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La maladie mentale, l’itinérance et la longue recherche d’un frère disparu.

Wendy Hill-Tout n’aime pas se retrouver sous les projecteurs, mais c’est pourtant son quotidien ces temps-ci. Son nouveau documentaire, Insanity, jette un éclairage sur les familles confrontées à la maladie mentale grave et chronique d’un être cher ayant perdu son domicile. Les frères et sœurs de cette personne partagent le regard de la caméra et racontent leur vie aux côtés de leur frère Bruce, aux prises avec la schizophrénie jusqu’à sa disparition il y a vingt-cinq ans.

Quel que soit l’endroit où ses voyages en Amérique du Nord la mènent, la cinéaste canadienne scrute les visages des sans-abri, toujours à la recherche de son frère. Elle emporte partout avec elle des photos où il apparaît, barbu ou rasé de près, qu’elle montre à tous ceux qui pourraient le reconnaître. Sa quête l’amène dans des ruelles et de véritables « villes de tentes » qui sont devenues des refuges pour ceux que le système a laissés tomber. Les nombreux campements de sans-abri présentés dans le film témoignent de l’ampleur du problème et révèlent à quel point le visage de Bruce n’en est qu’un parmi tant d’autres.

Insanity raconte l’histoire de familles prises au piège d’un système qui refuse de soutenir les personnes qui ne sont pas suffisamment malades pour obtenir des soins ou qui sont privées d’accès à des services d’aide quand elles vivent dans un logement. À titre d’exemple, Shirley Chan, membre du conseil d’administration de l’organisme Pathways Serious Mental Illness Society, a tenté désespérément de trouver un soutien adéquat pour sa fille. Après s’être fait dire qu’elle était « trop fonctionnelle » pour avoir droit à un logement doté d’un encadrement 24 heures sur 24, Mme Chan a dû se résoudre à ne pas ramener sa propre fille à la maison à sa sortie de l’hôpital. Il fallait que sa fille soit sans abri pour devenir une priorité.

Citons aussi l’exemple de Tyler, le plus jeune frère de Kristin Booth, une collègue que Wendy Hill-Tout a rencontrée en travaillant sur un autre film. Tyler vivait dans la rue en Ontario lorsqu’il a été arrêté à la suite d’un épisode maniaque. Kristin Booth raconte le traumatisme qu’elle a vécu lorsque, six semaines plus tard, alors que son frère était en probation et vivait chez sa mère, elle a dû lui mentir pour qu’il reste sur les lieux en attendant que la police de Toronto vienne le chercher. Sa voix se brise lorsqu’elle évoque la culpabilité d’avoir dû le regarder se faire menotter et embarquer, s’effondrant devant la situation insoutenable dans laquelle elle se trouvait. Même avec la collaboration d’un avocat et d’un médecin, elle n’avait pas pu obtenir le soutien dont Tyler avait besoin.

« Que font les autres familles? », demande Karen Booth, la mère de Kristin. Son médecin, qui ne trouve pas d’autre solution, lui répond : « Madame Booth, si vous n’aviez pas été là, Tyler serait soit décédé, soit couché sous un pont, soit en prison. C’est comme ça ». Mais elle refuse de l’accepter.

Dans son film, Wendy Hill-Tout présente ces histoires avec doigté afin d’illustrer à quel point il est facile pour une personne vivant avec une maladie mentale de se retrouver à la rue ou d’être happée par le système de justice pénale. Comme elle le souligne pendant notre entretien virtuel alors qu’elle se trouvait à Calgary, il est inacceptable qu’un si grand nombre de personnes soient privées d’aide dans un pays aussi riche que le Canada.

« Notre système est à revoir de fond en comble, déclare-t-elle. La première étape consisterait à augmenter les budgets consacrés aux soins de santé mentale, qui représentent actuellement 7 % des dépenses totales de santé, pour les faire passer à 10 %, comme c’est le cas au sein des pays européens. Nous devons mettre en place davantage de services de santé mentale de proximité afin d’aider les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, et ce, avant que ceux-ci deviennent des situations de crise. Si nous disposions de cliniques spécialisées en matière de santé mentale, les gens pourraient se rendre dans un endroit où ils sont sûrs de pouvoir parler avec le personnel infirmier et des médecins formés à cet effet, et qui les mettraient en contact avec les services appropriés. Comment se fait-il que la norme soit d’aller directement à l’hôpital ou de faire patienter une personne en crise pendant six mois avant qu’elle puisse obtenir des soins? » demande-t-elle.

Le manque de psychologues et de psychiatres est un autre problème à résoudre, tout comme la rareté des logements supervisés et les difficultés d’accès aux services, note Mme Hill-Tout. Elle souligne que le Canada se doit d’amorcer des changements, et que toute augmentation du financement alloué à la santé mentale constituerait un excellent point de départ en ce sens.

Wendy Hill-Tout

Wendy Hill-Tout

Ce qui l’a ébranlée par-dessus tout pendant le projet, c’est l’ampleur qu’a prise le problème en peu de temps. « Lorsque nous avons commencé à filmer en 2019, nous nous rendions dans une ville en espérant trouver quelqu’un dans la rue à qui montrer la photo de Bruce. Mais très vite, nous nous sommes retrouvés face à de véritables campements – et ce phénomène se manifestait partout, pas seulement dans l’est du centre-ville de Vancouver. Le nombre de personnes vivant dans la rue a augmenté dans les petites villes, tout autant que dans les grandes métropoles.

« Nous devons agir de façon urgente, car il est possible de changer les choses, déclare-t-elle sans ambages. Au lieu de consacrer des fonds à surveiller le problème, nous aurions grand intérêt à le prévenir. Il y a tellement de personnes vivant avec une maladie mentale qui sont à un cheveu de se retrouver à la rue. Comment pourront-elles retrouver un logement après l’avoir perdu? Nous avons besoin de plus de services communautaires pour éviter que cela ne se produise ».

Elle espère que son documentaire se rendra aux oreilles des responsables gouvernementaux qui ont le pouvoir d’apporter les changements nécessaires, qu’ils se trouvent aux échelons municipal, provincial ou fédéral. Cet enjeu affecte plus d’une personne sur cinq, qui correspond à la proportion de gens qui seront aux prises avec un problème de santé mentale à un moment ou à un autre de leur vie. Il frappe également les amis et les familles, et c’est pour ces gens qu’elle a réalisé ce film.

« Je suis toujours surprise de constater à quel point il est difficile de parler de Bruce, même après 25 ans », confie Mme Hill-Tout vers la fin de notre entretien. Cette émotion transparaît clairement dans le film, lorsque ses frères et sœurs racontent des anecdotes touchantes à propos de leur frère. Ils rient ensemble, mais leurs souvenirs sont empreints de tristesse. À travers leurs récits, nous apprenons que Bruce était l’aîné de quatre enfants, qu’il était attentionné, drôle et chaleureux, qu’il était aussi un artiste et parfois un peu casse-cou.

« Bruce est la meilleure personne que j’aie jamais connue, a affirmé son frère David. C’était un grand frère formidable, et il mérite que l’on se batte pour lui. »

Même s’il est difficile de revenir sur ce qui a mené à la disparition de Bruce, il est important de mettre un nom et un visage sur ce fléau. Si la collectivité a conscience que les personnes délaissées par le système sont des êtres aimés et pleurés par leur famille, elle sera plus encline à faire pression pour que les choses changent. La société sera aussi plus disposée à se pencher sur leur sort.

Cependant, tout n’est pas noir, comme le précise Mme Hill-Tout. Certaines choses lui redonnent espoir en l’avenir. Tout d’abord, la santé mentale et les maladies mentales font l’objet d’une plus grande sensibilisation. Les médias traitent à présent des personnes sans domicile fixe et de la manière dont les villes gèrent cette problématique. Le nombre de policiers et de secouristes qui suivent des formations sur la manière d’intervenir dans les cas de maladie mentale est également en hausse. En outre, il existe davantage d’unités mobiles de traitement des crises de santé mentale (par rapport à il y a dix ans), notamment la ressource Car 87 en Colombie-Britannique. Toutefois, comme ces unités sont incapables de répondre à tous les besoins actuels, un financement accru est encore nécessaire.

En attendant, Mme Hill-Tout et sa famille nourrissent l’espoir de retrouver Bruce un jour. Elle continue à scruter les visages pour trouver celui qu’elle reconnaîtra après tant d’années. Peut-être qu’un membre du public parviendra à le reconnaître après avoir visionné son documentaire. Quoi qu’il en soit, elle a conclu notre entretien avec le même message répété dans le film :

« Bruce, nous t’aimons. »

Le documentaire Insanity sera projeté dans des salles de cinéma choisies partout au pays à partir du 11 mai 2023, et comportera une séance de questions-réponses en compagnie de Mme Hill-Tout et d’autres familles ayant participé à la réalisation du documentaire. Pour obtenir de plus amples renseignements et vérifier si le documentaire sera présenté dans un cinéma près de chez vous, veuillez consulter le site www.insanitydoc.com.

Auteure : est membre de l’équipe du marketing et des communications à la Commission de la santé mentale du Canada.
Photo : Wendy Hill-Tout et son frère Bruce lorsqu’ils étaient enfants. La photo a été fournie par Wendy Hill-Tout.

Et qui se manifestent autour de nous : ouragans, incendies, catastrophes naturelles. Les liens entre le climat et la santé mentale – et les moyens de réagir.

Au mois de mars dernier, un petit groupe s’est réuni aux abords du canal Rideau dans un geste symbolique de deuil collectif. Il n’avait pas fait assez froid pour que le tronçon de huit kilomètres de long puisse demeurer gelé, de sorte que l’emblématique patinoire resterait fermée jusqu’à la fin de l’hiver. Cette veillée, organisée par l’association Écologie Ottawa, a permis aux gens de se rassembler et de discuter du changement climatique ainsi que des pertes encourues. Les participants se sont rassemblés en bordure du canal, un lieu dont la mémoire est figée sur tant de cartes postales et de récits de voyage, pour « vivre collectivement [leur] sentiment d’incertitude, sans savoir ce qui [les] attend au cours des années à venir », comme l’indiquait l’invitation électronique.

Le fait que la réalité mondiale du changement climatique a une incidence directe sur notre vie quotidienne – et que nous réalisons que nous ne pourrons bientôt plus nous adonner à certaines activités – nous aide à assimiler un concept catastrophique vertigineux, lequel est susceptible de provoquer des sentiments de chagrin, d’anxiété et d’incertitude.

Mais comme l’a indiqué Trish Audette-Longo, rédactrice d’opinion, dans le Canada’s National Observer, cette situation pourrait-elle aussi nous inciter à passer à l’action? « Sur l’échelle des perturbations climatiques, où notre attention collective se concentre forcément sur les répercussions erratiques des incendies de forêt, des inondations et d’autres pertes, une saison de patinage annulée sur le canal Rideau pourra passer pour un événement anodin », écrit-elle, en soulignant qu’une vision apocalyptique risque d’occulter toute éventualité d’avenir meilleur.

En d’autres termes, au lieu de se projeter dans des scénarios idéalistes, irréalistes ou de fin du monde, il convient de réfléchir à ce que nous pouvons faire maintenant.

Comprendre le mental dans le domaine environnemental
Le terme hyperonyme écoanxiété est utilisé pour décrire un certain nombre d’états émotionnels et mentaux liés à une prise de conscience aiguë du changement climatique ainsi qu’à une détresse concomitante face à ses implications menaçantes pour l’avenir.

Définie par l’American Psychological Association comme une « peur chronique de la catastrophe environnementale », elle se manifeste par la colère, l’épuisement, la phobie et le désespoir. Elle peut causer des réactions d’anticipation, des cauchemars et même une « orthorexie climatique », un trouble évoqué par Britt Wray dans son ouvrage Generation Dread: Finding Purpose in an Age of Climate Crisis, où elle le décrit comme « une obsession pour une alimentation naturelle dans l’intérêt de l’environnement ».

Les habitants des régions en proie à des phénomènes météorologiques extrêmes éprouvent généralement des sentiments intenses de peur et de tristesse liés au climat (tout comme ceux qui en subiront les conséquences au cours des années à venir). Deux personnes sur trois interrogées dans le cadre d’un questionnaire phare de la revue Nature (10 000 personnes âgées de 16 à 25 ans vivant dans 10 pays) ont rapporté avoir ressenti ces émotions. Par ailleurs, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a décrit les répercussions des désastres environnementaux sur la santé mentale dans son rapport d’évaluation de 2022.

Bien que l’écoanxiété ne fasse pas partie de la nomenclature du DSM-5, de nombreuses recherches sont en cours sur le sujet, comme en témoigne le titre d’un article de l’Université d’Helsinki intitulé « Understanding the Mental in Environmental », qui présente les travaux de Panu Pihkala, professeur auxiliaire d’écothéologie. Selon ce dernier, l’une des interventions cliniques pratiquées est celle de la « vision binoculaire », qui consiste, pour les thérapeutes, à aider leurs clients à envisager la coexistence de nombreuses circonstances positives et négatives, au lieu d’entretenir une logique catastrophique consistant à voir les événements comme tous noirs ou tous blancs.

Le renforcement de ce sentiment de résilience est l’un des cinq thèmes qui se sont dégagés d’une étude exploratoire réalisée en 2021 par Pauline Baudon et Liza Jachens sur le traitement de l’écoanxiété. L’étude a été publiée dans un numéro spécial de l’International Journal of Environmental Research and Public Health sur les effets psychologiques du changement climatique. Outre le travail de réflexion des praticiens et leur formation, les autres thèmes mis de l’avant consistaient à encourager les clients à agir, à les mettre en contact avec la nature et à les aider à nouer des liens sociaux de façon à bénéficier d’un soutien émotionnel en s’intégrant à différents groupes.

Après avoir pris connaissance des différentes écoles de pensée, l’étude a révélé que toutes les approches prônaient le travail de groupe pour soutenir le processus émotionnel et mettaient l’accent sur la capacité à relier son ressenti individuel en matière d’écoanxiété à celui des autres et à des enjeux sociaux plus vastes.

Humour noir?
L’une des formes de thérapie de groupe consiste à prendre un sujet grave et à lui insuffler une certaine légèreté. Dans un article du Guardian de mars intitulé How Do You Laugh About Death (ou Comment rire de la mort?), par exemple, les humoristes se servent du changement climatique comme tremplin pour aborder des thèmes difficiles, et pour tenter de jeter un pont entre les polarités politiques et de dialoguer avec les négationnistes. Les participants à la Climate Comedy Cohort, un programme de bourses de neuf mois du Center for Media and Social Impact de l’American University et de l’organisme à but non lucratif Generation180, réalisent des courts métrages et soumettent des idées à des réseaux de télévision sur des questions qui recoupent celles de la race et du travail. L’objectif est de débattre du climat, même de manière irrévérencieuse, afin de stimuler l’engagement civique, ce qui, pour bien des gens, peut se révéler un moteur de changement beaucoup plus motivant que la fatalité. Celles et ceux qui ne se sentent pas encore prêts à rire de sujets délicats peuvent se tourner vers les Carbon Conversations (présentes dans des villes du monde entier), qui vise à aider les gens à affronter leurs craintes concernant le changement climatique. Cette action permet de maintenir leur engagement et leur motivation écologique en vue d’agir et de modifier leur mode de vie de manière durable.

Peut-être en avez-vous déjà fait votre affaire, notamment en adoptant les sacs et les gourdes réutilisables. Bien qu’ils méritent leur place, ces petits changements de mode de vie me rappellent le concept d’optimisme cruel, forgé par Lauren Berlant, théoricienne de la culture à l’Université de Chicago. Il consiste à traiter des problèmes systémiques aux causes profondes, comme la dépression ou l’obésité, en proposant aux gens une solution individuelle simpliste, le plus souvent dans un langage guilleret. Bien que l’idée semble prometteuse pour résoudre un problème majeur, cette solution est en réalité cruelle du fait qu’elle dissimule des causes sous-jacentes derrière des récits néolibéraux de contrôle de soi – comme l’adoption d’un style de vie sain ou l’abonnement à un centre de remise en forme –, ce qui a pour effet de détourner l’attention des gens de la préoccupation principale, puis de retarder la recherche d’éventuelles pistes de solution. Si nous voulons trouver des solutions efficaces au phénomène du changement climatique, il faut que nos échanges et nos actions évoluent au rythme du tic-tac de l’horloge climatique.

Approches collectivistes
Bien que ces choix individuels puissent certes se cumuler, une démarche exclusivement néolibérale risque de nous faire perdre de vue l’ensemble de la forêt au profit d’un seul arbre.

Comme l’a expliqué Matt Hoffman, professeur de sciences politiques à l’Université de Toronto et codirecteur du laboratoire environnemental de l’École Munk, au Toronto Star : il faut créer un mouvement sociétal permettant de faire du changement climatique une question qui transcende les clivages politiques. Chaque citoyen peut exprimer ses préoccupations auprès des élus, aux urnes et à la banque (par exemple en optant pour des investissements sans combustibles fossiles). Ce sont des gestes que les individus peuvent poser pour exercer une pression en amont et parvenir à des réformes systémiques.

La rubrique « Solutions » de The Narwhal, un média canadien à but non lucratif spécialisé dans les questions environnementales, propose des moyens de combiner espoir et action. Cette série brosse le portrait de personnes et de communautés qui réagissent en temps réel aux « systèmes réglementaires défaillants [en] générant des idées en faveur de sociétés plus écologiques et en redéfinissant l’exploitation des ressources naturelles ». Les témoignages visent à inspirer le public en s’intéressant aux problèmes de fond – et à ce qui est mis en œuvre pour tenter de les résoudre. On y aborde notamment les énergies renouvelables et la refonte des lois canadiennes sur l’environnement, en plus d’offrir des conseils sur les gestes de la vie quotidienne.

Le deuil a également sa place dans la mesure où nous sommes tous confrontés aux conséquences du changement climatique. Ce que nous choisissons de pleurer peut mettre en lumière notre dépendance fondamentale à l’égard d’écosystèmes sains et vigoureux, et faire ressortir les responsabilités politiques et éthiques qui sont les nôtres vis-à-vis de ces systèmes, des autres et de la nécessité d’agir. Ce constat est tiré d’un article paru en 2020, intitulé « You Can Never Replace the Caribou (On ne pourra jamais remplacer le caribou) : Inuit Experiences of Ecological Grief From Caribou Declines ». Dans cet article, son autrice principale, Ashlee Cunsolo, évoque les approches collectivistes – la capacité de construire un « nous » – qui renvoient à notre rapport aux autres et à notre responsabilité d’atténuer la dégradation de l’environnement causée par les activités humaines.

Auteure : est gestionnaire des contenus et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Fateema Sayani

Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.

Comment des soins de santé empreints de compassion peuvent modifier le parcours des personnes qui font usage de substances

Jes Besharah ne se souvient plus du temps qui s’est écoulé avant de se décider à demander des soins médicaux, après avoir vécu dans la rue et fait usage d’opioïdes, mais se rappelle avoir été très mal en point.

« J’étais malade et je pleurais, je souffrais beaucoup, car j’avais des abcès et des blessures partout sur mon corps. J’avais de nombreux soucis à régler », raconte Jes. Mais lorsque l’infirmière est entrée et a balayé Jes du regard, tout ce qu’elle a vu, c’est un problème de drogues.

« On ne s’est occupé de rien du tout. Elle m’a dit qu’elle prierait pour moi, et que c’était le mieux qu’elle pouvait faire. »

Pour Jes, cette réponse a été un véritable coup de massue. « Ce genre de réaction donne l’impression qu’il ne sert à rien de se battre. »

Malheureusement, le cas de Jes ne fait pas exception. Les personnes qui utilisent des opioïdes et d’autres substances se heurtent souvent à des attitudes stigmatisantes et à la discrimination, même de la part du personnel soignant vers lequel elles se tournent pour obtenir des soins.

La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a invité Besharah à parler de son expérience de la stigmatisation et de ses conséquences dans une vidéo intitulée « Prendre la parole — Réduire la stigmatisation des personnes qui consomment des substances ».

« Pour les personnes qui font usage d’opioïdes et d’autres substances, la stigmatisation peut constituer un obstacle majeur qui les empêche de recevoir des soins de qualité, explique Julia Armstrong, gestionnaire de l’équipe de santé mentale et de santé liée à l’usage de substances de la CSMC. Nous avons réalisé cette vidéo (et un guide de discussion) afin de lancer un débat de fond sur la stigmatisation dans les établissements de soins de santé. Le genre de dialogues qui mènent à une meilleure compréhension et à des normes de soins plus élevées pour ces personnes. »

La vidéo présente également l’infirmière qui a contribué à changer la vie de Jes : Melinda Billett.

En tant qu’infirmière praticienne en soins primaires, Melinda compte de nombreuses années d’expérience auprès des personnes qui consomment des substances. Elle a également pu constater de visu que des choix en apparence anodins peuvent avoir un puissant effet d’entraînement.

« Dans le secteur des soins de santé, nous pouvons choisir de traiter les gens avec respect, dit-elle, notamment en ce qui concerne les notes que les fournisseurs inscrivent au dossier des patients. C’est mon point de vue que les autres liront. Je peux faire le choix de dire que cette personne est une toxicomane, ou de dire qu’il s’agit d’une personne qui consomme des substances. »

En effectuant ce simple changement, Melinda s’appuie sur le pouvoir du langage axé sur la personne d’abord, qui permet de faire la distinction entre l’identité d’un individu et les substances qu’il consomme ou la maladie mentale qui le touche.

Jes et Melinda évoquent une série de changements que les professionnels de la santé – et toute personne en relation avec des personnes qui utilisent des substances – peuvent adopter pour lutter contre la stigmatisation, mais tous les exemples renvoient à un message primordial : il faut traiter les individus qui font usage de substances comme des êtres humains, et non comme des problèmes.

La compassion dont ont fait preuve Mélinda et d’autres personnes est à l’origine de la vie que mène Jes, aujourd’hui navigatrice communautaire pour la réduction des méfaits et travailleuse de soutien par les pairs. « Je le fais en partie parce que, lorsque je vivais dans la rue, il y avait des gens qui faisaient de la sensibilisation, qui ne me jugeaient pas, qui se souciaient de moi, qui faisaient des pieds et des mains pour s’assurer que j’étais toujours là, explique Jes. Cela a fait une énorme différence dans mon envie de reprendre le contrôle de ma vie. »

Mélinda insiste sur le fait que les personnes qui utilisent des substances possèdent une grande capacité de résilience, et qu’il incombe aux fournisseurs de soins de santé à tous les échelons de la mettre en lumière. « Si nous pouvons exploiter leur force, être bienveillants à leur égard, prendre soin d’eux et les accompagner dans leur cheminement, […] alors nous contribuerons à changer le cours de leur vie. »

Auteure :

Amber St. Louis

Classer l’usage de substances sur une échelle mobile contribue à créer de l’espace pour des conversations plus ouvertes.

Une partie du travail de la Commission de la santé mentale du Canada consiste à faire de la sensibilisation sur la distinction entre santé mentale et maladie mentale. La santé mentale, un élément de la santé globale, figure sur un spectre que nous partageons toutes et tous. Un bout du spectre reflète une santé mentale optimale, tandis que l’autre montre où il y a une maladie mentale ou un problème de santé mentale. Un modèle de spectre est également utile lorsque nous parlons d’usage de substances.

Signification
À une extrémité du spectre de la santé liée à l’usage de substances, une personne pourrait s’abstenir entièrement de consommer des substances ou en avoir un usage sporadique sans conséquences néfastes. À l’autre extrémité, il existe des troubles d’usage de substances accompagnés de répercussions profondes sur la santé et le bien-être en général. Suivant les circonstances et une multitude de facteurs, une personne peut se déplacer d’un endroit à l’autre du spectre à tout moment.

Talking Illustration

Pourquoi c’est important
Compte tenu, en partie, de la longue tradition de crime et de clandestinité entourant la consommation de drogues et d’alcool, cette pratique s’accompagne encore de nos jours d’une connotation négative. Cette façon de penser peut conduire les gens à voir toute consommation de substances comme étant problématique. De l’autre côté, classer l’usage de substances sur une échelle mobile contribue à créer de l’espace pour des conversations plus ouvertes sur une consommation plus sécuritaire, plus saine, plus gérable, peu importe l’entendement que chaque individu a du sens de ces mots.

Réduire la stigmatisation entourant l’usage de substances fait également partie de la promotion du rétablissement. Moins nous jugerons négativement l’usage de substances, plus les gens pourraient se sentir à l’aise de rapporter des préoccupations quant à leur propre situation ou à celle d’autres personnes. Pour une personne qui lutte avec un problème d’usage de substances, comprendre qu’elle peut avoir une consommation plus sécuritaire et plus saine sans (ou avant) une abstention complète peut contribuer à susciter de l’espoir au moment où elle en a le plus besoin.

Comment vous pouvez l’utiliser
Adopter l’expression « santé liée à l’usage de substances » peut remettre en question les préjugés personnels et les pensées binaires. Consommer des substances n’est pas une question de tout ou de rien. Il ne s’agit pas d’en être dépendant ou de s’en abstenir complètement. Dans cet intervalle, il existe une zone grise où il y a du mouvement, des nuances, et des circonstances individuelles. Comme c’est le cas pour tout ce qui touche à la santé mentale, la façon dont nous réfléchissons et parlons des questions d’usage de substances est importante. Mieux nous comprenons le spectre de la santé liée à l’usage de substances, mieux nous pouvons soutenir des gens au long de chaque étape de rétablissement.

Auteure :

Amber St. Louis

Quels sont les ingrédients de funérailles réussies? Le bon et le mauvais côté des adieux.

C’est peut-être le signe que je prends de l’âge, mais j’assiste de plus en plus souvent à des funérailles ces derniers temps, tant et si bien que j’ai commencé à les noter. Non, je n’évalue pas l’argent dépensé pour la cérémonie, les fleurs, le cercueil ou l’urne. Soyons honnêtes : que vous ayez fait appel à un traiteur ou enrôlé vos amis, les sandwichs à la salade d’œufs restent des sandwichs à la salade d’œufs. Je n’ai jamais assisté à des funérailles dans le but de manger un bon repas. Je me demande plutôt si l’événement nous aidera, mes proches et moi, à faire notre deuil.

Je ne cherche ni à trouver des occasions de pleurer ni à me complaire dans ma tristesse. Je souhaite simplement faire mes adieux à la personne qui est partie, et peut-être apprendre quelque chose sur elle.

Les funérailles sont aussi diverses que peuvent l’être les défunts. Certaines cérémonies sont formelles et on y discute à voix basse sur les bancs d’église. D’autres sont plus décontractées et se déroulent dans un pub, où des images du défunt défilent en boucle pour rappeler ses moments heureux. D’autres fois, les rituels de la mort se déroulent selon la volonté du défunt ou de ceux qui lui survivent, loin des églises, des cimetières et des restaurants.

Les flammes de l’enfer
Personnellement, je n’ai pas de préférence. Il faut simplement que les funérailles accomplissent leur fonction d’aider les gens à faire leur deuil. Ce qui m’irrite, c’est quand des choses n’ayant rien à voir avec l’idée de « faire ses adieux » prennent soudain toute la place. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai assisté à un service funèbre, seulement pour me retrouver au beau milieu d’un discours où l’on tente de me convertir pour faire de moi une fidèle pratiquante. (Le mot « éternel » y revient souvent).

Comprenez-moi bien. Les personnes présentes forment un public captif, et je peux comprendre l’attrait de lui adresser un message. Je ne m’oppose pas à un service religieux. Mais je suis révoltée que l’on profite du moment pour faire passer un message politique, culpabiliser les infidèles, fustiger les vivants pour leur manque d’assiduité ou, dans un cas, réduire au silence les membres d’une famille qui voulaient prononcer quelques mots d’adieu.

funeral

J’attribue aussi une mauvaise note aux funérailles qui dévoilent trop leur côté mercantile. Par exemple, lorsque l’officiant n’a pas pris le temps de mémoriser le nom du défunt et qu’il le prononce mal ou l’oublie complètement. Ce sont des fausses notes qui arrachent les personnes en deuil à la solennité du moment et les catapultent brutalement dans la dimension purement commerciale de l’événement.

Parfois, les choses tournent au fiasco, comme lorsque le défunt est mal positionné ou qu’il y a erreur sur le corps et qu’on récolte les cendres d’un pur étranger. J’ai entendu parler d’un enterrement où en place et lieu des photos de l’être cher qui auraient dû défiler en arrière-plan, ce sont quatre minutes de porno qui ont été projetées devant les endeuillés. Ces funérailles-là méritent un zéro.

Des funérailles sur mesure
Soyons justes, les échecs ne sont pas tous imputables aux organisateurs. Bien souvent, les personnes en deuil ou les participants font de l’événement un moment inoubliable pour de mauvaises raisons. Je n’ai encore jamais pris d’égoportrait lors d’un enterrement, mais c’est apparemment une activité de plus en plus populaire. Ensuite, il y a les fauteurs de trouble et les chahuteurs qui voient dans les funérailles l’endroit idéal pour se battre ou régler des comptes, car qui ne va pas à des funérailles pour assister à un match de boxe — n’est-ce pas le point culminant de petites guerres intestines qui séparent les membres d’une même famille depuis des décennies?

En Chine, la présence de danseuses exotiques à des funérailles est devenue un tel fléau que certaines municipalités ont dû légiférer. Vous vous demandez peut-être comment on a bien pu en arriver là? C’est que, en Chine,  plus il y a de monde à des funérailles, plus le défunt aura de chance dans l’au-delà. Donc, pour attirer un maximum de personnes, certains organisateurs faisaient appel à des danseuses. Étant donné que des enfants assistent aussi aux funérailles, cette pratique est difficilement justifiable.

Il faudrait leur proposer d’offrir le spectacle ailleurs, ou après les funérailles. Contrairement aux mariages, les funérailles ne sont pas précédées d’une répétition générale. Cela signifie que les gens arrivent souvent là les nerfs à fleur de peau, en état de choc ou dépassés par les événements. Le deuil est également une affaire très intime que chacun vit à sa façon. Certains pleurent, d’autres non. Certains crient, d’autres se replient sur eux-mêmes. Le deuil dure quelques semaines, mois ou années, selon la culture de chacun, sa personnalité, la nature du lien qui l’unissait au défunt, l’étape où il en est dans sa vie, autant de facteurs qui influencent la durée du deuil.

Mais quelle que soit la durée du deuil, les funérailles en sont souvent le point de départ, et c’est souvent à cette occasion que les gens prennent conscience du cercle de soutien qui les entoure. Une étude réalisée en 2022 au moyen d’une combinaison de méthodes portait sur l’incidence des pratiques funéraires sur la santé mentale des personnes endeuillées. Pour ce qui est de la capacité à faire son deuil, les résultats ne sont pas concluants. Cependant, une étude qualitative montre pour sa part que les rituels funéraires, y compris les funérailles, sont efficaces lorsque les personnes endeuillées ont leur mot à dire sur la forme que prennent ces rituels et qu’elles ont l’occasion de faire leurs adieux dans un contexte qui est significatif pour eux. Les résultats soulignent également le rôle important qu’ont joué les officiants de cérémonies funéraires pendant la pandémie.

Les funérailles peuvent être un moyen concret de montrer notre soutien aux vivants. Elles peuvent être l’occasion de nous sentir entourés pendant une période difficile et constituer un pan essentiel du travail du deuil. Mais elles devraient surtout nous aider à composer avec la perte et à intégrer l’idée que l’être cher a disparu. Or, si je retiens d’une cérémonie que l’officiant a échoué dans sa tâche ou qu’un groupe s’est battu à l’extérieur, alors les funérailles sont ratées. Je ne vais pas à des funérailles pour assister à un dîner-spectacle. Je ne vais pas à des funérailles pour qu’on essaie de me convertir. Je vais à des funérailles pour recevoir du soutien et en donner.

Auteure : n’a pas planifié ses propres funérailles, mais elle sait qu’il n’y aura pas de stations d’égoportrait.

Debra Yearwood

Professionnelle des communications qui compte plus de 20 ans d’expérience en tant que cadre dans le secteur de la santé, est passée maître dans tous les domaines, du marketing social aux communications en période de crise. Lorsqu’elle ne siège pas au conseil d’administration de PartenaireSanté ou de Top Sixty Over Sixty, elle se consacre à l’écriture de son livre sur l’épanouissement des personnes âgées (pourquoi s’arrêter maintenant?). Cadre certifiée en santé le jour, militante de la diversité et collaboratrice de magazine la nuit, Debra est celle à qui l’on fait appel lorsque vient le temps d’expliquer ou de résoudre un problème.

Illustration : Holly Craib

Nous avons demandé à de vrais praticiens ce qu’ils pensaient de la série télévisée Thérapie vérité (Shrinking, en anglais) portant sur la thérapie, le deuil et les difficultés personnelles.

Au cours de la première saison de la populaire série qui se terminera bientôt, nous avons suivi le personnage principal Jimmy (Jason Segel), dans toute sa faillibilité humaine, qui dépasse les limites de sa profession avec ses clients, tente de surmonter un deuil et s’appuie sur ses collègues thérapeutes, Gaby (Jessica Williams) et Paul (Harrison Ford), qui traversent eux aussi diverses épreuves. Quel est le dénouement? Est-ce que tous les personnages se réalisent pleinement? Ce genre de scénarios arrive-t-il dans la vraie vie? Nous avons interrogé quelques experts pour connaître leur point de vue.

Les trois personnages principaux échangent souvent les uns avec les autres après avoir géré des situations difficiles avec des clients. Cette manière d’établir des connexions est présente dans bien des milieux de travail. Dans ce cas, il semble que les thérapeutes consultent des thérapeutes. S’agit-il d’une dynamique courante?
En bref, absolument. En tant que thérapeute, je pense que le fait d’évoluer en communauté est nécessaire au processus de guérison de l’être humain. 

De nombreux praticiens ont été naturellement attirés par ce travail, car, tout comme leurs clients, ils vivent activement les fluctuations de l’expérience humaine, avec ses joies et ses peines. L’authenticité de la relation thérapeutique repose en partie sur la capacité du thérapeute à être présent pour chacun de ses patients, à travers les expériences agréables et désagréables.

À vrai dire, il est très difficile d’accompagner les clients et de les aider à témoigner avec compassion de leurs blessures émotionnelles si nous ne sommes pas prêts à faire de même. Cette démarche doit être intégrée, devenir un mode de vie qui encourage nos clients à prendre soin d’eux-mêmes pendant que nous adoptons des méthodes qui nous soutiennent également en tant que praticiens. Cela nous aide à établir et à renforcer nos limites émotionnelles et à favoriser la sécurité; ainsi, en veillant à notre propre bien-être, nous évitons d’entraver le cheminement de notre client. 

Cette dynamique est souvent illustrée dans les scènes avec Jimmy, qui se montre frustré par le rythme de changement de son client. Au fur et à mesure que la série progresse, nous apprenons qu’il a « engourdi » ou réprimé ses émotions depuis le décès de sa femme et qu’il a du mal à faire son deuil. 

Sara Smith

Sara Smith est psychothérapeute autorisée au sein du Live Free Black Therapist Collective.

En tant que thérapeute, disposer d’un espace où l’on vous aide à faire face aux parties les plus vulnérables de vous-même vous permet de vous présenter à vos clients en tant qu’être humain ayant un savoir expérientiel, disposé à les accompagner sur leur chemin de guérison.

J’obtiens régulièrement le soutien de mes pairs et je consulte mon propre thérapeute. Le maintien d’un lien avec des collègues pendant que nous soutenons les clients qui éprouvent des difficultés fait partie intégrante de la façon dont nous, en tant que thérapeutes, prenons soin de nous-mêmes et des autres, y compris des autres thérapeutes, avec compassion. Lorsque Jimmy perd son lien avec Paul à la suite d’un conflit, il en souffre vraiment.

En réalité, je pense qu’il s’agit d’une métaphore de la vie. Nous avons besoin les uns des autres et nous nous épanouissons lorsque nous entretenons des liens profonds et significatifs avec d’autres personnes avec qui nous nous sentons vus, entendus et acceptés. Le fait d’assister à ces interactions à l’écran nous rappelle cette réalité avec éloquence.

Sara Smith est psychothérapeute autorisée, membre du Live Free Black Therapist Collective, à Toronto. Elle est spécialisée dans l’accompagnement des adultes, travaillant sur les impacts profonds des traumatismes sur le corps et l’esprit. L’approche de Mme Smith est fondée sur la prise de conscience corporelle, l’éducation, l’autonomisation et la validation des expériences de ses patients, tout en travaillant avec eux pour élaborer des stratégies d’adaptation efficaces facilitant leur parcours de guérison.

Les protagonistes disposent de bureaux agréables aux tons neutres et apaisants, dignes des plus grandes revues d’architecture. Vos espaces de travail sont-ils aussi agréables? Qu’est-ce qui fait un bon environnement thérapeutique?
Les cabinets présentés dans la série Thérapie vérité sont très spacieux et joliment décorés dans des couleurs neutres. Leur style correspond à une certaine école de pensée pour les cabinets de thérapie : une toile vierge qui laisse de l’espace au client pour penser et imaginer.

Ils sont similaires aux bureaux de thérapie montrés dans Falcon et le Soldat de l’hiver, qui sont censés offrir un espace impartial où l’on ne voit pas du tout la touche personnelle du thérapeute. L’objectif de ce style est de ne rien révéler du thérapeute au client. Dans ce cas, le thérapeute est censé être une partie neutre, à peine une personne aux yeux du client. Il est donc un thérapeute, mais pas un individu à part entière. 

Si de nombreux thérapeutes font ces choix esthétiques et vont même jusqu’à retirer leurs bijoux personnels, par exemple une alliance ou une pince à cravate « meilleur papa », d’autres font l’inverse. Ils choisissent d’afficher leur style dans leur décoration. Il peut s’agir d’affiches de leurs films préférés ou d’objets de collection. L’idée est ici d’être un être humain pour les clients et d’entreprendre un voyage avec eux. 

C’est le style de décoration que je préconise personnellement. Mon objectif est de faire en sorte que mes clients sachent un peu qui je suis lorsqu’ils découvrent mon bureau et qu’ils se demandent s’ils s’entendront bien avec moi.

Il sera intéressant de voir si Jimmy changera le décor de son bureau pour refléter sa nouvelle approche plus ouverte avec ses clients. Paul est très stoïque et distant face aux personnes avec qui il travaille, et il est logique pour lui d’écarter les éléments personnels. Gaby semble se situer à mi-chemin. La décoration générale de son cabinet est assez neutre, bien qu’elle y ajoute quelques touches personnelles qui le rendent plus personnel que ceux de Paul et de Jimmy. Peut-être que ces changements apparaîtront dans la deuxième saison.

Megan Connell, Ph. D., est psychologue autorisée, certifiée par un ordre professionnel, et exerce virtuellement dans plus de vingt États. Elle vit à Charlotte, en Caroline du Nord. Fervente amatrice des ordinateurs et des jeux, elle adore enseigner aux autres à utiliser les jeux de rôle tels que Donjons et Dragons dans le cadre d’une thérapie. Elle se prépare à publier son prochain livre, Tabletop Role-Playing Therapy: A Guide for the Clinician Game Master (Norton, mars 2023).

L’usure de compassion semble être le fil conducteur de chaque histoire. Comment gérez-vous cela dans votre propre vie?
La série télévisée met en évidence notre propre humanité et notre tendance à placer les thérapeutes sur le piédestal du savoir universel. Je reste consciente que je suis aussi un être humain. Je ne suis pas un gourou et, en toute humilité, je demeure vigilante face à ma propre tendance à placer les gens sur un piédestal. Je guide mes clients du mieux que je peux et je me rappelle (souvent) que je ne peux pas contrôler les résultats.

J’ai ma propre équipe de professionnels et d’amis avec lesquels je peux faire le point et prendre soin de ma santé mentale, physique et émotionnelle. Je sais aussi reconnaître les moments où j’ai besoin de soutien, et j’essaie d’éviter de me juger lorsque je ne suis pas au sommet de ma forme. Dans la série télévisée, nous voyons combien Paul a de la difficulté à accepter le soutien de sa fille, ce qui nous rappelle que celui qui aide a lui aussi parfois besoin d’aide. 

Il est essentiel d’imposer ses limites, comme le fait Paul à plusieurs reprises. Lorsqu’il dit qu’il ne fera pas quelque chose, il ne tergiverse pas et ne se justifie pas. Il connaît ses limites et les respecte. 

J’ai mes propres stratégies lorsque je me sens débordée, notamment certaines routines. Comme Liz (jouée par Christa Miller), qui collectionne et polit des pierres pour méditer, je fais jouer de la musique apaisante dans ma maison et je contemple la beauté de la nature par la fenêtre. Cela m’aide à m’ancrer. Lorsque je suis sous la douche, je visualise toutes les pensées qui ne me sont pas salutaires en train de se jeter dans les égouts avec l’eau qui coule sur mon corps. 

Choisir de manger des « aliments qui font du bien », comme j’aime les appeler, est une autre stratégie. Les bleuets sont l’un de mes aliments préférés. Ils fortifient ma santé de corps et d’esprit et regorgent de vitamine C, qui aide à lutter contre le stress. 

Le fait de rire, y compris de moi-même, de ne pas me prendre au sérieux et de me laisser aller remet les choses en perspective et me rappelle la beauté de ce que nous appelons la vie. 

Yvette Murray réside à Tiny Beaches dans la baie Georgienne, endroit qu’elle considère comme son havre de paix. Elle estime qu’être entourée de la nature fait des miracles pour sa santé mentale. Elle est l’auteure de The Mental Health Contagion : Navigating Yourself Through a Loved One’s Mental Well-Being Decline (publication à venir). Elle est militante, conférencière et influenceuse en matière de santé mentale. Elle est également psychothérapeute et formatrice pour le programme virtuel de Premiers soins en santé mentale (PSSM) de la Commission de la santé mentale du Canada. Le programme PSSM est offert aux personnes qui soutiennent autant les adultes que les jeunes et les aînés. Les participants y apprennent notamment à reconnaître un problème de santé mentale chez un proche, à aborder le sujet avec la personne et à obtenir la meilleure aide possible pour elle.

Photo : Les acteurs Luke Tennie, Jason Segel et Harrison Ford dans Thérapie vérité.
Encadré : Sara Smith est psychothérapeute autorisée au sein du Live Free Black Therapist Collective.

L’abandon de l’expression « commettre un suicide » va au-delà de la sémantique.

Cet article fait partie de la série intitulée Le choix des mots est important dans Le Vecteur.

Les vieilles expressions peuvent parfois nous prendre par surprise. Cela peut être évident, comme dans le cas d’une insulte raciale. Mais cela peut aussi être plus subtil, comme lorsqu’on réalise soudainement qu’on n’a pas entendu une expression depuis un certain temps. Pour de nombreuses personnes, les expressions entourant le suicide sont plutôt susceptibles d’appartenir à la deuxième catégorie.

Il y a quelques années encore, il était courant d’entendre dire qu’une personne avait « commis un suicide » après avoir mis fin à ses jours. L’expression était omniprésente dans toutes les formes de médias et dans les conversations quotidiennes. Puis, un changement de paradigme a commencé à se produire. De plus en plus de personnes, qu’il s’agisse de professionnels de la santé, de journalistes ou de personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent de la maladie mentale, ont plutôt adopté l’expression « décès par suicide ».

Qu’est-ce qui distingue ces expressions?
La troisième édition du guide En-tête : reportage et santé mentale offre l’une des meilleures raisons justifiant ce changement : « Ne dites pas qu’une personne a “commis un suicide”. Cette expression dépassée, liant le suicide à un geste illégal ou à un échec moral, risque de blesser encore davantage les proches, et de rendre la tâche plus difficile à ceux qui auraient besoin d’aide. »

Talking Illustration

Le terme « commettre » est le plus souvent associé à une sorte de crime. Par exemple, nous utilisons encore régulièrement les expressions « une personne a commis un meurtre » après un homicide, ou « une personne a commis une fraude » après une escroquerie. Ces expressions laissent entendre un mépris des règles de droit et des normes morales ou éthiques tout en portant un jugement sur les actions entreprises.

Quand on parle de suicide, de telles insinuations n’ont pas leur place. Le suicide peut être évité grâce à des interventions appropriées. Mais, si admettre ses pensées suicidaires sous-entend avouer un crime, il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi une personne pourrait hésiter à demander de l’aide. Si l’on tient compte des sentiments de dévalorisation et de désespoir qui se manifestent souvent de pair avec les pensées suicidaires, bien peser ses mots devient un enjeu encore plus important.

Ainsi, certaines personnes sont laissées pour compte. On estime le nombre de personnes touchées par un suicide à environ 135, dont 7 à 10 de manière très profonde. L’utilisation d’expressions dépassées peut donc compliquer davantage le processus de deuil en y ajoutant une stigmatisation inutile.

En revanche, dire ou écrire que quelqu’un est « décédé par suicide » permet de considérer le décès comme une perte plutôt qu’un crime. Il s’agit d’une occasion de remplacer la condamnation par la compassion, et de transformer la stigmatisation en soutien.

Pour une personne qui est aux prises avec ses propres pensées suicidaires ou le décès d’un être cher, garder le silence ou s’exprimer peut faire toute la différence.

Un nouvel espoir à l’horizon
D’ici la fin de l’année 2023, le Canada devrait lancer un numéro de téléphone à trois chiffres pour la prévention du suicide. Lorsqu’une personne composera le 988 ou enverra un texto à ce numéro à partir de n’importe quel endroit au Canada, elle sera mise en relation avec un service gratuit de prévention du suicide ou de crise de santé mentale. Selon les experts, ce numéro national permettra de réduire non seulement la stigmatisation associée à la demande d’aide, mais également le temps nécessaire à la mémorisation ou à la recherche d’un numéro d’urgence. Lorsqu’il s’agit de prévenir le suicide, chaque seconde compte.

Le saviez-vous?

  • Il n’est pas toujours facile de reconnaître une personne ayant des pensées suicidaires. Il peut être utile de connaître les signes précurseurs pour savoir comment et quand offrir un soutien approprié.
  • Demander à une personne si elle songe au suicide n’augmentera pas la probabilité du passage à l’acte. En fait, sur le coup, faire part de son inquiétude peut être un moyen utile d’établir un lien social et de promouvoir l’espoir.
  • Il suffit souvent de supprimer ou de restreindre l’accès à des éléments tels que les armes à feu et les médicaments sur ordonnance pour prévenir le suicide. Ce type de restriction de l’accès aux méthodes de suicide est efficace pour prévenir le suicide, car de nombreuses personnes ne chercheront pas d’autres solutions.

Ressources
Si vous ou une personne que vous connaissez êtes en situation de danger immédiat, appelez le 911.

Auteure: est rédactrice à la Commission de la santé mentale du Canada.

Amber St. Louis

Une série d’outils de thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée, conçue pour faire tomber les barrières.

Il était difficile de l’entendre clairement au début, mais une fois que les aspects pratiques d’une séance de thérapie virtuelle où le client appelle depuis son placard ont été compris, les choses ont commencé à se dérouler sans problème.

« Dans mes fonctions antérieures, un appel passé à partir d’un garde-robe n’aurait pas compté comme une séance. Nous aurions demandé au client de l’annuler », indique Helen Yohannes, psychothérapeute autorisée au centre de santé communautaire Somerset Ouest à Ottawa, et l’une des 29 praticiennes participant à un projet de recherche visant à tester une nouvelle forme de psychothérapie pour les personnes d’origine sud-asiatique qui sont aux prises avec l’anxiété et la dépression au Canada.

« Il se pourrait que certains clients cachent à leur famille le fait qu’ils suivent une thérapie, explique Mme Yohannes. « Dans cette étude, nous tenons compte de ce genre de situations. Nous nous concentrons sur les besoins des clients, plutôt que sur ce que nous pensons être un processus efficace. »

Il s’agit de l’une des conclusions de l’étude intitulée Développement et évaluation d’une thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée (TCCca) afin d’améliorer les résultats de santé mentale des personnes d’origine sud-asiatique, réalisée par le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) et les partenaires Moving Forward Family Services (Vancouver), le Centre de santé pour nouveaux arrivants d’Ottawa et Punjabi Community Health Services (Toronto). Cette recherche a permis d’élaborer une série d’outils pour une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) qui soit culturellement adaptée et destinée à être utilisée avec les clients de ces communautés.

Qu’est-ce que la compétence culturelle?
La sensibilité culturelle peut rendre la TCC, communément reconnue comme étant la « norme d’excellence » en matière de thérapie, plus inclusive pour les communautés non occidentales et améliorer son acceptabilité et son impact. La TCC « régulière » tend à se focaliser sur les problèmes quotidiens d’une personne et à l’aider à interpréter et à évaluer ce qui se passe autour d’elle. La TCC culturellement adaptée le fait aussi, mais avec des ajustements subtils et efficaces.

La compétence culturelle est définie de manière générale comme étant la capacité des fournisseurs et des organisations à offrir efficacement des services de soins de santé qui répondent aux besoins sociaux, culturels et linguistiques des patients. En pratique, cela se traduit de diverses manières.

Par exemple, les clients qui ont participé à l’étude ont exprimé le désir de voir leur thérapeute établir une relation avec eux et rendre l’aspect clinique plus accueillant afin de créer un dialogue plus chaleureux comportant quelques échanges de renseignements personnels, ce qui peut sembler étranger aux lignes directrices habituelles de certains praticiens.

« Les personnes ayant des compétences sociales ou une intelligence émotionnelle supérieures ont tendance à faire ces choses de façon très ingénieuse », explique Farooq Naeem, professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto et clinicien-chercheur au CAMH, qui était le chercheur principal de cette étude. M. Naeem a également collaboré à l’élaboration du cadre d’adaptation de Southampton, en se basant sur une étude menée au Pakistan de 2006 à 2009 qui a servi de fondement aux nouvelles recherches.

Au début de notre entretien, nous parlons de nos origines culturelles. Pour lui, cet échange amical de renseignements personnels est une façon d’ouvrir une porte à la discussion, ce qui facilite les adaptations culturelles de la TCC.

« C’est une façon d’établir une relation de confiance avant d’entrer directement dans le vif du sujet », dit-il.

D’autres conseils et outils encouragent également les praticiens à faire participer la famille élargie du client, dans une approche collectiviste de la thérapie et du traitement.

Les commentaires des répondants de l’étude ont également contribué à façonner les façons de faire des praticiens en matière de traitement. Par exemple, certains clients ont eu l’impression qu’on leur demandait d’aller à l’encontre de leurs croyances et de leurs valeurs pour obtenir des résultats favorables dans la thérapie. Dans un cas, un thérapeute avait prescrit à un client d’établir des limites strictes avec ses parents. Le client a jugé ce conseil trop simpliste, puisque la dynamique familiale ne se prêtait pas à une telle approche.

Il est également important de saisir la place qu’occupent les pratiques spirituelles dans la perspective du client.

« La personne peut avoir sa propre idée concernant la cause de ses difficultés, qui peut être ancrée dans des croyances religieuses ou spirituelles », explique Kamlesh Tello, membre de l’équipe du projet et gestionnaire de programme à la CSMC qui se consacre à l’accès à des services de santé mentale de qualité.

« Elle pourrait attribuer certains événements à la volonté de Dieu, au karma ou au mauvais œil, par exemple. Il est important que le fournisseur sache comment s’y prendre avec le client dans ces cas. »

Il est recommandé aux praticiens de discuter avec le client de son point de vue, sans le désapprouver ni suggérer d’autres explications, afin de mieux comprendre les pensées et les sentiments du client.

Toutefois, dans d’autres circonstances, il est conseillé aux fournisseurs de soins d’utiliser des méthodes plus directives lors des séances de thérapie, ce qui peut sembler être une orientation contradictoire. Farooq Naeem réconcilie les deux méthodes.

« De nombreuses cultures non occidentales sont encore très hiérarchisées dans leur style de communication; il relève du sermon, alors que le dialogue socratique, qui est ouvert, guidé et curieux, relève de la TCC, explique-t-il. Les personnes appartenant à ces cultures douteront de votre jugement si vous les interrogez au sujet de l’approche thérapeutique à adopter. »

Ces constats ne s’appliquent pas universellement lorsqu’on prend en compte l’acculturation, c’est-à-dire le degré d’occidentalisation d’une personne dans ce contexte. M. Naeem conseille de ne pas généraliser. Les fournisseurs de soins peuvent plutôt adopter une démarche autoréflexive qui leur permet de contourner leurs propres biais conscients et inconscients lorsqu’ils travaillent avec des clients sud-asiatiques.

Stigmatisation structurelle
Même avec des efforts de sensibilisation, les clients qui ont participé à l’étude ont reconnu les défis systémiques plus larges que présentent le racisme, la discrimination, l’immigration et l’installation, ainsi que d’autres facteurs sociopolitiques indépendants de leur volonté qui ont affecté leur identité, leur rôle sociétal et leur santé mentale. Comme l’a fait remarquer un soignant de la région du Grand Toronto, « il y a des biais dans les thérapies, des biais dans les systèmes et des biais chez les personnes qui contrôlent ces systèmes. Soit ils n’en sont pas conscients ou, dans le cas contraire, ils refusent d’admettre les préjugés inhérents à ces systèmes. Et ces biais ont certainement une incidence sur la façon dont les thérapies sont dispensées aux personnes marginalisées, aux personnes défavorisées et aux membres de groupes en quête d’équité. »

Les biais font obstacle à l’utilisation des services de santé mentale; en effet, les recherches montrent que ces communautés sont moins susceptibles d’obtenir de l’aide que les autres Canadiens. Environ 7 % des habitants du Canada (2,6 millions de personnes) s’identifient comme Sud-asiatiques; ils forment également le groupe racialisé qui connaît la plus forte croissance au pays.

Au-delà des mots
La série de vidéos et de guides de formation autogérés sur les approches adaptées à la culture des communautés sud-asiatiques utilisées dans le cadre de la TCC peut aider les praticiens de toute origine culturelle », explique Mme Yohannes.

« Je me disais que je n’étais pas sud-asiatique, que j’étais originaire de l’Afrique de l’Est, d’Érythrée; j’avais probablement des similitudes culturelles, mais j’avais aussi des doutes. Et si les clients refusaient de me voir? » Heureusement, ces craintes se sont rapidement dissipées.

« Les participants à l’étude voulaient simplement avoir une thérapeute compétente et consciente des aspects culturels susceptibles de modifier la manière dont la thérapie est mise en œuvre, ou même l’organisation des séances », raconte-t-elle (en citant le cas du client dans le garde-robe), ainsi que l’évolution des normes au sein de la profession.

« On constate que dans de nombreuses cultures, on hésite à parler de ce qui se passe chez soi avec des étrangers. Certains thérapeutes peuvent avoir l’impression que le client n’est pas prêt à s’ouvrir. Ils le laissent alors partir et lui demandent de revenir quand il sera prêt à parler. J’ai constaté cela avec des thérapeutes qui ne sont peut-être pas aussi sensibles à la culture. Il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte. »

Mme Yohannes affirme que les thérapeutes doivent être disposés à apprendre et à s’ouvrir aux conversations sur le racisme. « On ne peut pas échapper à ce sujet. Il faut être en mesure de parler des microagressions, de l’anxiété et de la dépression et de leur lien avec la race. »

Les participants à l’étude ont confirmé que les thérapeutes ayant reçu une formation en TCC culturellement adaptée semblaient plus attentifs à leur réalité. « Je n’ai pas eu à prendre le temps d’informer, de former ou de sensibiliser le [thérapeute] sur ma culture ou sur la réalité de ma persécution historique et culturelle », a déclaré un participant.

Cette compréhension a permis d’améliorer les taux de fidélisation des clients et de réussite des séances thérapeutiques chez les 146 participants à l’étude, dont la moitié ont reçu une TCC culturellement adaptée (contre l’autre moitié une TCC régulière). Leurs pays de naissance étaient le Canada, l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Inde, le Népal, le Pakistan, le Sri Lanka, l’Angleterre, les États-Unis, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et la Suède. Leurs affiliations religieuses ou spirituelles étaient l’hindouisme, l’islam, le sikhisme, le bouddhisme, le christianisme, le zoroastrisme, l’athéisme et l’agnosticisme.

« Nous utilisons beaucoup les termes “multiculturel” et “culturel”, mais je ne sais pas si nous les analysons suffisamment », dit Mme Yohannes, en faisant référence à l’expression « sensibilisés à la culture ». Selon elle, les praticiens ne peuvent pas appliquer un même type de thérapie à tous les groupes et s’attendre à ce que cela fonctionne, car la rigidité et la généralisation vont à l’encontre de l’esprit de ce travail. Il faut plutôt faire preuve d’une ouverture à de nouvelles approches et d’une volonté de modifier les façons de faire.

« C’est dans ces circonstances que les gens se montrent plus disposés à parler de la santé mentale ».

Auteure: est gestionnaire du contenu et des communications stratégiques à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).

Fateema Sayani

Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.

Étant donné qu’il n’existe aucun traitement pour la COVID-19 de longue durée, les personnes touchées doivent apprendre à vivre avec leurs symptômes. Un programme hospitalier novateur propose une approche interdisciplinaire combinant des soins physiques, cognitifs et psychosociaux.

Chaque jour, quand elle se lève, Lisa Evans est confrontée à un choix difficile : douche ou lingettes humides?

Il y a encore un an et demi, alors qu’elle était pleine d’énergie et faisait facilement plusieurs heures d’exercice par semaine, elle n’aurait jamais songé devoir prendre ce type de décision.

Plus d’un an après le début de son combat contre le syndrome post-COVID-19, ou « COVID longue », Mme Evans est heureuse de pouvoir marcher plus de quelques mètres. Ce n’est que l’un des nombreux changements qui ont rendu sa vie surréaliste.

En fait, Lisa Evans n’est pas son vrai nom.  Elle a demandé l’anonymat, de peur d’être victime de discrimination de la part de son employeur et d’être jugée par ses pairs.

« C’est le comble de la vulnérabilité, dit-elle. Chaque jour, j’ai craint quelque chose. Est-ce que mes symptômes vont s’aggraver? Est-ce que je vais avoir besoin d’une aide-soignante? Est-ce que je vais pouvoir respirer? Je ne peux me permettre de m’inquiéter aussi des perceptions négatives au travail. »

De mon point de vue, sa prudence est tout à fait normale. Lorsque la COVID m’a moi-même laissée avec des symptômes qui ont duré bien plus longtemps que ce qu’on entendait dire dans les médias, je redoutais également toutes les questions de mes collègues bien intentionnés au sujet de mon rétablissement. J’optais pour une réponse prudente du genre « pas encore complètement rétablie », alors qu’en vérité, j’aurais plutôt dit « chaque jour de travail ressemble à un marathon pour lequel je ne me suis pas entraînée ».

Si mes propres symptômes ont disparu au bout de six mois, ceux de Mme Evans persistent : fatigue débilitante, vertiges, maux de tête, irrégularités du rythme cardiaque et troubles du goût et de l’odorat. Ses aliments préférés ayant perdu tout attrait (les tomates ont maintenant le goût de vieilles chaussettes) et cuisiner étant devenu une tâche herculéenne, elle a également perdu neuf kilos.

Nous sommes loin d’être les seules à vivre ces expériences. Au départ, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pensait que 10 à 20 % des personnes ayant été infectées par le virus présentaient un syndrome post-COVID-19 – qui se définit par des symptômes qui persistent pendant plus de trois mois, ou par l’apparition de nouveaux symptômes après une infection par le SRAS-CoV-2, ces symptômes durant au moins deux mois sans aucune autre explication. Or, de nouvelles études montrent que 30 à 40 % des personnes qui ont contracté la COVID-19 présentent des symptômes qui persistent pendant plus de trois mois après l’infection. De nouvelles données modifient sans cesse ces chiffres.

Au-delà des statistiques
Peu de gens peuvent mettre des visages sur les statistiques, mais Wendy Laframboise, oui. Elle est l’infirmière praticienne qui coordonne le programme de réadaptation post-COVID-19 de l’Hôpital d’Ottawa. Avec 287 références et plus de 400 malades et soignants qui lui ont demandé de l’aide (à ce jour), Mme Laframboise connaît très bien les réalités de la COVID longue.

L’Hôpital d’Ottawa

L’Hôpital d’Ottawa

« Dans la plupart des cas, on ne s’attendrait pas à ce que ces personnes aient des symptômes qui durent, raconte-t-elle au sujet de ses patients. Ce sont des gens très performants, sportifs, qui réussissent bien dans la vie et qui ont peu ou pas d’antécédents médicaux. Maintenant, la plupart d’entre eux ont dû mettre leur emploi – et leur vie – sur pause. » Elle soutient que les quelques personnes qui continuent à travailler éprouvent de grandes difficultés, car elles sont moins fonctionnelles, ce qui constitue une source supplémentaire de stress et d’anxiété au travail.

Puisqu’il n’y a pas de remède à la COVID longue, le programme vise à aider les patients à gérer leurs symptômes et à améliorer leur qualité de vie sur trois plans : physique, cognitif et psychosocial. Le modèle repose sur le programme de lutte contre la douleur chronique de l’hôpital et s’inspire des recherches menées par l’unité de réadaptation sur les traumatismes cérébraux et les maladies respiratoires chroniques.

Pendant quatre semaines, lors de séances virtuelles très interactives, les patients travaillent avec une infirmière praticienne, un inhalothérapeute, un ergothérapeute, un physiothérapeute, un diététicien et un psychologue. Grâce à l’information, aux discussions et aux ateliers permettant de se fixer des objectifs, ils apprennent à composer avec des symptômes comme l’essoufflement, le stress et les problèmes de concentration (souvent qualifiés de « brouillard cérébral » par les personnes souffrant d’une COVID longue).

Jusqu’à présent, cette démarche a produit des résultats extrêmement positifs, les patients montrant des améliorations sur les trois fronts, tant à la fin du programme que lors du suivi, trois mois plus tard. Pour certains, l’amélioration se traduit par une meilleure capacité respiratoire. Pour d’autres, c’est pouvoir jouer avec leur enfant au lieu de rester au lit.

Mme Laframboise attribue une grande partie du succès du programme à l’équipe interdisciplinaire, qui comprend la participation active d’un psychologue en réadaptation.

« La COVID longue a des répercussions sur la santé mentale de tout le monde », explique-t-elle en soulignant que la dépression et l’anxiété apparaissent souvent pour la première fois chez ces patients, ou s’aggravent chez ceux qui en étaient déjà atteints avant la COVID. « Les patients sont nombreux à dire qu’ils doivent faire le deuil de leur ancien moi. Ils éprouvent beaucoup de frustration et de culpabilité par rapport à ce qu’ils ne peuvent plus faire dans le contexte de leurs relations, pour leurs enfants et pour eux-mêmes. »

Mme Laframboise ajoute que la stigmatisation des maladies invisibles est bien réelle, surtout lorsqu’il s’agit d’une affection aussi récente que la COVID longue. « Les gens n’arrivent pas à croire que l’on puisse passer de 100 % à 10 %. Et pourtant, c’est possible. »

Pour compliquer encore les choses, poursuit-elle, il n’y a pas de trajectoire de guérison claire. Contrairement à une jambe cassée, dont on connaît les étapes de guérison à la semaine près, la COVID longue n’est ni linéaire ni cohérente. Une semaine, une personne peut souffrir de maux de tête et d’étourdissements; la semaine suivante, elle peut avoir des bourdonnements d’oreilles et des essoufflements.

Incomprise et laissée pour compte
Mme Evans ne connaît que trop bien les montagnes russes des symptômes et l’isolement dans lequel ils la laissent. « J’ai passé tout l’été sur le divan. Je mourais d’envie d’être dehors, au soleil, mais mon corps m’en empêchait. »

Si elle reste confinée dans son appartement en raison de contraintes physiques, elle est également isolée en raison de l’incompréhension de ses amis et sa famille.

« Mes proches m’ont suggéré de simplement essayer de dormir un peu plus longtemps », explique-t-elle. De plus, ses absences répétées ont impatienté des amis qui ont tout simplement annulé leurs appels vidéo. « Je pourrais dormir tant que je veux, ça ne me guérira pas. »

En quête de compréhension, Mme Evans s’est jointe à un groupe Facebook pour les personnes souffrant de COVID longue au Canada. Il s’agit d’un groupe privé auquel seules les personnes aux prises avec une COVID longue et leur famille peuvent s’inscrire. Il compte actuellement plus de 18 000 membres.

« Chaque jour, il y a de nouveaux témoignages qui ressemblent à ce que je vis, raconte Mme Evans. Certaines personnes en sont à leur troisième année de COVID longue et n’ont plus d’espoir. Personne d’autre ne comprend ce que c’est. »

Dans le contexte du programme de réadaptation post-COVID, Mme Laframboise a été surprise par deux choses : le handicap causé par la maladie et le pouvoir de la validation.

Avant même d’entamer le programme, les patients inscrits sur la liste d’attente sont rassurés sur le fait que ce qu’ils vivent est légitime et que, malgré ce qu’ils peuvent ressentir, ils ne sont pas seuls. Le programme laisse également une large place aux discussions ouvertes, que ce soit en groupe ou dans le contexte de séances individuelles avec des cliniciens expérimentés. Mme Laframboise n’aurait jamais imaginé à quel point il est bénéfique pour ces patients de parler de leur vécu sans craindre d’être jugés.

« Une fois que les patients se sentent validés dans leur vécu, il leur est plus facile de se concentrer sur les techniques leur permettant de composer avec ce qui leur arrive, dit-elle. Chacun apprend à planifier ses activités quotidiennes, à les hiérarchiser et à les exécuter à son rythme, dans les limites de son extrême fatigue, car c’est le symptôme de la COVID longue qui est le plus contraignant.

Wendy Laframboise, infirmière praticienne

Wendy Laframboise, infirmière praticienne

Rythme, planification et priorités – ce sont les trois choses que Mme Evans a dû apprendre toute seule, et elle pense que c’est ce qui lui permet de continuer à travailler. « J’ai appris à effectuer une analyse coûts-avantages des activités qui m’attendent quotidiennement. Je calcule exactement comment je vais dépenser mon énergie, précise-t-elle. Je dois choisir entre aller au travail, me préparer à manger ou faire la lessive, car je ne peux faire qu’une seule de ces trois choses. »

Réinventer la productivité, et tout le reste
L’expérience de Mme Evans lui a montré d’autres choses, qui sont un peu plus difficiles à digérer. Elle a appris à ses dépens que, à bien des égards, la société n’est pas faite pour les personnes ayant un handicap. Les produits de première nécessité, comme l’épicerie, coûtent plus cher lorsqu’il faut toujours payer la livraison. De même, le scooter électrique à trois roues pourrait lui donner plus de liberté, mais il faudrait payer une autre place de stationnement dans son immeuble, ou alors le soulever pour qu’il passe le seuil de sa porte d’entrée.

Mais Mme Evans se rend compte que le capacitisme est bien plus qu’une question de portefeuille. « Nous sommes conditionnés à placer la productivité au-dessus de tout, illustre-t-elle. On demande “qu’as-tu fait aujourd’hui?” au lieu de “à quoi as-tu pensé aujourd’hui?”, ou “comment t’es-tu sentie aujourd’hui?”. Peut-être que ce sont les questions que nous devrions nous poser les uns les autres. »

En entendant ces propos, je ne peux m’empêcher de penser aux récentes manchettes qui vantaient les mérites de nouvelles recherches selon lesquelles la plupart des symptômes de la COVID longue devraient disparaître d’eux-mêmes au bout d’un an. Mes propres symptômes post-COVID ont duré six mois, et la simple idée qu’ils auraient pu durer deux fois plus longtemps me donne mal au ventre. Un an de possibilités manquées et d’objectifs impossibles à atteindre. Un an à choisir entre le repos et l’écriture. Un an à ignorer les conversations et à me concentrer sur ma propre respiration. Un an marqué d’épisodes de brouillard – je me souviens à peine des deux fois où j’ai pris des vacances. J’ai appris qu’être à moitié présente, c’est un peu comme être complètement absente.

Quant à Mme Laframboise, elle est heureuse que le programme de l’Hôpital d’Ottawa procure un soulagement à tant de personnes, mais elle sait qu’il ne peut répondre à tous les besoins. « Je veux que d’autres personnes comme mes patients entendent parler de programmes comme celui-là. On a besoin d’un plus grand nombre de programmes du genre pour les aider à reprendre leur vie en main, et ils en ont besoin maintenant.

Mme Evans reconnaît qu’il y a beaucoup à faire pour soutenir les personnes comme elle, car les études, les ressources et la compréhension font cruellement défaut. Mais elle ne perd pas espoir. « Je suis résolue à profiter de l’été cette année, conclut-elle. Même si cela prend toute mon énergie, je veux sentir le soleil sur ma peau. »

Ressources :
Espace Mieux-être Canada (soutien gratuit en matière de santé mentale pour toute personne au Canada)
Programme de réadaptation post-COVID de l’Hôpital d’Ottawa
Ressources COVID-19 Canada

Auteure : est rédactrice à la Commission de la santé mentale du Canada.

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