Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons-nous endiguer ce phénomène? Un regard sur le vieillissement inclusif à l’occasion de la Semaine de sensibilisation à la solitude

« Pourquoi, se demandait-elle, était-il si difficile de croire que les vieux avaient été jeunes, avec la force et la beauté animale de la jeunesse, qu’ils avaient aimé, été aimés, ri et été pleins de l’optimisme non prémédité de la jeunesse? » – PD James

L’hiver dernier, mes voisins ont trouvé l’une de nos résidentes âgées en train d’errer dans le couloir de la buanderie de notre immeuble. Elle semblait perdue et désorientée.

Nous avons fini par appeler une ambulance, car, de toute évidence, elle n’allait pas bien. Elle vivait en face de chez moi, mais je ne la connaissais pas vraiment. Ce jour-là, après une brève évaluation par téléphone, le répartiteur nous a dit qu’il faudrait attendre quatre heures. Comme il n’y avait rien à manger dans son réfrigérateur, certains d’entre nous ont apporté des en-cas et lui ont préparé quelques tasses de thé en attendant l’ambulance autour de la table de cuisine. Quand elle nous a dit qu’elle avait 91 ans et qu’elle vivait seule, nous lui avons demandé qui nous pourrions appeler. Ce n’est qu’après quelques heures de conversation qu’elle nous a dit qu’elle n’avait ni enfant, ni frère ou sœur.  Elle avait un neveu, mais qui vivait à des centaines de kilomètres et qui a été surpris lorsque nous l’avons appelé, disant qu’il n’avait pas parlé à sa tante depuis des années.

Les événements de ce jour de janvier ont marqué un tournant dans la vie de ma voisine, mais aussi dans la mienne. Elle n’est pas rentrée chez elle depuis son admission à l’hôpital. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue et je ne le saurai jamais, car je ne fais pas partie de sa famille. Pourtant, plus tard dans la soirée, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si l’avenir me réservait le même sort.

Deuils et vieillissement
Quand on vieillit, on risque de faire face à une série de deuils : on peut perdre des proches, des réseaux sociaux, le bien-être physique, la sécurité financière, la motivation, le sentiment d’appartenance à un monde plus vaste et même le sens de son identité personnelle. Ce sont des pertes importantes qui « remettent profondément en question notre appartenance au monde qui nous entoure », explique Sam Carr, Ph. D., chercheur principal du « Projet solitude » (The Loneliness Project), une étude qualitative qui explore en profondeur l’expérience de la solitude chez les personnes âgées. Nombre de répondants ont expliqué aux chercheurs que le vieillissement présente des difficultés uniques liées à la solitude et l’isolement. La recherche, dont les résultats sont publiés dans Ageing and Society, a produit plus de 130 heures de conversations. Le témoignage de l’une des participantes ayant perdu son conjoint montre l’ampleur de ces deuils : « Quand il est parti, j’étais perdue. Je ne savais plus qui j’étais, car je n’étais pas [bouleversée]. J’existais, c’est tout. J’allais faire des courses quand j’avais besoin de nourriture. Je ne voulais voir personne. Je n’allais nulle part. »

Dans le cadre d’une étude sur la perte de liens significatifs chez les personnes âgées, des chercheurs de l’Université de Malmö, en Suède, ont conclu que la solitude profonde vécue à un âge avancé peut être considérée comme « un processus où la personne se détache de la vie ». Le corps participe aussi à cette expérience dans la mesure où la personne âgée est de plus en plus limitée dans ses mouvements. Petit à petit, elle fait le deuil de ses relations à long terme, puis elle se replie de plus en plus sur elle-même et se détourne du monde extérieur.

Vieillir sans le soutien de proches
Au Canada, le nombre de personnes qui vieillissent sans soutien va également en augmentant. Ces adultes d’âge mûr n’ont pas de proches parents, donc, pas de conjointe ou de conjoint et pas d’enfants (ou alors les enfants vivent loin). D’autres ont une famille, mais sont tout de même isolés. Même si la majorité de ces personnes veulent vieillir chez elles, elles sont parfois obligées d’intégrer des centres de soins de longue durée. Le Canada affiche déjà l’un des taux les plus élevés au monde de personnes sans famille. Comment s’y prendra-t-il pour soutenir ces personnes et s’occuper d’elles?

Au Royaume-Uni, la question est liée à un thème plus vaste : la solitude, une menace croissante pour la santé. En 2018, la première ministre Theresa May l’a qualifiée de « l’un des plus grands problèmes de santé publique de notre époque » lorsqu’elle a créé le « premier ministère au monde » chargé de lutter contre la solitude. Début 2021, le premier ministre du Japon, Yoshihide Suga, lui a emboîté le pas et a créé le poste de ministre de la Solitude au sein de son cabinet. Le premier titulaire de ce poste, Tetsushi Sakamoto, a été chargé de prévenir et de réduire la solitude généralisée, l’isolement social et le suicide, qui allaient en augmentant dans le contexte des restrictions liées à la COVID-19.

Ces mesures s’appuient sur des données probantes démontrant les risques que pose la solitude pour la santé et la santé mentale. Selon Keith Dobson, Ph. D., professeur de psychologie clinique à l’Université de Calgary, « la recherche a toujours montré qu’à tous les âges, un faible soutien social ou un isolement social accru est l’un des principaux facteurs de risque de dépression ». Aux États-Unis, le National Institute on Aging associe la solitude et l’isolement à un « mauvais état de santé avec le vieillissement », notamment à des taux plus élevés de mortalité, de dépression et de déclin cognitif.

L’isolement dont souffrent un grand nombre de personnes s’accompagne aussi d’un fardeau économique. Aux États-Unis, depuis des décennies, le nombre de personnes seules a atteint un point tel que dans la population active, « plus de deux adultes sur trois déclarent vivre dans la solitude » – ce qui est à l’origine de problèmes de santé, de baisses de productivité et d’une rotation du personnel qui coûtent quelque 154 milliards de dollars par année aux employeurs. En Angleterre, 45 % des adultes souffrent d’un certain degré de solitude, ce qui coûte aux employeurs britanniques environ 2,5 milliards de livres sterling (4,2 milliards de dollars canadiens) par année, selon un rapport de la New Economics Foundation publié en 2017. Ces données brossent un tableau désastreux, surtout si l’on considère qu’elles proviennent en grande partie de recherches menées avant la pandémie.

Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne
Comme on peut s’y attendre, tout le monde ne vit pas les contrecoups de la solitude et de l’isolement de la même façon. Les organismes caritatifs qui soutiennent les personnes âgées sont les premiers à constater que certaines personnes sont plus touchées par une accumulation de difficultés existentielles. Selon Gregor Sneddon, directeur général de l’organisme basé à Ottawa Aide aux aînés Canada, nous savons que « lorsque les personnes vieillissent et vivent des déficiences physiques et cognitives, elles fréquentent moins le monde et les gens, et elles souffrent des séquelles de l’isolement. Ajoutez à cela une pandémie mondiale qui a forcé les gens à se cloîtrer chez eux, les a empêchés de participer à la vie communautaire et de cultiver un sentiment d’appartenance, les a coupés de leur famille et de leurs amis… et vous obtiendrez un résultat assez médiocre en matière de santé. » Mais la situation est sans aucun doute bien « pire pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent […]    Ceux qui n’ont aucun choix sont les plus exposés à la solitude, qui, nous le savons, peut être fatale. »

Le Canada a-t-il besoin d’un ministre de la Solitude?
Bill VanGorder, responsable par intérim des politiques de l’Association canadienne des individus retraités (CARP), sait que « la solitude et l’isolement ne touchent pas seulement les personnes que l’on peut considérer comme âgées ». Mais il est tout à fait favorable à la création d’un poste de ministre de la Solitude au Canada « si c’est ce qu’il faut pour remédier aux effets de la solitude et de l’isolement sur les Canadiens. Un ministre veillerait à ce que des programmes soient mis en place pour atténuer ces problèmes, d’autres secteurs du gouvernement lui rendraient des comptes et peut-être, enfin, pourrions-nous changer la façon dont nous nous occupons des personnes âgées au Canada ». Dans des sociétés comme la nôtre, qui prônent l’indépendance et l’individualisme, nous avons tendance à laisser les gens régler et gérer leurs propres problèmes. Mais si vous êtes malade, isolé et sans soutien, c’est beaucoup plus difficile à faire.

Le gouvernement britannique aborde cette question de manière intégrée et reconnaît qu’il reste beaucoup à faire et que chacun doit jouer un rôle. Pour mettre en place un réseau de soutien, il faut pouvoir compter sur le gouvernement ainsi que sur les amis, la famille, les employeurs, les secteurs bénévole et communautaire, les autorités régionales et les organismes de santé publique. Mais ce n’est qu’un début. La stratégie britannique de lutte contre la solitude est guidée par un cadre visant à améliorer et à relier les services sociaux, à réinventer les espaces communautaires, le transport, le logement, la technologie, les approches holistiques de la santé et les campagnes de santé publique visant à sensibiliser et à réduire la stigmatisation liée à la solitude. La campagne lancée en 2019 par le gouvernement, Let’s Talk Loneliness (Parlons de la solitude), en est un exemple : elle souligne l’importance de parler de la solitude tout en dénonçant la stigmatisation qui l’entoure.

La prescription sociale fait même partie du programme; c’est-à-dire que des coordonnateurs communautaires, des conseillers en santé et bien-être et des navigateurs communautaires répondent aux besoins non cliniques (y compris ceux des personnes qui se sentent seules) en mettant les gens en contact avec des groupes et des services communautaires leur procurant un soutien pratique et émotionnel.

L’approche intégrée adoptée par le Royaume-Uni n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation, mais elle repose sur des principes qui relèvent du bon sens et qui semblent bien plus solides que les soutiens fragmentés et décousus que l’on connaît au Canada. Bien qu’il existe chez nous aussi des ressources et des programmes, ils peuvent être difficiles à trouver, surtout si une personne est isolée et n’a pas accès à Internet. Et pourtant, le principe ne pourrait être plus simple : la société a tout à gagner quand elle veille au bien-être des personnes âgées et de leurs familles. Cela vaut également pour les personnes qui vivent avec une maladie chronique ou un handicap. Une société véritablement inclusive profite à tous.

Quelle forme prendra le vieillissement inclusif et sain dans notre pays ? Est-ce que notre société reconnaîtra la valeur des personnes âgées ainsi que l’utilité et la dignité de tous, et mettra-t-elle de côté les préjugés et la discrimination fondée sur la capacité? Je nourris l’espoir d’une nouvelle vision  du vieillissement solidaire et inclusif, qui nous amènera à « créer des lieux de vie et des collectivités qui intègrent ces mécanismes de soutien ».

Ressources disponibles au Canada :

Auteure: est directrice, Marketing et communications à la Commission de la santé mentale du Canada. La santé mentale est l’une de ses passions.

Future directions for the inclusion of persons with disabilities

Disability is often thought of as an issue that affects a small subset of the population. However, the pandemic has broadened the scope of this definition – think of long-term COVID-19 symptoms – to include mental health issues that will affect most people at some point in their lives. In other words, disability – short-term or long-term – is likely to enter everyone’s life, whether personally or as a caregiver, and policies must reflect this reality. And while Canadian disability policy has come a long way in recent years, barriers continue to limit the inclusion of people with disabilities.

Normalizing Disability
As a person with disabilities, I require a variety of workplace accommodations to reduce my pain and function properly, such as flexible hours, an ergonomic workstation, voice dictation software, and the ability to telework.

I have hydrocephalus, cerebral palsy, and chronic pain, in addition to depression and anxiety, which further limit my ability to function. While my chronic pain is taking a toll on my mental health, I can’t afford the psychotherapy I need because disability-related costs, such as physiotherapy, are eating into my meager income. I have managed to cut back on some expenses since the pandemic began, but much of this is due to the fact that I have to isolate myself to avoid catching COVID-19, which would have devastating effects on my health (cerebral palsy makes it difficult to breathe). However, isolation also has a cost: it increases depression, anxiety, and loneliness. This is nothing new for people with disabilities or chronic illnesses, of course. Research has shown that those living with such disabilities have had the worst employment and health outcomes during the pandemic.

A Broad Spectrum to Foster Inclusion
I share my personal story today in the hopes of normalizing the conversation about accommodations and promoting a simplified approach. If we are to close policy gaps and guide future approaches to disability inclusion, we must give voice to people with lived experience. As experts in their own lives, people living with episodic or variable disabilities or invisible disabilities, for example, can share the challenges they face in their daily lives to inform policies on work, health care, and other systems. To ensure that policies reflect the needs of their intended audience, researchers recommend that people with disabilities be included in research and consulted as experts. This would help to break down barriers to social inclusion and openly address policy issues around employment and financial security.

Population ageing also raises new questions, particularly regarding the decline in functional capacity with age. Shouldn’t disability policies cover all people who face new or unexpected limitations in their daily lives?

In Canada’s most populous province, the Ontario Disability Support Program (ODSP) currently provides income, employment and drug benefits only to people with “a significant physical or mental impairment that is continuous or recurring and expected to last at least one year.” This narrow definition, which focuses on permanent disabilities and chronic conditions with no prospect of improvement, excludes episodic, temporary or variable disabilities like long-term COVID-19, including confusion, shortness of breath and other debilitating symptoms. While OHIP coverage has recently expanded, people with long-term COVID-19 have struggled to navigate the benefits system because their illness is considered invisible and difficult to diagnose.

Closing the Gaps
While social assistance programs are essential, benefits are allocated primarily on the basis of functional disabilities. In other words, the worse a person is, the more financial support they will be eligible for. However, the system also makes it difficult for people with disabilities to break the cycle of poverty and income assistance. To get off welfare, they must be able to work full-time (or at least enough to earn a living). However, most ODSP recipients are not able to work, and those who are often have to settle for low-paying jobs (which involve long days on a computer) that do not reflect their skills (such as call centre jobs).

Unfortunately, these types of systemic barriers to employment are all too common. In 2019, I applied to the federal government’s Student Disability Inventory, an employment program that provides students with valuable work experience in the public service. However, I was rejected because I was a part-time student (the program is only open to full-time students). I tried to explain that my disability required me to study part-time in an attempt to get accepted, but it didn’t work.

Another example is the Accessible Canada Act , passed in 2019, which aims to remove barriers in employment, the built environment, communication, information, service delivery and transportation. In many cases, workplace adjustments are minor – adapted hours, telework, ergonomic workstations – but cumbersome approval processes often cause frustrating delays.

Similarly, the federal government has implemented the Public Service Accessibility Strategy , which calls for hiring 5,000 people with disabilities by 2025. Candidates must provide medical proof during the selection process in order to receive assessment accommodations. This criterion seems reasonable, yet using a centralized service to document accommodations would reduce the cost of medical notes for people who often have low incomes (and do not necessarily have access to a family doctor).

Highlighting these barriers is part of the advocacy work for persons with disabilities. This work has also focused on Bill C-22, the Canada Disability Benefit Act , which proposes a monthly payment to reduce poverty among persons with disabilities. Within a year of coming into force (it is currently before the Senate), the Act will provide much-needed funding and hope for a brighter future for persons with disabilities. During this 12-month period, the Act will “provide opportunities for persons with disabilities from diverse backgrounds” to collaborate on the development of the regulations, application process, eligibility criteria and benefit amount. I hope that these consultations will result in a broader definition of disability and promote equitable access to appropriate services so that persons with disabilities can lead fulfilling working and civic lives.

Auteure : est travailleuse de soutien par les pairs au Centre de soutien pour les victimes d’agression sexuelle d’Ottawa. Passionnée de littérature, elle est diplômée du programme de traduction de l’Université d’Ottawa. Dans ses temps libres, elle s’adonne à la lecture, à la rédaction de critiques littéraires et au yoga.

Raconter son histoire – ses réussites, ses traumatismes, ses vérités et ses révoltes – peut être source de résilience ou de regrets. Trouver l’équilibre entre l’activisme et la protection de son propre bien-être psychologique.

Parler de sujets épineux comme la dynamique du pouvoir, le colonialisme et la suprématie blanche est le pain quotidien de tout éducateur antiraciste. Toutefois, il suffit aujourd’hui d’un gazouillis ou d’une prise de position publique pour être inondé de messages haineux et de menaces de mort, ce qui peut faire l’effet d’une douche froide.

« La montée de la suprématie blanche, de l’extrémisme de droite et de la violence est bien réelle, déclare Selam Debs, dont le travail d’éducation antiraciste porte surtout sur le démantèlement des systèmes discriminatoires et l’expression de la vérité face au pouvoir. Il est essentiel que nous le reconnaissions. »

Selam Debs a fermé la portion de son entreprise qui avait pignon sur rue à Kitchener après que sa famille a commencé à recevoir des menaces. Les médias locaux ont couvert l’affaire, mais ils se sont concentrés sur la question de la haine, occultant la substance des enseignements et du point de vue de Mme Debs. C’est ainsi que la parole de personnes comme elle est souvent passée sous silence (ce qui rend évidente la nécessité même d’avoir de telles discussions), mais à quel prix?

« Si vous procédez à une analyse coût-bénéfice de votre propre santé mentale par rapport au pouvoir de générer un changement, il n’y a pas de formule magique, déclare Jesse Wente, auteur anishinaabe, commentateur et victime de menaces de mort. Passez le progrès social au tamis, et une fois que toute la laideur en a été extraite, que reste-t-il? »

Selam Debs

Selam Debs

C’est une bonne question. En parcourant rapidement les derniers débordements sur Twitter, j’ai envie de pousser la métaphore : certains jours, on dirait que la laideur bloque les trous de la passoire et empêche la lumière de passer.

« Lorsque vous recevez des menaces personnelles et que vos notifications s’enflamment, vous faites le calcul, explique M. Wente. Vous mettez dans la balance la sécurité de votre famille vis-à-vis de ce que vous pouvez réellement changer. Si vous disposez d’une tribune pour faire évoluer les choses de manière positive, c’est un atout », ajoute-t-il, citant les vagues de soutien sur les médias sociaux qui ont conduit diverses équipes sportives à changer de nom au fil des ans.

Ces progrès sont sans aucun doute favorisés par des récits qui marquent les esprits. En plus de rester en mémoire et de nous aider à comprendre les expériences souvent vécues par les personnes racontant leurs problèmes de santé mentale, leurs témoignages sont aussi source de réflexions, de réconfort et de motivation. Leurs récits peuvent également réduire la stigmatisation dont elles font souvent l’objet. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la Commission de la santé mentale du Canada offre une tribune aux personnes ayant un savoir expérientiel passé ou présent, dans son magazine et son blogue. (Pour ceux qui se sentent prêts à se jeter à l’eau, commencez par lire nos conseils dans un article intitulé « Partagez votre récit de façon sécuritaire ».)

Bien entendu, la décision de partager une histoire personnelle peut entraîner des complications. S’il s’agit d’une histoire de famille, est-ce qu’elle vous appartient entièrement? Aura-t-elle des répercussions? Si oui, lesquelles? Une fois que quelque chose est publié sur Internet, impossible de revenir en arrière.

En 2006, Pete Earley, ancien journaliste au Washington Post, a consigné dans son livre Crazy : A Father’s Search Through America’s Mental Health Madness l’histoire de son fils, « Mike », aux prises avec la maladie mentale. À l’époque, l’anonymat relatif de ce livre lui semblait approprié. En 2022, « Mike » (aujourd’hui âgé de 43 ans) décide de modifier ce récit. Dans le documentaire de Ken Burns Hiding in Plain Sight : Youth Mental Illness, il choisit consciemment de s’approprier son histoire et de parler ouvertement de son vécu, ouvrant ainsi la voie à d’autres personnes confrontées à la stigmatisation. Ainsi, « Mike » commence par révéler son nom entier : Kevin Mike Earley. « Si nous partons du principe qu’il n’y a pas de honte à souffrir d’une maladie mentale, pourquoi me cacher derrière mon deuxième prénom? », lance-t-il dans un article du Washington Post consacré au film.

Changer le discours
« On a pris acte de l’histoire coloniale en déboulonnant des statues et en changeant le nom d’écoles », explique Mme Debs. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui consiste à soulever des questions difficiles pour générer des changements concrets. Si la dynamique du pouvoir et la question des privilèges sont maintenant débattues au grand jour, c’est bien, mais si aucun changement ne suit, ce ne sont que des paroles en l’air. Alors à quoi servirait de partager son histoire?

« Je pense qu’une transformation est en cours, mais qu’il reste encore beaucoup à faire », dit-elle. En d’autres termes, un changement graduel est déjà un changement. Toutefois, il faut se demander pourquoi certains choisissent de se taire.

« Nous comprenons pourquoi les Noirs, les Autochtones, les personnes racialisées, les homosexuels et les personnes en situation de handicap ne s’expriment pas, car cela aurait des conséquences : ils risquent de rester en bas de l’échelle, d’être ostracisés, d’être considérés comme agressifs, de subir des préjudices psychologiques et émotionnels, explique-t-elle. Je pense qu’il faut faire la différence entre ceux qui ne parlent pas alors qu’ils le devraient, et les autres. »

Ceux qui sont en position de pouvoir et qui bénéficient de privilèges non mérités doivent faire l’effort de prendre la parole, soutient-elle, tout en laissant de la place aux personnes noires, autochtones, racialisées, queers et handicapées pour qu’elles puissent être entendues en toute sécurité, être rémunérées pour leur travail et être autorisées à débattre.

Jesse Wente

Jesse Wente

« Je me souviens d’une époque où, si l’on parlait de microagressions, on était considéré comme extrémiste, mais il existe maintenant une monnaie sociale au sein des organisations pour effectuer ce travail. Je pense que certains le font parce que c’est “la chose à faire”, tandis que d’autres se rendent compte du capital associé aux termes diversité, inclusion et équité, dit-elle. Je constate que l’on ne parle plus du racisme, de la violence et de la haine de la même façon. Avant, on en parlait avec une certaine passivité. Maintenant, pour mieux les éliminer, on cherche à comprendre comment ils se manifestent dans les espaces que nous occupons. Le point de vue a changé, et ça, c’est du progrès.

Si on change le langage qu’on utilise, on peut certainement faire évoluer le discours. Par exemple, au lieu de chercher – pétris de bonnes intentions – comment aider les pauvres et les exclus à avoir accès à un plus grand nombre de possibilités, nous pourrions nous demander qui perpétue le problème et que faire pour apporter des changements profonds et systémiques. »

Pour M. Wente, le support de communication a aussi un rôle à jouer. Il entretient une relation ambivalente avec les médias sociaux. « Récemment, j’ai recommencé à les fréquenter et je ne peux pas dire que j’ai aimé l’expérience. Les échecs de la modération du contenu sont plus évidents aujourd’hui, explique-t-il, ajoutant que moins il passe de temps en ligne, mieux se porte sa santé mentale. Cela ne signifie pas que je renonce à parler pour faire avancer les choses. J’ai juste choisi un autre endroit pour m’exprimer. »

C’est en partie pour cette raison qu’il a écrit Unreconciled: Family, Truth, and Indigenous Resistance. Il souhaite délaisser la guerre des gazouillis pour plutôt se raconter dans des contextes favorisant une expression plus nuancée, par exemple des tables rondes, allocutions, etc. « C’est mon travail quotidien : faire évoluer les esprits et les choses, explique-t-il. Pour moi, c’est très sérieux, et ça ne peut donner des résultats que si on traite avec des personnes tout aussi sérieuses. J’ai compris que l’on ne peut absolument pas faire preuve de sérieux sur certaines plateformes de médias sociaux. Je veux voir des gens dans un contexte où on peut engager une véritable conversation. »

Wente cite des mouvements en ligne et hors ligne, comme Idle No More, qui ont eu des retombées concrètes. Cependant, bien des choses ont changé depuis cette époque plus innocente sur le plan numérique : les photos de chatons ont cédé la place à des menaces de mort quotidiennes. Les menaces de mort qu’il a reçues en ligne et sur son téléphone personnel lui ont fait prendre conscience que l’action en faveur du changement l’exposait désormais à ce genre de choses. « La sensibilisation, la recherche d’équilibre et le risque ont toujours fait partie des mouvements pour la justice sociale, explique-t-il. Les menaces font partie de l’espace virtuel et réel, ce qui signifie que les gens qui changent réellement les choses doivent composer avec ça. »

La violence est de plus en plus évidente et apparemment acceptable. On dirait qu’elle est normalisée, ce qui est le reflet d’un climat gravement dégradé.

« En tant que militants et éducateurs dans le domaine de la lutte contre le racisme, nous sommes constamment confrontés à la violence, explique Mme Debs, ce qui nous conduit sans cesse au bord de l’épuisement. Nous devons nous préserver, car se raconter encore et encore peut devenir une sorte d’orgie traumatique. Il nous faut trouver un équilibre entre éduquer en dévoilant certaines parties de nous-mêmes et préserver notre propre bien-être. »

Que propose Mme Debs pour composer avec ces réalités? « Je ne pense pas avoir de conseils à donner, si ce n’est qu’il est important de comprendre pourquoi les choses sont ainsi », répond-elle. Sa ligne de conduite s’inspire d’une volonté d’équité et de guérison pour les communautés noires, dont elle parle dans son enseignement.

« Je dédie ma vie à la libération des Noirs, explique-t-elle. Cela signifie plusieurs choses : réfléchir à moi-même et à tout ce qui doit changer à l’intérieur des systèmes pour rendre possible une véritable guérison », poursuit-elle. Je dois également me familiariser avec ma culture, ma nourriture et ma langue en tant que femme noire éthiopienne. »

Elle ajoute qu’elle doit aussi s’affranchir du regard colonisateur qui l’a conditionnée à se percevoir comme « inférieure », et cela se fait en partageant des connaissances pour susciter un désir de libération chez les autres. Faire connaître son histoire de cette manière est un investissement à long terme. « L’abondance et le bien-être intergénérationnels consistent à planter des arbres dont nous ne recevrons peut-être jamais l’ombre, illustre-t-elle. Nos enfants et les enfants de nos enfants profiteront abondamment de ce qui est planté aujourd’hui. »

Wente entrevoit son travail comme un devoir qu’il exerce dans des espaces où il est souvent le seul Autochtone. Cette posture l’aide à trouver un équilibre entre les risques et les avantages qui viennent avec le fait de se raconter. « Notre point de vue n’est pas souvent entendu », précise-t-il, tandis que nous parlons de transformer le discours ambiant. Il admet que sa vision pourrait sembler trop idéaliste, mais il s’y tient.

« Si tout le monde racontait son histoire, il serait difficile de nier certaines évidences, explique-t-il. Plus il y aura de gens qui partageront leur histoire, plus il y aura de gens qui leur emboîteront le pas sans se sentir menacés. »

Auteure : est gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).
Illustration : Holly Craib

Encadré : Selam Debs, Blue Aspen Photography

Encadré : Jesse Wente, Red Works

Une infirmière chevronnée tend la main à d’autres professionnels du secteur pour engager un dialogue constructif sur la stigmatisation entourant la santé mentale

Dans toute profession, les périodes de pointe sont monnaie courante. Pensons à la file d’attente le matin au café du coin, aux échéances serrées d’un projet et au lancement d’un nouveau produit – tous ces exemples sont source de stress et d’excitation pour le personnel.

Cependant, lorsque l’on parle du système de santé au Canada, on constate que les défis à relever sont d’un tout autre ordre. Les salles d’urgence saturées ont été mises à rude épreuve par les répercussions de la COVID-19, qui continuent de peser lourdement sur nos systèmes fragilisés. Face à ces pressions, le personnel médical, infirmier et administratif a travaillé d’arrache-pied pour maintenir un bon niveau de service malgré des ressources limitées. Nombre d’entre eux n’entrevoient toujours pas la fin du problème.

Une étude réalisée avant la pandémie a mis en lumière le rôle du stress professionnel dans le bien-être mental du personnel infirmier canadien – et ses conclusions sont stupéfiantes. Les résultats révèlent qu’un membre du personnel infirmier sur trois a obtenu un résultat positif au dépistage d’un trouble dépressif majeur, un sur quatre d’un trouble d’anxiété généralisée et d’épuisement professionnel. Mais le plus inquiétant, c’est que 33 % de ces travailleurs ont déclaré avoir des pensées suicidaires, et 8 % ont dit avoir fait une tentative de suicide au moins une fois dans leur vie.

Comment en sommes-nous arrivés là? Et à quel point la situation s’est-elle détériorée depuis la pandémie?

Debbie Phillips, qui a été infirmière autorisée pendant plus de 30 ans – dont la majeure partie passée aux urgences en tant qu’infirmière psychiatrique –, a été directement témoin de la pression croissante que subit le personnel soignant dans les hôpitaux.

« En raison des coupes budgétaires dans le système de santé, nous devons constamment accomplir plus de travail tout en disposant de moins en moins de ressources. Lorsque j’ai commencé ma carrière aux urgences, s’il fallait hospitaliser un patient, nous disposions de plusieurs lits. Vers la fin de ma carrière, je devais appeler les hôpitaux à travers la province pour trouver des places convenables pour nos patients, et souvent attendre jusqu’à cinq jours avant que des lits se libèrent. »

Hélas, son expérience n’est pas exceptionnelle. Selon la Banque mondiale, le ratio de sept lits d’hôpital pour 1000 patients observé dans les années 1970 et 1980 a chuté à moins de trois et ne cesse de diminuer. Ce recul a eu de graves répercussions sur le bien-être physique et mental du personnel hospitalier et des patients.

Donner, mais ne rien recevoir
Lorsqu’ils prodiguent des soins, les professionnels de la santé sont responsables de notre sécurité et de notre bien-être à un moment où nous sommes particulièrement vulnérables. Ils sont plus de 700 000 à remplir ces fonctions altruistes et souvent ingrates pour veiller à ce que nos besoins en matière de santé physique et mentale soient comblés.

Pourtant, face à une telle pression sur nos systèmes, on néglige parfois de se demander qui est là pour répondre à leurs besoins.

On pourrait penser que les professionnels de la santé sont très en phase avec leur propre bien-être physique et mental, vu le métier qu’ils exercent quotidiennement en tant que fournisseurs de soins. Mais ce n’est pas le cas, rectifie Mme Phillips.

« Les membres du personnel infirmier négligent souvent les signes avant-coureurs de leur propre déclin sur le plan mental, souligne-t-elle. Nous pensons que nous maîtrisons la situation et que nous ne nous laisserions pas aller à ce point. »

Et pour ceux qui détectent des symptômes, les ressources se font rares. En raison du manque de personnel, il faut prouver que l’on souffre d’une incapacité physique pour prendre un congé de maladie. Et il n’y a pas de jours de congé prévus en cas d’épuisement.

Cette contrainte accentue la stigmatisation que les membres du personnel soignant ressentent lorsqu’il s’agit de leurs problèmes de santé mentale. « Il n’est pas envisageable de prendre un jour de congé pour se reposer, déclare Mme Phillips. Lorsque l’on s’absente du travail, on se sent coupable de ne pas être là parce que notre équipe n’aura pas de ressources suffisantes pour nous remplacer. Nous sommes bien conscients du fait que des patients sont en attente de soins, et cela est accablant. Ce stress vient alourdir davantage la situation. »

Selon Mme Phillips, certaines personnes ne sont pas pleinement conscientes du stress qu’elles s’infligent, et d’autres ont trop peur d’être stigmatisées pour demander de l’aide. Alors, que faire? Quelles sont les ressources disponibles pour aider au mieux celles et ceux qui en ont besoin?

Ressources pour susciter un changement
Selon un article paru dans Nurse Leader en avril 2022, 76 % des membres du personnel infirmier aux États-Unis ayant souffert d’épuisement professionnel n’ont pas cherché à obtenir de l’aide pour leur santé mentale. De plus, seulement 42 % des employés du secteur de la santé estiment que leur employeur accorde de l’importance à leur santé mentale.

Sur la base de ces données probantes notamment, l’article plaide en faveur de la transformation des « perceptions du personnel infirmier et du contexte culturel, qui fait obstacle à la prise en charge de leur bien-être et à l’accès aux soins de santé mentale. »

En investissant dans la lutte contre la stigmatisation, ajoute l’article, « il serait également possible d’améliorer la perception du personnel infirmier à l’égard des besoins et des soins en matière de santé mentale de leur patientèle. »

Du point de vue de Mme Phillips, les investissements dans les programmes de santé mentale en milieu de travail n’ont guère été constants. Les subventions disponibles de temps à autre étant destinées à des programmes ponctuels, elle estime que ces aides n’ont eu aucun effet durable auprès de son équipe.

Pour combler cette lacune, les formations doivent à la fois répondre de manière adéquate aux besoins du personnel et réduire de façon concrète la stigmatisation au travail. Un programme expressément conçu à cette fin se nomme L’esprit au travail du secteur de la santé, une version adaptée du programme L’esprit au travail de la Commission de la santé mentale du Canada.

Ce cours fondé sur des données probantes est conçu pour amener les travailleurs à changer leur façon de penser, d’agir et de se sentir face aux questions de santé mentale dans le cadre du travail. Il vise à réduire la stigmatisation liée à la santé mentale et à encourager un dialogue ouvert entre collègues. En tant que formatrice de L’esprit au travail, Mme Phillips a été à même de constater les effets de la formation sur les participants.

« On pouvait réellement voir que les choses devenaient plus claires pour les gens. Qu’il s’agisse du continuum de la santé mentale ou des quatre grandes stratégies d’adaptation, on pouvait lire un changement d’expression sur les visages des participants à mesure qu’ils découvraient ces notions. Il était évident que l’on était en train de leur ouvrir les yeux. »

Grâce à son expertise dans le secteur des soins de santé, Mme Phillips est en mesure d’établir des liens plus profonds avec les personnes qu’elle forme. Elle parvient ainsi à créer un environnement propice au dialogue, sachant que toutes les personnes présentes ont traversé des épreuves semblables.

Le commentaire le plus fréquent qu’elle entend après ses séances vient des participants qui regrettent de ne pas avoir suivi le cours plus tôt. « Je pense que ce cours devrait faire partie intégrante du processus d’orientation de tous ceux qui vont travailler dans un établissement de soins de santé, dit-elle. Pourquoi ne pas préparer la prochaine génération à réussir dès l’embauche? »

Puisque la lutte contre la stigmatisation entourant la santé mentale dans les établissements de santé est un travail de longue haleine, il est primordial que nous fassions tous en sorte d’être attentifs au stress que subissent ces professionnels lorsque nous les croisons.

Auteur: est spécialiste du marketing et des communications à la Commission de la santé mentale du Canada. Il est diplômé de l’École de commerce Sprott de l’Université Carleton et possède une vaste expérience en matière de communication et de marketing dans les domaines du sport et du divertissement. Eric est le cofondateur de mssn, une marque dédiée à la collecte de fonds et à la sensibilisation à la santé mentale au bénéfice des jeunes dans la région d’Ottawa.

Florence K. – musicienne, mère, animatrice à la CBC et candidate au doctorat – aborde le thème de la Semaine de la santé mentale de cette année et partage son histoire sur les défis liés à la santé mentale, le bien-être et la découverte.

La phrase qui m’a le plus marquée de l’histoire du cinéma est le célèbre « Life is like a box of chocolate… you never know what you’re gonna get » prononcé par Forrest Gump depuis son banc de parc à Savannah. J’avais 12 ans lorsque j’ai vu le film et déjà, je savais que quelque part, ces paroles disaient la vérité.

Dès mon jeune âge, je me voyais suivre un chemin que dans ma tête j’avais tracé des centaines de fois pendant mon adolescence : celui qui me mènerait vers une fructueuse carrière de chanteuse, et j’ai tout fait en mon pouvoir pour que ce rêve devienne réalité. À l’adolescence, puis comme jeune adulte, j’ai passé des auditions, participé à des concours, suivi des cours de perfectionnement, accepté des contrats dans des bars miteux, joué dans des boîtes de nuit à Atlantic City et à Casablanca, chanté à des messes, joué du piano pendant des années dans un restaurant du Vieux-Montréal. Bref, aucun public, aucune scène n’étaient à mon épreuve, car ils me garantissaient un pas de plus vers mon rêve.

Je voulais briller sur scène, être couverte par l’amour des gens, montrer ce que j’avais à offrir, être le centre de l’attention, transformer mes émotions brutes en notes de musique pour les sortir de mon être. Et sans même en prendre conscience, je souhaitais fort probablement combler ce que j’appelle aujourd’hui mon « trou intérieur ». À l’époque, une ère où le terme « santé mentale » ne faisait certainement pas les manchettes, je n’avais pas de mots pour définir ce trou. Il me faisait l’impression d’un sentiment de vide alimenté par des pensées négatives envers moi-même, voire autodestructrices, qui m’avaient même menée à avoir de l’idéation suicidaire à l’âge de quatorze ans, à la suite d’une rupture amoureuse. Mais jamais je n’aurais pu penser qu’il s’agissait là de quelque chose qui n’était pas « normal ». Que ça n’était pas la réalité de tout le monde. Que ce trou portait un nom et qu’il y avait des solutions pour le parer.

À l’adolescence, cette solution était composée de partys, d’alcool et de drogues, puis vers mon jeune âge adulte, de la scène. Mais quoi que j’en fasse, le trou continuait à grandir avec moi, sournoisement, subtilement, sans que je ne remette en question sa présence. Je le tassais du revers de la main lorsqu’il prenait trop de place, en me concentrant sur ma carrière. À 23 ans, au même moment où mon premier album, Bossa Blue a été certifié disque d’or, je suis devenu maman. Mon trou s’est recouvert pendant un temps, durant les premières années de ma maternité, enivrée de bonheur que j’étais par la présence de ma merveilleuse petite fille.

Florence Khoriaty

Florence Khoriaty

Puis, après une première tournée, j’ai rapidement enchaîné l’enregistrement d’un deuxième, puis d’un troisième album, les deux suivis d’autres séries de spectacles et de campagnes de promotion. Je ne pouvais demander mieux : mon grand rêve était désormais réalité. Mon équipe entrevoyait pour moi un succès international et mes ambitions correspondaient aux leurs. Mais parallèlement, je sentais mon trou intérieur se rouvrir tranquillement. La relation avec le père de ma fille s’effritait, je souhaitais le quitter, mais je n’y arrivais pas, rongée par la culpabilité à l’idée de briser le nid que l’on avait construit pour la petite. J’avais désormais deux univers : le premier sur la scène, qui devenait une dépendance, et le deuxième, en couple, où j’avançais à reculons. Cette culpabilité anticipatoire d’une éventuelle rupture commençait à m’engloutir, à m’aspirer dans une spirale de pensées persécutrices envers moi-même. Je me détestais, je m’en voulais, j’avais peur, je souffrais en silence, car j’avais honte de me sentir de la sorte au moment où tant de gens sur cette terre vivaient dans des pays en guerre alors que moi, mon frigo était plein, ma fille était en santé, j’avais des amis, de l’argent, et un travail que j’adorais. J’ai commencé à perdre ma concentration, à continuellement disparaître dans mes pensées, à perdre du poids, à perdre des cheveux, et surtout, à perdre mon sommeil. L’insomnie a été le point de départ vers l’enfer qui a habité ma tête durant les huit mois qui suivirent. Des nuits entières à sentir mes doigts trembler, à regarder le cadran dans l’angoisse, à m’attraper le crâne avec les mains en le suppliant d’y laisser entrer un peu de tranquillité. 

Mon entourage a commencé à s’inquiéter. Je n’arrivais plus à m’occuper de ma fille. J’avais demandé à son père de partir et il m’avait pris au mot, disparaissant complètement de la vie de son enfant de cinq ans. Elle a été prise en charge par mon père, ma mère et ma belle-sœur. L’important était de lui fournir un cadre, de l’entourer, de continuer à lui offrir tout ce dont un enfant a besoin pendant que sa maman essayait d’aller mieux. Je n’y suis pas arrivée toute seule. Au point où j’en étais, c’était impossible. Je mettais mon plus beau sourire, le plus faux, pour monter sur scène avec le peu de voix qu’il me restait. Je m’accrochais à cette sphère de ma vie, l’unique endroit où j’étais encore capable de donner quelque chose, pendant 90 minutes, trois fois par semaine.

Mais la maladie m’a rattrapée. La suite a été une enfilade d’idéation et de comportements suicidaires, d’essais-erreurs de médication, de séjours à l’urgence, le tout sous le regard complètement désemparé de mes proches. Ils n’étaient pas équipés pour faire face à un tel tourbillon et la santé mentale était encore si mal expliquée en 2011 qu’ils ne comprenaient eux‑mêmes pas tout à fait ce qui s’était emparé de leur fille, de leur sœur, de leur amie. C’est finalement à bord d’une ambulance, escortée par deux policiers, que j’ai été emmenée une dernière fois à l’urgence, d’où on m’a finalement hospitalisée.

Les semaines suivantes ont été fort difficiles, mais salvatrices. C’est en psychiatrie que j’ai enfin saisi que j’étais réellement malade. Mais aussi que je n’étais pas seule; je me sentais comprise et entourée par les autres patients. Avec un ajustement de médication, puis grâce à la psychothérapie, j’ai repris du mieux au fil des années. C’est au bord d’une rechute, en 2017, que je suis retournée voir un psychiatre, qui m’a donné un diagnostic de trouble bipolaire de type II. Ce diagnostic a été un cadeau : je pouvais finalement m’expliquer ce qu’était ce trou intérieur avec lequel je vivais depuis mon adolescence. Mettre des mots dessus, et identifier les symptômes, les facteurs de déclenchements, les outils et les ressources qui pouvaient m’aider.

Cette quête vers l’équilibre m’a infusé une énorme fascination pour le cerveau et le comportement humain. Et cette passion est devenue le moteur de mon retour sur les bancs d’université où j’ai d’abord effectué un certificat en psychologie, une maîtrise en santé mentale, puis un baccalauréat en psychologie pour enfin être acceptée au doctorat en psychologie. Mon sujet de thèse s’inspire de mon histoire puisqu’elle porte sur les liens possibles entre la créativité et le trouble bipolaire.

Aujourd’hui, je suis fière de mon parcours. Il a été tortueux, inattendu, chargé et j’ai failli plus d’une fois y laisser ma peau. Mais il m’a aussi fait découvrir des trésors cachés au fond de moi‑même dont jamais je n’avais auparavant soupçonné la présence. Même si je vis avec un trouble mental chronique, ma santé mentale est excellente. Je m’occupe de mon équilibre, et j’ai appris à reconnaître et écouter les signaux d’alarme qui pourraient m’emmener dans des eaux plus troubles. Auprès de mon mari et de mes deux merveilleuses filles, ainsi qu’accompagnée de ma passion pour mon domaine d’étude, je suis aujourd’hui comblée. Et s’il m’arrivait un jour de croiser Forrest Gump dans la rue, je lui dirais tout simplement la chose suivante : « Forrest, you were ab-so-lu-te-ly right! »

Auteure : est chanteuse, pianiste, et anime chaque semaine l’émission « C’est formidable » sur CBC Radio et CBC Music. Auteure de trois livres portant sur la santé mentale, elle est aujourd’hui candidate au doctorat en psychologie à l’UQAM.
Encadré : Matthew Eisman/Getty Images

La maladie mentale, l’itinérance et la longue recherche d’un frère disparu.

Wendy Hill-Tout n’aime pas se retrouver sous les projecteurs, mais c’est pourtant son quotidien ces temps-ci. Son nouveau documentaire, Insanity, jette un éclairage sur les familles confrontées à la maladie mentale grave et chronique d’un être cher ayant perdu son domicile. Les frères et sœurs de cette personne partagent le regard de la caméra et racontent leur vie aux côtés de leur frère Bruce, aux prises avec la schizophrénie jusqu’à sa disparition il y a vingt-cinq ans.

Quel que soit l’endroit où ses voyages en Amérique du Nord la mènent, la cinéaste canadienne scrute les visages des sans-abri, toujours à la recherche de son frère. Elle emporte partout avec elle des photos où il apparaît, barbu ou rasé de près, qu’elle montre à tous ceux qui pourraient le reconnaître. Sa quête l’amène dans des ruelles et de véritables « villes de tentes » qui sont devenues des refuges pour ceux que le système a laissés tomber. Les nombreux campements de sans-abri présentés dans le film témoignent de l’ampleur du problème et révèlent à quel point le visage de Bruce n’en est qu’un parmi tant d’autres.

Insanity raconte l’histoire de familles prises au piège d’un système qui refuse de soutenir les personnes qui ne sont pas suffisamment malades pour obtenir des soins ou qui sont privées d’accès à des services d’aide quand elles vivent dans un logement. À titre d’exemple, Shirley Chan, membre du conseil d’administration de l’organisme Pathways Serious Mental Illness Society, a tenté désespérément de trouver un soutien adéquat pour sa fille. Après s’être fait dire qu’elle était « trop fonctionnelle » pour avoir droit à un logement doté d’un encadrement 24 heures sur 24, Mme Chan a dû se résoudre à ne pas ramener sa propre fille à la maison à sa sortie de l’hôpital. Il fallait que sa fille soit sans abri pour devenir une priorité.

Citons aussi l’exemple de Tyler, le plus jeune frère de Kristin Booth, une collègue que Wendy Hill-Tout a rencontrée en travaillant sur un autre film. Tyler vivait dans la rue en Ontario lorsqu’il a été arrêté à la suite d’un épisode maniaque. Kristin Booth raconte le traumatisme qu’elle a vécu lorsque, six semaines plus tard, alors que son frère était en probation et vivait chez sa mère, elle a dû lui mentir pour qu’il reste sur les lieux en attendant que la police de Toronto vienne le chercher. Sa voix se brise lorsqu’elle évoque la culpabilité d’avoir dû le regarder se faire menotter et embarquer, s’effondrant devant la situation insoutenable dans laquelle elle se trouvait. Même avec la collaboration d’un avocat et d’un médecin, elle n’avait pas pu obtenir le soutien dont Tyler avait besoin.

« Que font les autres familles? », demande Karen Booth, la mère de Kristin. Son médecin, qui ne trouve pas d’autre solution, lui répond : « Madame Booth, si vous n’aviez pas été là, Tyler serait soit décédé, soit couché sous un pont, soit en prison. C’est comme ça ». Mais elle refuse de l’accepter.

Dans son film, Wendy Hill-Tout présente ces histoires avec doigté afin d’illustrer à quel point il est facile pour une personne vivant avec une maladie mentale de se retrouver à la rue ou d’être happée par le système de justice pénale. Comme elle le souligne pendant notre entretien virtuel alors qu’elle se trouvait à Calgary, il est inacceptable qu’un si grand nombre de personnes soient privées d’aide dans un pays aussi riche que le Canada.

« Notre système est à revoir de fond en comble, déclare-t-elle. La première étape consisterait à augmenter les budgets consacrés aux soins de santé mentale, qui représentent actuellement 7 % des dépenses totales de santé, pour les faire passer à 10 %, comme c’est le cas au sein des pays européens. Nous devons mettre en place davantage de services de santé mentale de proximité afin d’aider les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, et ce, avant que ceux-ci deviennent des situations de crise. Si nous disposions de cliniques spécialisées en matière de santé mentale, les gens pourraient se rendre dans un endroit où ils sont sûrs de pouvoir parler avec le personnel infirmier et des médecins formés à cet effet, et qui les mettraient en contact avec les services appropriés. Comment se fait-il que la norme soit d’aller directement à l’hôpital ou de faire patienter une personne en crise pendant six mois avant qu’elle puisse obtenir des soins? » demande-t-elle.

Le manque de psychologues et de psychiatres est un autre problème à résoudre, tout comme la rareté des logements supervisés et les difficultés d’accès aux services, note Mme Hill-Tout. Elle souligne que le Canada se doit d’amorcer des changements, et que toute augmentation du financement alloué à la santé mentale constituerait un excellent point de départ en ce sens.

Wendy Hill-Tout

Wendy Hill-Tout

Ce qui l’a ébranlée par-dessus tout pendant le projet, c’est l’ampleur qu’a prise le problème en peu de temps. « Lorsque nous avons commencé à filmer en 2019, nous nous rendions dans une ville en espérant trouver quelqu’un dans la rue à qui montrer la photo de Bruce. Mais très vite, nous nous sommes retrouvés face à de véritables campements – et ce phénomène se manifestait partout, pas seulement dans l’est du centre-ville de Vancouver. Le nombre de personnes vivant dans la rue a augmenté dans les petites villes, tout autant que dans les grandes métropoles.

« Nous devons agir de façon urgente, car il est possible de changer les choses, déclare-t-elle sans ambages. Au lieu de consacrer des fonds à surveiller le problème, nous aurions grand intérêt à le prévenir. Il y a tellement de personnes vivant avec une maladie mentale qui sont à un cheveu de se retrouver à la rue. Comment pourront-elles retrouver un logement après l’avoir perdu? Nous avons besoin de plus de services communautaires pour éviter que cela ne se produise ».

Elle espère que son documentaire se rendra aux oreilles des responsables gouvernementaux qui ont le pouvoir d’apporter les changements nécessaires, qu’ils se trouvent aux échelons municipal, provincial ou fédéral. Cet enjeu affecte plus d’une personne sur cinq, qui correspond à la proportion de gens qui seront aux prises avec un problème de santé mentale à un moment ou à un autre de leur vie. Il frappe également les amis et les familles, et c’est pour ces gens qu’elle a réalisé ce film.

« Je suis toujours surprise de constater à quel point il est difficile de parler de Bruce, même après 25 ans », confie Mme Hill-Tout vers la fin de notre entretien. Cette émotion transparaît clairement dans le film, lorsque ses frères et sœurs racontent des anecdotes touchantes à propos de leur frère. Ils rient ensemble, mais leurs souvenirs sont empreints de tristesse. À travers leurs récits, nous apprenons que Bruce était l’aîné de quatre enfants, qu’il était attentionné, drôle et chaleureux, qu’il était aussi un artiste et parfois un peu casse-cou.

« Bruce est la meilleure personne que j’aie jamais connue, a affirmé son frère David. C’était un grand frère formidable, et il mérite que l’on se batte pour lui. »

Même s’il est difficile de revenir sur ce qui a mené à la disparition de Bruce, il est important de mettre un nom et un visage sur ce fléau. Si la collectivité a conscience que les personnes délaissées par le système sont des êtres aimés et pleurés par leur famille, elle sera plus encline à faire pression pour que les choses changent. La société sera aussi plus disposée à se pencher sur leur sort.

Cependant, tout n’est pas noir, comme le précise Mme Hill-Tout. Certaines choses lui redonnent espoir en l’avenir. Tout d’abord, la santé mentale et les maladies mentales font l’objet d’une plus grande sensibilisation. Les médias traitent à présent des personnes sans domicile fixe et de la manière dont les villes gèrent cette problématique. Le nombre de policiers et de secouristes qui suivent des formations sur la manière d’intervenir dans les cas de maladie mentale est également en hausse. En outre, il existe davantage d’unités mobiles de traitement des crises de santé mentale (par rapport à il y a dix ans), notamment la ressource Car 87 en Colombie-Britannique. Toutefois, comme ces unités sont incapables de répondre à tous les besoins actuels, un financement accru est encore nécessaire.

En attendant, Mme Hill-Tout et sa famille nourrissent l’espoir de retrouver Bruce un jour. Elle continue à scruter les visages pour trouver celui qu’elle reconnaîtra après tant d’années. Peut-être qu’un membre du public parviendra à le reconnaître après avoir visionné son documentaire. Quoi qu’il en soit, elle a conclu notre entretien avec le même message répété dans le film :

« Bruce, nous t’aimons. »

Le documentaire Insanity sera projeté dans des salles de cinéma choisies partout au pays à partir du 11 mai 2023, et comportera une séance de questions-réponses en compagnie de Mme Hill-Tout et d’autres familles ayant participé à la réalisation du documentaire. Pour obtenir de plus amples renseignements et vérifier si le documentaire sera présenté dans un cinéma près de chez vous, veuillez consulter le site www.insanitydoc.com.

Auteure : est membre de l’équipe du marketing et des communications à la Commission de la santé mentale du Canada.
Photo : Wendy Hill-Tout et son frère Bruce lorsqu’ils étaient enfants. La photo a été fournie par Wendy Hill-Tout.

Et qui se manifestent autour de nous : ouragans, incendies, catastrophes naturelles. Les liens entre le climat et la santé mentale – et les moyens de réagir.

Au mois de mars dernier, un petit groupe s’est réuni aux abords du canal Rideau dans un geste symbolique de deuil collectif. Il n’avait pas fait assez froid pour que le tronçon de huit kilomètres de long puisse demeurer gelé, de sorte que l’emblématique patinoire resterait fermée jusqu’à la fin de l’hiver. Cette veillée, organisée par l’association Écologie Ottawa, a permis aux gens de se rassembler et de discuter du changement climatique ainsi que des pertes encourues. Les participants se sont rassemblés en bordure du canal, un lieu dont la mémoire est figée sur tant de cartes postales et de récits de voyage, pour « vivre collectivement [leur] sentiment d’incertitude, sans savoir ce qui [les] attend au cours des années à venir », comme l’indiquait l’invitation électronique.

Le fait que la réalité mondiale du changement climatique a une incidence directe sur notre vie quotidienne – et que nous réalisons que nous ne pourrons bientôt plus nous adonner à certaines activités – nous aide à assimiler un concept catastrophique vertigineux, lequel est susceptible de provoquer des sentiments de chagrin, d’anxiété et d’incertitude.

Mais comme l’a indiqué Trish Audette-Longo, rédactrice d’opinion, dans le Canada’s National Observer, cette situation pourrait-elle aussi nous inciter à passer à l’action? « Sur l’échelle des perturbations climatiques, où notre attention collective se concentre forcément sur les répercussions erratiques des incendies de forêt, des inondations et d’autres pertes, une saison de patinage annulée sur le canal Rideau pourra passer pour un événement anodin », écrit-elle, en soulignant qu’une vision apocalyptique risque d’occulter toute éventualité d’avenir meilleur.

En d’autres termes, au lieu de se projeter dans des scénarios idéalistes, irréalistes ou de fin du monde, il convient de réfléchir à ce que nous pouvons faire maintenant.

Comprendre le mental dans le domaine environnemental
Le terme hyperonyme écoanxiété est utilisé pour décrire un certain nombre d’états émotionnels et mentaux liés à une prise de conscience aiguë du changement climatique ainsi qu’à une détresse concomitante face à ses implications menaçantes pour l’avenir.

Définie par l’American Psychological Association comme une « peur chronique de la catastrophe environnementale », elle se manifeste par la colère, l’épuisement, la phobie et le désespoir. Elle peut causer des réactions d’anticipation, des cauchemars et même une « orthorexie climatique », un trouble évoqué par Britt Wray dans son ouvrage Generation Dread: Finding Purpose in an Age of Climate Crisis, où elle le décrit comme « une obsession pour une alimentation naturelle dans l’intérêt de l’environnement ».

Les habitants des régions en proie à des phénomènes météorologiques extrêmes éprouvent généralement des sentiments intenses de peur et de tristesse liés au climat (tout comme ceux qui en subiront les conséquences au cours des années à venir). Deux personnes sur trois interrogées dans le cadre d’un questionnaire phare de la revue Nature (10 000 personnes âgées de 16 à 25 ans vivant dans 10 pays) ont rapporté avoir ressenti ces émotions. Par ailleurs, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a décrit les répercussions des désastres environnementaux sur la santé mentale dans son rapport d’évaluation de 2022.

Bien que l’écoanxiété ne fasse pas partie de la nomenclature du DSM-5, de nombreuses recherches sont en cours sur le sujet, comme en témoigne le titre d’un article de l’Université d’Helsinki intitulé « Understanding the Mental in Environmental », qui présente les travaux de Panu Pihkala, professeur auxiliaire d’écothéologie. Selon ce dernier, l’une des interventions cliniques pratiquées est celle de la « vision binoculaire », qui consiste, pour les thérapeutes, à aider leurs clients à envisager la coexistence de nombreuses circonstances positives et négatives, au lieu d’entretenir une logique catastrophique consistant à voir les événements comme tous noirs ou tous blancs.

Le renforcement de ce sentiment de résilience est l’un des cinq thèmes qui se sont dégagés d’une étude exploratoire réalisée en 2021 par Pauline Baudon et Liza Jachens sur le traitement de l’écoanxiété. L’étude a été publiée dans un numéro spécial de l’International Journal of Environmental Research and Public Health sur les effets psychologiques du changement climatique. Outre le travail de réflexion des praticiens et leur formation, les autres thèmes mis de l’avant consistaient à encourager les clients à agir, à les mettre en contact avec la nature et à les aider à nouer des liens sociaux de façon à bénéficier d’un soutien émotionnel en s’intégrant à différents groupes.

Après avoir pris connaissance des différentes écoles de pensée, l’étude a révélé que toutes les approches prônaient le travail de groupe pour soutenir le processus émotionnel et mettaient l’accent sur la capacité à relier son ressenti individuel en matière d’écoanxiété à celui des autres et à des enjeux sociaux plus vastes.

Humour noir?
L’une des formes de thérapie de groupe consiste à prendre un sujet grave et à lui insuffler une certaine légèreté. Dans un article du Guardian de mars intitulé How Do You Laugh About Death (ou Comment rire de la mort?), par exemple, les humoristes se servent du changement climatique comme tremplin pour aborder des thèmes difficiles, et pour tenter de jeter un pont entre les polarités politiques et de dialoguer avec les négationnistes. Les participants à la Climate Comedy Cohort, un programme de bourses de neuf mois du Center for Media and Social Impact de l’American University et de l’organisme à but non lucratif Generation180, réalisent des courts métrages et soumettent des idées à des réseaux de télévision sur des questions qui recoupent celles de la race et du travail. L’objectif est de débattre du climat, même de manière irrévérencieuse, afin de stimuler l’engagement civique, ce qui, pour bien des gens, peut se révéler un moteur de changement beaucoup plus motivant que la fatalité. Celles et ceux qui ne se sentent pas encore prêts à rire de sujets délicats peuvent se tourner vers les Carbon Conversations (présentes dans des villes du monde entier), qui vise à aider les gens à affronter leurs craintes concernant le changement climatique. Cette action permet de maintenir leur engagement et leur motivation écologique en vue d’agir et de modifier leur mode de vie de manière durable.

Peut-être en avez-vous déjà fait votre affaire, notamment en adoptant les sacs et les gourdes réutilisables. Bien qu’ils méritent leur place, ces petits changements de mode de vie me rappellent le concept d’optimisme cruel, forgé par Lauren Berlant, théoricienne de la culture à l’Université de Chicago. Il consiste à traiter des problèmes systémiques aux causes profondes, comme la dépression ou l’obésité, en proposant aux gens une solution individuelle simpliste, le plus souvent dans un langage guilleret. Bien que l’idée semble prometteuse pour résoudre un problème majeur, cette solution est en réalité cruelle du fait qu’elle dissimule des causes sous-jacentes derrière des récits néolibéraux de contrôle de soi – comme l’adoption d’un style de vie sain ou l’abonnement à un centre de remise en forme –, ce qui a pour effet de détourner l’attention des gens de la préoccupation principale, puis de retarder la recherche d’éventuelles pistes de solution. Si nous voulons trouver des solutions efficaces au phénomène du changement climatique, il faut que nos échanges et nos actions évoluent au rythme du tic-tac de l’horloge climatique.

Approches collectivistes
Bien que ces choix individuels puissent certes se cumuler, une démarche exclusivement néolibérale risque de nous faire perdre de vue l’ensemble de la forêt au profit d’un seul arbre.

Comme l’a expliqué Matt Hoffman, professeur de sciences politiques à l’Université de Toronto et codirecteur du laboratoire environnemental de l’École Munk, au Toronto Star : il faut créer un mouvement sociétal permettant de faire du changement climatique une question qui transcende les clivages politiques. Chaque citoyen peut exprimer ses préoccupations auprès des élus, aux urnes et à la banque (par exemple en optant pour des investissements sans combustibles fossiles). Ce sont des gestes que les individus peuvent poser pour exercer une pression en amont et parvenir à des réformes systémiques.

La rubrique « Solutions » de The Narwhal, un média canadien à but non lucratif spécialisé dans les questions environnementales, propose des moyens de combiner espoir et action. Cette série brosse le portrait de personnes et de communautés qui réagissent en temps réel aux « systèmes réglementaires défaillants [en] générant des idées en faveur de sociétés plus écologiques et en redéfinissant l’exploitation des ressources naturelles ». Les témoignages visent à inspirer le public en s’intéressant aux problèmes de fond – et à ce qui est mis en œuvre pour tenter de les résoudre. On y aborde notamment les énergies renouvelables et la refonte des lois canadiennes sur l’environnement, en plus d’offrir des conseils sur les gestes de la vie quotidienne.

Le deuil a également sa place dans la mesure où nous sommes tous confrontés aux conséquences du changement climatique. Ce que nous choisissons de pleurer peut mettre en lumière notre dépendance fondamentale à l’égard d’écosystèmes sains et vigoureux, et faire ressortir les responsabilités politiques et éthiques qui sont les nôtres vis-à-vis de ces systèmes, des autres et de la nécessité d’agir. Ce constat est tiré d’un article paru en 2020, intitulé « You Can Never Replace the Caribou (On ne pourra jamais remplacer le caribou) : Inuit Experiences of Ecological Grief From Caribou Declines ». Dans cet article, son autrice principale, Ashlee Cunsolo, évoque les approches collectivistes – la capacité de construire un « nous » – qui renvoient à notre rapport aux autres et à notre responsabilité d’atténuer la dégradation de l’environnement causée par les activités humaines.

Auteure : est gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Fateema Sayani revoit régulièrement sa relation avec la technologie. Elle est gestionnaire du contenu à la Commission de la santé mentale du Canada.

Comment des soins de santé empreints de compassion peuvent modifier le parcours des personnes qui font usage de substances

Jes Besharah ne se souvient plus du temps qui s’est écoulé avant de se décider à demander des soins médicaux, après avoir vécu dans la rue et fait usage d’opioïdes, mais se rappelle avoir été très mal en point.

« J’étais malade et je pleurais, je souffrais beaucoup, car j’avais des abcès et des blessures partout sur mon corps. J’avais de nombreux soucis à régler », raconte Jes. Mais lorsque l’infirmière est entrée et a balayé Jes du regard, tout ce qu’elle a vu, c’est un problème de drogues.

« On ne s’est occupé de rien du tout. Elle m’a dit qu’elle prierait pour moi, et que c’était le mieux qu’elle pouvait faire. »

Pour Jes, cette réponse a été un véritable coup de massue. « Ce genre de réaction donne l’impression qu’il ne sert à rien de se battre. »

Malheureusement, le cas de Jes ne fait pas exception. Les personnes qui utilisent des opioïdes et d’autres substances se heurtent souvent à des attitudes stigmatisantes et à la discrimination, même de la part du personnel soignant vers lequel elles se tournent pour obtenir des soins.

La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a invité Besharah à parler de son expérience de la stigmatisation et de ses conséquences dans une vidéo intitulée « Prendre la parole — Réduire la stigmatisation des personnes qui consomment des substances ».

« Pour les personnes qui font usage d’opioïdes et d’autres substances, la stigmatisation peut constituer un obstacle majeur qui les empêche de recevoir des soins de qualité, explique Julia Armstrong, gestionnaire de l’équipe de santé mentale et de santé liée à l’usage de substances de la CSMC. Nous avons réalisé cette vidéo (et un guide de discussion) afin de lancer un débat de fond sur la stigmatisation dans les établissements de soins de santé. Le genre de dialogues qui mènent à une meilleure compréhension et à des normes de soins plus élevées pour ces personnes. »

La vidéo présente également l’infirmière qui a contribué à changer la vie de Jes : Melinda Billett.

En tant qu’infirmière praticienne en soins primaires, Melinda compte de nombreuses années d’expérience auprès des personnes qui consomment des substances. Elle a également pu constater de visu que des choix en apparence anodins peuvent avoir un puissant effet d’entraînement.

« Dans le secteur des soins de santé, nous pouvons choisir de traiter les gens avec respect, dit-elle, notamment en ce qui concerne les notes que les fournisseurs inscrivent au dossier des patients. C’est mon point de vue que les autres liront. Je peux faire le choix de dire que cette personne est une toxicomane, ou de dire qu’il s’agit d’une personne qui consomme des substances. »

En effectuant ce simple changement, Melinda s’appuie sur le pouvoir du langage axé sur la personne d’abord, qui permet de faire la distinction entre l’identité d’un individu et les substances qu’il consomme ou la maladie mentale qui le touche.

Jes et Melinda évoquent une série de changements que les professionnels de la santé – et toute personne en relation avec des personnes qui utilisent des substances – peuvent adopter pour lutter contre la stigmatisation, mais tous les exemples renvoient à un message primordial : il faut traiter les individus qui font usage de substances comme des êtres humains, et non comme des problèmes.

La compassion dont ont fait preuve Mélinda et d’autres personnes est à l’origine de la vie que mène Jes, aujourd’hui navigatrice communautaire pour la réduction des méfaits et travailleuse de soutien par les pairs. « Je le fais en partie parce que, lorsque je vivais dans la rue, il y avait des gens qui faisaient de la sensibilisation, qui ne me jugeaient pas, qui se souciaient de moi, qui faisaient des pieds et des mains pour s’assurer que j’étais toujours là, explique Jes. Cela a fait une énorme différence dans mon envie de reprendre le contrôle de ma vie. »

Mélinda insiste sur le fait que les personnes qui utilisent des substances possèdent une grande capacité de résilience, et qu’il incombe aux fournisseurs de soins de santé à tous les échelons de la mettre en lumière. « Si nous pouvons exploiter leur force, être bienveillants à leur égard, prendre soin d’eux et les accompagner dans leur cheminement, […] alors nous contribuerons à changer le cours de leur vie. »

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Classer l’usage de substances sur une échelle mobile contribue à créer de l’espace pour des conversations plus ouvertes.

Une partie du travail de la Commission de la santé mentale du Canada consiste à faire de la sensibilisation sur la distinction entre santé mentale et maladie mentale. La santé mentale, un élément de la santé globale, figure sur un spectre que nous partageons toutes et tous. Un bout du spectre reflète une santé mentale optimale, tandis que l’autre montre où il y a une maladie mentale ou un problème de santé mentale. Un modèle de spectre est également utile lorsque nous parlons d’usage de substances.

Signification
À une extrémité du spectre de la santé liée à l’usage de substances, une personne pourrait s’abstenir entièrement de consommer des substances ou en avoir un usage sporadique sans conséquences néfastes. À l’autre extrémité, il existe des troubles d’usage de substances accompagnés de répercussions profondes sur la santé et le bien-être en général. Suivant les circonstances et une multitude de facteurs, une personne peut se déplacer d’un endroit à l’autre du spectre à tout moment.

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Pourquoi c’est important
Compte tenu, en partie, de la longue tradition de crime et de clandestinité entourant la consommation de drogues et d’alcool, cette pratique s’accompagne encore de nos jours d’une connotation négative. Cette façon de penser peut conduire les gens à voir toute consommation de substances comme étant problématique. De l’autre côté, classer l’usage de substances sur une échelle mobile contribue à créer de l’espace pour des conversations plus ouvertes sur une consommation plus sécuritaire, plus saine, plus gérable, peu importe l’entendement que chaque individu a du sens de ces mots.

Réduire la stigmatisation entourant l’usage de substances fait également partie de la promotion du rétablissement. Moins nous jugerons négativement l’usage de substances, plus les gens pourraient se sentir à l’aise de rapporter des préoccupations quant à leur propre situation ou à celle d’autres personnes. Pour une personne qui lutte avec un problème d’usage de substances, comprendre qu’elle peut avoir une consommation plus sécuritaire et plus saine sans (ou avant) une abstention complète peut contribuer à susciter de l’espoir au moment où elle en a le plus besoin.

Comment vous pouvez l’utiliser
Adopter l’expression « santé liée à l’usage de substances » peut remettre en question les préjugés personnels et les pensées binaires. Consommer des substances n’est pas une question de tout ou de rien. Il ne s’agit pas d’en être dépendant ou de s’en abstenir complètement. Dans cet intervalle, il existe une zone grise où il y a du mouvement, des nuances, et des circonstances individuelles. Comme c’est le cas pour tout ce qui touche à la santé mentale, la façon dont nous réfléchissons et parlons des questions d’usage de substances est importante. Mieux nous comprenons le spectre de la santé liée à l’usage de substances, mieux nous pouvons soutenir des gens au long de chaque étape de rétablissement.

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