantes :
- reconnaître l’impact de la consommation de substances sur la prévention du suicide au Canada et financer la recherche sur les interventions;
- créer une base de données nationale permettant de mieux recueillir les données nationales sur le suicide, les tentatives de suicide et les mesures de prévention efficaces;
- remplacer les axes d’« espoir » et de « résilience » mentionnés dans le Cadre fédéral de prévention du suicide par ceux de « sens » et de « connectivité ».
Ce changement de termes fait écho à d’autres perspectives. Par exemple, dans de nombreuses communautés autochtones, des termes comme « promotion de la vie » ou « mieux-être » sont souvent utilisés pour aborder le sujet de la prévention du suicide. Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations — mis au point par la fondation Thunderbird Partnership, avec des partenaires autochtones et non autochtones (y compris Santé Canada) — souligne que l’espoir, le sens, le sentiment d’appartenance et le fait d’avoir un but sont le socle de nombreux modes de connaissance autochtones. Comme l’explique le Cadre, si ces quatre aspects sont en harmonie dans la vie quotidienne d’une personne, elle éprouve un sentiment de plénitude qui la protège et agit comme un amortisseur contre les risques pour la santé mentale et les comportements suicidaires potentiels.
L’importance de la communauté et du soutien
Pendant le Mois de la sensibilisation au suicide, les communautés de tout le Canada se rassemblent pour offrir un soutien et des ressources aux personnes touchées par le suicide. Ces efforts comprennent des campagnes de sensibilisation, des événements éducatifs et des initiatives visant à réduire la stigmatisation et à favoriser les réseaux de soutien en matière de santé mentale.
Les ressources de la CSMC soulignent l’importance de bâtir une communauté forte et solidaire pour contribuer à la prévention du suicide. En travaillant ensemble et en favorisant les liens, nous pouvons créer un environnement dans lequel les personnes en crise se sentent valorisées et comprises. Le Mois de la sensibilisation au suicide au Canada nous rappelle que nous pouvons tous jouer un rôle en matière de prévention du suicide.
Espace Mieux-être Canada – soutien en cas de crise : Si vous vivez de la détresse, à n’importe quel moment, vous pouvez texter MIEUX au 741741. S’il s’agit d’une urgence, composez le 911 ou rendez-vous à votre service des urgences local.
Aide : Les personnes en détresse mentale au Canada peuvent obtenir de l’aide par l’intermédiaire de Parlons Suicide Canada en composant le numéro sans frais 1-833-456-4566.
Cours : Premiers soins en santé mentale porte sur la manière d’aider une personne aux prises avec un problème de santé mentale, qui traverse une crise de santé mentale ou dont l’état de santé mentale s’aggrave.
Ressource : Prévention du suicide (Commission de la santé mentale du Canada).
Lectures suggérées : Un numéro de téléphone à trois chiffres facile que nous mémoriserons toutes et tous bientôt.
Fateema Sayani
Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.
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Dans son nouveau livre, l’autrice Jennifer Mullan jette un regard critique sur les soins de santé.
L’accès aux soins est parsemé de beaucoup trop d’embûches, ce qui donne lieu à « un système de bien-être vétuste, exempt de bien-être. » Ce sont les mots de Jennifer Mullan, psychologue clinique établie au New Jersey et autrice du livre Decolonizing Therapy: Oppression, Historical Trauma, and Politicizing Your Practice, qui paraîtra prochainement.
Selon Mullan, bien des gens se perdent dans un parcours d’obstacles lorsqu’ils cherchent à obtenir des soins, une expérience qui reflète ce qu’elle a baptisé le Complexe industriel de la maladie mentale. En réaction à ce constat, elle s’est jointe à un « mouvement grandissant de praticiens qui désapprennent les méthodes coloniales de la psychologie », cherchant ni plus ni moins à refondre et à restructurer le système.
Les dix chapitres du bouquin regorgent d’observations cinglantes et de réflexions critiques, sous des titres comme « Entre lobotomie et libération », « L’esclavage du diagnostic » et « Travail émotionnel-décolonial ». Tout au long des 400 pages que contient le livre, l’autrice explore un vaste éventail de problèmes plombant le système de santé mentale aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Ces systèmes fonctionnent comme des portes tournantes, en traitant de nombreux clients, sans toutefois ne jamais s’attaquer à la racine de la douleur individuelle. Elle est convaincue que cette défaillance explique en partie les actes de violence qui font rage de plus en plus souvent aux É.-U., comme les fusillades dans les écoles, les taux de dépression en hausse et l’augmentation des problèmes de santé mentale.
Pendant une grande partie de sa carrière, Mullan a travaillé en thérapie avec des enfants et des adultes ayant des antécédents de violence domestique, de mésusage de substances, de maltraitance durant l’enfance, de pauvreté et de problèmes liés à l’identité de genre. Au fil des ans, ces rencontres ont fini par miner son optimisme et alimenter sa frustration.
Taire le passé
Si Mullan décortique plusieurs facteurs faisant obstacle à des traitements efficaces, elle réserve toutefois ses critiques les plus acerbes au défaut du système de reconnaître les traumatismes intergénérationnels, qui sont – elle est en convaincue – la cause profonde de bien des problèmes de santé mentale.
C’est pourquoi elle présente son livre comme « un APPEL à l’ACTION lancé aux professionnels de la santé mentale, aidants et travailleurs du bien-être. Si nous souhaitons “traiter”, guérir et informer une personne, un groupe, une organisation, demande-t-elle, n’est-il pas essentiel de tenir compte également de l’historique, du vécu et des traumatismes culturels? »
Le traumatisme intergénérationnel n’est pas un concept nouveau. Il a gagné en crédibilité lorsque des chercheurs se sont intéressés aux effets de l’Holocauste perpétré en Allemagne nazie. Aujourd’hui, un corpus croissant de recherches canadiennes fait le rapprochement entre ces traumatismes et les abus subis dans les pensionnats autochtones. Une vidéo de Historica Canada décrit les expériences vécues en ces termes : « Pour bien des [survivants des pensionnats], les traumatismes psychologiques, physiques et sexuels vécus ne se sont pas estompés. Les enfants et les petits-enfants des survivants ont reçu ces blessures en héritage. Elles ont persisté, se sont manifestées sous forme de dépression, d’anxiété, de violence familiale, de pensées suicidaires et de la consommation de substances. » Une étude de l’Office for Institutional Equity de l’Université Duke illustre comment les traumatismes peuvent traverser les générations : « Il peut être très difficile pour un parent ou un grand-parent qui n’a jamais vraiment fouillé ses propres traumatismes ou guéri de ceux-ci d’offrir du soutien émotionnel à un membre de sa famille qui vit ses propres traumatismes. »
Jennifer Mullan explore ces thèmes en profondeur dans Decolonizing Therapy, où elle revient sur l’esclavage, les camps d’internement, les dictatures et les pensionnats, tout en soutenant que le défaut de se pencher sur ces pans de l’histoire condamne les générations futures à un cycle de souffrance perpétuel. La thérapie qu’elle prescrit ne se limite donc pas à l’étude de l’historique familial de la personne, mais englobe sa culture, ses traditions, ses rituels, ses croyances et ses pratiques religieuses. Lorsque ses traumatismes enfouis sont mis au jour, le patient est en mesure de recevoir des traitements plus ciblés.
Malheureusement, bien des thérapeutes n’ont appris aucune notion sur les traumatismes intergénérationnels et sont même mis en garde contre toute évocation du passé.
« Dans leur formation, déplore-t-elle, bien des thérapeutes et travailleurs sociaux ont appris à toujours rester neutres, à n’exprimer aucune opinion et à ne rien montrer dans leur bureau qui soit politique ou provocant. On ne parle pas de l’histoire des Noirs. On ne parle pas d’esclavage. On ne parle pas de racisme. »
Attendre et vouloir
Les séances de counseling se résument habituellement à de brèves conversations laissant peu de temps pour approfondir les sujets. Pour insister sur ce point, Mullan cite en exemple un collègue œuvrant dans une clinique communautaire où il reçoit plus de 90 clients par deux semaines. Et dans son ancien poste de psychologue à l’emploi d’une université, la liste d’attente pour le counseling s’est maintenue à près de 100 étudiants pendant six mois sans interruption. « Les ressources ont été distribuées de façon inadéquate, voire criminelle », soutient-elle. Cela fait en sorte que dans bien des établissements, « les fonds doivent être réorientés ».
La question de l’écrasante charge de travail s’ajoute à ces difficultés en causant des problèmes de santé mentale et physique aux thérapeutes eux-mêmes. Le livre décrit en détail les conditions abominables que vivent certains thérapeutes, qui doivent occuper un deuxième emploi pour subvenir à leurs besoins fondamentaux, rembourser leur prêt étudiant, composer avec d’intenses traumatismes indirects en raison des charges qu’ils aident leurs clients à porter, se surcharger en gérant jusqu’à 80 cas par mois, passer d’un emploi à l’autre, vivre de l’épuisement professionnel, faire constamment l’objet de microagressions, de préjugés, de discrimination.
Un thérapeute cité dans le livre décrit les suites de la crise cardiaque qu’il a vécue dans son bureau. « Ce n’était pas de la faute du client. Je considérais que c’était de ma faute. J’ai alors changé mon alimentation et commencé à faire plus d’exercice. Je suis retourné au travail, mais j’avais des crises de panique entre mes clients. Mon supérieur m’a dit : “Tu dois te reposer davantage. Est-ce que tu dors bien? Est-ce que tu consultes toi aussi un thérapeute?” Les autosoins ne vont pas guérir mon cœur, mon anxiété et mon système nerveux. »
Changer de vitesse
Il y a quelques années, Mullan a décidé d’arrêter d’accepter des patients pour plutôt se concentrer à réformer le système au moyen de conférences et de son livre, qui propose aussi des idées pour une réforme plus profonde.
Bien que ses opinions tirent leur origine des États-Unis, ses appels à l’action pourraient résonner dans de nombreux pays. Ici au Canada, des initiatives comme le Modèle de soins par paliers 2.0, qui sont déjà en place à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Nouvelle-Écosse et ailleurs, ont radicalement réduit les temps d’attente pour des services de santé mentale. De plus, davantage d’organisations reconnaissent aujourd’hui les moyens de guérison autochtones comme des formes de thérapie éclairées et culturellement pertinentes. Aussi, un récent programme de la Commission de la santé mentale du Canada et du Centre de toxicomanie et de santé mentale propose une thérapie cognitivo-comportementale adaptée à la culture des communautés sud-asiatiques.
Comme de nombreuses publications traitant de santé mentale, Decolonizing Therapy contient des exercices, des questions de révision et des références détaillées. Ce qui fait sortir l’ouvrage du lot est son ton fougueux, passionné et provocateur, conjugué à la personnalité de Mullan, toujours en filigrane. « Je tiens le Complexe industriel de la maladie mentale pour responsable et, de concert avec vous cher lecteur, je réclame du changement », écrit-elle.
Ses opinions sont vues comme controversées dans certains cercles, et certains de ses collègues n’appuient pas son activisme. Un ancien professeur pour lequel elle a beaucoup de respect lui a déjà déconseillé de mêler la politique à la psychologie. Mais Mullan voit les choses autrement. En fait, en braquant les projecteurs sur des sujets difficiles, son livre est spécialement conçu pour changer ce discours.
Ressource : Fiche d’information :Idées reçues et mythes courants sur la santé mentale
Autres lectures : La TCC pour vous et moi : Une série d’outils de thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée, conçue pour faire tomber les barrières.
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Quand une taille unique ne convient pas à tous. Un regard sur l’approche de Waypoint en matière de psychothérapie structurée.
Sur les rives de la baie Georgienne, à Penetanguishene, un hôpital spécialisé dans les soins de santé mentale mène actuellement un travail particulièrement innovant. Outre ses 301 lits, le Centre de soins de santé mentale Waypoint abrite le seul programme de santé mentale médico-légale hautement sécurisé de l’Ontario pour les patients pris en charge par les systèmes de santé mentale et de justice. La gamme de services couvre les services de soins aigus de psychiatrie ainsi que ceux à plus long terme pour les patients hospitalisés et les patients en consultation externe de la région. Dernièrement, la prestation du programme de psychothérapie structurée de l’Ontario (PSO) a été reconnue pour son incidence majeure.
En juin, j’ai eu l’honneur de remettre à ce groupe, composé de Jessica Ariss, responsable du programme Waypoint, et de Jeannie Borg, directrice de l’innovation des systèmes au Centre Waypoint, le prix d’excellence 2023 pour l’amélioration de la qualité dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, décerné par le Collège canadien des leaders en santé (CCLS). J’ai interrogé l’équipe sur son approche de l’amélioration des résultats en matière de santé mentale.
Des soins transformateurs
La PSO offre un traitement financé par l’État aux personnes souffrant de dépression, d’anxiété et de troubles liés à l’anxiété en leur donnant accès à une thérapie cognitivo-comportementale (ou TCC) à court terme et fondée sur des données probantes, une forme de soins qui aide les personnes à examiner comment elles donnent un sens à ce qui se passe autour d’elles et comment ces perceptions influencent la façon dont elles se sentent.
Waypoint propose la TCC dans le cadre de partenariats établis avec plus de 20 organisations. Cela signifie que les personnes peuvent accéder aux soins dans leur communauté plutôt que de devoir se rendre dans un point central. Grâce à ce modèle, la thérapie est proposée gratuitement aux clients. Bien qu’il s’agisse d’un traitement très efficace qui améliore les symptômes et réduit la probabilité que les problèmes de santé mentale deviennent pressants, Waypoint est loin d’être le seul organisme à proposer la TCC.
Qu’est-ce qui rend son programme différent et digne d’obtenir un prix?
Une attention aux lacunes
Waypoint a remporté le prix en raison de sa ténacité à combler les lacunes en matière de soins. L’organisme s’est efforcé d’améliorer l’accès à la TCC pour les populations prioritaires, notamment les Autochtones, les francophones et les personnes 2SLGBTQI+, ce qui a permis d’augmenter le nombre d’aiguillages vers les programmes de l’organisme. Dans un cas, Waypoint a utilisé ses canaux de communication pour promouvoir en ligne les services destinés aux communautés prioritaires et suivre le processus des clics jusqu’aux aiguillages. Cette partie du projet a adopté une approche globale couvrant la formation, les stratégies de communication et la modification des services. Ces modifications ont été décidées par des cercles consultatifs composés de patients et d’autres personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent au sein de diverses communautés.

Les membres du programme PSO et du Cercle de santé autochtone, qui ont travaillé ensemble à l’adaptation et à l’amélioration des services pour les clients autochtones : (de gauche à droite) Charity Fleming, David Thériault, Jessica Ariss, Germaine Elliott, Leah Lalonde, Melissa Petlichkov et Melissa Moreau.
Pour les populations autochtones, l’équipe de Waypoint a travaillé avec le Indigenous Health Circle B’Saanibamaadsiwin et le Barrie Area Native Advisory Circle pour développer des protocoles cliniques et à des plans de soins intégrés pour les services de TCC. Ces protocoles s’appuient sur les commentaires des clients, les résultats de la recherche et un cours de formation (offert par l’Université Wilfrid Laurier) intitulé Sacred Circle CBT – Mikwendaagwad, un mot Anishinaabemowin/ojibwé signifiant « On s’en souvient, on y pense ». Les voies de services aux Autochtones – appelées Minookmii ou « pistes sacrées sur la terre » – utilisent un processus adapté d’évaluation des admissions mené par un clinicien autochtone et des services qui incluent des guérisseurs spirituels. Ces pratiques autochtones de promotion de la santé garantissent que les perspectives et les besoins des populations prioritaires sont au cœur des processus de développement et d’évaluation des services de Waypoint.
Données et attitude
L’organisme suit ces processus à l’aide d’un système de tableau de bord qui prend en compte des mesures quantitatives et qualitatives. La rétroaction qualitative est intégrée aux examens cliniques dans le cadre d’une boucle d’amélioration continue. Mais Waypoint ne laisse jamais son engagement envers les tableaux de bord et les données entraver la touche personnelle. Le centre a su trouver l’équilibre entre l’analyse et l’empathie, en veillant à ce que les éléments humains et les modèles se complètent pour donner des soins significatifs.
Par exemple, un clinicien rencontrera un client pour déterminer le service qui répond le mieux à ses besoins. Qu’il s’agisse d’une suerie, d’une purification, d’un contact avec un aîné ou d’une autre approche autochtone des soins – ou d’autre chose comme la bibliothérapie assistée par un clinicien – c’est une prise en charge significative, participative et engagée. Comme l’a dit un participant : « Dès les premières minutes de notre rencontre, la thérapeute avec laquelle j’ai été jumelé a créé un espace où l’on se sentait en sécurité pour partager. Sa gentillesse, ses connaissances et son attitude chaleureuse m’ont encouragé à parler plus honnêtement et plus ouvertement de mon anxiété que je ne l’avais jamais fait auparavant. Elle a transmis des renseignements, des statistiques, des études, des données non scientifiques et des exemples qui m’ont aidé à voir mon anxiété liée à la santé sous un angle différent – et aussi à me sentir moins seul dans mes luttes ».
Ce sont ces différences qui distinguent le programme, ce que Heather Bullock, vice-présidente des partenariats et responsable de la stratégie de Waypoint, considère comme remarquable.
« Le programme est fidèle à sa vision », souligne-t-elle. En d’autres termes, ce ne sont pas que des éléments qu’il est bon d’avoir, mais plutôt des processus intégrés. « Il n’y a pas d’écart entre la vision et la réalité », dit-elle en mentionnant leur travail avec les collèges, les cliniques et les différents environnements culturels. « Nous avons réussi à rassembler les communautés et les différents types de fournisseurs autour d’un objectif commun. Nous construisons quelque chose de la manière dont nous voulons qu’il soit construit; c’est quelque chose qui s’harmonise non pas avec ce dont nous aurons besoin dans le futur, mais avec ce dont nous avons besoin aujourd’hui ».
Ressource : Webinaire sur la cybersanté mentale et les partenariats autochtones dans la prévention du suicide. Comment Jeunesse, J’écoute se sert des services de cybersanté mentale pour éliminer les obstacles à l’accès et fait usage des données pour étayer ses efforts de prévention du suicide.
Pour en savoir plus : Le Vecteur : Conversations sur la santé mentale. La TCC pour vous et pour moi.