Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Conserver sa santé mentale à l’ère numérique

Alors que la Semaine de la santé numérique visait à souligner les avantages découlant des soins interconnectés — depuis les consultations virtuelles, les dossiers de cybersanté, jusqu’aux applications —, il s’agissait aussi d’une occasion de réfléchir à la façon dont nous maintenons notre bien-être mental dans un monde de plus en plus numérisé.

« Il ne fait aucun doute que la pandémie a accru notre dépendance à l’égard de la connectivité virtuelle et des médias sociaux », a affirmé le Dr Keith Dobson, professeur de psychologie clinique à l’Université de Calgary. « Et bien qu’il y ait des aspects positifs associés à notre capacité à rester en contact avec relations, nous ne pouvons pas nier les pièges bien réels qui s’y trouvent. »

Ces pièges ont un effet particulièrement néfaste sur la santé mentale et le bien-être des jeunes – en particulier chez les jeunes filles.

« Notre cerveau a tendance à croire ce que nous voyons », indique le Dr Dobson. « Même si intellectuellement nous comprenons qu’une photo a été trafiquée, qu’un filtre lui a été ajouté ou qu’une image a été retouchée (une taille amincie, des yeux agrandis), notre cerveau ne fait pas clairement cette distinction. »

Voir, c’est croire
Le Dr Dobson soutient que la primauté de notre sens de la vue explique en grande partie pourquoi notre société est si friande de plateformes numériques comme Instagram, qui offrent de puissants stimulants visuels. Nous y sommes également attirés par la dopamine, l’hormone du bien-être qui est sécrétée lorsque nous utilisons un moyen qui nous offre des gains faciles. Les « J’aime », les « cœurs », les « partages » et les commentaires nous procurent de petites bouffées d’endorphine, sans exiger beaucoup d’efforts.

« Habituellement, nous éprouvons un sentiment de bien-être après avoir accompli quelque chose de remarquable », a-t-il ajouté. « Une réussite nous demande d’ailleurs d’investir du temps, de l’énergie et des efforts considérables. En revanche, les médias sociaux nous offrent un raccourci. Mais ce raccourci risque de coûter très cher. L’industrie qui se dresse devant nous est un ennemi redoutable, qui a investi des milliards de dollars pour acheter l’accès à nos pensées les plus secrètes et à nos sentiments d’insécurité les plus enfouis. »

De façon ironique, le Dr Dobson fait remarquer que nous ne devons pas nous sentir bien lorsque nous nous engageons activement sur les médias sociaux. Cette activité peut nous faire nous sentir moins bien, moins attrayants, ou incompétents. Toutefois, fait intéressant, lorsque nous éteignons nos téléphones, nous commençons à nous sentir bien à nouveau.

La boucle de « rétroaction négative »
« C’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction négative », a-t-il expliqué. « Voyez les choses ainsi : vous avez une pensée négative – j’ai laissé la cuisinière en marche, par exemple. Vous devez alors vérifier la cuisinière pour vous assurer qu’elle est bien éteinte. Après une vérification qui vous a soulagé, l’habitude s’installe et la boucle recommence. »

Holly Craib, une étudiante en art de 21 ans à Ottawa, est d’accord. « Je ne décide même pas consciemment de consulter mes médias sociaux. Dans un moment d’ennui, de calme ou de solitude, je prends machinalement mon téléphone et je commence à faire défiler l’écran. » Elle décrit la frustration qui monte en elle lorsqu’elle réalise qu’elle vient de perdre une heure ou deux à vérifier Twitter et à défiler sans fin vers un état d’abattement; elle doit alors se ressaisir parce que ce tourbillon la trouble, à force de comparer ses réalisations à celles qu’elle voit sur ses réseaux.

Le Dr Dobson abonde dans le même sens, expliquant qu’une multitude de choses nous attirent vers les médias sociaux. Il est possible que nous ayons une crainte de manquer quelque chose d’important. Et puis il y a la force exercée par les « monnaies sociales » : nous tenons à participer aux conversations populaires – sur un événement, une personnalité ou un mème – qui circulent sur les médias sociaux.

Mais les choses peuvent prendre une tournure dangereuse lorsque nos craintes sont exploitées telles des données de grande valeur par des organisations qui cherchent à tirer profit de notre détresse. Les troubles de l’alimentation ont augmenté pendant la pandémie, et les chercheurs établissent un lien entre le fait d’être enfermé et d’avoir un accès constant à des contenus attirants qui renforcent les pensées négatives et les comportements nuisibles.

Une relation amour-hainewoman in window
« C’est un cercle vicieux », dit Holly. « Je crois que comme plusieurs personnes de mon âge, j’entretiens une relation amour-haine avec mon téléphone. Je vois souvent des amis qui publient un avertissement de les joindre sur leur téléphone fixe parce qu’ils prennent une pause de leur cellulaire et du chaos sur les médias sociaux. »

Une fois que vous démontrez un intérêt pour un type de contenu particulier, les algorithmes conçus pour capter votre attention répondent à toute vitesse avec des renseignements clés qui abondent dans le même sens. Soudain, une simple recherche ayant pour sujet « Comment perdre cinq kilos » devient un déferlement de contenu sur les régimes. Si vous n’étiez pas convaincu de la nécessité de maigrir avant cette banale recherche, vous vous retrouvez tout à coup inondé de messages voulant vous persuader que vous devez absolument suivre un régime!

« Et c’est là que réside le danger de devenir un consommateur passif » affirme le Dr Dobson. « Je réalise que les outils dont nous disposons sont relativement inefficaces face au géant d’un milliard de dollars qui vit dans nos poches et qui semble lire dans nos pensées, mais c’est précisément la raison pourquoi nous devons faire preuve de discernement et de précaution. »

Faire face à la réalité virtuelle
Si vous avez grandi avec le magazine Seventeen, par exemple, que vous pouviez lire puis mettre de côté, il peut s’avérer difficile de concevoir à quel point l’influence des médias sociaux est devenue omniprésente. Il ne s’agit plus seulement d’un moyen d’avoir accès aux dernières tendances, à des blagues ou de rester en contact avec sa grand-mère. C’est le monde entier que vous tenez au creux de votre main – et pour plusieurs jeunes, il s’agit de leur validation, leur connexion ainsi que leur plus grand détracteur.

Holly mentionne que se couper de son téléphone serait l’équivalent de se priver d’un lien vital, surtout en contexte de pandémie de COVID-19. « La connexion virtuelle fait partie de ma vie depuis que je me suis branchée à la messagerie MSN quand j’étais à l’école primaire. J’ai créé mon compte Facebook à l’âge de 13 ans. Je ne sais pas comment me connecter avec les gens autrement que de cette façon. Mais je comprends aussi que cela joue sur mes sentiments vulnérabilités, et c’est un équilibre délicat qu’il faut maintenir. »

Le Dr Dobson préconise l’éducation comme outil le plus puissant à notre disposition – en particulier pour les parents de jeunes. Il exhorte les parents à se renseigner sur les médias sociaux et à discuter ouvertement des contenus que leurs enfants recherchent, en leur apprenant dès le plus jeune âge à être des consommateurs dotés d’un esprit critique. « Il faut qu’ils se posent la question : “Quel est le but de cette image?“ Et ensuite, “Comment est-ce que je me sens?”. Cela leur offre l’occasion de prendre conscience de leurs pensées et de détecter si elles sont déformées par des normes irréalistes et malsaines de beauté ou d’accomplissements. »

Il recommande également de mettre en place des limites claires qui, il l’admet volontiers, ne seront pas forcément faciles à faire respecter.

« Certaines limites sont évidentes pour moi : aucun téléphone dans la chambre à coucher, durée d’accès limitée aux téléphones et aux ordinateurs, et participation à d’autres activités qui donnent une poussée d’endorphines sans condition. »

Apprendre un instrument, pratiquer du sport, se balader ou avoir une conversation intéressante avec un ami proche constituent de bonnes solutions de rechange aux médias sociaux; celles-ci nous revigorent, sans l’inévitable effet déprimant associé aux écrans.

Cependant, pour Holly, le travail qu’elle réalise en tant qu’artiste la maintient attachée à la plateforme qu’elle juge la plus problématique. « Instagram est l’endroit tout indiqué pour mettre en valeur mon art, que j’adore concevoir. Mais il n’est pas rare de s’y sentir invisible, noyée, ou moins productive que d’autres. Je suppose qu’en ce sens, c’est un peu comme être entre « ennamis ». D’un côté, vous avez la chance de vous jeter à l’eau et d’exposer vos réalisations. Et, de l’autre, le monde ne se gêne pas pour répondre. »

Apprivoiser la bête
Pour April Yorke, il existe des moyens de dompter la bête. Depuis qu’elle occupe le poste de responsable du marketing numérique à la Commission de la santé mentale du Canada, elle est parvenue à faire en sorte que les médias sociaux travaillent pour elle, et non l’inverse. Elle n’hésite pas à souligner que l’utilisation de ces plateformes peut également avoir des effets positifs sur la santé mentale.

« L’un des principaux avantages des médias sociaux est qu’ils vous permettent de cibler vos champs d’intérêt. Si vous aimez les chiots, la pêche à la mouche et le tricot, vous pouvez parier que vous allez voir des chiots, de la pêche à la mouche et du tricot, et ce, du matin jusqu’au soir. »

Mais si vous considérez que l’algorithme s’est retourné contre vous (notamment quand vous êtes submergé de contenu lié à #CommentPerdreCinqKilos, April recommande de faire en sorte que l’algorithme se mette plutôt à travailler dans votre intérêt. « Commencez par faire des recherches sur des sujets qui vous rendent heureux. Lorsque vous les trouvez, assurez-vous de cliquer « J’aime » ou de commenter, de vous abonner au compte ou de le suivre – en fait, n’importe lequel de ces gestes pour interagir avec le compte. Il ne faudra pas bien longtemps pour que l’algorithme repère vos nouveaux centres d’intérêt et commence à vous orienter dans cette nouvelle direction. »

Si vous voyez toujours des choses qui ne vous plaisent pas? Signalez-le. Bloquez le profil. Les médias sociaux vous offrent ces options parce qu’ils ne veulent pas vous montrer des choses que vous ne souhaitez pas voir et risquer de vous perdre en tant que client. Complétez la boucle rétroactive en indiquant clairement ce que vous ne voulez pas voir. »

Holly est également une adepte de cette approche. « Dans mes paramètres Twitter, j’ai inscrit une longue liste de mots, de phrases et de sujets dont je ne veux pas entendre parler. Le procédé n’est pas parfait, mais il s’agit tout de même d’un pas dans la bonne direction.

Prendre du recul
Si ces deux options ne fonctionnent pas, April propose une autre idée. « Agissez comme une célébrité en pleine controverse et remettez les compteurs à zéro. Désabonnez-vous de toutes les personnes que vous suivez actuellement. Supprimez les publications et les photos que vous ne souhaitez plus voir. »

April a un ami qui a fait une pause de plusieurs années des médias sociaux. Lorsqu’il a renoué avec les réseaux, il n’a choisi qu’une seule plateforme et a soigneusement sélectionné les personnes qu’il allait suivre.

« Maintenant », a déclaré April, « l’utilisation de ses médias sociaux lui permet de se sentir inspiré d’une manière tout à fait différente et positive. »

Il n’est pas coutume de lire des articles recommandant d’éviter stratégiquement des applications ou de les supprimer complètement. Si cela peut s’avérer une bonne décision pour certaines personnes, il ne s’agit pas forcément d’une solution judicieuse pour les gestionnaires de médias sociaux ou les personnes comme Holly, qui doivent tirer parti de la connectivité des médias sociaux pour présenter leur travail ou gérer une entreprise.

Mais comme April l’a mentionné, « une fois que vous avez réduit la liste de personnes que vous suivez, il ne vous faut plus autant de temps pour “être à jour” (quoi que cela veuille dire), et vous passez donc moins de temps sur l’application. Maintenant quand je fais défiler mon écran, je vois surtout mes amis proches et des publicités pour des sacs de voyage avec plusieurs poches – un rappel important qu’il existe un monde extérieur débordant de possibilités. »

illustratrice : Holly Craib   https://www.hollcee.com/

Mettre sur un pied d’égalité la sécurité psychologique et la sécurité physique constitue une bonne politique et une pratique exemplaire. Un regard sur l’évolution de la situation dans les secteurs du pétrole et du gaz.

À une époque où nous entendons régulièrement des mots comme isoler, mettre en quarantaine et confiner, il ne reste plus beaucoup de place pour d’autres termes comme socialiser, mettre en relation ou faire preuve d’empathie. Même si la pandémie a exposé notre milieu de travail plus que jamais au stress et à l’anxiété, créer une culture qui donne aux travailleurs la confiance nécessaire pour demander un soutien en matière de santé mentale a toujours été un défi.

Steve Tizzard connait très bien ce que signifie la stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale au travail. Il travaille depuis 25 ans chez Hibernia, une plateforme pétrolière située sur les Grands Bancs de Terre-Neuve-et-Labrador. Il a été aux premières loges du changement de direction de l’entreprise en faveur du bien-être mental.

Tizzard illustre les anciennes attitudes stigmatisantes par des exemples criants comme :

« Tu souffres de dépression? Retourne chez toi, tu ne réussiras pas dans cette industrie. Tu te sens anxieux? Prends sur toi, mon ami, et ne laisse personne d’autre t’entendre dire ça! Des problèmes relationnels? Des problèmes financiers? Des dépendances? Tout cela est tabou dans l’industrie. Tu es un ouvrier sur une plateforme pétrolière, tu es costaud et plein d’entrain, et ces choses ne peuvent donc pas t’affecter! »
En conséquence, les travailleurs avaient souvent l’impression qu’ils devaient cacher leurs problèmes et qu’ils ne pouvaient pas demander de l’aide.

Aujourd’hui, fort heureusement, ces attitudes se font plus rares. De plus en plus d’employeurs comprennent que les problèmes de santé mentale peuvent toucher n’importe qui, quel que soit le poste ou le secteur d’activité, et comme le souligne M. Tizzard, l’aide se trouve à une conversation près. Un outil puissant en milieu de travail est d’apprendre aux travailleurs qu’il est normal de parler à un collègue s’ils vivent des difficultés, s’ils passent une mauvaise journée ou s’ils se sentent en crise, tout en sachant qu’ils ne seront pas jugés.

Cette approche simple a fonctionné pour de nombreux employés chez Hibernia. Selon M. Tizzard, elle tire sa puissance du fait qu’elle est dirigée par les travailleurs eux-mêmes. Au lieu de compter uniquement sur des mesures de soutien professionnel, les travailleurs savent que d’autres sont prêts à les écouter et à les aider en cas de besoin. Son expérience lui a également démontré que cette approche peut être plus efficace et plus rapide que les stratégies conventionnelles en matière de sécurité psychologique au travail.

Il croit profondément au pouvoir des échanges sur le savoir expérientiel dans le cadre d’un dialogue ouvert lors des réunions sur la sécurité au travail. « En milieu de travail, nous devons constamment trouver des moyens d’aborder les questions de santé mentale au même titre que celles liées à la santé physique », a-t-il déclaré. Il sera possible de réduire les préjugés en sensibilisant les travailleurs et en faisant en sorte de parler de la « santé mentale » au cours des réunions sur la sécurité et de l’inclure dans les initiatives de promotion de santé et de sécurité au travail.

Toutefois, mettre la sécurité psychologique au même niveau que la sécurité physique peut encore constituer un défi. M. Tizzard l’illustre bien en affirmant que « certaines organisations considèrent qu’il est normal d’avoir une cheville foulée, mais pas l’anxiété. Il est plutôt acceptable d’accorder la priorité aux questions de sécurité physique en milieu de travail, mais cela n’est pas le cas pour les préoccupations concernant la sécurité psychologique. »

Malgré toutes ces difficultés, son soutien actif pour la promotion de la santé et sécurité psychologiques a permis à Hibernia de réaliser des progrès considérables. Récipiendaire du prix Sécurité au travail au Canada en 2015, le comité de bien-être d’Hibernia, mis sur pied par M. Tizzard, s’est vu décerner une médaille d’or pour la sécurité psychologique.

Lorsqu’on lui demande à quoi on devrait prêter attention lorsqu’on vise à établir une culture de sécurité psychologique en milieu de travail, il répond : « Tout défenseur ou travailleur passionné prêt à mettre en œuvre un programme en milieu de travail doit s’attendre à faire face à des embûches la plupart du temps. Au début, la stigmatisation sera toujours le principal frein, mais l’état d’esprit des travailleurs et des gestionnaires peut également constituer des bâtons sous les roues. »

Tizzard ajoute que réussir l’élaboration d’un programme nécessite la mise en commun de nombreux facteurs. Il est essentiel d’avoir un soutien de base de la part de l’employeur, de la direction, des comités de santé et de sécurité au travail, et bien sûr, des travailleurs eux-mêmes. Parmi les outils utilisés chez Hibernia figurent le microapprentissage, les tableaux de bien-être et la formation Premiers soins en santé mentale (PSSM).

La formation PSSM est un programme de la Commission de la santé mentale du Canada qui enseigne la manière de porter secours aux personnes qui commencent à manifester un problème de santé mentale, qui traversent une crise psychologique ou dont la santé mentale se dégrade. Depuis 2007, près de 600 000 personnes ont suivi cette formation au Canada.

Selon M. Tizzard, s’ils disposent des informations et des compétences pertinentes et s’ils font preuve d’une ouverture d’esprit, « les travailleurs attentionnés et dûment formés dans nos entreprises peuvent être très efficaces pour réduire les blessures physiques et mentales. Il s’agit d’un moyen d’obtenir de l’aide dont peu connaissent l’existence, mais qui est une ressource de première ligne pour les personnes dans le besoin. J’en suis témoin chaque jour. »

Steve Tizzard travaille sur la plateforme Hibernia depuis 1997, et a occupé des postes dans le domaine des communications, de la météo et de la gestion des glaces depuis les 22 dernières années. Il est le membre fondateur de l’Offshore Wellness Committee qui dessert les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière. Outre la médaille d’or reçue en 2015 pour la sécurité psychologique, Hibernia a obtenu en 2017 le prix CM Hincks Workplace Award de l’Association canadienne pour la santé mentale pour son excellence à promouvoir la santé mentale au travail. Steve est également formateur pour le programme de premiers soins en santé mentale (PSSM) et il est un conseiller agréé en santé et sécurité psychologiques. Pour en savoir plus sur son travail, consultez le site www.allthebestconsulting.com.

Auteur:

Lorsque j’ai appris que Carolyn Bennett avait été nommée première ministre de la Santé mentale et des Dépendances du Canada, j’ai éprouvé une profonde gratitude.

Évidemment, je me réjouis de l’attention croissante portée à la santé mentale et à l’usage de substances, une attention dont la portée et l’intensité ont augmenté au cours des deux dernières années. J’étais tout aussi reconnaissant de me faire une nouvelle alliée qui pourrait aider à répondre à la question qui nous anime tous à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) : Comment pouvons-nous soutenir au mieux les Canadiens en ces temps difficiles?

Le mois dernier, j’ai eu l’occasion de rencontrer la ministre au cours d’une entrevue virtuelle pour aborder cette question et bien d’autres.

Adopter une approche holistique
Au début de notre conversation, il n’en a pas fallu longtemps pour constater que, même si la ministre Bennett est nouvelle dans ce rôle, elle maîtrise bien le sujet. Lorsque je lui ai demandé quelle idée fausse sur la santé mentale elle aimerait le plus corriger, elle a répondu sans hésitation.

« Tout le monde doit comprendre la différence entre la santé mentale et la maladie mentale », m’a-t-elle dit. « Lorsque le Dr Brock Chisholm (Premier directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, de 1948 à 1953) a dit qu’il ne pouvait pas y avoir de véritable santé physique sans la santé mentale, il avait raison. Nous ne pouvons pas parler de la santé physique sans tenir compte des aspects mentaux, émotionnels et spirituels du bien-être d’une personne. »

Ayant une longue carrière de médecin de famille avant de faire son entrée en politique, la ministre Bennett détient une profonde compréhension du lien inextricable entre la santé mentale et la santé physique. Elle sait aussi bien ce qui se passe lorsque ce lien est négligé.

« En travaillant dans le domaine de la médecine familiale, on entend parler des difficultés auxquelles les gens font face tous les jours », dit-elle. « Je me souviens avoir consulté des rapports médicaux sur un patient, qui de toute évidence, était aux prises avec des problèmes familiaux et autres, mais aucun de ces éléments n’y était souligné. Le cardiogramme ou l’indice de masse corporelle d’une personne ne donne pas une image complète de son état de santé. » Une telle approche décousue, a-t-elle ajouté, contribue à la stigmatisation qui entoure la maladie mentale.

Heureusement, a-t-elle dit, que la COVID-19 nous a donné une nouvelle occasion d’apporter un changement pour le mieux. La maladie ayant lourdement impacté la santé physique et la santé mentale des gens, elle a également mis en évidence l’intersection entre les deux.

« Avec la pandémie de COVID, les mentalités ont évolué et les gens admettent davantage qu’ils éprouvent des difficultés », explique-t-elle. « Si ne serait-ce qu’une personne sur deux arrive à parler lorsque sa santé mentale se détériore, cela réduirait la stigmatisation et nous serions bien mieux placés pour aborder les problèmes à long terme. »

Ouvrir de nouvelles portes aux soins
Bien évidemment, tout comme la ministre Bennett s’est empressée de le souligner, la stigmatisation n’est qu’une pièce du casse-tête. De plus, pour répondre aux besoins nouveaux et existants en matière de santé mentale au Canada, l’innovation et la coopération sont de mise à tous les niveaux.

Le modèle de soins par paliers 2.0, dont la mise en œuvre et la promotion ont été dirigées par la CSMC, est un bon exemple d’une telle innovation. Il offre la forme de soutien la plus simplifiée jugée appropriée qui permet de « passer » au niveau supérieur ou inférieur selon les besoins. À Terre-Neuve-et-Labrador, le modèle a contribué à une réduction de 68 % des temps d’attente pour les services de santé mentale, et la ministre Bennett espère un taux de réussite similaire dans les autres provinces.

« Dans les établissements postsecondaires, par exemple, ce ne sont pas tous les étudiants qui ont besoin d’avoir accès aux services d’un psychologue », a-t-elle expliqué. « Ils peuvent obtenir l’aide dont ils ont besoin au moyen d’une orientation appropriée ou d’un conseil par les pairs. »

Dans un autre exemple, la ministre a cité une étude portant sur 40 femmes ayant besoin d’un soutien en matière de santé mentale périnatale. Parmi ces 40 femmes, seulement deux répondaient aux critères déterminant la nécessité d’avoir accès aux services d’un psychiatre spécialisé en périnatalité.

« Les provinces et les territoires ont accueilli avec enthousiasme ce modèle. Ils font un excellent travail en collaborant et en apprenant les uns des autres pour mettre en œuvre ce type de programmes et faire progresser notre compréhension dans de nombreux domaines », a-t-elle déclaré, soulignant leur objectif commun de développer des soins qui tiennent compte du facteur culturel et des traumatismes. « Ils collaborent au-delà des frontières pour s’échanger les meilleures idées et les améliorer encore davantage. »

L’enthousiasme des provinces et des territoires soulève la question que certains se posent depuis la création du poste de ministre de la Santé mentale et des Dépendances. Quelle serait la position la plus efficace du gouvernement fédéral dans l’équation des soins de santé?

« La prestation des soins de santé relève d’une compétence provinciale ou territoriale. Toutefois, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir au niveau fédéral pour alléger la charge. La santé, notamment la santé mentale, est une responsabilité partagée entre tous les niveaux de gouvernement », a-t-elle déclaré.

La ministre est également enthousiaste à l’égard de l’autre rôle du gouvernement fédéral dans l’amélioration de la santé mentale, un rôle qui commence à l’interne.

« Tous les services du gouvernement font face à des défis en matière de santé mentale », a-t-elle dit, incluant « Anciens combattants, Service Correctionnel Canada, Services aux Autochtones Canada, la GRC. Comment ainsi devenir un employeur exemplaire? Nous devons être en mesure de prendre soin de notre propre personnel et de joindre le geste à la parole en matière de santé mentale. »

Miser sur une force externe
Lorsque nous avons abordé le sujet de la prise en charge de sa propre santé mentale, les commentaires de la ministre Bennett réaffirmaient une grande partie de nos connaissances sur les facteurs de protection.

Elle parle de l’importance du lien social, exprime sa gratitude pour son excellente équipe de travail et pour son partenaire, Peter, qu’elle décrit comme son principal soutien. « Même si je travaille toute la nuit pendant trois jours d’affiliée, il me saluera toujours quand je rentre à la maison comme si j’étais Gretzky après un tour du chapeau ».

Elle parle également d’activité physique, décrivant des promenades avec son labrador jaune, Ripley, sous le couvert magique des arbres du sentier Beltline de Toronto. Une partie de son passe-temps est consacrée comme pour préparer un devoir pour les Oscars, ce qui est normal, puisque son mari travaille dans l’industrie cinématographique.

Enfin, elle parle de la paix qu’elle trouve dans la nature, notamment lors de ses visites à la baie Géorgienne. « J’ai besoin de regarder ce point où le ciel rencontre l’eau et de constater que l’eau a un aspect différent à chaque fois », a-t-elle confié. « Être capable de voir quelque chose de plus grand que soi, quelque chose que l’on ne peut pas contrôler, est un bon rappel que les plans peuvent changer. »

C’est exactement cette philosophie que la ministre espère contribuer à transmettre à la population canadienne pendant et après cette période de pandémie.

Tracer la voie à suivre
« Il y a deux types de vaccins importants pour les Canadiens et les Canadiennes en ce moment », a-t-elle dit. « L’un consiste à se prémunir contre la COVID-19, et l’autre contre l’incertitude. »

Elle fait ici référence à la fois à la pandémie et à d’autres problèmes mondiaux, tels que le changement climatique, qui augmentent nos niveaux de stress et d’anxiété.

« La résilience consiste à reconnaître que votre journée ne va pas se dérouler exactement comme vous l’aviez prévu dans votre agenda, et à apprendre à l’accepter », a-t-elle dit. « Nous devons offrir aux gens les outils nécessaires pour développer ce type de résilience et d’autonomie lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu. »

« J’espère aussi que nous serons davantage en mesure de tendre la main à ceux qui ont des difficultés, à ceux qui ne semblent pas être eux-mêmes. La pandémie de COVID nous a appris que nous pouvons être ensemble tout en maintenant une certaine distanciation. Comment pouvons-nous tirer parti de cette situation pour renforcer la résilience et montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls? »

Répondre à cette question à l’échelle nationale est au cœur du mandat ambitieux de la ministre, qu’elle est prête et désireuse de remplir.

« Notre objectif est de mettre en place une stratégie en matière de santé mentale dans laquelle chacun peut se reconnaître. Cela signifie qu’il faudra se tourner vers les normes nationales et établir des attentes minimales sur lesquelles s’appuyer », a-t-elle expliqué. « Nous nous assurerons que l’argent destiné à la santé mentale sera affecté à la santé mentale au moyen de transferts et nous consulterons davantage de recherches et nous recueillerons plus de données dans le cadre de ce processus. Comprendre ces résultats sera essentiel pour prendre les meilleures décisions à l’avenir. »

À plus long terme, la ministre espère contribuer à la mise en place d’un système de soins plus cohérent.

« Nous luttons depuis longtemps contre cette mosaïque de non-systèmes. Comment faire en sorte d’intégrer complètement la santé mentale dans les systèmes de santé? Cela ne peut pas représenter le secteur de telle ou telle profession », a-t-elle déclaré. « Nous devons sortir d’un secteur aux limites strictes et nous orienter vers des compétences de base extensibles. C’est ainsi que nous créerons un moyen plus moderne et plus efficace de fournir aux Canadiens et aux Canadiennes les services dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. »

Il s’agit d’un défi de taille, mais la ministre Bennett a passé sa carrière à prouver qu’elle ne craint pas les défis.

« Nous pouvons le faire », a-t-elle dit. « Les Canadiens et les Canadiennes comptent sur nous. »

Auteur:

La transition vers des horaires de travail hybrides permanents dans les milieux de travail à la suite de la pandémie représente un défi unique pour les gestionnaires et les chefs d’équipe. Bien qu’il ait été démontré que les horaires de travail flexibles réduisent le stress psychologique et physique chez les employés qui ne travaillaient pas à distance auparavant, une équipe dispersée nécessite différentes approches de gestion de l’orientation des employés, des problèmes de rendement et des conflits. La pandémie a mis en lumière l’importance de la santé mentale en milieu de travail, mais les dirigeants peuvent trouver que les éléments humains de leur rôle, notamment la capacité à tisser des liens avec leurs employés et à s’identifier à eux, sont de plus en plus complexes.

La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a créé une ressource à l’intention des gestionnaires qui vise à combler le fossé virtuel en milieu de travail. La Trousse d’outils du gestionnaire : Diriger dans un environnement de travail hybride fournit des lignes directrices exploitables pour gérer les conflits en milieu de travail et maintenir la cohésion sociale.

« La Trousse du gestionnaire fournit des renseignements concrets et utiles pour les personnes qui soutiennent et orientent les autres; elle a pour but de les aider à surmonter les défis rencontrés en milieu de travail en mettant les personnes au premier plan », affirme Nicole Chevrier, gestionnaire, Marketing et communications à la CSMC.

Plus important encore, la Trousse d’outils du gestionnaire présente une stratégie visant à intégrer la sensibilisation à la santé mentale aux milieux hybrides et aide les gestionnaires à reconnaître les signes d’un déclin de la santé mentale chez leurs employés.

« L’application de la Trousse d’outils du gestionnaire pour évaluer la santé mentale des membres de votre équipe est semblable à la manière dont les professionnels de la santé analysent et évaluent la santé de leurs patients », explique la Dre Ellen Choi, professeure adjointe en ressources humaines et en comportement organisationnel à l’Université métropolitaine de Toronto (précédemment Université Ryerson).

La ressource comprend des scénarios en milieu de travail et des solutions exploitables en lien avec une multitude de responsabilités de gestion affectées par le travail hybride, notamment des stratégies pour gérer les problèmes de rendement, la résolution des conflits, l’accueil de nouveaux employés, le bien-être mental et la sensibilisation à la santé mentale.

Utiliser une approche centrée sur les personnes avant tout pour remédier aux problèmes de rendement
Étant donné que les signes d’épuisement professionnel, d’anxiété et de stress sont moins flagrants dans le contexte des interactions virtuelles, le premier signe qu’un employé vit de la détresse pourrait être une baisse de rendement.

« Vous pourriez vous rendre compte que ce n’est pas entièrement un problème de rendement et que d’autres facteurs peuvent contribuer à expliquer ce changement », explique Samuel Breau, gestionnaire, Accès à des services de santé mentale de qualité à la CSMC.

Avec l’avènement des équipes virtuelles, la capacité à comprendre les problèmes que vivent les employés est à la fois plus importante et plus difficile à maîtriser. La Trousse du gestionnaire fournit aux dirigeants des stratégies pour évaluer leurs processus de mesure du rendement et de la productivité actuels en s’appuyant sur une vision plus holistique de l’employé. Cela implique notamment d’encourager le dialogue sur l’épuisement professionnel et l’anxiété, de faire preuve d’empathie et de soutenir les employés en les aidant à accorder la priorité à leur santé mentale.

 

Dr. Ellen Choi – Crédit photo: Ivey School of Business, Western University

Dr. Ellen Choi – Crédit photo: Ivey School of Business, Western University

Créer une conversation sur la résolution des conflits
Étant donné que les équipes dispersées peuvent avoir moins d’interactions, les conflits sont plus susceptibles de se manifester lors des réunions ou dans les courriels et les collaborations, alors qu’il n’y a pas d’espace dédié à la discussion. Dans les milieux hybrides, le rôle d’un gestionnaire dans la facilitation des conversations importantes est d’autant plus important, affirme la Dre Choi. « Des conversations honnêtes permettent de prendre le pouls du milieu de travail hybride; quand les signes vitaux sont faibles au sein de l’équipe, les dirigeants peuvent prendre les choses en main et stabiliser la situation pour les autres. »

La Trousse d’outils du gestionnaire offre des stratégies utiles pour orienter la résolution des conflits en favorisant une communication ouverte afin d’éviter que les mêmes problèmes surgissent à nouveau.

Voir les choses autrement pour l’accueil virtuel de nouveaux employés
Nouer le dialogue avec les équipes de travail est une façon importante pour les nouveaux employés de se sentir inclus, informés et connectés, et les gestionnaires peuvent contribuer à rendre cette expérience intéressante pour tous. Julia Armstrong, une gestionnaire du programme de Santé mentale et usage de substances à la CSMC, suggère de s’appuyer sur les propres intérêts et passe-temps de vos employés pour planifier des périodes de réchauffement des liens et de socialisation en mode virtuel, afin que l’expérience soit plus authentique.

« C’est tellement crucial, et pas seulement lors de l’accueil d’un nouvel employé. Essayez de savoir comment les membres de l’équipe aimeraient passer du temps ensemble avant de présumer que vous savez ce qu’ils veulent », explique Mme Armstrong. « Parfois, les rassemblements les plus simples peuvent être l’occasion de tisser les liens les plus significatifs au moment où nous en avons le plus besoin. »

Normaliser la santé et le bien-être : Un moyen de prévenir, et non un remède
Créer un espace sécuritaire pour parler ouvertement de santé mentale dans le milieu de travail est aussi important pour les employés que pour les gestionnaires, affirme la Dre Choi. « Vous ne pouvez pas faire preuve d’empathie face à la vulnérabilité des autres si vous n’êtes pas capable de vous montrer vous-même vulnérable. Si vous n’êtes pas capable d’arrêter de vous juger vous-même, ceci vous empêche d’afficher votre vulnérabilité, et cela pourrait vous amener à simplement considérer la vulnérabilité des autres comme une preuve de faiblesse. »

La Dre Choi croit que pour garder la santé mentale à l’esprit, il faut que cela vienne d’abord de nous. Plus spécifiquement, les gestionnaires qui ressentent de la pression pour être le ciment de l’équipe ou pour être « omniscients » devraient pratiquer régulièrement l’autocompassion.

« Quand vous avez l’impression que vous n’avez pas le droit de vous tromper, que tout le monde compte sur vous, vous pouvez ne pas avoir la chance “d’être humain” souvent. Sans cette zone tampon autour de votre propre psyché qui laisse une place à la vulnérabilité, il ne reste qu’une fragilité, et c’est insoutenable », dit la Dre Choi. « Remettez en question votre monologue intérieur pessimiste ou vos doutes envers vous-même en pensant aux parties de vous qui se sentent submergées et en vous demandant “Est-ce que je fais de mon mieux?” [ou] “De quoi ai-je besoin en ce moment pour m’octroyer une pause?”»

Surveiller comment vont ses employés, et non surveiller ses employés
Les gestionnaires d’équipes hybrides doivent trouver de nouvelles façons de surveiller la santé mentale de leurs équipes; adopter une attitude de meneur pour déstigmatiser la santé mentale peut rendre cette tâche plus facile. La Trousse d’outils du gestionnaire fournit de multiples stratégies pour engager le dialogue à propos de la santé mentale au travail, notamment en faisant des vérifications informelles, en partageant sa propre histoire et en apprenant à déceler les signes du déclin de la santé mentale en suivant des formations comme l’Esprit au travail.

Peu importe l’approche avec laquelle vous êtes le plus à l’aise, faire preuve d’ouverture d’esprit en écoutant ses employés est essentiel pour créer un espace sûr empreint de confiance et qui favorise la communication entre les gestionnaires et les membres de leurs équipes dans les milieux de travail hybrides.

« Nous pouvons appliquer les mêmes principes pour être un dirigeant compatissant qui écoute attentivement, qui observe et qui pose des questions lorsqu’il remarque des changements », explique Samuel Breau. « Un modèle hybride exige encore davantage de discipline pour entraîner ces muscles qui servent à écouter et à observer. »

La Trousse d’outils du gestionnaire se veut une ressource axée sur la santé mentale destinée aux gestionnaires qui apprennent à s’adapter aux changements qui entourent les milieux de travail hybrides. Apprenez-en davantage sur la Commission de la santé mentale du Canada et sur les ressources qu’elle offre ici.

Auteur:

En vedette : Carole Shankaruk, Kellie Garrett et Cheryl Fraser, membres du conseil d’administration de la CSMC

Il est tentant de croire que l’on connaît une personne en se fiant à ses réussites scolaires, ses réalisations professionnelles ou ses dons philanthropiques. Mais quand on lève le voile, on découvre parfois des épreuves et des souffrances qui disent une histoire bien plus complexe qu’une note biographique de quelques phrases.

Notre récente conversation virtuelle avec trois membres du conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) nous rappelle avec éloquence que les réalisations les plus significatives ne sont pas toujours celles qui attirent les éloges de la communauté.

La passion de Carole Shankaruk, Kellie Garrett et Cheryl Fraser pour la santé mentale prend ses racines dans leur cheminement personnel. Ces trois femmes ont puisé dans les moments de noirceur qu’elles ont traversés la volonté d’ensoleiller l’existence des gens qui les entourent.

Militantes par accident

Carole Shankaruk

Carole Shankaruk

Nos trois interlocutrices méditent un instant avant d’entreprendre leur récit qui paraît sans doute bien plus linéaire aujourd’hui que l’étaient les événements qu’il relate.

« Pour être honnête, commence Mme Shankaruk, installée à son domicile près de Winnipeg, je redoutais un peu cette conversation. Revivre des événements passés fait remonter tellement d’émotions douloureuses. »

Mais plutôt que de les enfouir en elle, elle brandit ses mouchoirs et se lance dans les événements qui ont bouleversé sa vie. Comme travailleuse sociale clinique, Carole Shankaruk croyait disposer des outils nécessaires pour affronter les aléas de la maternité.

« Mais lorsque c’est votre propre enfant qui souffre, la théorie n’est plus d’aucun secours. »

Quand son fils Noah avait sept ans, la douleur débilitante qu’il ressentait a été attribuée à la maladie de Crohn, une affection causant une inflammation particulièrement douloureuse de l’intestin.

Quant à Cheryl Fraser, son périple a commencé dès la première année de vie de son fils Jamie. « Il semblait constamment frustré, il ne mangeait pas suffisamment et son développement semblait au ralenti, raconte-t-elle. Les médecins n’ont rien décelé de particulier, mais nous savions qu’il avait besoin d’aide et, surtout, que quelqu’un devait prendre sa défense. »

L’amour (et la culpabilité) d’une mère

Kellie Garrett

Kellie Garrett

L’un des premiers obstacles que Mme Shankaruk a rencontrés est la difficulté à composer avec la douleur de son fils. « Nous avons tout essayé, mais elle perturbait absolument tous les aspects de notre vie. » Elle se souvient du fardeau accablant de la culpabilité qui l’écrasait et qui pèse encore sur ses épaules à ce jour. « Est-ce que j’en ai fait assez? Y a-t-il d’autres interventions que j’aurais pu tenter? »

Entendant cette crainte, exprimée avec hésitation d’abord, Kellie Garrett, mentor auprès de cadres, conférencière et conseillère, l’encourage depuis sa résidence de Regina.

« La fameuse culpabilité! Je ne sais pas si nous, les mères, pouvons nous en libérer totalement. » Mme Garrett a combattu une dépression postpartum non diagnostiquée après la naissance de son deuxième enfant, qui est survenue peu après le décès de sa mère et un déménagement à l’autre bout du pays.

« Je croyais que ce qui m’arrivait, c’était simplement la définition de la maternité, explique-t-elle. Le sentiment d’être épuisée, submergée, isolée… pour moi, c’était une épreuve que toutes les mères devaient traverser. Je venais d’emménager dans une nouvelle ville, alors je n’avais pas d’amies à qui me confier. En plus, mon conjoint n’était pas en mesure de reconnaître mes symptômes, et comme j’ai grandi dans une famille difficile, je n’avais aucun modèle positif dont je pouvais m’inspirer. »

Mme Garrett prend un moment pour maîtriser ses émotions avant de se plonger dans le récit des maladies mentales qui ont affligé sa mère et sa grand-mère. « Ma grand-mère a vécu des souffrances atroces quand son mari a abandonné sa famille. Complètement effondrée, elle a subi plusieurs rondes d’électrochocs, avant de recevoir un diagnostic de trouble bipolaire. De plus, ma mère a été atteinte de dépression majeure tout au long de sa vie adulte. Quand mon fils a commencé à souffrir de dépression, j’ai pensé que c’était son triste legs. J’avais l’impression que le sang qui coulait dans ses veines était empoisonné par ma faute… C’est une pensée obsédante. »

Mme Shankaruk intervient : « Nous nous jetons tellement de blâmes. Pourtant, en faisant cela, en plus d’alimenter la stigmatisation entourant la maladie mentale, nous essayons de faire tourner le moteur alors que le réservoir est à sec. Lorsqu’il est question de maternité, nous subissons de petits et de grands traumatismes, mais nous n’avons pas nécessairement les mots pour les nommer et les outils pour les surmonter. Alors nous persévérons, sans nous rendre compte que nous perpétuons les mêmes préjudices que nous cherchons à éviter à tout prix. »

La culpabilité de Mme Fraser ne se rapporte pas à la maladie de Jamie, mais à son incapacité à le protéger dans l’environnement où il était le plus vulnérable : la salle de classe. Jamie avait toujours eu des difficultés à l’école, exacerbées par ses différences en matière d’apprentissage, sa coordination limitée et sa taille imposante, mais sa sixième année a marqué un point décisif.

« À une fête d’anniversaire organisée pour Jamie, j’ai entendu un de ses amis parler d’un enseignant qui lançait des objets, se souvient-elle. Quand j’ai cherché à en savoir plus, les vannes se sont ouvertes. Les garçons se sont mis à me raconter que leur enseignant obligeait Jamie à lui apporter du café et qu’il lui lançait des brosses à tableau lorsqu’il donnait la mauvaise réponse. J’étais horrifiée. » Nous avons découvert que cet enseignant avait des antécédents de maltraitance envers des élèves ayant des besoins particuliers.

Mme Fraser et son mari ont retiré leur enfant de l’école, mais ils ont dû le changer d’établissement deux fois de plus. En huitième année, Jamie en a eu ras le bol. Frustré par des années d’incompréhension, tant de la part de ses pairs que de ses enseignants, il s’est rendu chez le directeur pour déclarer : « Si vous ne faites rien, je vais me tuer. »

« À ce moment, nous avons dû intervenir directement et prendre le relais, relate Mme Fraser. Jamie avait du mal à faire confiance aux adultes, mais nous avions besoin qu’il fasse confiance à ses parents. Dieu merci, il l’a fait. »

Chez Mme Shankaruk, Noah a retrouvé une certaine joie de vivre au début de l’adolescence. Bien que des vagues de douleur continuaient de l’affliger, il s’en sortait bien au début de l’âge adulte. « Il travaillait et l’avenir paraissait radieux, dit-elle, gagnée par l’émotion. Puis, un jour, sur un chantier, il s’est plaint de ses douleurs à un ami. Sans réfléchir, il a pris la pilule qu’on lui tendait. Celle-ci a soulagé ses symptômes physiques, mais elle a aussi déclenché une dépendance qui allait éclipser la douleur causée par la maladie de Crohn. »

Les décisions que son fils a prises lorsqu’il consommait des substances ont mené à son arrestation et à une comparution en cour. « J’étais terrifiée. Je ressentais tellement de colère face au traitement qu’il subissait. Je tremblais littéralement de la tête aux pieds sous l’effet des émotions que je réprimais. Oui, il avait fait une erreur. Oui, il avait pris des pilules qui modifiaient son comportement et altéraient son jugement. Mais tout un pan de l’histoire était occulté. Pourquoi personne ne prenait-il sa maladie chronique en considération? Pourquoi personne ne voyait-il le portrait de tout ce qu’il avait accompli dans sa vie? Pourquoi le système est-il tellement punitif alors que l’objectif devrait être la réadaptation, ou dans le cas de mon fils, l’intervention médicale? Il est un être humain tellement formidable, mais il a été réduit à un numéro dans un registre de casiers judiciaires. »

« Je suis vraiment désolée, intervient Mme Garrett. Je ne connaissais pas cette histoire. » Toutes deux marquent une pause, comme par solidarité dans le sentier solitaire que tant de mères doivent parcourir avant de trouver un sentiment de paix ou de réconfort.

« Un de mes fils est autiste, reprend-elle. J’ai consacré beaucoup de mon temps à veiller à ses besoins, pendant que mon autre fils s’enfonçait peu à peu dans l’anxiété, quand il était enfant, puis dans la dépression… Je m’en veux qu’il soit tombé entre les craques. »

Les deux femmes se sont jetées à corps perdu dans le travail, un baume sur leurs plaies à un moment où leur vie familiale déraillait. « Je faisais de l’excellent boulot, se rappelle Mme Garrett, et je savais ce que je faisais. Pour la maternité, il n’existe aucun mode d’emploi. Je me sentais comme un rat dans un laboratoire. Je naviguais à l’aveugle, et pourtant on conditionne les femmes à croire que ces aptitudes devraient leur être innées. Plus jeune, je ne savais pas comment demander de l’aide. Pire encore, j’aurais eu honte d’en avoir besoin. »

S’accorder un répit

Cheryl Fraser

Cheryl Fraser

Aujourd’hui, Mmes Shankaruk, Garrett et Fraser ont conscience que les leçons qu’elles ont apprises au fil des épreuves pourraient aider des femmes qui entreprennent le même genre de parcours, et c’est précisément pourquoi elles ont accepté de livrer des témoignages aussi intimes.

« Le conseil que j’aimerais donner à toute personne aux prises avec des difficultés, qu’elle soit une jeune maman ou non, est de demander de l’aide à ses semblables, souligne Mme Shankaruk. Dans mon cas, j’ai trouvé le soutien d’un groupe spirituel de femmes. La plupart d’entre elles étaient beaucoup plus âgées que moi, et cet écart a été une réelle bénédiction. Elles avaient plus d’expérience que moi, si bien qu’elles voyaient venir les écueils qui m’attendaient et me donnaient de précieux conseils fondés sur un vécu que je n’avais pas encore. »

Mme Garrett aussi a fini par trouver du réconfort dans l’amitié féminine, signalant toutefois que la croyance selon laquelle les femmes cherchent davantage à rivaliser entre elles qu’à se soutenir doit être remise en question. « Je ne crois pas que nous soyons intrinsèquement plus compétitives ou que nous soyons mues par le désir de causer du tort aux autres femmes. Je trouve plutôt que la société a créé des attentes impossibles à combler pour les femmes, ce qui les place dans un perpétuel état d’insuffisance. » À ses yeux, « la solution serait de recadrer la discussion. Nous aurions intérêt à souligner les nombreuses manifestations de soutien entre femmes. Comment faire pour célébrer ces femmes qui défrichent de nouveaux territoires et ouvrent de nouvelles possibilités pour nous toutes, et comment leur fournir une tribune? »

Mmes Garrett et Shankaruk ont aussi trouvé une certaine stabilité dans la nature. « C’est dans mon jardin, entourée de beauté naturelle, que je me sens le plus chez moi, illustre Mme Shankaruk, qui est Métisse et fait souvent appel au pouvoir guérisseur de la terre.

C’est bienfaiteur de se donner de l’espace pour assimiler son propre vécu. C’est libérateur de nommer ses traumatismes, de s’approprier ses difficultés, puis de partager les connaissances chèrement acquises avec d’autres personnes. »

Mme Fraser est d’avis que cette sagesse durement gagnée naît parfois d’une intuition, et c’est précisément le conseil qu’elle souhaite adresser aux parents : « Écoutez votre instinct. Si vous sentez que quelque chose cloche chez votre enfant ou vous-même, c’est probablement le cas, affirme-t-elle. Nous devons parfois chercher longtemps les réponses et les solutions dont nous avons besoin, mais il ne faut pas abandonner, et il ne faut surtout pas arrêter de nous battre. »

« C’est aussi essentiel, poursuit Mme Garrett, de trouver des gens qui vous voient et vous aiment telle que vous êtes. Quand on a un enfant malade ou qu’on est débordée par les exigences de la maternité, on se sent parfois limitée à deux dimensions, celle de mère et d’employée, par exemple. »

Elle est convaincue qu’il est crucial de se réserver du temps pour soi-même (tout en accordant le même privilège à son conjoint ou sa conjointe). « En créant de l’espace pour se connecter avec soi-même et poursuivre des activités qui font du bien à l’âme en dehors du contexte familial, on devient un meilleur parent. »

« Lorsque Connor a reçu son diagnostic d’autisme, j’ai pleuré sans interruption pendant deux ans. Je ne souhaite cela à personne. J’ai songé au suicide plus d’une fois. Mes enfants sont la seule chose qui m’a gardée en vie. J’avais la conviction viscérale que je ne pouvais pas les abandonner. »

Une perspective nouvelle
Au fil des années, les trois femmes ont acquis une certaine objectivité.

« Je ne m’en rendais pas compte à ce moment, souligne Mme Fraser, mais les épreuves que j’ai traversées avec Jamie m’ont amenée à devenir une meilleure soignante pour ma mère lorsque la maladie d’Alzheimer a commencé à faire des ravages. J’ai appris à donner priorité à la joie et j’ai appris que toute personne pouvait être heureuse, peu importe l’étape de sa vie ou l’aspect que ce bonheur revêt. »

Mme Garrett aussi a vécu une telle révélation. « Très longtemps, j’ai ressenti de la colère contre ma propre mère. Mais avec le recul, je me rends compte qu’elle faisait de son mieux. En pardonnant ses lacunes, je suis arrivée à diriger une partie de cette compassion vers moi-même. C’est le meilleur cadeau que je me suis fait. »

Mme Shankaruk abonde dans le même sens. « C’est l’espoir que nous entretenons. Nous pardonnons à nos parents pour leurs défauts et nous espérons que nos enfants feront preuve d’autant d’indulgence envers nous. Parce que la maternité, dans toute sa complexité, m’a amenée à découvrir des qualités insoupçonnées et un amour inimaginable. Mais nous n’avons pas à parcourir ce chemin seule. »

Illustrateur : Kasia Niton – https://sunnystreet.studio/  Instagram: @sunnystreet.studio

Les personnes de 85 ans et plus constituent le segment de la population qui augmente le plus rapidement au Canada, à un rythme près de quatre fois supérieur à celui de la population générale. Le nombre d’outils et de stratégies fondés sur des données probantes destinés à les aider à vivre une vie plus longue, plus heureuse et plus satisfaisante progresse également à vive allure, ce qui est une bonne nouvelle puisque la taille de ce groupe triplera au cours des prochaines décennies.

De la recherche aux ressources
Comment le vieillissement affecte-t-il notre santé mentale? Pour la Dre Keri-Leigh Cassidy, professeure de psychiatrie à l’Université Dalhousie, « contrairement aux idées préconçues selon lesquelles les choses ne peuvent que se détériorer avec l’âge, la recherche démontre que des améliorations sont en fait possibles. Tout au long de la vie, notre cerveau continue de se développer et de se remodeler à travers la neuroplasticité. Bien que nous soyons plus susceptibles de subir des pertes et de faire face à l’adversité en vieillissant, il est aussi possible de devenir beaucoup plus apte à relever de nombreux défis. Les recherches indiquent également que les niveaux de bonheur, de compassion et de gratitude augmenteront avec l’âge. »

Reconnue comme une sommité dans le domaine de la psychothérapie des personnes âgées, ainsi que des troubles de l’humeur et de l’anxiété, la Dre Cassidy préside le Réseau de santé mentale des aînés de l’Atlantique et occupe le poste de directrice clinique du programme de psychiatrie gériatrique de l’Université Dalhousie. En 2011, elle a lancé La fontaine de la santé, une initiative nationale à but non lucratif qui communique les plus récentes connaissances scientifiques en matière de bien-être, de résilience et de vieillissement optimal, tout en proposant des webinaires et des cours aux citoyens, aux organisations et aux cliniciens.

« Bien souvent, les gens ne réalisent pas à quel point ils peuvent influencer leur santé », a-t-elle déclaré. « Par exemple, nous sommes désormais en mesure de dire que les facteurs génétiques n’expliquent que 25 % de l’espérance de vie humaine, et que les modes de vie malsains sont la cause de plus de 85 % des maladies chroniques. »

La Dre Cassidy évoque également des recherches qui ont montré à quel point les personnes qui adoptent de saines habitudes de vie sont susceptibles de vivre plus longtemps et de connaître des niveaux de bonheur et de satisfaction plus élevés. Comme l’explique le site Web de La Fontaine de la santé, ces bonnes habitudes se classent dans des catégories telles que l’activité physique, l’interaction sociale, les stimulations intellectuelles, les soins personnels en matière de santé mentale et la pensée positive.

« Notre manière de penser, notamment la façon dont nous envisageons le vieillissement, représente un nouveau domaine de recherche absolument fascinant », a-t-elle déclaré. « Une étude de l’Université Yale a révélé que les personnes qui avaient une perception positive du vieillissement prolongeaient leur vie d’environ 7,5 ans comparativement à celles qui avaient une perspective plus négative. Le fait de prendre régulièrement soin de soi, par le biais du yoga et de la pleine conscience, combiné à de bonnes habitudes de sommeil, peut également contribuer à améliorer le bien-être mental. Il est essentiel de reconnaître les signes et les symptômes de la maladie mentale et d’être prêt à recourir à une aide professionnelle, le cas échéant. »

La vie prend un nouveau départ à 60 ans
La fondatrice de Top Sixty Over Sixty, Helen Hirsh Spence, a tiré des conclusions semblables sur la façon dont nous envisageons le vieillissement lorsqu’elle a atteint l’âge de la retraite. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à prendre pleinement conscience des effets néfastes de l’âgisme et des stéréotypes associés à la retraite.

« Des expressions telles que “bon à jeter aux oubliettes” ou “en vacances toute l’année” peuvent avoir un effet pernicieux, car elles renforcent les opinions négatives », a-t-elle déclaré. « Les personnes qui intériorisent ces clichés risquent de perdre leur raison d’être en vieillissant. Et comme le révèle la recherche, elles peuvent en conséquence abréger leur vie. »

À la fin de la soixantaine, après avoir mené une carrière dans le domaine de l’éducation, Mme Spence a mis sur pied une entreprise sociale à but lucratif, laquelle a pour but de lutter contre l’âgisme et d’exploiter les talents des personnes âgées au Canada. Elle croit que la plupart d’entre nous ont longtemps sous-estimé les personnes âgées et les contributions qu’elles peuvent offrir à la société.

« L’œuvre de ma vie est maintenant consacrée à rediriger les discussions vers le sujet du vieillissement », a-t-elle déclaré. Le projet Top Sixty Over Sixty comporte deux volets : d’abord, montrer aux entreprises et aux organisations comment tirer profit d’une main-d’œuvre diversifiée sur le plan de l’âge; puis, aider les personnes âgées à se réinventer avec assurance et dynamisme.

Conseils pratiques, fondés sur des données probantes
En raison de la pandémie, les niveaux d’isolement ont considérablement augmenté. Il est donc primordial d’adopter des habitudes qui protègent à la fois la santé physique et mentale. Pour aider les adultes âgés à protéger leur bien-être mental pendant la pandémie de COVID-19, la Commission de la santé mentale du Canada a fait équipe avec Dre Cassidy pour élaborer une fiche de conseils proposant des idées pratiques et fondées sur des données probantes. Par exemple, le premier conseil suggère de se concentrer sur ce que nous pouvons maîtriser, comme prendre soin de soi et intégrer des routines saines dans notre quotidien.

À l’aube de la cinquantaine, Dre Cassidy fait preuve de plus en plus de discipline lorsqu’il s’agit de prendre soin d’elle-même.

« Il est facile de se sentir dépassée par la pandémie en cours », dit-elle. « Pour remédier à cet état d’esprit, je mets en pratique le conseil de limiter mon exposition aux nouvelles, surtout juste avant d’aller dormir. Je prends également le temps de faire de l’exercice et d’exprimer ma gratitude, et je communique chaque semaine avec un groupe d’amis par vidéoconférence. Ces habitudes me permettent de conserver mon équilibre et d’apprécier les belles choses de la vie. »

Auteur:

Bien qu’elle préférerait l’effacer de sa mémoire, la Dre Manon Charbonneau se souvient de tous les détails de cette journée.

« Alors ça y est, j’ai le cancer », avait-elle lâché, incrédule, les yeux rivés sur sa mammographie. Sa radiologue a confirmé le diagnostic, et en un clin d’œil, son monde s’est effondré.

Psychiatre clinique, la Dre Charbonneau a consacré une grande partie de sa vie à aider les autres. « Dès l’âge de cinq ans, j’ai voulu être médecin », raconte-t-elle.

Pourtant, la longue route qui s’ouvrait devant elle était barrée par un obstacle de taille. « Je répétais souvent que j’allais guérir le cancer quand je serais grande, mais c’est plutôt le cancer qui m’a attrapée. »

Au moment de son diagnostic, la Dre Charbonneau était en poste dans un hôpital rural du Québec. Et bien que son bagage médical l’avait préparée aux ravages que le cancer allait causer à son corps, elle ignorait que son esprit allait en souffrir tout autant. 

 La lutte contre la stigmatisation en héritage
Bien des années avant son diagnostic, la Dre Charbonneau avait été confrontée à une autre maladie débilitante : la dépression.

Manon Charbonneau

Manon Charbonneau

« J’étais tombée tellement bas que j’ai failli abandonner mon internat. Puis, un de mes professeurs m’a dit que quoi que je fasse, je ne devais jamais mentionner ma dépression parce que cela nuirait à ma carrière, relate-t-elle. J’ai suivi ce conseil. J’ai baissé la tête et je me suis tue. »

Sans en toucher un mot à qui que ce soit dans sa sphère professionnelle, la Dre Charbonneau a heureusement surmonté sa dépression. Puis sa carrière a pris son envol et elle est plus tard devenue présidente de l’Association des psychiatres du Canada (APC). À la fin de son mandat à la présidence de l’APC, en 2008, près de 20 ans après son premier combat contre la dépression, elle a décidé qu’il était temps de briser le silence.

Dans son ultime discours comme présidente de l’APC, la Dre Charbonneau a raconté son expérience de la dépression, à la stupéfaction de plusieurs membres de l’auditoire.

« À l’époque, personne ne parlait de ses propres problèmes de santé mentale, surtout pas les professionnels de la santé, souligne-t-elle. J’y ai vu l’occasion de changer les choses. »

Sa franchise a mené à la création du groupe de travail de l’APC sur la stigmatisation et la discrimination, qu’elle a présidé durant les dix années suivantes. « Le fait de raconter mon histoire a été pour moi un moyen de clore ma présidence à l’APC et de tourner la page sur ma dépression. »

Elle ignorait toutefois qu’elle recevrait au cours de la même année un diagnostic de cancer qui allait rouvrir la porte à la dépression.

Souffrir en silence
« Après mon diagnostic, tout s’est enclenché très rapidement », se rappelle la Dre Charbonneau. Très rapidement, elle a reçu un plan de traitement composé de chirurgie, de chimiothérapie et de radiothérapie.

Or, à mesure que les traitements intensifs dévastaient son corps, elle a remarqué des signes que la dépression réapparaissait. « C’était insidieux, dit-elle. Graduellement, mes pensées et mon humeur ont changé, jusqu’à ce que je sois engloutie par la dépression. »

Luttant contre le cancer du sein et un épisode de dépression majeure en même temps, la Dre Charbonneau a été frappée par le contraste saisissant entre les deux maladies.

« Le traitement contre le cancer est un peu comme une montgolfière rose. On se sent soulevée par toute l’aide, le financement, les beaux programmes, l’équipe qui s’occupe de nous au quotidien. Tout le monde unit ses efforts pour prendre soin de nous, affirme-t-elle. Pour la maladie mentale, il n’y a pas de montgolfière. »

Même dans le plan de traitement vigoureux que la Dre Charbonneau avait reçu pour soigner son cancer, les services psychologiques n’étaient pas au programme. « Lorsqu’il est question de santé mentale, les patients cancéreux sont largement laissés à eux-mêmes. »

La Dre Charbonneau n’est pas la seule à avoir fait face à une maladie mentale pendant sa lutte contre le cancer. Comme indiqué dans la récente fiche d’information préparée par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en collaboration avec le Partenariat canadien contre le cancer, on estime que la prévalence de la dépression et de l’anxiété chez les personnes traitées pour un cancer est au moins deux fois plus élevée que dans la population générale.

Au sujet d’une vaste étude menée auprès de survivants du cancer au Canada, la fiche d’information rapporte que près de 80 % des répondants ont vécu au moins un problème d’ordre émotionnel dans les trois ans qui ont suivi leur traitement et que, dans bien des cas, leurs besoins n’avaient pas été comblés.

Dans le cas de la Dre Charbonneau, l’écart entre les services anticancéreux et ceux ciblant la dépression s’étendait au-delà de son équipe de soins qui a fait de son mieux dans les limites du système de santé, souligne-t-elle.

Elle est d’avis que sur le plan social, nous envisageons la maladie mentale et la maladie physique d’un angle complètement différent. Ce constat l’a brutalement frappée un certain après-midi pendant son rétablissement.

« Un jour, je me suis réveillée d’une sieste et j’ai trouvé 19 bouquets de fleurs, 37 appels manqués et des dizaines de messages de soutien de la part d’amis, de collègues et même de patients, dit-elle, ajoutant qu’elle s’était demandé si elle était déjà morte. Mais aucun de ces messages n’évoquait ma santé mentale. »

Cet incident lui a rappelé avec éloquence que la stigmatisation entourant la maladie mentale était toujours bien présente.

« Les gens ne savent tout simplement pas quoi dire ou quoi faire lorsqu’un proche est aux prises avec la maladie mentale, alors ils ne disent rien, laisse-t-elle tomber. Sans soutien, on se sent bien seule sur la route du rétablissement. »

La force de l’espoir
Au cœur d’un deuxième épisode de dépression et d’éprouvants traitements contre le cancer, la Dre Charbonneau s’est retrouvée vidée de toute motivation. « Certains jours, j’étais incapable de même prendre une douche, et encore moins d’aller chercher de l’aide pour traiter ma dépression. »

Mais à la lumière de certaines conversations difficiles avec son mari et leurs deux enfants, elle a compris qu’elle ne pouvait plus balayer sa dépression sous le tapis. Pour se rétablir complètement, elle devait prendre soin de sa santé mentale.

Accompagnée par des professionnels pour surmonter la dépression pour une deuxième fois, la Dre Charbonneau a commencé à entrevoir une lueur d’espoir pour l’avenir, une lueur qu’elle juge cruciale pour le rétablissement. « À titre de professionnels de la santé mentale, une large part de notre travail est de faire naître l’espoir que le rétablissement est possible et qu’une meilleure qualité de vie vous attend. »

Elle a également puisé de l’espoir pour son rétablissement physique à une source inattendue, lorsqu’on l’a invitée à participer à une activité de bienfaisance qui aurait lieu presque un an plus tard. « Tout à coup, j’ai pensé que je n’allais peut-être pas mourir après tout. Je me suis dit que je resterais en vie pour assister à cet événement. Ça a été un moment décisif pour moi. »

Pour les personnes qui s’efforcent de surmonter une maladie grave, qu’elle soit mentale ou physique ou les deux, la Dre Charbonneau insiste sur l’importance de la vulnérabilité. « Prenez contact avec un proche en qui vous avez confiance et ouvrez-vous. C’est seulement en abordant vos sentiments avec honnêteté que vous pourrez aller mieux. Il y a de l’aide pour vous, pourvu que vous osiez la demander. »

Une agente de changement
Même pour la Dre Charbonneau, il n’a pas été aussi facile qu’elle aurait cru de se montrer vulnérable. Elle a hésité quand les représentants de Bell Cause pour la cause l’ont invitée à devenir ambassadrice de l’initiative et à faire le récit de sa dépression et de son cancer.

« Après avoir passé tant de temps sans raconter mon histoire, je devais vaincre mon autostigmatisation une fois de plus, dit-elle. Quand on travaille dans le domaine de la santé, il est difficile d’admettre que notre santé n’est pas optimale. Mais tous mes proches m’encourageaient à accepter, et ils avaient raison. C’est la vulnérabilité qui conduit au changement. »

Ce changement dans la perception de la maladie mentale est devenu le pilier du travail de sensibilisation de la Dre Charbonneau. En plus de son engagement auprès de Bell Cause pour la cause, elle a propagé son message comme membre du conseil d’administration de la CSMC (2013 à 2019), où elle est également formatrice pour le cours de Premiers soins en santé mentale.

Dans ses efforts pour réclamer des changements à tous les niveaux, des attitudes individuelles aux systèmes de santé en passant par les politiques publiques de façon générale, elle prend souvent appui sur sa propre expérience. « Je pense à cette belle grande montgolfière rose qui m’a portée tout au long de mon traitement contre le cancer, puis je me demande à quel moment les personnes aux prises avec la maladie mentale auront droit à la leur. Elle est où, leur montgolfière? »

Pour la Dre Charbonneau, la seule chose qui est plus forte que la volonté de trouver cette fameuse montgolfière est sa conviction que chacun de nous peut faire sa part. La puissance des gestes individuels est une immense source de motivation pour elle. Sa devise : Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde. « Nous sommes tous des agents de changement, affirme-t-elle. En modifiant notre façon de penser à la maladie mentale, d’en parler et de nous en soucier, nous pouvons susciter le changement que nous souhaitons voir. »

Auteur:

Phoenix Residential Society : Renaître de ses cendres

J’ai joint Ian Morrison à son bureau de la filiale de Regina de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM). Diplômé en écriture comique, au Humber College, il enseigne aux gens une manière d’exploiter leurs expériences, avec la maladie mentale et la vie en général, à l’aide de sketches comiques.

« C’est tout ce que j’ai toujours voulu faire », a-t-il déclaré. « Juste raconter des blagues, faire rire les gens. »

Mais, il y a 12 ans, ce rêve me semblait aussi lointain que le rêve hollywoodien. Morrison s’est retrouvé dans un refuge de l’Armée du Salut, sans médicaments et sans solutions. « Honnêtement, je pensais que ma vie était finie. Cela aurait été le cas s’il n’y avait pas eu Phoenix [Residential Society]. »

Ici, il a fait une pause. « Je n’essaie pas d’être dramatique », a-t-il déclaré en faisant référence à la passion de sa vie. « Mais, si ce n’était pas pour Phoenix, je serais maintenant mort. C’est simplement la vérité. »

Dès son plus jeune âge, Morrison présentait des symptômes de maladie mentale. Ses troubles obsessionnels compulsifs (TOC), son déficit d’attention et ses difficultés d’apprentissage n’ont été diagnostiqués qu’à l’âge de 16 ans. Mais, il sentait depuis longtemps que ses schémas de pensée étaient différents de ceux des autres.

« Les gens ne comprennent pas à quel point les TOC entraînent des pensées si envahissantes et totalement hors de propos. Ensuite, ces pensées sont ruminées encore et encore. Cela devient un cercle vicieux. À 28 ans, je me sentais complètement déchu. »

En faillite et n’ayant nulle part où vivre, Morrison s’est finalement fait tendre une bouée de sauvetage qu’il n’a jamais relâchée.

La recette magique

Fondée en 1979, la Phoenix Residential Society a des origines modestes.

« Nous avons commencé avec une poignée de clients, environ neuf », a déclaré la directrice générale Sheila Wignes-Paton, qui travaille pour l’organisation depuis plus de 30 ans. « J’ai commencé en première ligne, en aidant des personnes à retrouver l’équilibre après avoir connu l’itinérance ou l’hospitalisation en raison d’une maladie mentale. La famille Phoenix, composée aujourd’hui de 190 personnes, s’est élargie pour inclure des personnes ayant des besoins divers, par exemple des personnes ayant des lésions cérébrales acquises ».

Mme Wignes-Paton a aussi déclaré que le succès de l’organisation ne reposait pas seulement sur les principes de rétablissement, qui donnent aux clients le respect et l’autodétermination nécessaires pour prendre en charge leurs propres soins, mais aussi sur un environnement qui encourage et soutient le personnel.

Pour Lynne Scott, membre du personnel de Phoenix qui travaille directement avec les résidents, ce type de soutien se veut une formation qui l’aide à gérer la pression psychologique liée au fait de soutenir des personnes au moment où elles se sentent particulièrement vulnérables.

« On nous apprend comment nous fixer des limites, recharger nos propres ressources émotionnelles et comprendre que nous ne pouvons rien verser à partir d’un verre vide », a laissé entendre Mme Scott, qui travaille pour Phoenix depuis plus de 15 ans.

« Le mandat de Lynne n’est pas insolite », a affirmé Mme Wignes-Paton. « Nous avons un rythme de croisière ici. Nous effectuons ce travail extrêmement important, qui est gratifiant en soi. Mais nous accordons également une grande importance à notre personnel. Ainsi, nous renforçons le message selon lequel le bien-être de chaque personne représente notre santé globale en tant qu’organisation. »

Pour Mme Scott, la recette du succès est simple, mais cela ne veut pas dire qu’elle est facile. « Nous accueillons les gens comme ils sont, et nous ne portons pas de jugement sur eux. Nous demeurons à leur écoute, nous leur posons des questions, et les résultats sont souvent surprenants. »

Un esprit ouvert et un cœur ouvert

Pour illustrer comment cela fonctionne, Mme Scott a décrit son expérience avec un jeune homme qui était arrivé épuisé, portant des vêtements en lambeaux et ayant besoin de prendre un bain. « Je m’étais dit qu’il faudrait peut-être commencer par mettre l’accent sur l’hygiène, mais j’avais attendu de voir comment les choses allaient se passer. »

Il se trouvait que le jeune homme vivait dans des conditions indécentes, n’ayant même pas accès à de l’eau potable. « Dès qu’une douche était disponible, il n’attendait jamais qu’on lui suggère de s’en servir », a ajouté Mme Scott, qui s’est également rappelé qu’il avait de la difficulté à se réveiller au début, ce qui le mettait souvent en retard pour la thérapie de groupe et d’autres réunions.

« Une consultation chez le médecin avait révélé un cas grave d’apnée du sommeil qui l’empêchait de passer une bonne nuit de repos. Après lui avoir procuré le traitement prescrit, il était désormais toujours à l’heure. »

Mme Scott a été témoin de ce genre de petites transformations à maintes reprises. « J’ai eu une fois un résident qui était arrivé avec des cheveux emmêlés et qui était en situation d’itinérance depuis un certain temps. Je lui avais demandé s’il voulait aller chez le coiffeur. Je n’avais pas eu à lui demander deux fois. »

Ce même résident avait tellement apprécié sa visite chez le coiffeur qu’il s’était acheté une tondeuse et avait commencé à s’exprimer par des styles créatifs. « Il avait les cheveux hérissés un jour, et adoptait un autre style le lendemain », dit Mme Scott en riant, qui admet ne jamais en finir d’être surprise par ce qui capte l’imagination des résidents et par l’immense joie qu’elle éprouve de les aider à explorer leurs champs d’intérêt.

La liberté d’explorer ses champs d’intérêt est exactement le type de soutien qui a conduit Morrison à être là où il en est aujourd’hui. « Je me souviens qu’après avoir quitté le refuge et être arrivé à Phoenix, mon assistante sociale m’avait demandé ce que j’aimerais faire », a-t-il dit. À l’époque, ayant une dépression et se sentant dépourvu de toute perspective, tout en étant reconnaissant d’être logé, Morrison avait répondu : « Je suppose qu’il faudra juste me trouver un autre emploi minable. »

Il n’avait pas osé rêver plus grand, et il n’avait pas cru que quelque chose de plus significatif pouvait se manifester à l’horizon. « Mais, je suis à jamais reconnaissant parce qu’elle [son assistante sociale] m’avait dit : « Je t’ai demandé ce que tu voulais faire ».

Morrison raconte qu’il avait lancé une boutade : « Je veux faire des sketches comiques », en s’attendant à une réponse sarcastique en exprimant son souhait le plus cher qu’il avait abandonné depuis déjà longtemps.

« Mais, elle m’a dit : d’accord, voyons comment tu peux faire ça. »

Un domicile, un emploi et un ami

Cette approche du rétablissement, axée sur l’autonomie de l’individu, est le cœur même de Phoenix. Non seulement Morrison s’était retrouvé à travailler au sein de l’ACSM qui répond à son désir de création, mais il est également en mesure d’aider les autres à trouver leur voix d’humoristes.

« J’ai un endroit où vivre, aussi longtemps que je le veux. J’ai un filet de sécurité qui est prêt à intervenir et à m’aider quand j’en ai besoin. Et je suis entouré de personnes qui peuvent combler les lacunes que je traîne peut-être encore. »

Morrison reconnaît que la gestion des médicaments peut représenter un défi pour lui. « Je prends 14 pilules par jour et je fais une injection toutes les deux semaines », a-t-il expliqué, un programme de traitement qui mettrait au défi n’importe lequel d’entre nous. Mais le personnel de Phoenix assure un suivi pour l’aider à garder le fil. Il admet aussi volontiers que son cerveau est davantage orienté vers les blagues que les finances. Les conseils financiers que lui prodigue Phoenix sont donc essentiels pour l’aider à maintenir son indépendance.

« Ils m’ont aidé à ouvrir un compte d’épargne », a déclaré M. Morrison. « Du coup, quand mon climatiseur est tombé soudainement en panne, j’avais des fonds pour couvrir les frais de réparation».

Cette victoire peut sembler modeste, mais le modèle de Phoenix est financièrement sain à tous points de vue.

Un investissement judicieux

En 2018, l’organisation a dressé une vue d’ensemble de son programme Logement d’abord financé par le gouvernement fédéral et destiné aux personnes en situation d’itinérance chronique ou périodique. Après avoir calculé l’argent des contribuables économisé en se basant sur 49 clients sur quatre ans, les chiffres ont montré que leur service d’hébergement et les mesures d’aide connexes coûtaient beaucoup moins cher pour les finances publiques comparativement aux fonds engagés dans le cadre des interventions de crise répétées.

« Nous savons que le programme Logement d’abord fonctionne », a affirmé Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada, qui a été chargée de mettre en œuvre le plus grand projet de recherche expérimental du genre. « En tant que comptable de métier, je peux voir la valeur des économies qu’un tel projet permet de réaliser. Mon côté compatissant ne me permet toutefois pas de mettre un prix sur l’espoir, la dignité et l’inclusion que procure un endroit sécuritaire où vivre. »

Les économies réalisées sont sans aucun doute significatives. Selon Phoenix, les coûts liés aux séjours à l’hôpital ont à eux seuls été réduits de plus de 335 000 dollars. Les dépenses liées aux consultations en salles d’urgence, trop coûteuses, tant en termes de ressources financières que de ressources humaines, sont passées de plus de 500 000 dollars à seulement 100 000 dollars. Mais la plus forte baisse concerne les coûts engagés pour offrir des séjours de désintoxication, qui ont été réduits d’environ un million de dollars.

« À vrai dire, nous passons davantage de temps à faire le travail plutôt qu’additionner des chiffres », reconnaît Mme Wignes-Paton. Pourtant, les résultats parlent d’eux-mêmes.

Qu’il s’agisse de logements propres, de possibilités de bénévolat, de thérapies de groupe, de soutien par les pairs, de conseils financiers ou de gestion des médicaments, Phoenix adapte ses services aux besoins des résidents, afin qu’ils reçoivent des soins personnalisés qui peuvent être ajustés au fil du temps.

« Les gens peuvent penser que le rétablissement signifie redevenir exactement comme avant de tomber malade », a expliqué Mme Scott. « Mais ce n’est pas forcément le cas. Morrison a connu un succès extraordinaire à tous points de vue en faisant un travail utile et en améliorant la vie de tous les jours. Mais, le rétablissement peut prendre une trajectoire tout à fait différente pour une autre personne. »

Cela est l’une des raisons pour lesquelles l’approche de Phoenix célèbre les petites victoires, offre un filet de sécurité pour les revers (prévus) et, surtout, fournit aux personnes qui en ont besoin un endroit bien à elles.

« Lorsque j’étais à Saskatoon, se souvient Morrison, j’ai été mis à la porte de deux pensionnats en une seule journée, simplement parce que j’avais mentionné que mes médicaments me fatiguaient. Ce sentiment d’être indésirable et indigne demeure vif. Il y a tellement de fausses idées sur les personnes vivant avec une maladie mentale. C’est frustrant et blessant », a-t-il déclaré.

Du haut de ses six pieds quatre et de ses plus de 200 livres, Morrison donne l’impression d’être un gentil géant qui ne demande qu’à vivre ses journées en faisant rire les gens et en leur apprenant à rire d’eux-mêmes.

« Aux côtés de Phoenix, le rire est le meilleur remède. Mais je ne pouvais pas avoir l’un sans l’autre. »

illustrateur : Remie Geoffroi w: remgeo.com ig: @remgeo

Un ciel incertain

Lorsque la planète s’est confinée au début de 2020, des industries partout dans le monde ont été contraintes de poursuivre leurs activités dans un contexte de pandémie.

Peu de secteurs ont été frappés aussi durement que l’industrie de l’aviation, où plusieurs entreprises ont dû mettre à pied des milliers de travailleurs dans le but de demeurer compétitives dans un contexte où les mesures entourant les voyages changeaient constamment en raison de la COVID-19.

Lisa Dodwell-Greaves, gestionnaire du bien-être organisationnel chez WestJet, raconte l’expérience angoissante vécue au sein de son organisation.

« En mars 2020, nous comptions 14 000 employés. En juillet, nous n’étions plus que 4 300. Ces premiers mois ont apporté beaucoup d’incertitude. Nous devions redéfinir la structure organisationnelle et conserver seulement un équipage minimal pour faire fonctionner la machine. »

Pendant que les employés mis à pied cherchaient un nouveau gagne-pain dans un marché du travail anémique, ceux qui restaient étaient soumis à un horaire prolongé, à un stress accru et à la culpabilité d’avoir conservé leur emploi rémunéré alors que leurs amis et collègues avaient dû quitter.

Dans ce contexte, Mme Dodwell-Greaves savait qu’elle aurait un rôle primordial à jouer pour préserver le bien-être mental des employés et la culture du milieu de travail – dans cet ordre. « Une entreprise ne peut pas faire preuve de résilience si les individus qui la composent ne sont pas résilients aussi », soutient-elle.

Un besoin de soutien

Même en temps normal, le travail dans l’industrie du voyage peut comporter son lot de stress. Avec l’incertitude supplémentaire apportée par la pandémie, les employés étaient de plus en plus souvent confrontés à des voyageurs exaspérés. « Les travailleurs qui interagissent avec le public ont subi énormément d’agression dans les premiers jours de la pandémie », relate Mme Dodwell-Greaves.

Les pilotes et les agents de bord ont été repoussés par des entreprises et ostracisés par leurs amis et leur famille à cause de leurs contacts avec les passagers. Craignant pour leur propre bien-être physique, ils se demandaient s’il était sécuritaire de se présenter au travail.

Malheureusement, ce genre de situation devient chose courante à mesure que la pandémie progresse. Dans ces conditions, les entreprises jugent désormais de plus en plus crucial de protéger leurs employés de tout préjudice et de leur fournir un soutien psychologique et social.

Chez WestJet, ces objectifs étaient déjà sur le radar avant l’arrivée de la pandémie.

L’élaboration d’une stratégie

Au début de 2020, WestJet s’est engagée à adopter la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques et à multiplier les initiatives visant à soutenir les employés et leur bien-être mental. Si la pandémie a interféré avec la mise en œuvre de son plan initial, l’entreprise a néanmoins été en mesure de progresser dans la bonne direction.

« La stratégie que nous avons préparée portait sur les trois à cinq prochaines années, indique Mme Dodwell-Greaves. Nous avons saisi le vaste concept de la Norme et l’avons réparti en pièces détachées pouvant rapporter rapidement des dividendes. Nous avons mis en place des mesures faisant en sorte que les employés se sentent entendus et appuyés. En parallèle, nous avons lancé des initiatives permettant à nos dirigeants de leur fournir une aide plus substantielle. »

L’entreprise a également instauré un éventail d’autres programmes et avantages pour son personnel. En août 2019, avant même la pandémie de COVID-19, à partir de données tirées d’une analyse des réclamations pour des invalidités de courte et de longue durée, WestJet a repéré les secteurs où l’aide devait être accrue et où la couverture des services de psychothérapie, de psychologie et de counseling devait être élargie pour tous les employés admissibles.

L’adoption hâtive d’une vaste stratégie de bien-être mental par WestJet a permis à l’entreprise d’intégrer de nouvelles initiatives essentielles dans sa réponse à la pandémie. Et un des principaux programmes a démarré au sein de l’équipe de direction.

Un déploiement du sommet vers la base

En 2021, WestJet a intensifié les efforts qu’elle consacrait au bien-être mental en offrant à ses gestionnaires la formation L’esprit au travail, un cours de la Commission de la santé mentale du Canada fondé sur des données probantes et conçu pour réduire la stigmatisation entourant la maladie mentale dans les milieux de travail.

« Avant de proposer des mesures s’adressant à nos travailleurs, explique Mme Dodwell-Greaves, nous voulions nous assurer que nos gestionnaires savaient comment leur venir en aide. S’ils sentent le soutien de l’équipe de direction, les employés auront la certitude que l’entreprise est investie dans leur bien-être mental. »

« Cela fait partie d’une stratégie plus vaste sur la santé mentale qui ne se limite pas à nos employés, ajoute-t-elle. Elle inclut nos clients, et même les communautés que nous servons. »

Au cours de la prochaine année, WestJet entend accroître le nombre d’employés formés pour promouvoir la santé mentale et lutter contre la stigmatisation dans le milieu de travail.

Étude de cas : WestJet

Auteur: