Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Les progrès en matière de promotion de la santé mentale et d’accès à des soins de qualité. Ce que nous avons appris des modèles étrangers.

Souvent, nous disons « c’est juste une idée » après avoir formulé une suggestion, sans doute pour minimiser la portée de nos conseils non sollicités. Si cette remarque nous apparaît plutôt banale, la Nouvelle-Zélande l’entend autrement, puisqu’elle l’a placée au cœur d’un service virtuel de thérapie cognitivo-comportementale piloté par la thérapeute Anna Elders. Destiné aux personnes présentant des symptômes légers à moyens de dépression et d’anxiété, le service Just a Thought fournit des outils permettant de maîtriser ses émotions, pensées et comportements à l’aide de cours en ligne gratuits. L’initiative impressionne, car elle est parvenue à réduire les perpétuels délais d’attente de six mois avant d’arriver à consulter un praticien de la santé mentale en Nouvelle-Zélande. Comme les délais d’attente au Canada sont semblables, de telles innovations nous offrent des pistes de solution qui pourraient améliorer notre réponse aux problèmes de santé mentale, lesquels sont en constante progression.

Cette possibilité m’est apparue lors de ma participation au Collectif international d’eMHIC (connu sous le nom d’eMental Health International Collaborative), un congrès annuel consacré aux nouvelles avancées au confluent de la santé mentale et de l’intelligence artificielle. L’événement de 2022, qui s’est tenu en novembre à Auckland, m’a fait découvrir certaines des façons dont la technologie (bien qu’elle ne soit pas la réponse à tous nos problèmes) peut contribuer à améliorer l’accès aux soins de santé mentale au sein de vastes pays où la pénurie de cliniciens et les contraintes financières sévissent. À cet égard, le Canada a beaucoup en commun avec la Nouvelle-Zélande, l’Australie et d’autres contrées à travers le monde. Compte tenu de nos défis communs, des chefs de file de ces deux domaines se sont réunis lors de l’eMHIC afin de se pencher sur certaines avenues potentielles.

Au mois de novembre 2023, le Canada entend mettre en place une ligne téléphonique à trois chiffres pour la prévention du suicide et la résolution de crises en santé mentale. En amont, l’organisation nationale de télésanté de la Nouvelle-Zélande – Whakarongorau Aotearoa – propose des conseils sur la mise en œuvre d’un tel service. L’initiative néo-zélandaise prévoit un accès gratuit, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à une douzaine d’équipes cliniques qui font les rapprochements nécessaires entre les multiples facettes du bien-être, qu’il s’agisse de santé mentale, de services sociaux, de mesures de soutien liées à la COVID-19 ou d’abandon du tabac. Entre juin 2021 et juin 2022, les intervenants ont communiqué avec 2,7 millions de personnes – soit près d’un Néo-Zélandais sur deux – dont 74 000 ont fait appel expressément à des services en santé mentale.

Michel Rodrigue and Colin Seery at Lifeline Australia

Michel Rodrigue et Colin Seery de Lifeline Australia

L’approche intégrée des soins en santé mentale a été un fil conducteur lors de nos discussions avec les dirigeants de l’eMHIC. L’approche holistique est au centre du programme de soutien de l’Auckland Wellbeing Collaborative, qui regroupe des spécialistes pour assurer une stratégie concertée face aux enjeux de santé mentale. Par exemple, des travailleurs de soutien communautaire, des accompagnateurs en santé ainsi que des praticiens responsables de l’amélioration de la santé pourraient collaborer sur un même dossier. Les services constituent une prolongation de nombreux cabinets de médecins généralistes dans la région, ce qui signifie que les résidents peuvent y avoir accès gratuitement à l’endroit où ils consultent habituellement leur médecin.

En découvrant cette remarquable initiative, j’ai songé aux défis qui se posent ici au Canada. Des programmes comme le Modèle de soins par paliers 2.0 ont permis de réduire considérablement les délais d’attente pour obtenir des services de santé mentale, et ce, en proposant aux gens d’augmenter ou de diminuer l’intensité de leur traitement en fonction de leurs préférences et de leurs besoins. En outre, diverses organisations travaillent actuellement à concevoir des outils qui permettront aux praticiens de mieux adapter les services de santé mentale à la culture, ce qui semble également prometteur. Toutefois, la pénurie de médecins de famille au Canada pourrait faire en sorte que le modèle d’équipe multidimensionnelle axé sur le mieux-être se révèle un objectif inaccessible.

L’équipe de soutien au bien-être de la Nouvelle-Zélande peut compter sur une approche communautaire fondée sur le concept de « whānau », un terme maori que l’on peut traduire librement par « famille », mais qui englobe aussi le réseau de soutien élargi d’une personne. Lors de traumatismes et d’épreuves, comme le tremblement de terre en 2011 ou les fusillades perpétrées dans les mosquées en 2019, de nombreux Néo-Zélandais se sont tournés vers leur communauté et leur whānau pour renforcer leur résilience et trouver du soutien.

De la sensibilisation à la législation
La mission de la Commission nationale de la santé mentale d’Australie ressemble beaucoup à la nôtre. Elle consiste à promouvoir une meilleure compréhension de la santé mentale et de ses implications, à prévenir le suicide, à influencer les décideurs politiques et à collaborer avec des organisations partenaires en vue d’améliorer la santé mentale et le bien-être de tous. Et comme nous, en dépit de ces efforts, le pays est toujours confronté aux répercussions de la stigmatisation. Un récent questionnaire portant sur la stigmatisation publique, la stigmatisation structurelle et l’autostigmatisation a révélé que plus de quatre millions d’Australiens avaient été victimes de stigmatisation et de discrimination pour des raisons de santé mentale au cours de l’année écoulée. Un peu plus d’un répondant sur quatre a indiqué qu’il ne souhaiterait pas travailler en étroite collaboration avec une personne souffrant de dépression, et 63 % ont déclaré qu’ils ne seraient pas enclins à passer une soirée à socialiser avec une personne vivant avec la schizophrénie.

Un sondage réalisé par la Commission de la santé mentale du Canada (en partenariat avec le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances) a généré des résultats comparables quant à l’omniprésence de la stigmatisation. Plus de la moitié des répondants ont dit croire que les préjugés à l’égard des personnes aux prises avec la dépression étaient toujours présents, et les deux tiers estimaient que les préjugés envers les personnes ayant un trouble lié à l’usage d’alcool étaient toujours aussi présents.

Nombreux sont ceux qui misent sur des changements législatifs susceptibles de favoriser la sensibilisation à la question de la santé mentale. Les politiques destinées à prévenir la discrimination et à promouvoir l’équité, comme celles relatives aux handicaps physiques, constituent un domaine d’intérêt grandissant pour la communauté de santé mentale, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

La mise en place d’un bureau national de prévention du suicide par le gouvernement fédéral australien en 2021 témoigne d’une autre avancée encourageante vers la convergence des initiatives de prévention du suicide. Le Dr Michael Gardner dirige l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention du suicide dans le but de coordonner les efforts entre les différents ordres de gouvernement et les organismes du secteur public. Selon le Dr Gardner, l’accent sera mis sur les politiques et les systèmes requis pour réduire la détresse suicidaire et le suicide. Pour cela, il faudra améliorer le bien-être social et émotionnel, renforcer les facteurs de protection et « implanter un système de soutien interconnecté et compatissant, capable de réagir de manière adaptée ». Plusieurs initiatives phares en matière de prévention du suicide sont déjà lancées, notamment la création d’une ligne d’écoute téléphonique nationale destinée aux Autochtones, nommée 13YARN, dont les programmes sont conçus, pilotés et animés par des Autochtones ainsi que des insulaires du détroit de Torres.

Un autre service australien, appelé Lifeline, offre un soutien en cas de crise et des mesures de prévention du suicide 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, aux habitants du pays. Aujourd’hui, dans sa 60e année, l’organisation reçoit en moyenne un appel toutes les 30 secondes. Avant la pandémie de COVID-19 et les feux de brousse qui ont sévi en 2019 et 2020, Lifeline recevait environ 2 000 appels par jour. Depuis, le service est passé à 3 600 appels quotidiens. Comme au Canada, la demande d’aide en période de crise a augmenté, alors que les taux de suicide sont demeurés stables. Le taux de décès par suicide au Canada se maintient obstinément à environ 11 par jour. Ce constat fait ressortir la nécessité d’investir de façon massive et permanente dans la santé mentale et la prévention du suicide; de déployer des efforts collaboratifs pour faciliter l’accès aux soins de santé mentale et au soutien en cas de crise; et de sensibiliser la population à la notion de santé mentale, qui fait partie intégrante de notre bien-être général.

Quelques mots de félicitations
Ce fut un véritable honneur de féliciter Nicholas Watters, directeur de l’Accès à des services de santé mentale de qualité à la Commission de la santé mentale du Canada, qui a reçu le prix d’excellence en carrière d’eMHIC pour sa contribution à l’élaboration et à la mise en œuvre de services de cybersanté mentale. Une autre pionnière de ce domaine, Patricia Lingley Pottie, Ph. D., a également eu droit à un hommage lors du congrès pour son impressionnant travail avec le logiciel IRIS, une technologie d’intelligence artificielle utilisée à l’Institut des familles solides en Nouvelle-Écosse pour fournir des traitements adaptés et collecter des données. Ces personnes, ainsi que d’autres figures de proue du secteur, m’inspirent grandement, car elles participent aux avancées décisives en faveur de la santé mentale.

Auteur : est président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada.
Photo principale : Une délégation a visité l'unité d'hospitalisation en santé mentale Tiaho Mai de l'hôpital Middlemore en Nouvelle-Zélande. Cette unité intègre la culture autochtone dans tous les aspects des soins.

Le Black Dog Institute d’Australie allie recherche et esprit communautaire. Une conversation sur la sensibilisation, l’équilibre et l’art de mettre « le sérieux en avant, et la fête en arrière ».

Si vous avez l’occasion de visiter Sydney en septembre, vous remarquerez peut-être quelque chose de surprenant : un grand nombre de personnes arborant la coupe mulet.

En effet, chaque année, le Black Dog Institute (BDI) organise sa campagne Mullets for Mental Health, où les Australiens sont encouragés à se laisser pousser les cheveux dans ce style tant décrié jusqu’à la période de collecte de fonds. Les personnes gagnantes, c’est-à-dire celles dont la crinière rapporte le plus d’argent, peuvent également remporter des récompenses, notamment le très convoité chapeau à perruque nuquette.

La coupe mulet est un moyen facile de sensibiliser le public et de collecter des fonds pour la recherche sur la santé mentale, à l’instar de la campagne canadienne Movember, qui met la moustache à l’honneur au profit de la santé mentale et physique des hommes.

Pour Helen Christensen, qui a été directrice de l’Institut BDI pendant près de dix ans, des campagnes comme celle-ci sont doublement bénéfiques. « Nous nous sommes forgé une réputation au sein de la communauté », affirme-t-elle. « Les gens sont plus susceptibles de s’impliquer parce qu’ils savent qui nous sommes, ce qui rend notre organisation plus durable. »

Le Black Dog Institute, dont le nom renvoie à l’expression « mon chien noir », employée par Winston Churchill pour décrire sa dépression, est le seul institut de recherche médicale en Australie à étudier la santé mentale tout au long de la vie. Avant que Mme Christensen rejoigne l’institut BDI en 2012, celui-ci effectuait déjà un travail innovant, principalement en réalisant des études sur la dépression résistante au traitement, tout en informant les cliniciens et autres chercheurs de ces résultats, même si cette approche était relativement inconnue en dehors de la communauté psychiatrique.

Forte de son expérience en matière d’études auprès de la population, Mme Christensen s’est efforcée de sortir la recherche des murs des hôpitaux pour l’ancrer dans la communauté. Elle a notamment contribué à opérer une réorientation stratégique vers des études communautaires et longitudinales à plus grande échelle qui sont réalisées au moyen d’Internet et axées sur les technologies. Plutôt que de se concentrer sur les cliniciens, l’Institut BDI a également commencé à proposer des formations dans les écoles et des cours destinés aux gestionnaires dans les milieux de travail.

Même si la recherche reste au cœur du travail « sérieux » de l’Institut BDI, ce sont maintenant ses événements communautaires qui le font avancer. C’est là où commence la « fête en arrière ».

Les campagnes communautaires donnent un côté ludique à la collecte de fonds, tout en rappelant aux Australiens que nul n’est à l’abri de la maladie mentale. Elles s’articulent autour d’activités qui favorisent la convivialité, comme les courses, les parcours d’obstacles et d’autres idées proposées par les membres de la communauté.

Donner la parole aux personnes ayant un savoir expérientiel
L’Institut BDI s’engage également à intégrer le vécu des personnes ayant un savoir expérientiel passé ou présent des problèmes de santé mentale. Appelée à commenter la croissance de ce domaine d’expertise, Mme Christensen explique qu’il s’agissait au départ d’un groupe consultatif formé à la suite d’un appel de propositions ouvert (un peu comme le Groupe couloir et le Conseil des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada), qui a évolué pour devenir une division spécialisée de l’Institut.

« Depuis le début, nous prenons en compte les connaissances des personnes ayant un savoir expérientiel des problèmes liés à la santé mentale, mais nous avons aussi reconnu que nous devions structurer l’intégration de cette expertise dans le reste des activités de l’organisation, déclare-t-elle. « Il fallait un cadre, des processus, un personnel, un réseau et des bénévoles dédiés à cette expertise. Une partie du cadre est encore en voie d’émergence, mais ce sont les personnes ayant un savoir expérientiel elles-mêmes qui dirigent ce processus. »

Black Dog Institute

Black Dog Institute

De même, l’Institut fait appel à l’expertise des personnes autochtones d’Australie ayant un savoir expérientiel. Grâce à son Centre d’expertise des personnes autochtones ayant un savoir expérientiel, l’Institut BDI s’investit dans des domaines tels que la recherche et la gestion de projets. Mais comme l’indique Mme Christensen, « il ne suffit pas de dire : Nous voulons améliorer la santé mentale des Autochtones, mettons donc en place un programme ».

Nous sommes les représentants d’une organisation et d’un mouvement, mais nous n’en sommes pas le moteur et nous ne pouvons pas agir à leur place, souligne-t-elle. « Quand on a la chance d’être une organisation respectée en laquelle les gens ont confiance et qui cadre avec leur travail, alors on peut aider, à condition d’y être d’abord invité. » À mesure que cette approche ciblée a gagné en importance, les partenaires autochtones sont devenus une pierre angulaire de l’Institut.

Prévention et progrès
Bien que Mme Christensen ait quitté ses fonctions de directrice de l’Institut BDI en 2021, elle reste très engagée dans l’amélioration de la santé mentale et dans les initiatives qui visent à sauver des vies partout en Australie. Elle continue à lutter contre le statu quo en se consacrant particulièrement à la prévention du suicide dans le cadre de ses fonctions actuelles à titre de professeure en santé mentale à l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud et d’administratrice non dirigeante du conseil d’administration de l’Institut BDI.

La prévention du suicide n’a rien de nouveau à l’Institut BDI, qui offre une vaste gamme de recherches et de ressources dans ce domaine. Toutefois, selon Mme Christensen, il manque encore une pièce essentielle du casse-tête : les données.

« C’est comme essayer de travailler les yeux bandés. L’absence de données concrètes entraîne beaucoup de désinformation et de catastrophisme », soutient-elle, ajoutant qu’il n’existe tout simplement pas de statistiques précises sur l’automutilation et les tentatives de suicide.

À titre d’exemple, Mme Christensen raconte l’histoire d’une étudiante qui a fait une tentative de surdose en prenant une quantité excessive de pilules. « À son réveil le lendemain matin, elle se sentait physiquement bien, alors elle s’est habillée et est allée à l’université comme si de rien n’était. Cette tentative n’a été consignée nulle part. Combien de fois ce genre de scénario se produit-il? On ne le sait pas. »

Pour aider à combler ces lacunes en matière de données, elle prône l’apprentissage auprès d’autres secteurs. « Les concessionnaires automobiles disposent de toutes sortes de données pour améliorer leurs affaires. Les applications bancaires consultent des indicateurs pour déterminer précisément quels investissements sont rentables et lesquels ne le sont pas. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose pour améliorer la prévention du suicide? »

Tirer parti des outils numériques
Lorsque la COVID-19 a forcé les gens à rester chez eux, des services de santé de toutes sortes sont passés au mode virtuel, y compris les soins de santé mentale. Aujourd’hui, l’Institut BDI continue de miser sur les outils et ressources numériques de santé mentale fondés sur des données probantes et d’étudier l’efficacité des applications. Parallèlement, les Australiens peuvent demander gratuitement des services de counselling, du soutien par les pairs et d’autres services de télésanté par l’intermédiaire de l’Institut.

Si l’afflux d’outils de télésanté a rendu les options de traitement plus accessibles pour bien des gens, Mme Christensen rappelle qu’ils ne sont toutefois pas une panacée. « Les services autonomes que nous pouvons désormais offrir virtuellement n’ont pas été intégrés à notre système de santé global, explique-t-elle. Sans un dossier de santé intégré permettant au fournisseur de soins de faire le suivi, il n’y a aucun moyen de confirmer si l’état de la personne s’améliore réellement après un traitement. C’est un problème majeur. »

Pour Mme Christensen, ce virage numérique offre une occasion sans précédent de remanier un système souvent incohérent. « J’aimerais voir une vraie intégration : un modèle de soins qui inclut les services de santé virtuels doublé d’une plateforme technologique capable de les offrir. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous verrons un véritable modèle de soins collaboratifs et axés sur le patient. »

Malgré les lacunes actuelles en matière de données et d’accès aux soins, Mme Christensen garde l’espoir que les outils et la collecte de données numériques recèlent un grand potentiel, notamment pour la prévention du suicide. « Prenons l’exemple du cancer et des maladies infectieuses. Des changements impressionnants dans la façon de traiter les patients ont été constatés au cours des 40 dernières années. La prévention du suicide, en revanche, est encore un domaine jeune. »

« En recueillant davantage de données pour améliorer les résultats, en renforçant notre capacité à fournir des soins intégrés et en mettant l’accent sur les déterminants sociaux de santé, je crois que nous pouvons vraiment accélérer la cadence en ce qui concerne la santé mentale. »

Ressources

Auteure: est vice-présidente, Affaires externes et développement à la Commission de la santé mentale du Canada.

Après le meurtre de George Floyd et d’autres actes de racisme et de discrimination à l’encontre des Noirs, de nombreuses personnes d’origine africaine, caribéenne et Noire (ACN) se sont manifestées – en ligne, dans les médias et dans la rue – pour réclamer justice et changement. Mais pour certains, porter le flambeau devient lourd, car les mouvements évoluent et que les injustices perdurent. Trouver le militantisme qui convient à votre situation.

L’un des premiers souvenirs de Melicia Sutherland remonte au jour où un enseignant l’a traitée du « mot en N ». Elle était en deuxième année.

J’étais dehors pendant la récréation, et je me souviens que l’enseignant a dit : « Tout le monde rentre maintenant. Les élèves rentraient dans l’école par les grandes portes et j’étais la suivante dans la file. L’enseignant a claqué la porte devant moi et m’a traitée du « mot en N ». Je ne savais pas ce que signifiait ce mot. J’avais seulement l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Sinon, pourquoi cet adulte m’aurait-il fermé la porte au nez alors qu’il avait laissé rentrer tous les autres? ».

Sutherland se souvient avoir ressenti toute une gamme d’émotions en rentrant de l’école : colère, gêne, honte. Mais plus tard, elle est devenue curieuse après avoir demandé à sa mère ce qu’elle pensait que l’enseignant avait voulu dire. « Ma mère a répondu qu’elle ne savait pas, et nous avons laissé tomber ».

Devenir l’autre
Si seulement c’était aussi simple. Après cet incident avec l’enseignant, elle s’est rendu compte qu’elle avait ressenti un peu la même chose à la maternelle, lorsqu’elle s’était sentie à part des autres enfants, aussi bien physiquement et psychologiquement.

C’était en 1989 quand, à l’âge de cinq ans, sa famille et elle ont quitté Montego Bay, en Jamaïque, pour s’installer à North York, dans la banlieue de Toronto. Immédiatement, et pour la première fois, elle a eu le sentiment d’être « une autre ».

« Les enseignants me sortaient de la classe et jouaient avec mes cheveux pendant que les autres enfants apprenaient l’alphabet, raconte-t-elle. J’ai toujours été comme cette petite poupée Noire avec laquelle les personnes non Noires voulaient jouer ».

À force de vivre avec la discrimination et de se faire traiter différemment des autres, Sutherland a fini par se rendre compte que la société devait changer. « En vieillissant, alors que je tentais de créer et de maintenir un certain caractère et un système de valeurs pour moi-même, il m’est apparu clairement que je devais devenir une militante », explique-t-elle. À l’été 2020, Melicia s’est jointe à la marche organisée par Remember The 400 motivée par la quête de justice pour le meurtre de George Floyd.

Elle n’a toujours pas vu la séquence vidéo de près de 10 minutes montrant comment George Floyd a perdu la vie des mains (ou plutôt des genoux) d’un policier. Pour protéger sa santé mentale, Sutherland s’est protégée des médias qui ressassaient l’incident jour et nuit. « J’étais bombardée d’images et les gens m’envoyaient des vidéos. Je ne veux pas voir quelqu’un mourir, ça blesse mon âme. Je me suis retirée des médias sociaux, car ce n’est pas bon pour ma santé mentale », souligne-t-elle.

Mais elle précise que le fait de prendre soin d’elle-même ne diminue en rien son activisme.

« Je me protège. Je n’aime pas ce genre de chose, car ça devient du sensationnalisme. Les gens veulent voir ce type d’images, c’est du voyeurisme et ça ne m’intéresse pas. Alors non, je n’ai jamais visionné la vidéo, mais je voulais faire partie de quelque chose qui allait apporter un changement significatif ».

Et, bien que traumatisante, la réponse à la violence contre les Noirs – vue, entendue et ressentie dans les médias et au sein des communautés ACN – a aussi contribué à changer les choses. Selon une étude (en anglais) de l’Académie nationale des sciences évaluée par des pairs, les manifestations du mouvement Black Lives Matter (BLM) ont élargi le débat public sur les sujets antiracistes.

Comme l’a montré la recherche, les manifestations ont marqué une première étape importante pour créer un changement social et un tournant dans la manière dont les gens perçoivent le racisme. Les manifestations ont également contribué à redéfinir la manière dont les gens vont chercher et consomment l’information au sujet des communautés Noires, alors qu’ils cherchent à concilier les questions de race et de violence policière. En outre, l’étude a montré comment les personnes se manifestent et trouvent une forme de militantisme qui leur correspond pour lutter contre les inégalités raciales.

Le militantisme n’est pas la solution universelle. Militer, c’est agir, mais pas forcément de façon frontale, voire dynamique. Il ne s’agit pas toujours de manifester dans les rues, ou de scander des appels aux changements en agitant des pancartes.

Le militantisme de Sutherland passe plutôt par les arts, par les mots, par le langage, par les images – et même par la coiffure. « Il ne s’agit pas seulement d’aller manifester, explique-t-elle. Ce qui change les choses, c’est d’agir sur le terrain. C’est ce que vous faites dans votre communauté immédiate, dans votre famille, avec vos amis et vos voisins ».

Se désengager pour se réengager
Nicole Franklin, travailleuse sociale agréée, psychothérapeute, directrice clinique et fondatrice de Live Free Counselling and Consulting Services à Toronto, est du même avis. Depuis 2017, son organisme – dirigé par des Noirs et appartenant à des Noirs – a contribué à combler le manque de thérapeutes Noirs dans les communautés racialisées. Il a également fourni une éducation et une formation en matière de santé mentale des Noirs. Pour Franklin, la « résistance des Noirs » est faite de gestes quotidiens allant contre la suprématie blanche et le colonialisme qui, au sein des systèmes politiques, économiques et sociaux, poussent les communautés ACN en marge de la société. Cette résistance est diverse et peut prendre de nombreuses formes, que ce soit dans les salles de classe, dans les salles de réunion ou dans la rue. « Les Noirs prennent soin d’eux-mêmes par la joie, l’art, la danse, la transmission de recettes – même la cuisine peut être un geste qui permet de prendre soin de soi et de sa communauté, explique-t-elle. C’est le genre de choses dont nous ne parlons pas assez ».

Si la résistance a bien des visages, Franklin s’empresse de préciser qu’elle peut devenir improductive quand elle est continue. « Nous ne devrions pas toujours avoir à résister en tant que Noirs. Nous avons aussi le droit « d’être » tout simplement. Il faut parfois se désengager ou se retirer pour reprendre contact avec soi et avec la communauté. Le militantisme, c’est aussi savoir quand arrêter pour se reposer. Demandez-vous ce qui vous apporte de la joie? Qu’est-ce qui stimule votre créativité? Tout être humain naît avec le droit de se projeter ailleurs que dans un système oppressif et d’avoir des espaces sûrs pour s’épanouir plutôt que de se concentrer sur la survie », poursuit-elle.

« Quand on est Noir, on peut avoir l’impression que l’on doit absolument se faire le porte-parole de Black Lives Matter ou de mouvements semblables pour se porter à la défense de la communauté Noire. Mais la communauté Noire n’est pas un bloc monolithique, et ce n’est à nous d’enseigner à nos collègues, à nos pairs et à d’autres personnes lorsque nous ne nous sentons pas en sécurité, prêts ou capables d’engager ce genre de conversation. (En plus, nous sommes fatigués!). Pour réagir, chacune et chacun a besoin de se sentir en lieu sûr et il ne faut pas non plus oublier de célébrer l’excellence et l’avenir des Noirs ».

Melicia Sutherland

Melicia Sutherland

Pour Sutherland, cela signifie embrasser avec authenticité et sans honte la liberté d’explorer son identité, notamment « sa peau foncée, ses cheveux crépus, ses lèvres épaisses, ses yeux en amande et ses joues pleines ». Cela dit, le militantisme qu’elle pratique dans sa communauté de l’est de Toronto – qui comprend l’animation de programmes de leadership et de programmes de lutte contre la violence – soutient toutes les nuances et couleurs, et pas seulement les Noirs.

« Les gens disent toujours : « Oh, Mel, tu es tellement pro-Noir ». Je ne veux pas porter le fardeau de représenter ma race! Ce n’est pas parce qu’on a la même couleur de peau qu’on se ressemble…et je dis cela avec toute la bienveillance du monde », précise-t-elle. « Bon nombre d’entre nous sont Noirs sans pour autant avoir les mêmes valeurs, les mêmes idéaux ou les mêmes objectifs. Je ne veux pas avoir l’impression de représenter toute ma race. Je ne suis pas pour la suprématie des Noirs. Je ne supporte pas la suprématie blanche, alors pourquoi soutiendrais-je la suprématie Noire? C’est étrange, non? Penser que l’on vaut mieux que les autres, pour moi, est étrange ».

L’un des objectifs de Franklin, comme thérapeute et intervenante pour le bien-être communautaire, c’est d’aider ses patientes et patients Noirs à surmonter leur expérience du racisme et des traumatismes raciaux en les aidant à mettre au point des plans d’action, mais aussi en validant leurs sentiments et en leur disant qu’ils ne sont pas seuls. Mais elle ne veut pas entendre parler du fait que les Noirs devraient porter le fardeau du racisme contre les Noirs au nom de la race tout entière.

« Le racisme, qui est souvent internalisé, a un effet sur notre santé mentale; on devrait l’aborder comme un problème systémique et non comme un défaut personnel. Je ne crois pas qu’il soit toujours de notre responsabilité de sortir dans les rues ou sur Internet pour éduquer les gens en permanence, ajoute-t-elle. Parfois, tout ce que l’on peut faire, c’est simplement être. Le repos, c’est aussi un acte de résistance ».

Tout comme il y a une diversité de Noirs au Canada, il existe de nombreuses façons pour une personne Noire de décider comment elle va militer, et comment elle va prendre soin d’elle-même et s’occuper de sa communauté. Les événements accablants, traumatisants et tragiques relatés dans les médias au sujet du racisme contre les Noirs nécessitent une transformation radicale et ne peuvent reposer durablement et équitablement sur les épaules de personnes sous prétexte qu’elles sont Noires.

Militez tout en respectant là où vous en êtes
Angelique Benois, infirmière en santé mentale de pratique avancée, psychothérapeute, consultante en bien-être mental et directrice de Nurturing Our Wellbeing, recommande à la communauté ACN de trouver un équilibre entre la nécessité de rester informé et le danger d’ingurgiter trop de nouvelles sur la violence contre les Noirs.

« Je conseille vivement aux gens d’être prudents quand ils s’informent sur l’actualité mondiale ou écoutent les derniers bulletins de nouvelles, explique-t-elle. Comme nous sommes chaque jour bombardés de nouvelles qui peuvent nous bouleverser, nous devons prendre des mesures chaque jour pour protéger notre santé mentale, et il faut intégrer ces mesures à notre mode de vie ».

Pour ce qui est de la façon dont notre esprit et notre corps traitent ces images, pour ensuite s’en détacher, « Tout dépend de la façon dont notre cerveau fonctionne, poursuit Benois. L’une des nombreuses fonctions de notre système limbique est de stocker nos souvenirs et de nous aider à leur donner un sens. Toutes les agressions raciales dont nous avons été témoins et tous les événements néfastes que nous avons vécus sont stockés en nous. Ces traces auront un effet sur les décisions que nous prendrons et les relations que nous établirons avec autrui. Quand on commence à comprendre comment notre corps fonctionne et influe sur notre ressenti, nos pensées et nos actions, on voit comment certaines pratiques pour prendre soin de soi peuvent entraîner un changement dans les résultats ».

Franklin se fait l’écho de cette idée quand elle explique que chacun d’entre nous peut réévaluer ce que signifie prendre soin de soi individuellement, indépendamment de tout commentaire ou de toute critique sur ce à quoi le militantisme « devrait ressembler » d’un point de vue extérieur.

« Le fait de redéfinir la notion de prendre soin de soi s’inscrit dans le contexte des soins communautaires et vise à se guérir soi-même et à guérir nos communautés Noires. On n’est pas toujours obligé de faire les choses en grande pompe. Des actes de résistance passent inaperçus et sont pourtant essentiels, ajoute-t-elle. Et pour les personnes Noires, la question de prendre soin de soi va bien plus loin que les discussions d’une « journée de détente ». C’est une question d’équilibre entre se mobiliser pour la justice sociale et prendre le temps de se reposer. Nous devons regarder la gestion de notre santé et les soins communautaires sous un nouvel angle et se laisser l’espace pour réimaginer les univers postcoloniaux. En tant que femme Noire, je pense que l’une des choses les plus puissantes que l’on puisse faire est d’apprendre à prendre soin de soi-même et de sa santé mentale, tout en nous soutenant mutuellement et en œuvrant ensemble au changement ».

C’est le conseil que donne Sutherland à la prochaine génération de militantes et de militants ACN, et c’est ce qu’elle met elle-même en pratique : prendre soin de soi et être là pour les autres membres de la communauté ACN. « J’ai l’impression que c’est la meilleure façon pour moi de conserver un équilibre et de m’assurer d’être entourée d’alliés, car je refuse de regarder les choses en pensant que « tout le monde nous déteste ».

J’ai demandé à Sutherland ce qu’elle dirait à l’enseignant qui l’a traitée du « mot en N » si elle pouvait remonter le temps.

« Je dirais, ’’Ce n’est pas bien, mais c’est OK’’, comme dans la célèbre chanson de Whitney [Houston]. À l’époque, je ne savais même pas ce que signifiait ce mot-là. Mais j’ai compris l’intention : me blesser. Pour moi, les mots sont très puissants et je les prends à cœur. »

Auteure:

Autres lectures:
Noir comme qui? Pourquoi utilisons-nous « ACN » au lieu de « Noir »? de la Commission de la santé mentale du Canada.

Photo: Melicia Sutherland. Crédits: Juanita Muwanga

Guérir et entrevoir les possibilités grâce au patin

Ce récit est le dernier de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les festivités de fin d’année peuvent être source de joie, en revanche, elles peuvent aussi éveiller des sentiments de stress et de deuil. Lisez tous les articles pour savoir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.

En 1984, j’ai décidé de rechausser les patins.

J’avais déjà patiné dans l’enfance, mais cette fois-ci, ça allait plus loin. C’était devenu une passion, voire une obsession, après de longues années loin de la glace, après avoir abandonné le sport en raison de tout ce qu’il représentait pour un jeune adepte du punk rock, de la politique, de la rébellion et de l’art. Le sport correspondait au statu quo et était réservé aux sportifs. C’était en quelque sorte « l’opium du peuple » et un lieu où les hommes et les femmes – mais surtout les hommes – se comportaient méchamment. Mais le patinage. Le patinage était différent. Le fait de simplement patiner me permettait un retour facile au sport, sans qu’il n’y ait de contact physique violent ou qu’il ne soit question de compétition.

J’ai fait mes débuts sous les lampadaires du parc Valleyfield à Etobicoke – même le nom avait une consonance réconfortante et bucolique malgré les températures inférieures à zéro – pour ensuite m’aventurer sur d’autres patinoires à travers la ville : Weston, Rosedale, Ramsden, Dufferin Grove, Regent Park. Je parcourais les patinoires de la ville, allant même jusqu’à rédiger un article pour le Toronto Star sur la façon dont on pouvait se déplacer d’est en ouest en glissant sur ses surfaces gelées, un peu comme dans le film The Swimmer avec Burt Lancaster, mais en version hivernale. J’ai acheté une paire de patins usagés, puis une autre, et enfin une toute nouvelle paire de Bauer 300, ne manquant pas de me vanter de ce superbe achat à qui voulait bien l’entendre. 

Au début, je ne pensais pas que le patinage pouvait raviver autant le moral que le physique. Mon corps se mouvait différemment, et ce, dans des cadres nouveaux. Je combattais le froid et le vent, et je transpirais abondamment en bougeant – un concept inédit pour un être habitué à la relative inertie des redressements assis. Le patinage est un exercice qui consiste à se déplacer constamment, en dévorant chaque centimètre de glace. Je n’étais pas le genre de patineur qui mettait en danger les enfants avec ses triples boucles piqués ou qui engueulait les patineurs plus âgés et plus lents qui se mettaient en travers de sa trajectoire – je me sentais complètement zen et détaché du reste du monde. J’étais libre et heureux, même en avançant à une cadence modérée. J’avais très chaud malgré le vent glacial, je sentais mes jambes agréablement fatiguées après avoir sillonné la glace jusqu’à minuit, moment où quelqu’un sifflait pour indiquer que la barrière se refermait.

Pour moi, le patinage unit l’extase des mouvements fluides et la nostalgie de revisiter l’époque lointaine où mon univers s’est compliqué par la contrainte de choisir entre le sport et la musique. J’ai 59 ans maintenant, mais je retrouve toujours ma jeunesse sur la glace, cherchant toujours à grandir et à m’épanouir davantage. En vérité, il s’agit d’un geste teinté de mélancolie, car si tout s’était bien déroulé jadis, je n’aurais jamais arrêté. Comme j’avais rapidement compris qu’être actif me permettait de garder l’équilibre entre les deux oreilles, le patinage a contribué à enrichir mon imagination et ma mémoire. Pourtant, cette activité n’a pas toujours été synonyme de bonheur de jeunesse ni de jubilation sur l’étang gelé. Elle m’a également replongé au cœur de la période la plus difficile de ma vie.

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Lorsque le moment de rédiger un autre livre est survenu en 2013, mon amour de la glace a fait remonter en moi un souvenir de la septième année à l’école Dixon Grove Junior Middle School d’Etobicoke. Cette année-là, j’ai vécu de l’intimidation de la part d’un garçon plus grand et plus costaud que moi, prénommé Roscoe (nom fictif), qui me brutalisait tous les jours après les cours. J’étais beaucoup trop humilié et terrifié pour en parler à qui que ce soit; pourtant, il s’en prenait souvent à moi en pleine cour d’école, à la vue des élèves, du personnel enseignant et des passants. Jamais personne ne s’est arrêté pour se demander pourquoi ce gros gaillard était assis sur son camarade, en train de le frapper derrière la tête. Peut-être que certains d’entre eux ont simplement jugé habituel que des enfants s’amusent de cette façon – cela arrive trop souvent, malheureusement – mais la question à savoir pourquoi aucun enseignant n’est intervenu s’est imposée dans mon esprit, à mesure que je ressassais mes souvenirs. J’ai utilisé tout ce vécu pour m’inspirer dans la rédaction de mon livre Keon and Me, où je raconte l’histoire de cette année-là en alternant les sections : l’une, rédigée à la troisième personne, du point de vue de moi, en tant que gamin de 11 ans, et l’autre, à la première personne, selon ma perspective de quinquagénaire, basé sur le recul que j’ai maintenant. Je suis reconnaissant que le patinage m’ait inspiré cette idée créative, même si elle m’a astreint à revivre le stress, la douleur et la colère qui viennent avec la réminiscence de cette période de ma vie. J’ai tenté de faire œuvre utile en déballant mes souvenirs de cette époque. Toutefois, bien qu’il réveille des vérités crues enfouies le passé, le sentiment de nostalgie nous amène souvent à célébrer ce qu’il y a de meilleur dans la jeunesse, la simplicité et la nouveauté. 

Même si le patinage – et le hockey (deux ou trois fois par semaine depuis trente ans) – s’avère une excellente façon de continuer à faire de l’exercice, il s’agit aussi d’un espace où je me rends pour plonger dans mes pensées. Dans un contexte si peu contraignant, bien des gens ont le réflexe de ruminer leurs pensées, mais pour ma part, le fait de bouger et de jouer me fait sentir libre et inspiré. La bouffée d’air frais que me procure le froid d’une patinoire extérieure ou d’un aréna fait en sorte que ma tête se libère et je ne pense à rien d’autre qu’au plaisir de jouer. Les éclairs d’inspiration pour des chansons ou des histoires, des mélodies ou des récits surgissent ainsi lorsque je suis sur la glace ou tout juste à côté, assis sur le banc en attendant mon tour pour jouer ou en train de me préparer pour la mise au jeu. La balle molle, le tennis, le golf, le basket-ball… j’ai pratiqué toutes ces activités. Mais aucune d’entre elles n’a suscité ou fait naître de nouvelles idées comme l’a fait le hockey. Je pense que chaque personne a son propre moteur– qu’il s’agisse de jouer du violoncelle, tricoter, faire du vélo, classer ses albums par ordre alphabétique – et pour moi, c’est ce qui fonctionne le mieux. Je suis très heureux de l’avoir trouvé, et reconnaissant qu’il m’ait trouvé.

Je ne patinerai pas toute ma vie; personne ne le fait. Mais alors que la plupart des gens se désoleront de tourner la dernière page du calendrier en fin d’année – d’autant plus en période de COVID-19, où la noirceur et le froid de l’hiver sont de mauvais augure pour les gens qui doivent éviter les regroupements intérieurs afin d’éviter les risques d’infection – moi, je me réjouirai de l’arrivée du froid, car, à mes yeux, son apparition signifie le retour de la glace et du plaisir de jouer. Le sol va geler et de la fumée s’élèvera au-dessus des cabanes abritant les patineurs.

Et je serai là, en train de patiner.

Auteur: est membre fondateur de Rheostatics, l’auteur de 13 livres, trois fois lauréat du National Magazine Award, et l’éditeur du journal West End Phoenix, à Toronto.
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Cinq façons de protéger votre santé mentale durant le temps des Fêtes (Association canadienne pour la santé mentale)

Vivre avec un trouble de l’humeur, c’est être continuellement à l’affût de la moindre étincelle de joie. Pour passer de la déprime à l’espoir pendant les fêtes.

Ce récit est le second de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les fêtes de fin d’année peuvent être synonymes de joie, elles peuvent aussi être une source de stress et d’un sentiment de perte. Lisez tous les articles pour savoir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.

J’entends souvent des gens dire qu’ils détestent la veille du Nouvel An. Moi je l’aime pour une simple et bonne raison : ce n’est pas Noël. Quel soulagement! La veille du Nouvel An, on peut faire ce qui nous chante. On peut décider de se mettre sur son trente-et-un, de faire sauter des bouchons de champagne, de se promener avec des chapeaux de fête et de se dandiner en écoutant Ce n’est qu’un au revoir avec une foule d’inconnus. On peut aussi décider de fêter la nouvelle année à la maison, en pyjama devant la télévision, et de se coucher avant minuit. Personne ne nous en voudra.

Noël, par contre, c’est une autre paire de manches! Les attentes sont nombreuses, tout comme les possibilités de conflit et de tourmente émotionnelle. Pour moi, Noël, ce n’est peut-être pas un traitement de canal, mais ça ressemble un peu à un nettoyage de dents ou à un petit plombage. Je ne peux pas y échapper, mais quand j’y suis, comme j’ai hâte de laisser derrière moi tout cet inconfort!

Vous vous demandez pourquoi? En fait, j’ai de très beaux souvenirs de mes Noëls d’enfant. Mes parents étant laïques, ils insistaient sur le côté festif de Noël plutôt que sur son aspect religieux. Mais le « véritable sens » de Noël — bienveillance, paix sur Terre, miséricorde, donner plutôt que prendre — s’infiltrait dans tout.

C’est à l’âge adulte que les difficultés ont commencé. L’une d’entre elles fut de recevoir un diagnostic de dysthymie (trouble maintenant appelé trouble dépressif persistant ou TDP) — dont les symptômes comprennent la mauvaise humeur, le désespoir, l’inquiétude, la culpabilité et une foule d’autres problèmes.

Puis, quand j’avais 21 ans, ma mère, âgée de 58 ans, a eu un accident vasculaire cérébral (AVC), un événement catastrophique contre lequel elle a lutté (avec des effets à la fois physiques et mentaux) pendant plus de dix ans, jusqu’au jour de sa mort. Ma sœur et moi nous sommes alors inquiétées à savoir comment notre père allait s’en sortir après 46 ans de mariage. Ce premier Noël sans elle a été difficile pour nous tous. Mais notre père nous a étonnées. Lui, normalement impassible et replié sur lui-même, a fait preuve d’une incroyable résilience. Un soir, après dîner, il a éclaté en sanglots. C’était la deuxième fois que je le voyais pleurer, la première étant quand ma mère était partie, deux mois plus tôt. On s’est consolé tant bien que mal et, même si nous n’avions pas le cœur à la fête, nous avons réussi à traverser la période de Noël.

Une semaine plus tard, mon père s’est laissé convaincre d’assister au traditionnel lever du Nouvel An de son voisin politicien. Évidemment, il a bougonné — c’était probablement la première fois qu’il se rendait à un tel événement depuis des décennies — mais à notre grande surprise, il s’est mêlé à la foule avec élégance. Chaque fois que je le cherchais des yeux, il était en train de bavarder avec un groupe de personnes différent. « Il est en train de conquérir la salle », ai-je dit à ma sœur tandis que nous nous tenions près d’une plante en pot, loin de la mêlée. Au moins l’une des personnes âgées avec lesquelles il s’entretenait venait également de perdre sa conjointe. Le tableau était touchant.

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Plus tard, à la maison, lorsque nous lui avons fait remarquer qu’il avait réussi à nouer la conversation avec beaucoup de gens, il nous a fait part de ses règles de bienséance en de telles occasions. « Tu entres et tu sors », a-t-il déclaré. Quelques minutes à peine avec chacun, puis au suivant. « Personne n’a envie de t’entendre raconter ta vie ». Il avait raison.

Quand on vit avec un trouble de l’humeur, en particulier un TDP, ce qui devrait être une source de joie — ou du moins de réjouissance — peut avoir l’effet inverse. Après des années passées à côtoyer ce trouble et grâce à un traitement réussi (qui m’inspire beaucoup de reconnaissance), je suis plus perspicace, j’ai plus de recul et j’ai des outils pour m’aider à traverser la période des fêtes. Je sais ce qui risque de déclencher un accès de déprime — j’évite donc les centres commerciaux, je ne regarde pas de films de Noël, j’appuie sur le bouton de sourdine de la télécommande quand des publicités de Noël passent à la télévision, je fais des plans réalistes et je respecte mon rythme quand il s’agit de socialiser.

Mais impossible d’échapper à tout. Il suffit d’un ancien chant de Noël à la radio, alors que je suis en train d’emballer des cadeaux en espérant qu’ils sauront plaire, pour que je plonge dans une méditation profonde sur tout ce qui cloche en cette période de l’année, sur toute la planète. Les gens comme moi sont les Bourriquet et les Charlie Brown de ce monde (Charles M. Schulz a souffert de dépression) — nous finirons toujours par trouver le ver dans la pomme ou la tarte au mincemeat, il suffit de nous en laisser le temps. On ne peut que s’appesantir sur le fait que la plupart des gens ne vivent pas dans l’univers de Norman Rockwell. On pense à ceux qui n’ont pas de famille ou à ceux dont la famille est si compliquée que rien ne justifie le stress des fêtes et de leur organisation. Et cette année, nombreux seront ceux qui auront du mal à assumer les dépenses liées aux fêtes. Sans parler de ceux qui ne fêtent pas Noël et qui, depuis le lendemain de l’Halloween, doivent supporter un monde en rouge et vert et le rire gras des pères Noël. Et quelle merveilleuse saison pour ces millions de dindes qui finissent à l’abattoir! Et n’oublions pas ces montagnes de papier d’emballage scintillant et non recyclable qui encombrent les décharges.

Vous avez une petite idée de l’endroit où me mène le TDP. Là où rien ne va.

Je prends alors une profonde inspiration et me rappelle que, si une mélancolie passagère n’est pas mauvaise en soi, il est stérile de ruminer sur la misère du monde. Apprécier sa chance est une chose, mais se sentir coupable d’avoir le réfrigérateur plein, une famille et des amis aimants et un endroit chaleureux où vivre n’aidera personne. Le confort et la joie ne sont pas le fruit du hasard. Il faut les inviter dans sa vie et faire preuve d’une bonne dose de générosité d’esprit (comme l’a appris le fameux Grincheux de Noël) au lieu de se replier sur soi au point de n’avoir pour horizon que son propre nombril.

Ironiquement, je partage maintenant ma vie avec quelqu’un qui aime Noël. Il ne construit pas de villages enneigés ni ne s’y prend des mois à l’avance pour confectionner des gâteaux et des biscuits fantaisistes. Et il ne porte pas d’affreux chandails tricotés à la main. Mais il possède une importante collection de boules de Noël, insiste pour décorer un arbre vivant et accroche systématiquement des guirlandes lumineuses à l’extérieur — en fredonnant des airs de Noël et en pensant à ses enfants adultes et petits-enfants.

Nous avons transformé mon aversion pour Noël en une plaisanterie commune. On se met tout à coup à chanter Mon beau sapin avec beaucoup de ferveur et on fait semblant de ne pouvoir contrôler nos sanglots. Il faut peut-être en arriver là pour apprécier l’humour noir, mais croyez-moi, il transforme mes larmes en rires et me sort de la déprime.

Un autre ami dépressif s’en sort en se concentrant sur les origines païennes de Noël — l’arbre allumé, signe de vie qui éloigne les mauvais esprits dans les ténèbres de l’hiver. Toutes les décorations vertes qui ornent les couloirs sont chargées de symboles : la couronne est un cercle de vie; le gui, un hommage à l’amour et à la réconciliation.

Je suis sûre que mon père n’a pas toujours aimé Noël après la mort de ma mère. Il a encore vécu 13 ans après elle. Il a fait son deuil avec une dignité tranquille et mené sa propre vie, qu’il appréciait, je crois. Lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer du poumon à l’âge de 86 ans, nous avons tout fait pour l’accompagner. Nous avons passé un Noël modeste ensemble, en tenant compte de la fatigue liée aux traitements de radiothérapie et au cancer lui-même. Il avait peu d’appétit et dormait beaucoup. Nous ne savions pas qu’il lui restait six semaines à vivre, mais nous savions que ce serait probablement notre dernier Noël avec lui.

Après sa mort, lorsque nous avons vidé sa maison, j’ai trouvé plusieurs cadeaux de Noël portant mon nom sous son lit. De toute évidence, il avait oublié de les mettre sous le sapin. L’un d’entre eux était un stylo en argent sculpté de spirales celtiques. Évidemment, j’ai eu mal au cœur, mais il me sera toujours très précieux. Je suis surtout émue à l’idée que, malgré les ravages du cancer, mon père ait trouvé l’énergie de sortir et de choisir soigneusement des cadeaux pour ses filles.

Joie et réconfort. Jusqu’à la fin, il a tenté de nous en prodiguer. Je me fais souvent un devoir de me rappeler cela. Si lui a pu le faire, je le peux aussi.

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À l’occasion des fêtes de fin d’année, ma voix intérieure se fait particulièrement critique alors que je suis partagée entre la fascination suscitée par un Noël commercial et celle, profondément ancrée, de Kwanzaa. Comment s’orienter dans le dédale des ornements tapageurs, des guirlandes clinquantes et autres atours artificiels du temps des fêtes?

Ce récit est le premier de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les festivités de fin d’année peuvent être source de joie, en revanche, elles peuvent aussi éveiller des sentiments de stress et de deuil. Découvrez dans cette collection comment des personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.

Tout commence par une joie enfantine. Une effervescence suscitée par la perspective des festivités, de la bonne bouffe, de la convivialité et, bien sûr, des cadeaux. Rien n’est aussi parfait que la période de Noël. Enfin, presque. Quelques tiraillements se mettent de la partie.

Il y a les inquiétudes causées par tant d’excès. En fait, l’inquiétude n’est pas tout à fait le bon terme. Ça ressemble davantage à une sensation de frustration qu’à de l’inquiétude – ou à de la culpabilité, en fait. Vous connaissez ce genre de pensées qui nous traversent l’esprit. Devrais-je me laisser tenter par ces délicieux biscuits? C’est Noël après tout. Combien? Probablement juste un…  mais ils sont tout petits. Quelle quantité de beurre et de sucre peuvent-ils contenir? Oh, mais ils sont tellement moelleux – et ils disparaissent si vite. C’est à peine si j’ai eu le temps d’y goûter. Je pourrais en manger deux ou trois…  et pourquoi pas dix-sept?

Puis vient la culpabilité. J’ai beaucoup trop mangé. Tout ce beurre et ce sucre. Beurk! Je crois que je sens le durcissement de mes artères. Ensuite viennent les promesses habituelles de faire mieux le lendemain. Demain, je mangerai une salade…  mais voilà que quelqu’un m’invite à bruncher. Le lendemain, je soupe avec des amis et, c’est comme ça, je ne les ai pas vus depuis une éternité. On en profite! L’alcool coule à flots! Santé tout le monde! Voilà la meilleure bouteille de rhum de ma vie! Oh, et que dire de ce Côtes du Rhône? Les remords surviennent au petit matin, exprimés de cette voix éraillée que je ne réserve que pour moi-même. Encore raté! Mais la valse entre le plaisir et le châtiment ne fait que commencer.

Je suis charmée par le strass et les paillettes. Toutes ces couleurs et cette luxuriante verdure parfumée. Des dizaines d’ampoules lumineuses tapissent chaque pièce de la maison, évoquant le décor d’un conte de fées. J’adore cette ambiance chaleureuse de Noël. Mais est-ce excessif? Combien de guirlandes puis-je installer avant qu’il y en ait trop? Ces parures sont-elles élégantes ou de mauvais goût? Que signifie l’expression « moins, c’est mieux »? Qu’est-ce que les décorateurs pensent de ce concept?

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Je ne tarde pas à me plonger dans les magazines de décoration, chacun offrant des conseils contradictoires. Ma maison n’est pas très grande, et je n’ai pas une flopée de volontaires à ma disposition pour l’ornementer. Quelqu’un pourrait-il aussi m’expliquer pourquoi je voudrais un sapin tout blanc? Ou un complètement rouge? Tout cela ressemble davantage à une stratégie de marketing qu’à la fête de Noël. Une approche plus traditionnelle serait-elle préférable? Honnêtement, pour moi, le chapelet de maïs soufflé suspendu ressemble plutôt à un vecteur d’infestation de souris. Qui plus est, la façon dont le chien reluque le bol de maïs soufflé me pousse à croire que je devrai surveiller le sapin 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Tout cela semble inutilement formel et contraignant. J’ai peut-être un côté démodé.

Combien coûte l’achat de décorations, de nourriture, de cadeaux? Beaucoup trop. Pas assez? Combien de familles se privent alors que je gaspille de l’argent pour acheter les objets les plus inutiles qui soient? Je regarde mes cloches argentées soigneusement posées à côté de mon renne doré et de mon grand bol de babioles scintillantes et je me demande si cet argent n’aurait pas été mieux dépensé à faire un don? Suis-je égoïste et égocentrique?

Toutes ces préoccupations marquent la culmination de mes névroses, dans une période communément appelée le temps des fêtes.

À tout cela s’ajoute une culpabilité secrète que je porte dans mon cœur. La culpabilité d’être Noire et de célébrer Noël – je me plais à la surnommer « ma culpabilité de Kwanzaa ». Ce sentiment s’éveille en moi déjà quelques mois avant la célébration de la culture Afro-Américaine, qui se déroule sur une semaine à partir du 26 décembre. Pourquoi cette culpabilité? Parce que je ne participe pas aux festivités de Kwanzaa. Je ne suis même pas certaine d’en avoir envie. Pourtant, un tel aveu de la part d’une femme Noire fière et – j’aime à le penser – progressiste, peut équivaloir à proclamer mon statut de « biscuit Oreo » ou de « noix de coco », c’est-à-dire une personne noire à l’extérieur, blanche à l’intérieur.

Kwanzaa n’est pas censé remplacer Noël, mais le moment de son arrivée fait tout de même naître une certaine compétition. Voilà une rivale plus saine et plus réfléchie. Alors que je me frotte les mains en attendant avec gourmandise les plats riches et les desserts copieux qui caractérisent ma gloutonnerie de Noël, je devine le contraste des mets que goûteront mes sœurs de Kwanzaa : des fruits, des légumes et du maïs. La culpabilité m’étreint.

La fête de Kwanzaa est une création judicieuse d’une personne Noire issue du milieu universitaire. Essentiellement, il s’agit de célébrations axées sur le recueillement, puis de sept soirées où l’on porte un toast à la diaspora Noire et à notre capacité à triompher d’innombrables combats. Elle s’impose doucement, porteuse d’aspirations comme l’unité, l’autodétermination, le travail collectif, la responsabilisation, la coopération économique, la raison d’être, la créativité et, avant tout, la foi. À l’occasion de Kwanzaa, on offre des cadeaux faits maison et on évite le mercantilisme. On remplace les jeux de lumière par sept bougies allumées.

Pourtant, en dépit de la qualité du message et des valeurs positives véhiculées par cette fête, je l’évite, préférant adhérer à une tradition qui suscite en moi des interrogations quant à la présence ou non de Noirs parmi les rois mages.

Ma culpabilité à l’égard de Kwanzaa ne date pas de sa création dans les années 1960 ni de sa montée en popularité dans les années 1990. Non, mon amour – ou pour parler franchement, ma haine – de Noël a commencé quand j’étais enfant. Personne dans ma famille ne ressemblait au Père Noël et, jusqu’à très récemment, tous les anges des sapins avaient une chevelure dorée et des pommettes roses. Comme j’ai été dotée de mon premier foyer à l’âge de 28 ans, il n’y avait aucune chance que le Père Noël descende par la cheminée quand j’étais gamine. Et la Barbade, lieu de résidence de ma famille, est dépourvue de tout sapin. En fait, entre le gui, les atocas, la farce et la dinde, les coutumes liées à Noël ont été pour ma famille autant d’occasions de découvrir de nouveaux horizons. Cela dit, nous avons adopté ses coutumes et, avec le temps, nous les avons faites nôtres.

Ainsi, chaque année, je sors toutes les boîtes de décorations de Noël de mon sous-sol. J’installe des lumières à l’extérieur et à l’intérieur de ma maison, et je chante et danse – comme Carlton dans la série télévisée Le Prince de Bel-Air – sur des cantiques d’allégresse. Merci, Sir Paul McCartney, de me laisser vous accompagner à la chansonnette, sur cette incontournable ritournelle qu’est Wonderful Christmastime. Bien que les intentions de Kwanzaa soient louables, les traditions qui y sont rattachées me sont encore plus étrangères que celles de Noël. Pourquoi devrais-je renoncer à mes traditions et à celles de toute une vie?

Certes, je n’en suis pas une, mais, comme toute bonne chrétienne, j’ai appris à adapter les traditions de Noël à mes propres besoins culturels. Donc cette année, nous servirons des plats composés de riz et de pois, de poisson et de queue de bœuf. Je consulte le programme Weight Watchers pour trouver des recettes festives, mais équilibrées et, bien que nous disposions d’une jolie cheminée, nous accrocherons nos bas de Noël le long de la rampe d’escalier près de la porte d’entrée. Comme d’habitude, la cime de notre sapin sera ornée d’un couple de tourtereaux étincelants plutôt que d’un ange.

Chaque année, je trouve de nouvelles façons de m’approprier cette période des fêtes, en ajoutant quelques touches qui me ressemblent et en retirant tout ce qui reflète une mentalité coloniale. Au fur et à mesure que j’adapte chaque facette de Noël à ma situation et à mes aspirations, j’apprends à faire la paix avec les autres aspects de cette fête qui revêtaient autrefois une signification différente. Avec un peu de chance, les seuls biscuits Oreo chez moi seront ceux que je dégusterai en regardant un film de Noël sur la chaîne Hallmark. Joyeuses fêtes!

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Auteure: , spécialiste des communications, réside et travaille à Ottawa.

Après s’être penchée sur le sujet pour rédiger cet article, Debra Yearwood, leader certifiée en santé, a dressé une liste de lecture de rap conscient. Elle signe régulièrement des articles dans Le Vecteur.

Quitter un partenaire intime violent nécessite un réseau de soutien

La veille du jour où j’ai mis fin à ma relation, je ne vous aurais pas cru si vous m’aviez dit que j’étais victime de violence conjugale. En y repensant, je comprends que plusieurs raisons et facteurs complexes étaient impliqués, comme la façon dont les personnes vivant la violence (physique, mentale ou émotive) peuvent normaliser leur situation.

« Ce n’est pas si terrible, les choses vont s’améliorer quand il obtiendra cette promotion, trouvera un meilleur emploi ou reviendra de ce voyage… » Vous voyez ce que je veux dire. Si vous attendez que la situation s’améliore, le risque de la voir se détériorer davantage, par des épisodes d’abus plus fréquents et plus violents, ne fait que croître.

Je comprends aussi que normaliser la situation est un mécanisme de défense tout à fait habituel. Il peut être difficile d’accepter que vous vivez une situation qui met votre vie en danger. J’en sais quelque chose, parce que je l’ai moi-même vécu. Mais la normalisation peut vous garder coincé dans un contexte dangereux, surtout si votre partenaire est manipulateur. Ces personnes sentent quand vous prenez vos distances ou songez à les quitter. Elles redoublent alors d’efforts afin de reprendre leur emprise sur vous, que ce soit par une ambiance de lune de miel, des fleurs ou de grandes démonstrations d’affection.

J’ai enduré deux années d’abus avant de me réveiller un matin en sachant que je devais mettre fin à ma relation, coûte que coûte. C’est comme si mon instinct de survie venait de se réveiller après avoir sommeillé pendant des mois. Bien que j’avais songé plusieurs fois à partir et même menacé de le faire en quelques occasions, les choses avaient changé. J’avais soudain compris avoir atteint le point de non-retour.

Les gens qui n’ont jamais vécu de telles expériences se demandent pourquoi les personnes en pareille situation choisissent de rester ou ont peine à partir. Je ne crois pas qu’il y ait de réponse facile à cette question. Souvent, l’agresseur exerce un contrôle très strict sur l’autre, sur ses finances, sur ses enfants et sur la dynamique familiale.

Le sentiment de honte est aussi un facteur important. Il est très courant dans de telles relations de ressentir de la honte de subir et de supporter l’abus. Une personne abusée s’imputera souvent le blâme, parfois de façon inconsciente. Et les partenaires violents blâment souvent la personne abusée pour leur propre comportement.

L’abus est beaucoup plus fréquent que vous ne pourriez le penser, sans égard à l’âge, au genre, à la culture, à la nationalité et au statut socioéconomique. Pour une personne aux prises avec l’abus et tous les dilemmes qu’il entraîne, le problème peut sembler insoluble en soi. L’agresseur a défini et affirmé les règles de la relation et la personne qui souhaite la fin de l’abus n’y voit pas d’issue. En fait, il n’y en a pas. Pas avant qu’elle ne franchisse le point de rejet de toute la dynamique de pouvoir et qu’elle n’accepte les conséquences de son départ. Et ces conséquences peuvent être lourdes. Parfois, les personnes qui fuient une situation d’abus ressentent une perte à plusieurs niveaux : matériel, social, émotif et personnel.

La famille et les amis se disent souvent surpris lorsqu’ils se rendent compte de l’abus. Bien que ce soit en partie dû au silence et à l’isolement alimentés par la honte, la plupart du temps, c’est parce que l’agresseur fait de grands efforts pour contrôler son image, sa réputation et la trame narrative de la relation. En dépit de ces efforts, l’abus laisse presque toujours des indices. Mais les gens ne les reconnaissent habituellement pas, ou choisissent de les négliger ou de ne pas en tenir compte.

Une question d’instinct
Mon partenaire abusif était un grand manipulateur, insensible, égocentrique et contrôlant. Une des façons dont il contrôlait la trame narrative de notre relation était en remettant constamment en question mon engagement. Même après avoir aménagé avec lui et lui avoir prêté de grosses sommes d’argent, il se plaignait fréquemment de mon « manque d’engagement ». Il se décrivait comme une victime de mon égoïsme indifférent.

Blâmer ainsi la victime est une arme de prédilection pour les partenaires abusifs. Un autre mécanisme qui consiste à déformer la vérité est surnommé « gaslighting », d’après le film Gaslight (Hantise en français). Dans ce film, une jeune épouse est manipulée par son mari qui lui fait croire qu’elle perd la raison. Dans une relation troublée, ce terme fait allusion à la manipulation et à l’abus émotionnels si intenses que le partenaire commence à douter de son propre sens de la réalité. C’est un moyen de conserver le contrôle sur la relation et de conserver l’accès aux ressources comme l’argent, l’affection, l’attention, l’énergie, la validation, l’admiration et le respect.

Le jour où je me suis réveillée et où j’ai décidé de partir, je devais trouver un moyen de maintenir le cap. Je savais aussi que je risquais de perdre mon sang-froid et ma détermination. Bien que j’étais capable de reconnaître ma fragilité et mon instabilité émotionnelle, j’avais de la difficulté à penser clairement (un effet psychologique du traumatisme constant). Mais c’était le moment ou jamais. Je devais agir rapidement, car mon partenaire s’apercevrait rapidement de quelque chose. Je n’avais pas la possibilité d’appeler un numéro 1-800 ou de faire une recherche sur Google. Si vous m’aviez dit qu’il me fallait un plan d’urgence, je n’aurais pu vous offrir qu’une page blanche. Tout ce que je savais, c’était que je devais quitter, car ma vie en dépendait. Pour cette raison, je suis passée en mode survie, ce qui m’a permis de formuler un plan et de le mettre en action.

J’ai pris quelques journées de congé au travail (j’avais réussi à conserver une carrière prospère malgré ma situation) et j’ai commencé à chercher un appartement à louer. Bien que j’aie réussi à obtenir le premier appartement convenable que j’ai trouvé, celui-ci n’était pas disponible immédiatement. J’ai donc loué un espace d’entreposage pour mes affaires et une chambre d’hôtel pour moi tout en pensant : Comment une personne ayant moins de moyens que moi pourrait-elle gérer tout ça?

Pour les plus gros articles, j’ai réservé des déménageurs pour une journée où mon partenaire était au travail. Mais mon plan a connu un raté. Au lieu d’informer la compagnie de déménagement que je fuyais une relation abusive, je leur ai simplement dit que ce serait un petit déménagement. J’ai commis une grossière erreur en supposant qu’ils se présenteraient à l’heure convenue; ils sont arrivés avec quatre heures de retard. J’ai donc dû laisser la plupart de mes choses, enfin presque tout ce que je possédais, derrière.

Comment offrir de l’aide
Si vous connaissez (ou si vous soupçonnez) une personne de vivre ce type de situation dangereuse, la meilleure façon d’aider est d’offrir d’écouter. Il est aussi important de le faire de façon sincère. Ne vous contentez pas de l’offrir une fois et de disparaître. Persistez. Avec une personne victime d’abus, il faut parfois plus d’une tentative pour qu’elle se confie à vous. En agissant comme un simple passant et en évitant d’agir, vous pourriez involontairement contribuer à l’abus. Si vous voyez quelque chose, dites quelque chose.

Un partenaire abusif peut faire preuve de colère ou avoir un tempérament explosif et imprévisible. Il peut vous blâmer pour ses poussées de violence et vous blesser physiquement (ou menacer de le faire), vous, lui-même, ou les membres de votre ménage, y compris les enfants et les animaux. Il peut vous humilier ou vous rabaisser en insultant votre apparence, votre intelligence ou vos intérêts. Il peut tenter de vous humilier devant d’autres personnes et tenter de détruire vos biens ou des objets auxquels vous tenez. Il peut surveiller tout ce que vous faites, insister pour que vous répondiez immédiatement à tous ses textos, courriels et appels et exiger de connaître vos mots de passe sur les médias sociaux, le courriel ou d’autres comptes.

Comment reconnaître les indices d’abus chez une personne de votre entourage :

  • La personne vérifie constamment l’heure et est attendue à la maison à une heure précise.
  • La personne est toujours en communication par texto ou téléphone avec son partenaire quand ils ne sont pas ensemble.
  • La personne consulte toujours son partenaire avant de prendre une décision.
  • La personne devient distante quand vous communiquez avec elle.
  • La personne perd son intérêt pour les passe-temps et les activités.
  • La personne ressent de la tristesse inexplicable, accompagnée de pleurs ou de colère.
  • La personne fait tout en son pouvoir pour que l’agresseur fasse bonne figure.
  • La personne cesse de s’occuper de ses propres besoins mentaux, émotionnels, physiques et spirituels.
  • La personne prend ses distances de votre amitié, n’appelle plus, ne vous visite plus et coupe la communication.
  • La personne ne participe plus aux événements sociaux et aux réunions familiales.

Si la sécurité d’un(e) ami(e) vous préoccupe, restez en contact. Afin de garder les voies de communication ouvertes, évitez d’éveiller les soupçons de l’agresseur. Vous pouvez convenir de mots de code secrets que vous utiliserez dans vos conversations afin de vous aider à communiquer de façon plus sécuritaire. Demandez à votre ami(e) quel est son moyen favori pour le (la) rejoindre. Il est important de disposer d’un canal de communication sûr, car dans bien des cas, la personne se trouve à proximité de l’agresseur qui pourrait surveiller les conversations. Demandez à votre ami(e) s’il est préférable de communiquer par texto plutôt qu’au téléphone ou sur une plateforme ou une appli spécifique. Apportez-lui du soutien et croyez ce qu’elle vous dit. Rassurez la personne en lui disant qu’elle n’est pas seule et qu’il existe de l’aide et du soutien. Sachez reconnaître qu’il peut être difficile pour elle de parler de l’abus. Si elle souhaite en parler, écoutez attentivement et soyez empathique.

Les seize jours
La Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, le 6 décembre, sert à commémorer celles qui ont vécu la violence fondée sur le sexe. Elle sert aussi à passer à l’action. Tous les 6 décembre, les gens de tout le Canada sont invités à se souvenir des 14 femmes assassinées à l’École Polytechnique de Montréal ce jour-là en 1989 et à leur rendre hommage, pendant les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le sexe, du 25 novembre au 10 décembre.

Renseignez-vous
Consultez le plan ministériel de Femmes et Égalité des genres Canada : Il est temps : la Stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe.

Consultez le programme ACT (sensibilisation, collaboration et outils) de Humane Canada (en anglais seulement), qui offre des services de planification et de soutien pour la sécurité des femmes avec animaux (de compagnie, de ferme ou de service) aux prises avec la violence fondée sur le sexe.

Ressources
Comment reconnaître les signes d’abus : Foire aux questions : Quels sont les signes d’une relation abusive?, d’ONU Femmes.

Services de soutien dans tout le Canada par la Fondation canadienne des femmes.

Auteure : [Nom confidentiel] continue de réfléchir et de partager son expérience vécue afin de sensibiliser à la violence conjugale.

Il n’est pas évident de commercialiser un ouvrage consacré à la dépression chez les enfants, et pourtant, ce sujet est d’une importance majeure. Retour sur la rédaction et l’autopublication du livre The Semicolon [qui signifie le point-virgule].

Quand je repense aux innombrables refus essuyés pour The Semicolon, deux me viennent à l’esprit. Tout d’abord, celui d’un agent littéraire incrédule qui se demandait pourquoi j’avais choisi la dépression comme sujet de lecture pour des enfants. Puis un deuxième, encore plus tranchant, m’a dit sans détour : « La partie consacrée à la santé mentale des enfants ne m’intéresse pas du tout. »

Les refus sont inhérents à mon métier d’écrivaine, et je suis la première à admettre que ma proposition était inhabituelle. J’ai eu envie de la mettre sur papier après avoir lu un article sur Amy Bleuel, du « Project Semicolon », et les autres militants de la santé mentale qui ont adopté le point-virgule comme symbole d’espoir et de résilience dans le cadre d’initiatives de prévention du suicide. Bon nombre de ces personnes se sont fait tatouer un point-virgule pour manifester leur solidarité envers la cause, ou pour marquer leur propre expérience de survie. Ce geste est motivé notamment par la fonction du point-virgule : il représente la continuité d’une phrase plutôt que sa fin. Cette symbolique m’a interpellée, non seulement en tant qu’autrice, mais aussi parce que, ayant traversé une grave dépression dans ma vingtaine, je suis convaincue que la maladie mentale est tout aussi incomprise que la grammaire.

Je cherchais un moyen de reprendre ce brillant concept du point-virgule afin de le présenter, d’une manière non didactique et bien adaptée à leur âge, à de jeunes lecteurs pouvant eux-mêmes éprouver des troubles de santé mentale.

Pour autant, mon choix n’a pas été facile. Le marché des livres jeunesse est déjà particulièrement difficile à conquérir pour les auteurs qui n’illustrent pas leurs propres œuvres, et voilà que je proposais une histoire portant sur un sujet délicat et raconté de manière abstraite. Néanmoins, je refusais de sous-estimer la sensibilité et la capacité des enfants à imaginer et à réfléchir, et ce même s’ils ne connaissent pas le point-virgule. Mon concept a peut-être rebuté les agents littéraires, mais je le voyais s’inscrire dans une catégorie de livres illustrés traitant de thèmes difficiles et destinés à être lus – et à susciter des discussions – avec les enfants, et ce, aux côtés d’ouvrages tels que The Scar de Charlotte Moundlic et Virginia Wolf de l’autrice canadienne Kyo Maclear.

Qui plus est, il s’agissait (et il s’agit toujours) d’un sujet qui doit absolument être abordé.

Britt Sayler

Britt Sayler

Même avant la pandémie, le CDC évaluait à 2 % la prévalence de la dépression chez les enfants âgés de six à onze ans (et à plus du triple chez les adolescents). Au dire de tous, la santé mentale des enfants n’a fait que se détériorer depuis. La société Kidthink, basée au Manitoba, estime maintenant que de 10 à 20 % des très jeunes enfants au Canada vivent des troubles de santé mentale. De plus, en octobre, la Société canadienne de pédiatrie signalait que les jeunes doivent attendre de plus en plus longtemps pour obtenir des soins de santé mentale.

À la lumière de ce qui précède, en quoi le fait d’écrire sur la santé mentale pour un jeune public était-il si tabou? Avait-on peur des mots? Était-ce parce que, en tant que société, nous nous accrochons encore à l’idée que l’enfance est une période joyeuse et insouciante? Ou encore, était-ce précisément le sujet de la dépression, plutôt que la santé mentale en général, qui posait problème?

Plus d’une fois, on m’a conseillé de présenter mon livre comme un ouvrage sur le deuil, puisque la dépression du personnage principal fait suite à la perte d’un parent (les bouleversements de la vie sont souvent des déclencheurs). Pour moi, cette approche passait à côté de l’essentiel. Finalement, j’ai décidé de m’autopublier. Il m’était impossible d’occulter le propos même que je tentais de faire entendre.

Venir en aide aux enfants en difficulté
Même pour les enfants, la dépression peut s’avérer accablante. Je voulais saisir cette réalité (littéralement, un gouffre vertigineux fait partie intégrante du livre) et interpeller les lecteurs sans pour autant leur faire la morale. Autrement dit, l’histoire d’abord, le message ensuite. Je tenais aussi à croire en la capacité des enfants à assimiler de nouveaux concepts, en espérant offrir une leçon durable.

Évidemment, faute d’un accès presque automatique aux écoles et aux bibliothèques, dont bénéficient les maisons d’édition établies, il devient difficile de rejoindre les enfants. De manière générale, je m’inquiète de la marchandisation de la santé mentale, mais pour que mon livre parvienne à ceux qui en ont besoin, je devais le commercialiser.

Les professionnels de la santé mentale qui travaillent auprès des enfants constituent une clientèle toute désignée. Mais tout aussi importants sont les parents, les enseignants et le personnel soignant qui ont vécu de près la maladie mentale – notamment le rétablissement après une dépression – ou qui sont familiers avec les tatouages de points-virgules. Le fait est que la plupart des livres illustrés sont vendus à des adultes qui les lisent aux enfants, et les personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent peuvent se révéler les porte-parole les plus passionnés.

Le plus grand obstacle à franchir sera de faire parvenir le livre aux enfants qui en ont besoin maintenant, et pas seulement à ceux qui risquent de souffrir de dépression à l’avenir. Il peut être pénible de constater qu’un jeune enfant de son entourage est déprimé. En outre, la dépression se présente rarement de la même manière chez les enfants que chez les adultes – un constat que les experts consultés pour écrire ce livre ont clairement établi. Il nous arrive tous d’avoir du mal à gérer nos émotions, mais les enfants sont encore en train de se forger une conscience de soi et un vocabulaire pour les communiquer. Il appartient donc aux adultes de repérer les signes.

Comme les jeunes 2SLGBTQ+ courent un risque plus élevé de dépression et de suicide que leurs pairs, j’ai également pris la décision délibérée de ne pas préciser le sexe de l’enfant qui raconte l’histoire. Le vocabulaire est neutre et les illustrations sont ambiguës pour laisser à chaque lecteur la possibilité de percevoir le personnage principal au gré de ses besoins.

Maintenant que The Semicolon est disponible, j’espère qu’il se taillera une place parmi le nombre croissant de livres illustrés consacrés à la santé mentale. La plupart d’entre eux se concentrent sur des aspects du bien-être tels que la conscience émotionnelle, l’autorégulation et l’estime de soi; je voudrais que le mien fasse la lumière sur la prévalence de la dépression infantile et approfondisse la compréhension que la société a de ce phénomène, sans pour autant le banaliser. Il y a une différence entre une tristesse passagère et une dépression, tout comme il y a une différence entre une inquiétude normale et une anxiété chronique.

J’espère que ce livre, conçu pour les enfants, pourra lancer des discussions et aider les lecteurs à acquérir des notions durables en matière d’émotions douloureuses, mais il convient néanmoins de replacer ces ouvrages dans leur contexte. Ils ne remplacent en aucun cas un éventuel diagnostic ou un traitement. Ce sont des outils destinés à aider les enfants à devenir la version la plus saine possible d’eux-mêmes – des ressources inestimables dont nos jeunes ont de plus en plus besoin.

Autres lectures

Parler du suicide aux enfants

Prévention proactive : un modèle pour mettre fin à l’intimidation.

Auteure: . Le livre, The Semicolon, est désormais disponible chez FriesenPress.

Illustration : Dorota Rewerenda

Crédit photo : Andrea Gray, Trio Photography

Parlons de la santé mentale au football

Quand on pense au monde du sport professionnel, on imagine des stades pleins à craquer, des supporters en délire et des contrats mirobolants pour les athlètes les plus célèbres, qui font preuve d’une adresse et d’une endurance incroyables. Mais cette image de joueurs réalisant le rêve d’une vie ne correspond pas toujours à la réalité et ne dépeint pas les difficultés que rencontrent nombre d’entre eux pour préserver leur bien-être mental. La vérité, c’est que de nombreux athlètes d’élite souffrent. À l’approche de la 109e Coupe Grey, Le Vecteur s’intéresse à la façon dont des organisations comme les Saskatchewan Roughriders s’associent à d’autres pour s’attaquer à ce problème.

Selon une étude récente parue dans Psychology of Sport and Exercise, plus de 40 % des 186 athlètes de l’équipe nationale d’élite du Canada « répondaient aux critères d’un ou plusieurs troubles mentaux », le stress et la charge d’entraînement étant « des facteurs prédictifs importants de dépression et d’anxiété ». Pour en comprendre la cause, il est essentiel de reconnaître les réalités auxquelles les athlètes sont confrontés, tant sur le terrain qu’en dehors.

Avant de devenir des professionnels ou des amateurs de haut niveau, les athlètes doivent faire leurs preuves dans les ligues juniors, universitaires et semi-professionnelles. Cela implique souvent de devoir concilier leurs aspirations sportives avec leurs obligations scolaires, professionnelles et familiales, sans compter la notoriété grandissante qui vient avec le succès.

« C’est parfois pénible », a déclaré Ty Logan, ancien athlète universitaire et actuel défenseur professionnel des FireWolves d’Albany de la National Lacrosse League. « Durant les études, on passe nos fins de semaine à voyager d’une ville à l’autre dans un autobus bondé, tout en essayant de terminer nos devoirs et de rattraper les cours qu’on a manqués pendant la semaine. On passe de longues soirées à la bibliothèque, et on se lève tôt le lendemain pour aller au gym. Si on gère mal notre temps, il est facile de prendre du retard dans un domaine ou dans l’autre. »

Notre valeur ne repose que sur notre dernier match
Les attentes à leur égard, qui s’ajoutent aux multiples obstacles et responsabilités, peuvent constituer une énorme source de stress pour les jeunes athlètes. « La pression est vraiment grande, des deux côtés, souligne Ty Logan. Même quand on devient professionnel, il n’y a pas de jours de repos, et on ne sait jamais quand on a signé notre dernier contrat ou joué notre dernier match dans la ligue. Il faut essayer de faire abstraction du monde extérieur et se concentrer pour jouer de son mieux. »

Cette pression s’intensifie pour les athlètes de la relève, dont les chances de devenir professionnels dans un sport donné sont de plus en plus minces. Selon la National Collegiate Athletic Association, environ 4 % de tous les athlètes universitaires atteindront une ligue professionnelle ou le niveau olympique. Ils sont encore moins nombreux à y rester pour plus de quelques matchs.

L’esprit au travail sports

Lorsqu’un grand groupe d’athlètes très motivés et compétitifs se battent pour un nombre limité de places, avec la promesse de la fortune et de la gloire en jeu, il est facile de voir comment la pression peut monter pour les athlètes professionnels de demain. Si l’on ajoute à ce scénario la nécessité de conserver de bonnes notes et d’occuper un emploi à temps partiel pour aider à payer les factures, les risques pour le bien-être mental deviennent parfaitement évidents.

À la lumière de tout cela, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a adapté le programme de formation L’esprit au travail (EAT) pour aborder ces questions. Les modules de L’esprit au travail sports sont axés sur des exercices pratiques basés sur des scénarios faciles à mettre en application pour les athlètes et les entraîneurs, qui s’appuient sur les voix des personnes ayant un savoir expérientiel passé ou actuel de la maladie mentale.

La recherche montre que les entraîneurs assument plusieurs rôles – motivateurs, conseillers, substituts parentaux – qui exigent tous un travail émotionnel considérable. Et les athlètes doivent bien comprendre leur santé mentale – et celle de leur entourage – pour maximiser leurs capacités. Pour répondre à ces exigences, chacun des cours de L’esprit au travail sports fournit des outils et des compétences permettant de faire face aux situations difficiles et de soutenir ses coéquipiers – des aptitudes qui s’appliquent aussi bien aux personnes qui jouent dans les ligues de garage et les ligues récréatives qu’aux athlètes de haut niveau.

Une nation d’athlètes
Selon un sondage mené par Statistique Canada en 2016, 27 % des personnes de 15 ans et plus pratiquent régulièrement un sport. Cela représente plus de huit millions de personnes dans tout le pays qui pratiquent une activité sportive sous une forme ou une autre pour s’amuser et pour garder la forme et la santé physiques. Mais au-delà de l’individu moyen, la tendance s’inverse. Pour les athlètes d’élite qui consacrent leur vie à la compétition professionnelle, le sport peut passer d’une influence positive sur la santé physique à un danger pour le bien-être mental. Notamment, lorsqu’il s’agit de sacrifier ses amitiés et sa vie personnelle à la quête de l’excellence sportive.

Il s’agit de l’une des nombreuses conclusions qui ont été tirées lors du processus d’élaboration de L’esprit au travail sports. La CSMC s’est associée à la Saskatchewan Roughrider Foundation pour mettre le programme à l’essai auprès des joueurs et des entraîneurs, ainsi que d’autres athlètes d’élite des communautés de la Saskatchewan.

Quand Cindy Fuchs, directrice générale de la fondation, a vu le potentiel d’un programme L’esprit au travail conçu spécifiquement pour les athlètes et les entraîneurs, elle a immédiatement contacté la CSMC pour savoir comment elle et son équipe pouvaient s’impliquer.

« La Roughrider Foundation est vouée au soutien de la santé, de l’éducation et du football amateur dans nos communautés locales, et le programme L’esprit au travail sports cadre parfaitement avec ces piliers », a-t-elle déclaré. Pour Mme Fuchs, L’esprit au travail s’inscrit également dans le prolongement des autres initiatives de la fondation, notamment Win with Wellness et Game Changers Playbook, un projet de collaboration avec le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan visant à améliorer le bien-être mental des jeunes dans la province.

Tout au long de la phase pilote, les répercussions positives des séances ressortaient des commentaires reçus des participants. « Cela les obligeait à réfléchir à leur propre bien-être mental, a‑t‑elle indiqué. Je crois que beaucoup de joueurs ne se rendaient pas compte du stress qu’ils subissaient avant d’y réfléchir. »

En appliquant, lors de ses routines de jeu, une technique de respiration « carrée » apprise dans le cadre du programme, un botteur a également pu améliorer ses performances sur le terrain. Le programme a aussi eu un impact positif sur le moral de l’équipe.

« On voit que les joueurs qui ont suivi la formation ont un lien particulier, a ajouté Mme Fuchs. Ils savent qu’ils peuvent exprimer ouvertement ce qu’ils ressentent aux autres sans aucun jugement. »

C’est ce sentiment d’ouverture – et la déstigmatisation de la santé mentale dans le sport – qui a incité la fondation à faire la promotion du programme et à assumer la totalité du coût de la formation L’esprit au travail sports pour tous les athlètes universitaires de la Saskatchewan.

En commençant par l’Université de Saskatchewan, tous les étudiants-athlètes – tous sports confondus – pourront suivre le programme. De plus, tous les joueurs des Roughriders qui livrent des présentations dans le cadre des programmes scolaires de la fondation suivront une formation leur permettant de partager avec les jeunes de la communauté les leçons qu’ils ont apprises pendant le cours.

« Le programme est si efficace que nous voulons que le plus grand nombre possible d’athlètes ait la chance de le suivre, a déclaré Mme Fuchs. Ne serait-ce pas génial qu’un joueur puisse dire à son entraîneur qu’il ne se sent pas bien sans craindre d’être mis sur la touche ou à l’index? Le respect mutuel et l’ouverture permettent ce dialogue entre les deux parties. »

Auteur: est un spécialiste en marketing et communications à la Commission de la santé mentale du Canada. Diplômé de la Sprott School of Business de l’Université Carleton, Eric possède une vaste expérience du monde du sport et du divertissement. Eric est le cofondateur de mssn, une marque dédiée à la collecte de fonds et à la sensibilisation à la santé mentale au bénéfice des jeunes dans la région d’Ottawa.
Photo: Le joueur ambassadeur Mitch Picton, des Saskatchewan Roughriders, dirige une présentation sur le bien-être à l'école communautaire Sacred Heart, à Regina.