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L’ABC des soins de santé mentale pour les personnes ACN
Mon fils m’a demandé de l’aide pour trouver un thérapeute, et de mon point de vue, c’est une victoire. Il a reconnu qu’il avait besoin d’aide, ce qui témoigne de son intelligence et de sa conscience de soi. Mon cœur de mère déborde de fierté.
Certaines personnes ne se rendent pas compte des difficultés qu’elles éprouvent, et dans la culture machiste dans laquelle baignent souvent les jeunes hommes Noirs, la conscience de soi est un ressort puissant. Cet appel à l’aide lancé à sa mère m’indique que j’ai dû réussir une partie de ma mission comme parent. Je suis affligée de voir sa souffrance, mais je suis heureuse qu’il puisse le constater et qu’il demande de l’aide.
Ce qui a été plus pénible, c’est de me rendre compte qu’il voulait un thérapeute auquel il pourrait s’identifier : un homme ACN (d’origine africaine, caribéenne et Noire). Comprenez-moi bien. La demande est raisonnable en soi. Mais essayez de trouver un thérapeute Noir au Canada… c’est comme chercher un billet de loterie gagnant. Il y en a, mais ils sont rares.
Je me suis donc attelée au travail. J’ai au moins la chance de connaître des gens qui connaissent des gens. Une de ces personnes pouvait peut-être me mettre sur la bonne piste… Mais il y a aussi la merveille qu’est Google. Croyez-le ou non, Google fonctionne souvent, si bien que je me suis vite retrouvée sur le portail de Canadian Psychology Today, à éplucher un éventail de thérapeutes ACN. La prochaine étape de notre course à obstacles consistait à trouver le psychothérapeute qui conviendrait le mieux à mon fils. Il ne suffit pas d’être ACN, il faut aussi avoir l’expérience voulue. Mais avant même d’en arriver là, je me suis interrogée sur la différence entre les deux principaux choix qui semblaient s’offrir à moi : un travailleur social ou un psychothérapeute. Est-ce que c’est la même chose? Quelle différence cela fait-il?
Gros honoraires et autres obstacles à l’accès
Le prix est bien sûr un facteur déterminant. Il varie entre 100 $ et 200 $ par séance. C’est peut-être peu pour prendre soin de sa santé, mais pour bien des gens, c’est une dépense qu’ils doivent assumer entièrement. Avec un peu de chance, vous avez des assurances, mais la couverture pour des soins de santé mentale varie beaucoup d’une police à l’autre. Si certains employeurs offrent une couverture complémentaire ou proposent différents moyens d’accéder aux soins, d’autres régimes limitent le coût ou le nombre de séances.
Étant donné la distribution de la richesse au Canada, on sait que si vous faites partie de la communauté ACN – en fait, si vous faites partie de n’importe quelle communauté racialisée – vos revenus sont moindres. Moins de revenus, moins d’épargnes, moins d’accès. En fait, on a parfois l’impression que la seule chose que nous ayons en plus par rapport aux autres, c’est le chômage.
En plus de coûter cher, la thérapie est rarement quelque chose que l’on achève d’un seul coup. Il faut s’y engager, établir des liens avec le thérapeute qui convient et intégrer la thérapie à son quotidien pendant un certain temps. Selon certaines études, il faut compter de 12 à 16 séances hebdomadaires, mais dans les faits, de nombreux thérapeutes et patients vous diront qu’il faut plutôt 20 à 30 séances réparties sur six mois environ. Douze à trente semaines de thérapie, cela signifie entre 1 200 et 6 000 $. C’est loin d’être une modique somme. Mais il y a aussi une autre question : comment choisir le prix correspondant au service dont on a besoin? Doit-on magasiner un thérapeute comme on magasine son vin : plus c’est cher, mieux c’est?
Je me demande ce qui se passe si la thérapie cognitive ne suffit pas. Et si mon fils avait besoin d’un médicament sur ordonnance? Dois-je me mettre à la recherche de l’oiseau rare – un médecin de famille – ou plus rare encore, un psychiatre? Comment vais-je l’aider à couvrir le prix de ses médicaments?
Je ne cesse de me répéter qu’au moins, il a eu assez confiance en lui et en moi pour me demander de l’aide. Le contraire est souvent le plus grand obstacle à l’accès aux soins. Mais c’est loin d’être ainsi pour bien des familles ACN. Outre les contraintes financières, ces familles se heurtent à de nombreux obstacles à l’accès aux soins de santé mentale, dont le plus important est peut-être le regard que les autres portent sur les problèmes de santé mentale. Certains pensent par exemple que seules les personnes souffrant d’un grave problème de santé mentale ont besoin d’une aide professionnelle et que l’on ne va pas chercher ce type de service pour gérer des émotions ou améliorer sa qualité de vie. Autre idée fausse : « Les problèmes de santé mentale disparaissent si on n’en fait pas de cas », et ma préférée : « Les Noirs qui cherchent une aide professionnelle ont perdu leur foi en Dieu ». Rien de pire que la culpabilité inspirée par la culture et les proches quand on cherche ce type d’aide. Tout semble si compliqué. Trouver l’aide dont on a besoin est déjà difficile pour tout le monde, mais ça peut sembler écrasant quand on regarde les choses dans la perspective des personnes ACN.
Ni blanc ni Noir
Heureusement, des personnes comme Nicole Franklin, une thérapeute Noire convaincue que la représentation est essentielle dans le milieu de la santé mentale, ont commencé à tracer des voies pour que l’on y parvienne. Sa clinique, Live Free Counselling Service, propose des services de psychothérapie et des ressources aux membres des communautés racialisées de Toronto et de la région du Grand Toronto. Pour ceux qui habitent à l’extérieur de Toronto, sachez qu’elle fait connaître des travailleurs sociaux et des thérapeutes noirs agréés qui, un peu partout au Canada, exercent leur profession selon une approche axée sur l’autogestion de la santé et qui tient compte des traumatismes et de la culture.
Même si elle pense que « le meilleur moment pour entreprendre une thérapie, c’était hier », Mme Franklin signale que « la thérapie n’est pas une solution miracle ».
Elle suggère de consulter un thérapeute une fois par semaine, par mois ou par trimestre (si vous en avez la possibilité), mais reconnaît que le coût d’une thérapie, surtout si les consultations sont fréquentes, peut constituer un obstacle financier.
Certaines cliniques offrent des services sans frais, d’autres réduisent considérablement leurs tarifs si vous consultez un thérapeute en formation (généralement, un étudiant stagiaire diplômé en psychologie ou en psychothérapie). D’autres cliniques adaptent leurs tarifs à votre revenu ou votre budget, selon que vous soyez employé, aux études ou sans emploi.
Mme Franklin recommande aussi de faire preuve de diligence raisonnable lorsqu’on demande des services à un professionnel de la santé mentale : « N’hésitez pas à poser des questions à votre thérapeute sur son expérience et sur la façon dont il aborde certains problèmes. »
Pour déterminer si un thérapeute vous convient ou possède l’expertise voulue pour comprendre ce qui vous amène à le consulter, posez-lui aussi des questions sur sa formation, ses honoraires, ses valeurs professionnelles et son approche thérapeutique.
Toutes les relations client-thérapeute ne fonctionnent pas du premier coup. Il se peut donc que vous deviez faire quelques essais avant de trouver chaussure à votre pied. Selon Mme Franklin, « il n’y a pas de mal à mettre fin à une relation thérapeutique qui ne vous convient pas, quel que soit le moment de notre vie. »
Quelques suggestions
Le père de mon fils et moi l’aidons à cheminer sur son parcours psychothérapeutique. Nous lui donnons ce dont il a besoin sur le plan financier et émotionnel. Mais s’il nous arrivait de flancher, on pourrait compter sur un riche réseau de personnes compétentes pour recevoir du soutien. Si vous ou l’une de vos connaissances êtes face au défi de trouver un psychothérapeute sans pouvoir compter sur ce type d’aide, voici les conseils de Mme Franklin.
- Cherchez un réseau ou des services de psychothérapie qui souscrivent aux soins tenant compte des traumatismes.
Une approche tenant compte des traumatismes reconnaît le lien entre les traumatismes, la violence et les résultats négatifs en matière de santé. Ce type de traitement vise à renforcer l’autonomie, la résilience et le sentiment de sécurité intérieure afin de reprendre le contrôle de sa vie après ou pendant une situation traumatisante. - Cherchez un thérapeute qui cultive des valeurs anti-oppressives.
La psychothérapie anti-oppressive contribue à réduire les effets des sentiments et des expériences que causent les traumatismes et la violence, ce qui permet aux personnes concernées de retrouver leur autonomie tout au long du parcours thérapeutique. - Cherchez un thérapeute qui connaît bien les problèmes qui vous préoccupent.
Si vous établissez des liens avec votre thérapeute sur un terrain commun, votre relation aura une base plus solide. C’est particulièrement vrai si vous rencontrez votre thérapeute dans un cadre virtuel. « Si vous faites une thérapie en ligne, suggère Mme Franklin, essayez d’avoir accès à un espace plus sûr et privé où vous pourrez avoir régulièrement des conversations ouvertes et franches. » - Faites une présélection des thérapeutes qui vous intéressent et passez un entretien préalable.
« Effectuez une recherche en ligne et consultez plus d’un thérapeute. C’est comme chercher un partenaire amoureux. Souvent, il nous faudra rencontrer plus d’une personne avant de trouver celle avec qui nous avons une bonne connexion. » - Trouvez un prestataire de soins de santé mentale qui a suivi une formation sur la compétence culturelle ou les préjugés implicites.
Faites-le si vous n’arrivez pas à trouver un thérapeute Noir dans votre quartier ou en ligne.
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Dil Ba Dil (cœur à cœur) est l’un des nombreux programmes de soutien destinés aux nouveaux arrivants. Il s’inscrit dans la démarche de soins complexes adaptés à la culture de l’organisme ABRAR Trauma and Mental Health.
« Je veux que les gens acquièrent leur propre point de vue sur la guérison », déclare Abrar Mechmechia en faisant référence à l’avenir des services de santé mentale tenant compte des traumatismes offerts par ABRAR. Elle réfléchit à ce que pourrait être son organisme dans cinq ans et se remémore ce qu’elle a vécu lors de sa formation de psychothérapeute en 2011, pendant que la guerre éclatait en Syrie. Pour Mme Mechmechia, la guérison agit de plusieurs manières et opère un changement de perspective, un processus complexe et continu qui est différent pour chaque personne.
Cette approche unique et personnalisable de la santé mentale des nouveaux arrivants a façonné la douzaine de programmes abordables proposés par ABRAR depuis le début de ses activités, en 2020. Mme Mechmechia, qui travaille à Hamilton, met maintenant à profit son vécu pour co-élaborer des programmes tenant comptes des traumatismes, dont Dil Ba Dil (expression inspirée de la poésie et de proverbes afghans qui signifie « cœur à cœur »), lancé à l’automne 2022.
Basé sur un modèle d’intervention précoce, ce projet pilote vise à aider les femmes afghanes nouvellement arrivées au Canada à guérir et à s’épanouir dans la communauté qu’elles ont choisie. Le programme propose un soutien en santé mentale axé sur l’art ainsi que des rencontres de groupe pendant lesquelles les participantes peuvent partager leur expérience et s’épanouir pendant qu’elles s’intègrent et s’adaptent à un milieu inconnu.
Une participante résume l’initiative comme suit : « Ce programme m’aide à relâcher mon stress et me rend heureuse de vivre au Canada. Notre animatrice est géniale! Elle s’exprime tellement bien, chacune de nous se sent valorisée. On sait que l’on a des gens sur qui on peut compter. Je peux dire ce que je pense et je sais que quelqu’un va m’écouter. »
Shabnam Mahboobi, défenseure de la santé mentale d’origine afghane, dirige le programme Dil Ba Dil, qui est animé par Vida Ghodraty, psychothérapeute stagiaire. Mme Mechmechia espère élargir le programme pour l’offrir aux enfants et aux personnes d’autres genres.
« Nous voulons créer plus d’espaces pour aider les nouveaux arrivants sur le plan de leur santé mentale », dit-elle. À l’heure actuelle, ABRAR propose des services de psychothérapie, de coaching familial et de soutien de groupe ainsi que des ateliers en anglais, en arabe, en persan (farsi), en dari et en hindi, par l’intermédiaire d’une équipe de 12 professionnels, dont trois stagiaires inscrits à un programme de maîtrise en travail social. Ces services, qui sont offerts en personne dans la région du Grand Toronto et virtuellement dans tout le Canada, aident les nouveaux arrivants dans plusieurs sphères de leur vie : soins personnels, adaptation, gestion des traumatismes liés à la migration, création de relations durables, gestion de l’anxiété et régulation des émotions. Par exemple, Brave Space est un module d’intervention prenant la forme d’un groupe de soutien destiné aux femmes musulmanes touchées par des incidents islamophobes. Cette année, ABRAR offrira ce modèle à London, Hamilton, Mississauga et Kitchener, grâce à un financement d’Islamic Relief Canada. Le programme Friends and Coffee, mis à l’essai avec la Syrian Canadian Foundation, aide également les femmes arabophones nouvellement arrivées à créer des réseaux de soutien et à prendre soin de leur bien-être psychologique.

Quelques members de l’équipe de ABRAR Trauma and Mental Health: Aleem Punja et Ramzia Ashrafi (avec Future Ready Initiative), Abrar Mechmechia, Lia Khalili, RP (avec Bright Start Bright Future Counselling Centre), et Shabnam Mahboobi.
« Nous savons que les femmes passent inaperçues dans nos propres communautés, explique Mme Mechmechia. Elles tiennent la maison, font les courses, élèvent les enfants, mais personne ne leur demande comment elles s’en sortent dans ce nouveau pays qu’est le Canada, comment elles font pour apprendre la langue, préparer leurs enfants à l’avenir et faire face à toutes leurs autres responsabilités quotidiennes. Ces femmes ont besoin de cet endroit. »
ABRAR offre également des formations à d’autres organismes, notamment sur les soins de santé mentale destinés aux nouveaux arrivants et sur les approches tenant compte des traumatismes. De plus, certaines de ses initiatives s’adressent aux personnes récemment arrivées d’Ukraine.
Traumatisme sur traumatisme
Dans les formations passées, il a été question de l’art de se fixer des objectifs, de racisme et de santé mentale, des difficultés liées à l’éducation des enfants et du croisement entre les traumatismes liés à la migration et la pandémie. Comme le souligne Mme Mechmechia, ce dernier sujet est particulièrement complexe.
« Pour plusieurs, la pandémie a été difficile à traverser. Chacun était coincé chez soi avec ses pensées, ses traumatismes et ses souvenirs. Certains ont perdu leur emploi et des proches. Ça fait beaucoup de choses à absorber. Personnellement, j’ai ressenti la même chose. Et on se sentait tous plutôt impuissants devant tout ça. »
Cette accumulation de traumatismes peut perdurer et se complexifier. « Bien des gens ont vécu une série d’événements graves au cours leur vie, ajoute-t-elle. Ils ne sont pas guéris et doivent composer avec ces traumatismes complexes. Le stress se loge dans leur corps – parfois plus qu’ils l’admettent. »
Cela peut notamment se manifester par des problèmes d’insomnie.
« Chez moi, en Syrie, je voyais des enfants qui faisaient des cauchemars. Ils vivent vraiment les symptômes. Par le passé, j’ai aidé de nouveaux arrivants à composer avec leurs traumatismes. Ils arrivaient, s’établissaient, et cinq ans plus tard, les symptômes se manifestaient. Parmi les enfants irakiens arrivés au Canada, certains ont commencé à vivre des difficultés après dix ans, mais les symptômes étaient plus complexes. Je crois d’ailleurs que les conséquences de la pandémie ne se sont pas encore manifestées. »
Selon les résultats d’une étude récente publiée dans l’European Journal of Health Psychology qui portait sur plus de 2 000 adolescents, les nouveaux arrivants souffrent davantage du syndrome de stress post-traumatique et de problèmes avec leurs pairs, tandis que les personnes qui n’appartiennent pas au groupe des migrants ou des nouveaux arrivants vivent davantage d’hyperactivité. Dans tous ces groupes, la discrimination a des effets négatifs sur tous les aspects de la santé mentale. Le soutien familial est un facteur de protection, mais la recherche montre qu’il faut mettre au point une approche adaptée et diversifiée des soins de santé mentale pour les nouveaux arrivants, pour les migrants qui ne sont pas de nouveaux arrivants et pour les non-migrants. De plus, selon cette étude, les interventions favorisant le soutien social par un cercle d’amis sont particulièrement bénéfiques.
Les recherches menées par ABRAR confirment ces résultats et ont conduit l’organisme à s’associer à des dizaines d’autres au pays pour mettre au point des programmes destinés aux personnes issues des communautés 2SLGBTQ+ et BIPOC, aux nouveaux arrivants et aux jeunes handicapés, qui sont pris en charge ou qui l’ont été, ou qui s’identifient comme marginalisés.
En retour, le travail d’ABRAR avec les particuliers et les groupes éclaire les études qu’il réalise. Par exemple, dans In This Together, un rapport s’appuyant sur un travail réalisé avec 20 jeunes militants de partout au pays pendant la première année de la pandémie, l’équipe d’ABRAR signale que les obstacles financiers, l’inefficacité des traitements, la stigmatisation, le manque de sensibilité culturelle et les difficultés liées au milieu scolaire avaient des répercussions sur la santé mentale des jeunes marginalisés. L’organisme entend demander aux décideurs politiques d’investir davantage dans les programmes d’intervention précoce et continuera à mettre au point des services et à former des prestataires sensibilisés aux différentes réalités culturelles. La démarche idéale d’ABRAR amènerait les gouvernements, les ministères et les programmes à donner une plus grande priorité au financement des services communautaires.
Grâce à son travail, Mme Mechmechia veut jeter un pont entre les jeunes et les décideurs. « Nous voulons que les jeunes sachent qu’ils ne sont pas seuls », déclare-t-elle. En outre, ABRAR a adhéré à la campagne Agir pour la santé mentale (orchestrée par l’Association canadienne pour la santé mentale), qui plaide en faveur de soins de santé mentale universels financés par l’État, et ce, pour en améliorer l’accessibilité et le coût.
Pour en revenir à notre conversation sur l’avenir de son organisme, Mme Mechmechia souligne l’importance de ce processus. « Quand on a une vision, les gens sont motivés à aller de l’avant, croit-elle. Les êtres humains ont besoin d’un objectif, et en ce qui nous concerne, d’ici cinq ans, nous aimerions être présents partout au Canada pour soutenir les nouveaux arrivants et les réfugiés qui ont vécu des traumatismes ».
« Le monde est compliqué; certaines personnes vivent dans un climat de paix et de calme, alors que d’autres sont accablées par des obstacles sans fin. C’est comme la pandémie, on ne sait pas quand on en aura fini avec cette situation traumatisante. Nous voulons aider les gens à puiser dans leur vécu pour modifier le regard qu’ils portent sur les choses. »
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Valoriser le savoir expérientiel passé et présent
Cet article fait partie de la série intitulée « Le choix des mots est important » dans Le Vecteur.
Même si de nombreux mouvements sociaux utilisent l’adage « Rien sur nous sans nous », celui-ci s’applique également aux domaines de la santé mentale et de la santé liée à l’usage de substances. Pour apporter des améliorations significatives aux politiques, aux services de soutien et aux systèmes de soins, la voix des personnes ayant un savoir expérientiel passé ou présent doit être intégrée à la conversation. De cette façon, les hypothèses peuvent être remplacées par des expériences réelles, et les solutions peuvent être remises en question par ceux qui ont le plus à gagner ou à perdre.
La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) insiste beaucoup sur l’utilisation de l’expression « savoir expérientiel passé et présent », car elle met l’accent sur les individus plutôt que sur l’effet stigmatisant des étiquettes qui rabaissent les personnes concernées et les empêchent de demander de l’aide. Ainsi, au lieu de désigner une personne comme un « ex-toxicomane », il est plus respectueux et plus conforme au processus de rétablissement de dire « une personne qui a un savoir expérientiel passé d’un trouble lié à l’usage de substances ».
Dans le contexte de la santé mentale et de la santé liée à l’usage de substances, le terme « savoir expérientiel passé » désigne une personne qui a déjà eu un problème de santé mentale ou une maladie mentale ou qui a consommé une ou plusieurs substances. De même, l’expression « savoir expérientiel présent » fait référence soit à un problème de santé mentale ou à une maladie mentale en cours, soit à un usage actuel d’une ou de plusieurs substances.
Parfois, les personnes ayant un savoir expérientiel passé ou présent incluent les membres de la famille et les proches aidants. Même si un proche parent n’a pas forcément un savoir expérientiel direct de la maladie mentale ou d’un trouble lié à l’usage de substances, il a souvent une profonde connaissance des difficultés rencontrées par ses proches, comme accéder aux services.
Envisagez de trouver de nouvelles façons d’incorporer le savoir expérientiel passé et présent, en tant que concept, dans votre travail ou dans vos conversations sur la santé mentale et la santé liée à l’usage de substances. À cet égard, la CSMC se réjouit de pouvoir compter sur les précieuses connaissances des membres du Groupe couloir en matière de savoir expérientiel passé et présent pour orienter son travail.
Amber St. Louis
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Integrated service hubs are an innovative approach to transforming youth mental health care in Canada.
Jessica’s mental health struggles started when she was 15 and accelerated when she left home at 18 to attend university in another province. She had the scholarships, grades, extracurriculars, and volunteer hours to attend one of Canada’s most prestigious post-secondary institutions. But once her studies began, the psychological cracks from her early adolescence began to widen. Unfortunately, although she was brave enough to ask for help, the resources available at the time were not well developed.
“I was sent (once) to see the campus psychiatrist. I still remember the shame I felt just going into the mental health building. In those days, it wasn’t part of the physical health services with doctors and physiotherapists — it was a separate building altogether. Anyone that saw you go in there would know that you were ‘crazy,’” she said. “He recommended a course of antidepressants and talk therapy, but I thought I knew better. Besides, I couldn’t access these things without my parents’ insurance plan, and that was a fate worse than death. I couldn’t let them (or myself) down by showing that type of weakness.”
As hard as it is to hear Jessica’s story, it is regrettably all-too common. Seventy per cent of persons living with a mental illness begin showing symptoms before age 18, and it affects some 1.2 million of children and youth.
Help wanted
Despite a growing awareness of the importance of mental health, and an increasing demand for care, youth ages 15 to 24 are highly vulnerable. It is still difficult for young people to get help, especially those who are marginalized or living in rural and remote areas. The statistics are sobering:
- Just 1 in 5 children in Canada receives appropriate mental health services.
- 39% of Ontario high-school students show a moderate-to-serious level of psychological distress (symptoms of anxiety and depression). A further 17% display a serious level of psychological distress.
- About 28,000 children and youth in Ontario are on waiting lists for mental health treatment (as of January 2020). This number has more than doubled since 2017.
- Average wait times in Ontario for children and youth: 67 days for counselling and therapy, 92 days for intensive treatment.
- Access to services in Ontario differs based on geography: in some areas, children and youth can access services almost immediately; in others, it can take up to 2.5 years.
- About 40% of parents say they wouldn’t tell anyone (including the family doctor) if their child was experiencing a mental health problem.
While affordability is a barrier to care for many people, other obstacles include not knowing where to go or how to access care. Stigma and negative perceptions about mental illness are also important factors, given that 60 per cent of those living with a mental health problem or illness won’t seek help for fear of being labelled.
The academic pressure cooker
It can be difficult at any age to recognize or accept that you might need help with your mental health. But for students it can bring unique and complex challenges. Transitioning to post-secondary studies coincides with other big life changes. It could be the first time they leave home and live as fully independent adults. On top of juggling relationships, finances, housekeeping, and staying healthy, students also need to manage their own learning.
They may also face a lot of pressure to perform, succeed, fit in, and compete for scholarships. Financial pressures. Family expectations. Academic pressures. It can all be overwhelming.
Such an intensification often brings mental health concerns to the surface — such as anxiety, depression, substance use, and eating disorders — and struggling with mental health makes things more difficult. It can affect your memory, concentration, energy levels, decision making, and motivation.
Yet, because students worry about what their professors or other students might think, many struggle in silence. Students often hesitate to admit they have test anxiety or need an accommodation based on the stigma associated with mental health problems. Studies in the U.S. show that just 20 to 40 per cent of students who experience a mental health problem seek treatment while enrolled in college.
For Jessica, when the stress and pressure of getting scholarships for graduate school brought on new difficulties that her medication could not control, she moved far away from family and friends to a place where she didn’t know anyone. “I didn’t know the system and was under immense pressure to perform, and that was when my mental health hit the breaking point,” she said.
Playing detective and jumping through hoops
The students who most need mental health care services are often the least likely to seek help and find it. For those who do get access, care usually comes with a limited number of hours, after which there’s no warm hand-off to services in the community. When Jessica sought help, she was offered a set number of appointments at the campus counselling centre. Only after several hospitalizations in the local psychiatric hospital did she receive regular mental health services. Jessica’s experience with seeking care in the community was like another ordeal.
“I had to travel all over the city to access services and had to tell my story repeatedly — recalling significant trauma, suffering, and abuse. Each time, I felt like I was experiencing it all over again. And with my muddled thoughts and poor memory, remembering what medications I was on, what changes were made to my dosages, what treatments I had tried — it was all just a blur. I carried around a binder to keep it straight. It was exhausting, and I felt that I simply couldn’t keep going on.”
As Jessica’s experience shows, while navigating the labyrinth of health services is challenging at the best of times, when you’re not feeling well, doing so can become overwhelming. If you’re also facing other challenges, like housing, income pressures, or discrimination, it may feel almost impossible to cope.
Integrated services: An innovative approach
Over many years, young people have been facing limited access, fragmented services, and ineffective mental health care. But thankfully things are shifting. An innovative approach called Integrated Youth Services (IYS) is transforming the way youth-focused services for mental health, substance use, primary health care, and social services are delivered. With IYS sites in most provinces and one territory, people between 12 and 25 can now get the help they need, when they need it, in one youth-friendly location.
How is IYS changing outcomes for young people in Canada? We asked Dr. Karen Tee, Associate Executive Director of Foundry, a provincial network of integrated youth health and social service centres in British Columbia. “We know a quarter of youth in Canada are affected by mental health and/or substance use concerns, and believe Canadian youth deserve easy access to community supports for these concerns,” said Tee. “IYS initiatives are transforming the health care system by designing services in collaboration with young people, families, caregivers, and service providers to ensure it meets the needs of young people. Through Integrated Youth Services currently being offered across Canada, we are seeing health and wellness outcomes improving for young people and families and caregivers. We’re reaching more youth and families and caregivers in their own communities and as a result, they have easier access to resources and supports designed specifically for them to address concerns in all aspects of their lives.”
What does the promise of integrated mental health care look like to people like Jessica?
“I think my story would have been significantly different — significantly improved — had there been IYS when I was younger. I would have had a single place to access mental and physical health care where stigma was reduced, where I wasn’t retraumatized in retelling my story, where I wouldn’t have to lug around a binder to access basic care. Young people need a team of people to relate to, not a network of clinics staffed by different clinicians each time you visit. Young people need a soft landing to independent health care because they are trying to figure out so many other things at that time in their lives. They aren’t just little adults. They are young people trying to navigate a million new, exciting, challenging things.”
Key findings about IYS
- 86% of youth would recommend youth hubs to other youth.
- 2 out of 3 parents of youth would recommend access hubs to them.
- 84% of youth said that a youth hub would be useful, especially their flexible hours, the ability to just walk in without an appointment, and having access to many different services in one location.
- 60% of youth could see themselves visiting a hub (75% among those with a diagnosed mental health issue).
- In the past two years, 57% of young people experienced a mental health issue, but fewer than 1 in 3 sought help.
- 31% of youth said they had a diagnosed or undiagnosed mental health condition.
- 27% of youth who had a mental health problem in the last two years said they weren’t sure where to get help. 40% were too shy or embarrassed to talk about their problem (higher among ages 18-25).
These findings are based on unpublished data from an online survey conducted by Bell through a third-party panel provider (Schlesinger Group) with Canadians from March 22 to April 7, 2022, and was statistically weighted to represent the Canadian general population for region, gender and age.
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Les progrès en matière de promotion de la santé mentale et d’accès à des soins de qualité. Ce que nous avons appris des modèles étrangers.
Souvent, nous disons « c’est juste une idée » après avoir formulé une suggestion, sans doute pour minimiser la portée de nos conseils non sollicités. Si cette remarque nous apparaît plutôt banale, la Nouvelle-Zélande l’entend autrement, puisqu’elle l’a placée au cœur d’un service virtuel de thérapie cognitivo-comportementale piloté par la thérapeute Anna Elders. Destiné aux personnes présentant des symptômes légers à moyens de dépression et d’anxiété, le service Just a Thought fournit des outils permettant de maîtriser ses émotions, pensées et comportements à l’aide de cours en ligne gratuits. L’initiative impressionne, car elle est parvenue à réduire les perpétuels délais d’attente de six mois avant d’arriver à consulter un praticien de la santé mentale en Nouvelle-Zélande. Comme les délais d’attente au Canada sont semblables, de telles innovations nous offrent des pistes de solution qui pourraient améliorer notre réponse aux problèmes de santé mentale, lesquels sont en constante progression.
Cette possibilité m’est apparue lors de ma participation au Collectif international d’eMHIC (connu sous le nom d’eMental Health International Collaborative), un congrès annuel consacré aux nouvelles avancées au confluent de la santé mentale et de l’intelligence artificielle. L’événement de 2022, qui s’est tenu en novembre à Auckland, m’a fait découvrir certaines des façons dont la technologie (bien qu’elle ne soit pas la réponse à tous nos problèmes) peut contribuer à améliorer l’accès aux soins de santé mentale au sein de vastes pays où la pénurie de cliniciens et les contraintes financières sévissent. À cet égard, le Canada a beaucoup en commun avec la Nouvelle-Zélande, l’Australie et d’autres contrées à travers le monde. Compte tenu de nos défis communs, des chefs de file de ces deux domaines se sont réunis lors de l’eMHIC afin de se pencher sur certaines avenues potentielles.
Au mois de novembre 2023, le Canada entend mettre en place une ligne téléphonique à trois chiffres pour la prévention du suicide et la résolution de crises en santé mentale. En amont, l’organisation nationale de télésanté de la Nouvelle-Zélande – Whakarongorau Aotearoa – propose des conseils sur la mise en œuvre d’un tel service. L’initiative néo-zélandaise prévoit un accès gratuit, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à une douzaine d’équipes cliniques qui font les rapprochements nécessaires entre les multiples facettes du bien-être, qu’il s’agisse de santé mentale, de services sociaux, de mesures de soutien liées à la COVID-19 ou d’abandon du tabac. Entre juin 2021 et juin 2022, les intervenants ont communiqué avec 2,7 millions de personnes – soit près d’un Néo-Zélandais sur deux – dont 74 000 ont fait appel expressément à des services en santé mentale.

Michel Rodrigue et Colin Seery de Lifeline Australia
L’approche intégrée des soins en santé mentale a été un fil conducteur lors de nos discussions avec les dirigeants de l’eMHIC. L’approche holistique est au centre du programme de soutien de l’Auckland Wellbeing Collaborative, qui regroupe des spécialistes pour assurer une stratégie concertée face aux enjeux de santé mentale. Par exemple, des travailleurs de soutien communautaire, des accompagnateurs en santé ainsi que des praticiens responsables de l’amélioration de la santé pourraient collaborer sur un même dossier. Les services constituent une prolongation de nombreux cabinets de médecins généralistes dans la région, ce qui signifie que les résidents peuvent y avoir accès gratuitement à l’endroit où ils consultent habituellement leur médecin.
En découvrant cette remarquable initiative, j’ai songé aux défis qui se posent ici au Canada. Des programmes comme le Modèle de soins par paliers 2.0 ont permis de réduire considérablement les délais d’attente pour obtenir des services de santé mentale, et ce, en proposant aux gens d’augmenter ou de diminuer l’intensité de leur traitement en fonction de leurs préférences et de leurs besoins. En outre, diverses organisations travaillent actuellement à concevoir des outils qui permettront aux praticiens de mieux adapter les services de santé mentale à la culture, ce qui semble également prometteur. Toutefois, la pénurie de médecins de famille au Canada pourrait faire en sorte que le modèle d’équipe multidimensionnelle axé sur le mieux-être se révèle un objectif inaccessible.
L’équipe de soutien au bien-être de la Nouvelle-Zélande peut compter sur une approche communautaire fondée sur le concept de « whānau », un terme maori que l’on peut traduire librement par « famille », mais qui englobe aussi le réseau de soutien élargi d’une personne. Lors de traumatismes et d’épreuves, comme le tremblement de terre en 2011 ou les fusillades perpétrées dans les mosquées en 2019, de nombreux Néo-Zélandais se sont tournés vers leur communauté et leur whānau pour renforcer leur résilience et trouver du soutien.
De la sensibilisation à la législation
La mission de la Commission nationale de la santé mentale d’Australie ressemble beaucoup à la nôtre. Elle consiste à promouvoir une meilleure compréhension de la santé mentale et de ses implications, à prévenir le suicide, à influencer les décideurs politiques et à collaborer avec des organisations partenaires en vue d’améliorer la santé mentale et le bien-être de tous. Et comme nous, en dépit de ces efforts, le pays est toujours confronté aux répercussions de la stigmatisation. Un récent questionnaire portant sur la stigmatisation publique, la stigmatisation structurelle et l’autostigmatisation a révélé que plus de quatre millions d’Australiens avaient été victimes de stigmatisation et de discrimination pour des raisons de santé mentale au cours de l’année écoulée. Un peu plus d’un répondant sur quatre a indiqué qu’il ne souhaiterait pas travailler en étroite collaboration avec une personne souffrant de dépression, et 63 % ont déclaré qu’ils ne seraient pas enclins à passer une soirée à socialiser avec une personne vivant avec la schizophrénie.
Un sondage réalisé par la Commission de la santé mentale du Canada (en partenariat avec le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances) a généré des résultats comparables quant à l’omniprésence de la stigmatisation. Plus de la moitié des répondants ont dit croire que les préjugés à l’égard des personnes aux prises avec la dépression étaient toujours présents, et les deux tiers estimaient que les préjugés envers les personnes ayant un trouble lié à l’usage d’alcool étaient toujours aussi présents.
Nombreux sont ceux qui misent sur des changements législatifs susceptibles de favoriser la sensibilisation à la question de la santé mentale. Les politiques destinées à prévenir la discrimination et à promouvoir l’équité, comme celles relatives aux handicaps physiques, constituent un domaine d’intérêt grandissant pour la communauté de santé mentale, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
La mise en place d’un bureau national de prévention du suicide par le gouvernement fédéral australien en 2021 témoigne d’une autre avancée encourageante vers la convergence des initiatives de prévention du suicide. Le Dr Michael Gardner dirige l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention du suicide dans le but de coordonner les efforts entre les différents ordres de gouvernement et les organismes du secteur public. Selon le Dr Gardner, l’accent sera mis sur les politiques et les systèmes requis pour réduire la détresse suicidaire et le suicide. Pour cela, il faudra améliorer le bien-être social et émotionnel, renforcer les facteurs de protection et « implanter un système de soutien interconnecté et compatissant, capable de réagir de manière adaptée ». Plusieurs initiatives phares en matière de prévention du suicide sont déjà lancées, notamment la création d’une ligne d’écoute téléphonique nationale destinée aux Autochtones, nommée 13YARN, dont les programmes sont conçus, pilotés et animés par des Autochtones ainsi que des insulaires du détroit de Torres.
Un autre service australien, appelé Lifeline, offre un soutien en cas de crise et des mesures de prévention du suicide 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, aux habitants du pays. Aujourd’hui, dans sa 60e année, l’organisation reçoit en moyenne un appel toutes les 30 secondes. Avant la pandémie de COVID-19 et les feux de brousse qui ont sévi en 2019 et 2020, Lifeline recevait environ 2 000 appels par jour. Depuis, le service est passé à 3 600 appels quotidiens. Comme au Canada, la demande d’aide en période de crise a augmenté, alors que les taux de suicide sont demeurés stables. Le taux de décès par suicide au Canada se maintient obstinément à environ 11 par jour. Ce constat fait ressortir la nécessité d’investir de façon massive et permanente dans la santé mentale et la prévention du suicide; de déployer des efforts collaboratifs pour faciliter l’accès aux soins de santé mentale et au soutien en cas de crise; et de sensibiliser la population à la notion de santé mentale, qui fait partie intégrante de notre bien-être général.
Quelques mots de félicitations
Ce fut un véritable honneur de féliciter Nicholas Watters, directeur de l’Accès à des services de santé mentale de qualité à la Commission de la santé mentale du Canada, qui a reçu le prix d’excellence en carrière d’eMHIC pour sa contribution à l’élaboration et à la mise en œuvre de services de cybersanté mentale. Une autre pionnière de ce domaine, Patricia Lingley Pottie, Ph. D., a également eu droit à un hommage lors du congrès pour son impressionnant travail avec le logiciel IRIS, une technologie d’intelligence artificielle utilisée à l’Institut des familles solides en Nouvelle-Écosse pour fournir des traitements adaptés et collecter des données. Ces personnes, ainsi que d’autres figures de proue du secteur, m’inspirent grandement, car elles participent aux avancées décisives en faveur de la santé mentale.
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Le Black Dog Institute d’Australie allie recherche et esprit communautaire. Une conversation sur la sensibilisation, l’équilibre et l’art de mettre « le sérieux en avant, et la fête en arrière ».
Si vous avez l’occasion de visiter Sydney en septembre, vous remarquerez peut-être quelque chose de surprenant : un grand nombre de personnes arborant la coupe mulet.
En effet, chaque année, le Black Dog Institute (BDI) organise sa campagne Mullets for Mental Health, où les Australiens sont encouragés à se laisser pousser les cheveux dans ce style tant décrié jusqu’à la période de collecte de fonds. Les personnes gagnantes, c’est-à-dire celles dont la crinière rapporte le plus d’argent, peuvent également remporter des récompenses, notamment le très convoité chapeau à perruque nuquette.
La coupe mulet est un moyen facile de sensibiliser le public et de collecter des fonds pour la recherche sur la santé mentale, à l’instar de la campagne canadienne Movember, qui met la moustache à l’honneur au profit de la santé mentale et physique des hommes.
Pour Helen Christensen, qui a été directrice de l’Institut BDI pendant près de dix ans, des campagnes comme celle-ci sont doublement bénéfiques. « Nous nous sommes forgé une réputation au sein de la communauté », affirme-t-elle. « Les gens sont plus susceptibles de s’impliquer parce qu’ils savent qui nous sommes, ce qui rend notre organisation plus durable. »
Le Black Dog Institute, dont le nom renvoie à l’expression « mon chien noir », employée par Winston Churchill pour décrire sa dépression, est le seul institut de recherche médicale en Australie à étudier la santé mentale tout au long de la vie. Avant que Mme Christensen rejoigne l’institut BDI en 2012, celui-ci effectuait déjà un travail innovant, principalement en réalisant des études sur la dépression résistante au traitement, tout en informant les cliniciens et autres chercheurs de ces résultats, même si cette approche était relativement inconnue en dehors de la communauté psychiatrique.
Forte de son expérience en matière d’études auprès de la population, Mme Christensen s’est efforcée de sortir la recherche des murs des hôpitaux pour l’ancrer dans la communauté. Elle a notamment contribué à opérer une réorientation stratégique vers des études communautaires et longitudinales à plus grande échelle qui sont réalisées au moyen d’Internet et axées sur les technologies. Plutôt que de se concentrer sur les cliniciens, l’Institut BDI a également commencé à proposer des formations dans les écoles et des cours destinés aux gestionnaires dans les milieux de travail.
Même si la recherche reste au cœur du travail « sérieux » de l’Institut BDI, ce sont maintenant ses événements communautaires qui le font avancer. C’est là où commence la « fête en arrière ».
Les campagnes communautaires donnent un côté ludique à la collecte de fonds, tout en rappelant aux Australiens que nul n’est à l’abri de la maladie mentale. Elles s’articulent autour d’activités qui favorisent la convivialité, comme les courses, les parcours d’obstacles et d’autres idées proposées par les membres de la communauté.
Donner la parole aux personnes ayant un savoir expérientiel
L’Institut BDI s’engage également à intégrer le vécu des personnes ayant un savoir expérientiel passé ou présent des problèmes de santé mentale. Appelée à commenter la croissance de ce domaine d’expertise, Mme Christensen explique qu’il s’agissait au départ d’un groupe consultatif formé à la suite d’un appel de propositions ouvert (un peu comme le Groupe couloir et le Conseil des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada), qui a évolué pour devenir une division spécialisée de l’Institut.
« Depuis le début, nous prenons en compte les connaissances des personnes ayant un savoir expérientiel des problèmes liés à la santé mentale, mais nous avons aussi reconnu que nous devions structurer l’intégration de cette expertise dans le reste des activités de l’organisation, déclare-t-elle. « Il fallait un cadre, des processus, un personnel, un réseau et des bénévoles dédiés à cette expertise. Une partie du cadre est encore en voie d’émergence, mais ce sont les personnes ayant un savoir expérientiel elles-mêmes qui dirigent ce processus. »

Black Dog Institute
De même, l’Institut fait appel à l’expertise des personnes autochtones d’Australie ayant un savoir expérientiel. Grâce à son Centre d’expertise des personnes autochtones ayant un savoir expérientiel, l’Institut BDI s’investit dans des domaines tels que la recherche et la gestion de projets. Mais comme l’indique Mme Christensen, « il ne suffit pas de dire : Nous voulons améliorer la santé mentale des Autochtones, mettons donc en place un programme ».
Nous sommes les représentants d’une organisation et d’un mouvement, mais nous n’en sommes pas le moteur et nous ne pouvons pas agir à leur place, souligne-t-elle. « Quand on a la chance d’être une organisation respectée en laquelle les gens ont confiance et qui cadre avec leur travail, alors on peut aider, à condition d’y être d’abord invité. » À mesure que cette approche ciblée a gagné en importance, les partenaires autochtones sont devenus une pierre angulaire de l’Institut.
Prévention et progrès
Bien que Mme Christensen ait quitté ses fonctions de directrice de l’Institut BDI en 2021, elle reste très engagée dans l’amélioration de la santé mentale et dans les initiatives qui visent à sauver des vies partout en Australie. Elle continue à lutter contre le statu quo en se consacrant particulièrement à la prévention du suicide dans le cadre de ses fonctions actuelles à titre de professeure en santé mentale à l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud et d’administratrice non dirigeante du conseil d’administration de l’Institut BDI.
La prévention du suicide n’a rien de nouveau à l’Institut BDI, qui offre une vaste gamme de recherches et de ressources dans ce domaine. Toutefois, selon Mme Christensen, il manque encore une pièce essentielle du casse-tête : les données.
« C’est comme essayer de travailler les yeux bandés. L’absence de données concrètes entraîne beaucoup de désinformation et de catastrophisme », soutient-elle, ajoutant qu’il n’existe tout simplement pas de statistiques précises sur l’automutilation et les tentatives de suicide.
À titre d’exemple, Mme Christensen raconte l’histoire d’une étudiante qui a fait une tentative de surdose en prenant une quantité excessive de pilules. « À son réveil le lendemain matin, elle se sentait physiquement bien, alors elle s’est habillée et est allée à l’université comme si de rien n’était. Cette tentative n’a été consignée nulle part. Combien de fois ce genre de scénario se produit-il? On ne le sait pas. »
Pour aider à combler ces lacunes en matière de données, elle prône l’apprentissage auprès d’autres secteurs. « Les concessionnaires automobiles disposent de toutes sortes de données pour améliorer leurs affaires. Les applications bancaires consultent des indicateurs pour déterminer précisément quels investissements sont rentables et lesquels ne le sont pas. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose pour améliorer la prévention du suicide? »
Tirer parti des outils numériques
Lorsque la COVID-19 a forcé les gens à rester chez eux, des services de santé de toutes sortes sont passés au mode virtuel, y compris les soins de santé mentale. Aujourd’hui, l’Institut BDI continue de miser sur les outils et ressources numériques de santé mentale fondés sur des données probantes et d’étudier l’efficacité des applications. Parallèlement, les Australiens peuvent demander gratuitement des services de counselling, du soutien par les pairs et d’autres services de télésanté par l’intermédiaire de l’Institut.
Si l’afflux d’outils de télésanté a rendu les options de traitement plus accessibles pour bien des gens, Mme Christensen rappelle qu’ils ne sont toutefois pas une panacée. « Les services autonomes que nous pouvons désormais offrir virtuellement n’ont pas été intégrés à notre système de santé global, explique-t-elle. Sans un dossier de santé intégré permettant au fournisseur de soins de faire le suivi, il n’y a aucun moyen de confirmer si l’état de la personne s’améliore réellement après un traitement. C’est un problème majeur. »
Pour Mme Christensen, ce virage numérique offre une occasion sans précédent de remanier un système souvent incohérent. « J’aimerais voir une vraie intégration : un modèle de soins qui inclut les services de santé virtuels doublé d’une plateforme technologique capable de les offrir. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous verrons un véritable modèle de soins collaboratifs et axés sur le patient. »
Malgré les lacunes actuelles en matière de données et d’accès aux soins, Mme Christensen garde l’espoir que les outils et la collecte de données numériques recèlent un grand potentiel, notamment pour la prévention du suicide. « Prenons l’exemple du cancer et des maladies infectieuses. Des changements impressionnants dans la façon de traiter les patients ont été constatés au cours des 40 dernières années. La prévention du suicide, en revanche, est encore un domaine jeune. »
« En recueillant davantage de données pour améliorer les résultats, en renforçant notre capacité à fournir des soins intégrés et en mettant l’accent sur les déterminants sociaux de santé, je crois que nous pouvons vraiment accélérer la cadence en ce qui concerne la santé mentale. »
Ressources
Karla Thorpe
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Après le meurtre de George Floyd et d’autres actes de racisme et de discrimination à l’encontre des Noirs, de nombreuses personnes d’origine africaine, caribéenne et Noire (ACN) se sont manifestées – en ligne, dans les médias et dans la rue – pour réclamer justice et changement. Mais pour certains, porter le flambeau devient lourd, car les mouvements évoluent et que les injustices perdurent. Trouver le militantisme qui convient à votre situation.
L’un des premiers souvenirs de Melicia Sutherland remonte au jour où un enseignant l’a traitée du « mot en N ». Elle était en deuxième année.
J’étais dehors pendant la récréation, et je me souviens que l’enseignant a dit : « Tout le monde rentre maintenant. Les élèves rentraient dans l’école par les grandes portes et j’étais la suivante dans la file. L’enseignant a claqué la porte devant moi et m’a traitée du « mot en N ». Je ne savais pas ce que signifiait ce mot. J’avais seulement l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Sinon, pourquoi cet adulte m’aurait-il fermé la porte au nez alors qu’il avait laissé rentrer tous les autres? ».
Sutherland se souvient avoir ressenti toute une gamme d’émotions en rentrant de l’école : colère, gêne, honte. Mais plus tard, elle est devenue curieuse après avoir demandé à sa mère ce qu’elle pensait que l’enseignant avait voulu dire. « Ma mère a répondu qu’elle ne savait pas, et nous avons laissé tomber ».
Devenir l’autre
Si seulement c’était aussi simple. Après cet incident avec l’enseignant, elle s’est rendu compte qu’elle avait ressenti un peu la même chose à la maternelle, lorsqu’elle s’était sentie à part des autres enfants, aussi bien physiquement et psychologiquement.
C’était en 1989 quand, à l’âge de cinq ans, sa famille et elle ont quitté Montego Bay, en Jamaïque, pour s’installer à North York, dans la banlieue de Toronto. Immédiatement, et pour la première fois, elle a eu le sentiment d’être « une autre ».
« Les enseignants me sortaient de la classe et jouaient avec mes cheveux pendant que les autres enfants apprenaient l’alphabet, raconte-t-elle. J’ai toujours été comme cette petite poupée Noire avec laquelle les personnes non Noires voulaient jouer ».
À force de vivre avec la discrimination et de se faire traiter différemment des autres, Sutherland a fini par se rendre compte que la société devait changer. « En vieillissant, alors que je tentais de créer et de maintenir un certain caractère et un système de valeurs pour moi-même, il m’est apparu clairement que je devais devenir une militante », explique-t-elle. À l’été 2020, Melicia s’est jointe à la marche organisée par Remember The 400 motivée par la quête de justice pour le meurtre de George Floyd.
Elle n’a toujours pas vu la séquence vidéo de près de 10 minutes montrant comment George Floyd a perdu la vie des mains (ou plutôt des genoux) d’un policier. Pour protéger sa santé mentale, Sutherland s’est protégée des médias qui ressassaient l’incident jour et nuit. « J’étais bombardée d’images et les gens m’envoyaient des vidéos. Je ne veux pas voir quelqu’un mourir, ça blesse mon âme. Je me suis retirée des médias sociaux, car ce n’est pas bon pour ma santé mentale », souligne-t-elle.
Mais elle précise que le fait de prendre soin d’elle-même ne diminue en rien son activisme.
« Je me protège. Je n’aime pas ce genre de chose, car ça devient du sensationnalisme. Les gens veulent voir ce type d’images, c’est du voyeurisme et ça ne m’intéresse pas. Alors non, je n’ai jamais visionné la vidéo, mais je voulais faire partie de quelque chose qui allait apporter un changement significatif ».
Et, bien que traumatisante, la réponse à la violence contre les Noirs – vue, entendue et ressentie dans les médias et au sein des communautés ACN – a aussi contribué à changer les choses. Selon une étude (en anglais) de l’Académie nationale des sciences évaluée par des pairs, les manifestations du mouvement Black Lives Matter (BLM) ont élargi le débat public sur les sujets antiracistes.
Comme l’a montré la recherche, les manifestations ont marqué une première étape importante pour créer un changement social et un tournant dans la manière dont les gens perçoivent le racisme. Les manifestations ont également contribué à redéfinir la manière dont les gens vont chercher et consomment l’information au sujet des communautés Noires, alors qu’ils cherchent à concilier les questions de race et de violence policière. En outre, l’étude a montré comment les personnes se manifestent et trouvent une forme de militantisme qui leur correspond pour lutter contre les inégalités raciales.
Le militantisme n’est pas la solution universelle. Militer, c’est agir, mais pas forcément de façon frontale, voire dynamique. Il ne s’agit pas toujours de manifester dans les rues, ou de scander des appels aux changements en agitant des pancartes.
Le militantisme de Sutherland passe plutôt par les arts, par les mots, par le langage, par les images – et même par la coiffure. « Il ne s’agit pas seulement d’aller manifester, explique-t-elle. Ce qui change les choses, c’est d’agir sur le terrain. C’est ce que vous faites dans votre communauté immédiate, dans votre famille, avec vos amis et vos voisins ».
Se désengager pour se réengager
Nicole Franklin, travailleuse sociale agréée, psychothérapeute, directrice clinique et fondatrice de Live Free Counselling and Consulting Services à Toronto, est du même avis. Depuis 2017, son organisme – dirigé par des Noirs et appartenant à des Noirs – a contribué à combler le manque de thérapeutes Noirs dans les communautés racialisées. Il a également fourni une éducation et une formation en matière de santé mentale des Noirs. Pour Franklin, la « résistance des Noirs » est faite de gestes quotidiens allant contre la suprématie blanche et le colonialisme qui, au sein des systèmes politiques, économiques et sociaux, poussent les communautés ACN en marge de la société. Cette résistance est diverse et peut prendre de nombreuses formes, que ce soit dans les salles de classe, dans les salles de réunion ou dans la rue. « Les Noirs prennent soin d’eux-mêmes par la joie, l’art, la danse, la transmission de recettes – même la cuisine peut être un geste qui permet de prendre soin de soi et de sa communauté, explique-t-elle. C’est le genre de choses dont nous ne parlons pas assez ».
Si la résistance a bien des visages, Franklin s’empresse de préciser qu’elle peut devenir improductive quand elle est continue. « Nous ne devrions pas toujours avoir à résister en tant que Noirs. Nous avons aussi le droit « d’être » tout simplement. Il faut parfois se désengager ou se retirer pour reprendre contact avec soi et avec la communauté. Le militantisme, c’est aussi savoir quand arrêter pour se reposer. Demandez-vous ce qui vous apporte de la joie? Qu’est-ce qui stimule votre créativité? Tout être humain naît avec le droit de se projeter ailleurs que dans un système oppressif et d’avoir des espaces sûrs pour s’épanouir plutôt que de se concentrer sur la survie », poursuit-elle.
« Quand on est Noir, on peut avoir l’impression que l’on doit absolument se faire le porte-parole de Black Lives Matter ou de mouvements semblables pour se porter à la défense de la communauté Noire. Mais la communauté Noire n’est pas un bloc monolithique, et ce n’est à nous d’enseigner à nos collègues, à nos pairs et à d’autres personnes lorsque nous ne nous sentons pas en sécurité, prêts ou capables d’engager ce genre de conversation. (En plus, nous sommes fatigués!). Pour réagir, chacune et chacun a besoin de se sentir en lieu sûr et il ne faut pas non plus oublier de célébrer l’excellence et l’avenir des Noirs ».

Melicia Sutherland
Pour Sutherland, cela signifie embrasser avec authenticité et sans honte la liberté d’explorer son identité, notamment « sa peau foncée, ses cheveux crépus, ses lèvres épaisses, ses yeux en amande et ses joues pleines ». Cela dit, le militantisme qu’elle pratique dans sa communauté de l’est de Toronto – qui comprend l’animation de programmes de leadership et de programmes de lutte contre la violence – soutient toutes les nuances et couleurs, et pas seulement les Noirs.
« Les gens disent toujours : « Oh, Mel, tu es tellement pro-Noir ». Je ne veux pas porter le fardeau de représenter ma race! Ce n’est pas parce qu’on a la même couleur de peau qu’on se ressemble…et je dis cela avec toute la bienveillance du monde », précise-t-elle. « Bon nombre d’entre nous sont Noirs sans pour autant avoir les mêmes valeurs, les mêmes idéaux ou les mêmes objectifs. Je ne veux pas avoir l’impression de représenter toute ma race. Je ne suis pas pour la suprématie des Noirs. Je ne supporte pas la suprématie blanche, alors pourquoi soutiendrais-je la suprématie Noire? C’est étrange, non? Penser que l’on vaut mieux que les autres, pour moi, est étrange ».
L’un des objectifs de Franklin, comme thérapeute et intervenante pour le bien-être communautaire, c’est d’aider ses patientes et patients Noirs à surmonter leur expérience du racisme et des traumatismes raciaux en les aidant à mettre au point des plans d’action, mais aussi en validant leurs sentiments et en leur disant qu’ils ne sont pas seuls. Mais elle ne veut pas entendre parler du fait que les Noirs devraient porter le fardeau du racisme contre les Noirs au nom de la race tout entière.
« Le racisme, qui est souvent internalisé, a un effet sur notre santé mentale; on devrait l’aborder comme un problème systémique et non comme un défaut personnel. Je ne crois pas qu’il soit toujours de notre responsabilité de sortir dans les rues ou sur Internet pour éduquer les gens en permanence, ajoute-t-elle. Parfois, tout ce que l’on peut faire, c’est simplement être. Le repos, c’est aussi un acte de résistance ».
Tout comme il y a une diversité de Noirs au Canada, il existe de nombreuses façons pour une personne Noire de décider comment elle va militer, et comment elle va prendre soin d’elle-même et s’occuper de sa communauté. Les événements accablants, traumatisants et tragiques relatés dans les médias au sujet du racisme contre les Noirs nécessitent une transformation radicale et ne peuvent reposer durablement et équitablement sur les épaules de personnes sous prétexte qu’elles sont Noires.
Militez tout en respectant là où vous en êtes
Angelique Benois, infirmière en santé mentale de pratique avancée, psychothérapeute, consultante en bien-être mental et directrice de Nurturing Our Wellbeing, recommande à la communauté ACN de trouver un équilibre entre la nécessité de rester informé et le danger d’ingurgiter trop de nouvelles sur la violence contre les Noirs.
« Je conseille vivement aux gens d’être prudents quand ils s’informent sur l’actualité mondiale ou écoutent les derniers bulletins de nouvelles, explique-t-elle. Comme nous sommes chaque jour bombardés de nouvelles qui peuvent nous bouleverser, nous devons prendre des mesures chaque jour pour protéger notre santé mentale, et il faut intégrer ces mesures à notre mode de vie ».
Pour ce qui est de la façon dont notre esprit et notre corps traitent ces images, pour ensuite s’en détacher, « Tout dépend de la façon dont notre cerveau fonctionne, poursuit Benois. L’une des nombreuses fonctions de notre système limbique est de stocker nos souvenirs et de nous aider à leur donner un sens. Toutes les agressions raciales dont nous avons été témoins et tous les événements néfastes que nous avons vécus sont stockés en nous. Ces traces auront un effet sur les décisions que nous prendrons et les relations que nous établirons avec autrui. Quand on commence à comprendre comment notre corps fonctionne et influe sur notre ressenti, nos pensées et nos actions, on voit comment certaines pratiques pour prendre soin de soi peuvent entraîner un changement dans les résultats ».
Franklin se fait l’écho de cette idée quand elle explique que chacun d’entre nous peut réévaluer ce que signifie prendre soin de soi individuellement, indépendamment de tout commentaire ou de toute critique sur ce à quoi le militantisme « devrait ressembler » d’un point de vue extérieur.
« Le fait de redéfinir la notion de prendre soin de soi s’inscrit dans le contexte des soins communautaires et vise à se guérir soi-même et à guérir nos communautés Noires. On n’est pas toujours obligé de faire les choses en grande pompe. Des actes de résistance passent inaperçus et sont pourtant essentiels, ajoute-t-elle. Et pour les personnes Noires, la question de prendre soin de soi va bien plus loin que les discussions d’une « journée de détente ». C’est une question d’équilibre entre se mobiliser pour la justice sociale et prendre le temps de se reposer. Nous devons regarder la gestion de notre santé et les soins communautaires sous un nouvel angle et se laisser l’espace pour réimaginer les univers postcoloniaux. En tant que femme Noire, je pense que l’une des choses les plus puissantes que l’on puisse faire est d’apprendre à prendre soin de soi-même et de sa santé mentale, tout en nous soutenant mutuellement et en œuvrant ensemble au changement ».
C’est le conseil que donne Sutherland à la prochaine génération de militantes et de militants ACN, et c’est ce qu’elle met elle-même en pratique : prendre soin de soi et être là pour les autres membres de la communauté ACN. « J’ai l’impression que c’est la meilleure façon pour moi de conserver un équilibre et de m’assurer d’être entourée d’alliés, car je refuse de regarder les choses en pensant que « tout le monde nous déteste ».
J’ai demandé à Sutherland ce qu’elle dirait à l’enseignant qui l’a traitée du « mot en N » si elle pouvait remonter le temps.
« Je dirais, ’’Ce n’est pas bien, mais c’est OK’’, comme dans la célèbre chanson de Whitney [Houston]. À l’époque, je ne savais même pas ce que signifiait ce mot-là. Mais j’ai compris l’intention : me blesser. Pour moi, les mots sont très puissants et je les prends à cœur. »
Noir comme qui? Pourquoi utilisons-nous « ACN » au lieu de « Noir »? de la Commission de la santé mentale du Canada. Photo: Melicia Sutherland. Crédits: Juanita Muwanga
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Guérir et entrevoir les possibilités grâce au patin
Ce récit est le dernier de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les festivités de fin d’année peuvent être source de joie, en revanche, elles peuvent aussi éveiller des sentiments de stress et de deuil. Lisez tous les articles pour savoir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.
En 1984, j’ai décidé de rechausser les patins.
J’avais déjà patiné dans l’enfance, mais cette fois-ci, ça allait plus loin. C’était devenu une passion, voire une obsession, après de longues années loin de la glace, après avoir abandonné le sport en raison de tout ce qu’il représentait pour un jeune adepte du punk rock, de la politique, de la rébellion et de l’art. Le sport correspondait au statu quo et était réservé aux sportifs. C’était en quelque sorte « l’opium du peuple » et un lieu où les hommes et les femmes – mais surtout les hommes – se comportaient méchamment. Mais le patinage. Le patinage était différent. Le fait de simplement patiner me permettait un retour facile au sport, sans qu’il n’y ait de contact physique violent ou qu’il ne soit question de compétition.
J’ai fait mes débuts sous les lampadaires du parc Valleyfield à Etobicoke – même le nom avait une consonance réconfortante et bucolique malgré les températures inférieures à zéro – pour ensuite m’aventurer sur d’autres patinoires à travers la ville : Weston, Rosedale, Ramsden, Dufferin Grove, Regent Park. Je parcourais les patinoires de la ville, allant même jusqu’à rédiger un article pour le Toronto Star sur la façon dont on pouvait se déplacer d’est en ouest en glissant sur ses surfaces gelées, un peu comme dans le film The Swimmer avec Burt Lancaster, mais en version hivernale. J’ai acheté une paire de patins usagés, puis une autre, et enfin une toute nouvelle paire de Bauer 300, ne manquant pas de me vanter de ce superbe achat à qui voulait bien l’entendre.
Au début, je ne pensais pas que le patinage pouvait raviver autant le moral que le physique. Mon corps se mouvait différemment, et ce, dans des cadres nouveaux. Je combattais le froid et le vent, et je transpirais abondamment en bougeant – un concept inédit pour un être habitué à la relative inertie des redressements assis. Le patinage est un exercice qui consiste à se déplacer constamment, en dévorant chaque centimètre de glace. Je n’étais pas le genre de patineur qui mettait en danger les enfants avec ses triples boucles piqués ou qui engueulait les patineurs plus âgés et plus lents qui se mettaient en travers de sa trajectoire – je me sentais complètement zen et détaché du reste du monde. J’étais libre et heureux, même en avançant à une cadence modérée. J’avais très chaud malgré le vent glacial, je sentais mes jambes agréablement fatiguées après avoir sillonné la glace jusqu’à minuit, moment où quelqu’un sifflait pour indiquer que la barrière se refermait.
Pour moi, le patinage unit l’extase des mouvements fluides et la nostalgie de revisiter l’époque lointaine où mon univers s’est compliqué par la contrainte de choisir entre le sport et la musique. J’ai 59 ans maintenant, mais je retrouve toujours ma jeunesse sur la glace, cherchant toujours à grandir et à m’épanouir davantage. En vérité, il s’agit d’un geste teinté de mélancolie, car si tout s’était bien déroulé jadis, je n’aurais jamais arrêté. Comme j’avais rapidement compris qu’être actif me permettait de garder l’équilibre entre les deux oreilles, le patinage a contribué à enrichir mon imagination et ma mémoire. Pourtant, cette activité n’a pas toujours été synonyme de bonheur de jeunesse ni de jubilation sur l’étang gelé. Elle m’a également replongé au cœur de la période la plus difficile de ma vie.
Lorsque le moment de rédiger un autre livre est survenu en 2013, mon amour de la glace a fait remonter en moi un souvenir de la septième année à l’école Dixon Grove Junior Middle School d’Etobicoke. Cette année-là, j’ai vécu de l’intimidation de la part d’un garçon plus grand et plus costaud que moi, prénommé Roscoe (nom fictif), qui me brutalisait tous les jours après les cours. J’étais beaucoup trop humilié et terrifié pour en parler à qui que ce soit; pourtant, il s’en prenait souvent à moi en pleine cour d’école, à la vue des élèves, du personnel enseignant et des passants. Jamais personne ne s’est arrêté pour se demander pourquoi ce gros gaillard était assis sur son camarade, en train de le frapper derrière la tête. Peut-être que certains d’entre eux ont simplement jugé habituel que des enfants s’amusent de cette façon – cela arrive trop souvent, malheureusement – mais la question à savoir pourquoi aucun enseignant n’est intervenu s’est imposée dans mon esprit, à mesure que je ressassais mes souvenirs. J’ai utilisé tout ce vécu pour m’inspirer dans la rédaction de mon livre Keon and Me, où je raconte l’histoire de cette année-là en alternant les sections : l’une, rédigée à la troisième personne, du point de vue de moi, en tant que gamin de 11 ans, et l’autre, à la première personne, selon ma perspective de quinquagénaire, basé sur le recul que j’ai maintenant. Je suis reconnaissant que le patinage m’ait inspiré cette idée créative, même si elle m’a astreint à revivre le stress, la douleur et la colère qui viennent avec la réminiscence de cette période de ma vie. J’ai tenté de faire œuvre utile en déballant mes souvenirs de cette époque. Toutefois, bien qu’il réveille des vérités crues enfouies le passé, le sentiment de nostalgie nous amène souvent à célébrer ce qu’il y a de meilleur dans la jeunesse, la simplicité et la nouveauté.
Même si le patinage – et le hockey (deux ou trois fois par semaine depuis trente ans) – s’avère une excellente façon de continuer à faire de l’exercice, il s’agit aussi d’un espace où je me rends pour plonger dans mes pensées. Dans un contexte si peu contraignant, bien des gens ont le réflexe de ruminer leurs pensées, mais pour ma part, le fait de bouger et de jouer me fait sentir libre et inspiré. La bouffée d’air frais que me procure le froid d’une patinoire extérieure ou d’un aréna fait en sorte que ma tête se libère et je ne pense à rien d’autre qu’au plaisir de jouer. Les éclairs d’inspiration pour des chansons ou des histoires, des mélodies ou des récits surgissent ainsi lorsque je suis sur la glace ou tout juste à côté, assis sur le banc en attendant mon tour pour jouer ou en train de me préparer pour la mise au jeu. La balle molle, le tennis, le golf, le basket-ball… j’ai pratiqué toutes ces activités. Mais aucune d’entre elles n’a suscité ou fait naître de nouvelles idées comme l’a fait le hockey. Je pense que chaque personne a son propre moteur– qu’il s’agisse de jouer du violoncelle, tricoter, faire du vélo, classer ses albums par ordre alphabétique – et pour moi, c’est ce qui fonctionne le mieux. Je suis très heureux de l’avoir trouvé, et reconnaissant qu’il m’ait trouvé.
Je ne patinerai pas toute ma vie; personne ne le fait. Mais alors que la plupart des gens se désoleront de tourner la dernière page du calendrier en fin d’année – d’autant plus en période de COVID-19, où la noirceur et le froid de l’hiver sont de mauvais augure pour les gens qui doivent éviter les regroupements intérieurs afin d’éviter les risques d’infection – moi, je me réjouirai de l’arrivée du froid, car, à mes yeux, son apparition signifie le retour de la glace et du plaisir de jouer. Le sol va geler et de la fumée s’élèvera au-dessus des cabanes abritant les patineurs.
Et je serai là, en train de patiner.
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