Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Les personnes de 85 ans et plus constituent le segment de la population qui augmente le plus rapidement au Canada, à un rythme près de quatre fois supérieur à celui de la population générale. Le nombre d’outils et de stratégies fondés sur des données probantes destinés à les aider à vivre une vie plus longue, plus heureuse et plus satisfaisante progresse également à vive allure, ce qui est une bonne nouvelle puisque la taille de ce groupe triplera au cours des prochaines décennies.

De la recherche aux ressources
Comment le vieillissement affecte-t-il notre santé mentale? Pour la Dre Keri-Leigh Cassidy, professeure de psychiatrie à l’Université Dalhousie, « contrairement aux idées préconçues selon lesquelles les choses ne peuvent que se détériorer avec l’âge, la recherche démontre que des améliorations sont en fait possibles. Tout au long de la vie, notre cerveau continue de se développer et de se remodeler à travers la neuroplasticité. Bien que nous soyons plus susceptibles de subir des pertes et de faire face à l’adversité en vieillissant, il est aussi possible de devenir beaucoup plus apte à relever de nombreux défis. Les recherches indiquent également que les niveaux de bonheur, de compassion et de gratitude augmenteront avec l’âge. »

Reconnue comme une sommité dans le domaine de la psychothérapie des personnes âgées, ainsi que des troubles de l’humeur et de l’anxiété, la Dre Cassidy préside le Réseau de santé mentale des aînés de l’Atlantique et occupe le poste de directrice clinique du programme de psychiatrie gériatrique de l’Université Dalhousie. En 2011, elle a lancé La fontaine de la santé, une initiative nationale à but non lucratif qui communique les plus récentes connaissances scientifiques en matière de bien-être, de résilience et de vieillissement optimal, tout en proposant des webinaires et des cours aux citoyens, aux organisations et aux cliniciens.

« Bien souvent, les gens ne réalisent pas à quel point ils peuvent influencer leur santé », a-t-elle déclaré. « Par exemple, nous sommes désormais en mesure de dire que les facteurs génétiques n’expliquent que 25 % de l’espérance de vie humaine, et que les modes de vie malsains sont la cause de plus de 85 % des maladies chroniques. »

La Dre Cassidy évoque également des recherches qui ont montré à quel point les personnes qui adoptent de saines habitudes de vie sont susceptibles de vivre plus longtemps et de connaître des niveaux de bonheur et de satisfaction plus élevés. Comme l’explique le site Web de La Fontaine de la santé, ces bonnes habitudes se classent dans des catégories telles que l’activité physique, l’interaction sociale, les stimulations intellectuelles, les soins personnels en matière de santé mentale et la pensée positive.

« Notre manière de penser, notamment la façon dont nous envisageons le vieillissement, représente un nouveau domaine de recherche absolument fascinant », a-t-elle déclaré. « Une étude de l’Université Yale a révélé que les personnes qui avaient une perception positive du vieillissement prolongeaient leur vie d’environ 7,5 ans comparativement à celles qui avaient une perspective plus négative. Le fait de prendre régulièrement soin de soi, par le biais du yoga et de la pleine conscience, combiné à de bonnes habitudes de sommeil, peut également contribuer à améliorer le bien-être mental. Il est essentiel de reconnaître les signes et les symptômes de la maladie mentale et d’être prêt à recourir à une aide professionnelle, le cas échéant. »

La vie prend un nouveau départ à 60 ans
La fondatrice de Top Sixty Over Sixty, Helen Hirsh Spence, a tiré des conclusions semblables sur la façon dont nous envisageons le vieillissement lorsqu’elle a atteint l’âge de la retraite. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à prendre pleinement conscience des effets néfastes de l’âgisme et des stéréotypes associés à la retraite.

« Des expressions telles que “bon à jeter aux oubliettes” ou “en vacances toute l’année” peuvent avoir un effet pernicieux, car elles renforcent les opinions négatives », a-t-elle déclaré. « Les personnes qui intériorisent ces clichés risquent de perdre leur raison d’être en vieillissant. Et comme le révèle la recherche, elles peuvent en conséquence abréger leur vie. »

À la fin de la soixantaine, après avoir mené une carrière dans le domaine de l’éducation, Mme Spence a mis sur pied une entreprise sociale à but lucratif, laquelle a pour but de lutter contre l’âgisme et d’exploiter les talents des personnes âgées au Canada. Elle croit que la plupart d’entre nous ont longtemps sous-estimé les personnes âgées et les contributions qu’elles peuvent offrir à la société.

« L’œuvre de ma vie est maintenant consacrée à rediriger les discussions vers le sujet du vieillissement », a-t-elle déclaré. Le projet Top Sixty Over Sixty comporte deux volets : d’abord, montrer aux entreprises et aux organisations comment tirer profit d’une main-d’œuvre diversifiée sur le plan de l’âge; puis, aider les personnes âgées à se réinventer avec assurance et dynamisme.

Conseils pratiques, fondés sur des données probantes
En raison de la pandémie, les niveaux d’isolement ont considérablement augmenté. Il est donc primordial d’adopter des habitudes qui protègent à la fois la santé physique et mentale. Pour aider les adultes âgés à protéger leur bien-être mental pendant la pandémie de COVID-19, la Commission de la santé mentale du Canada a fait équipe avec Dre Cassidy pour élaborer une fiche de conseils proposant des idées pratiques et fondées sur des données probantes. Par exemple, le premier conseil suggère de se concentrer sur ce que nous pouvons maîtriser, comme prendre soin de soi et intégrer des routines saines dans notre quotidien.

À l’aube de la cinquantaine, Dre Cassidy fait preuve de plus en plus de discipline lorsqu’il s’agit de prendre soin d’elle-même.

« Il est facile de se sentir dépassée par la pandémie en cours », dit-elle. « Pour remédier à cet état d’esprit, je mets en pratique le conseil de limiter mon exposition aux nouvelles, surtout juste avant d’aller dormir. Je prends également le temps de faire de l’exercice et d’exprimer ma gratitude, et je communique chaque semaine avec un groupe d’amis par vidéoconférence. Ces habitudes me permettent de conserver mon équilibre et d’apprécier les belles choses de la vie. »

Auteur:

Peter McKinnon

Bien qu’elle préférerait l’effacer de sa mémoire, la Dre Manon Charbonneau se souvient de tous les détails de cette journée.

« Alors ça y est, j’ai le cancer », avait-elle lâché, incrédule, les yeux rivés sur sa mammographie. Sa radiologue a confirmé le diagnostic, et en un clin d’œil, son monde s’est effondré.

Psychiatre clinique, la Dre Charbonneau a consacré une grande partie de sa vie à aider les autres. « Dès l’âge de cinq ans, j’ai voulu être médecin », raconte-t-elle.

Pourtant, la longue route qui s’ouvrait devant elle était barrée par un obstacle de taille. « Je répétais souvent que j’allais guérir le cancer quand je serais grande, mais c’est plutôt le cancer qui m’a attrapée. »

Au moment de son diagnostic, la Dre Charbonneau était en poste dans un hôpital rural du Québec. Et bien que son bagage médical l’avait préparée aux ravages que le cancer allait causer à son corps, elle ignorait que son esprit allait en souffrir tout autant. 

 La lutte contre la stigmatisation en héritage
Bien des années avant son diagnostic, la Dre Charbonneau avait été confrontée à une autre maladie débilitante : la dépression.

Manon Charbonneau

Manon Charbonneau

« J’étais tombée tellement bas que j’ai failli abandonner mon internat. Puis, un de mes professeurs m’a dit que quoi que je fasse, je ne devais jamais mentionner ma dépression parce que cela nuirait à ma carrière, relate-t-elle. J’ai suivi ce conseil. J’ai baissé la tête et je me suis tue. »

Sans en toucher un mot à qui que ce soit dans sa sphère professionnelle, la Dre Charbonneau a heureusement surmonté sa dépression. Puis sa carrière a pris son envol et elle est plus tard devenue présidente de l’Association des psychiatres du Canada (APC). À la fin de son mandat à la présidence de l’APC, en 2008, près de 20 ans après son premier combat contre la dépression, elle a décidé qu’il était temps de briser le silence.

Dans son ultime discours comme présidente de l’APC, la Dre Charbonneau a raconté son expérience de la dépression, à la stupéfaction de plusieurs membres de l’auditoire.

« À l’époque, personne ne parlait de ses propres problèmes de santé mentale, surtout pas les professionnels de la santé, souligne-t-elle. J’y ai vu l’occasion de changer les choses. »

Sa franchise a mené à la création du groupe de travail de l’APC sur la stigmatisation et la discrimination, qu’elle a présidé durant les dix années suivantes. « Le fait de raconter mon histoire a été pour moi un moyen de clore ma présidence à l’APC et de tourner la page sur ma dépression. »

Elle ignorait toutefois qu’elle recevrait au cours de la même année un diagnostic de cancer qui allait rouvrir la porte à la dépression.

Souffrir en silence
« Après mon diagnostic, tout s’est enclenché très rapidement », se rappelle la Dre Charbonneau. Très rapidement, elle a reçu un plan de traitement composé de chirurgie, de chimiothérapie et de radiothérapie.

Or, à mesure que les traitements intensifs dévastaient son corps, elle a remarqué des signes que la dépression réapparaissait. « C’était insidieux, dit-elle. Graduellement, mes pensées et mon humeur ont changé, jusqu’à ce que je sois engloutie par la dépression. »

Luttant contre le cancer du sein et un épisode de dépression majeure en même temps, la Dre Charbonneau a été frappée par le contraste saisissant entre les deux maladies.

« Le traitement contre le cancer est un peu comme une montgolfière rose. On se sent soulevée par toute l’aide, le financement, les beaux programmes, l’équipe qui s’occupe de nous au quotidien. Tout le monde unit ses efforts pour prendre soin de nous, affirme-t-elle. Pour la maladie mentale, il n’y a pas de montgolfière. »

Même dans le plan de traitement vigoureux que la Dre Charbonneau avait reçu pour soigner son cancer, les services psychologiques n’étaient pas au programme. « Lorsqu’il est question de santé mentale, les patients cancéreux sont largement laissés à eux-mêmes. »

La Dre Charbonneau n’est pas la seule à avoir fait face à une maladie mentale pendant sa lutte contre le cancer. Comme indiqué dans la récente fiche d’information préparée par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en collaboration avec le Partenariat canadien contre le cancer, on estime que la prévalence de la dépression et de l’anxiété chez les personnes traitées pour un cancer est au moins deux fois plus élevée que dans la population générale.

Au sujet d’une vaste étude menée auprès de survivants du cancer au Canada, la fiche d’information rapporte que près de 80 % des répondants ont vécu au moins un problème d’ordre émotionnel dans les trois ans qui ont suivi leur traitement et que, dans bien des cas, leurs besoins n’avaient pas été comblés.

Dans le cas de la Dre Charbonneau, l’écart entre les services anticancéreux et ceux ciblant la dépression s’étendait au-delà de son équipe de soins qui a fait de son mieux dans les limites du système de santé, souligne-t-elle.

Elle est d’avis que sur le plan social, nous envisageons la maladie mentale et la maladie physique d’un angle complètement différent. Ce constat l’a brutalement frappée un certain après-midi pendant son rétablissement.

« Un jour, je me suis réveillée d’une sieste et j’ai trouvé 19 bouquets de fleurs, 37 appels manqués et des dizaines de messages de soutien de la part d’amis, de collègues et même de patients, dit-elle, ajoutant qu’elle s’était demandé si elle était déjà morte. Mais aucun de ces messages n’évoquait ma santé mentale. »

Cet incident lui a rappelé avec éloquence que la stigmatisation entourant la maladie mentale était toujours bien présente.

« Les gens ne savent tout simplement pas quoi dire ou quoi faire lorsqu’un proche est aux prises avec la maladie mentale, alors ils ne disent rien, laisse-t-elle tomber. Sans soutien, on se sent bien seule sur la route du rétablissement. »

La force de l’espoir
Au cœur d’un deuxième épisode de dépression et d’éprouvants traitements contre le cancer, la Dre Charbonneau s’est retrouvée vidée de toute motivation. « Certains jours, j’étais incapable de même prendre une douche, et encore moins d’aller chercher de l’aide pour traiter ma dépression. »

Mais à la lumière de certaines conversations difficiles avec son mari et leurs deux enfants, elle a compris qu’elle ne pouvait plus balayer sa dépression sous le tapis. Pour se rétablir complètement, elle devait prendre soin de sa santé mentale.

Accompagnée par des professionnels pour surmonter la dépression pour une deuxième fois, la Dre Charbonneau a commencé à entrevoir une lueur d’espoir pour l’avenir, une lueur qu’elle juge cruciale pour le rétablissement. « À titre de professionnels de la santé mentale, une large part de notre travail est de faire naître l’espoir que le rétablissement est possible et qu’une meilleure qualité de vie vous attend. »

Elle a également puisé de l’espoir pour son rétablissement physique à une source inattendue, lorsqu’on l’a invitée à participer à une activité de bienfaisance qui aurait lieu presque un an plus tard. « Tout à coup, j’ai pensé que je n’allais peut-être pas mourir après tout. Je me suis dit que je resterais en vie pour assister à cet événement. Ça a été un moment décisif pour moi. »

Pour les personnes qui s’efforcent de surmonter une maladie grave, qu’elle soit mentale ou physique ou les deux, la Dre Charbonneau insiste sur l’importance de la vulnérabilité. « Prenez contact avec un proche en qui vous avez confiance et ouvrez-vous. C’est seulement en abordant vos sentiments avec honnêteté que vous pourrez aller mieux. Il y a de l’aide pour vous, pourvu que vous osiez la demander. »

Une agente de changement
Même pour la Dre Charbonneau, il n’a pas été aussi facile qu’elle aurait cru de se montrer vulnérable. Elle a hésité quand les représentants de Bell Cause pour la cause l’ont invitée à devenir ambassadrice de l’initiative et à faire le récit de sa dépression et de son cancer.

« Après avoir passé tant de temps sans raconter mon histoire, je devais vaincre mon autostigmatisation une fois de plus, dit-elle. Quand on travaille dans le domaine de la santé, il est difficile d’admettre que notre santé n’est pas optimale. Mais tous mes proches m’encourageaient à accepter, et ils avaient raison. C’est la vulnérabilité qui conduit au changement. »

Ce changement dans la perception de la maladie mentale est devenu le pilier du travail de sensibilisation de la Dre Charbonneau. En plus de son engagement auprès de Bell Cause pour la cause, elle a propagé son message comme membre du conseil d’administration de la CSMC (2013 à 2019), où elle est également formatrice pour le cours de Premiers soins en santé mentale.

Dans ses efforts pour réclamer des changements à tous les niveaux, des attitudes individuelles aux systèmes de santé en passant par les politiques publiques de façon générale, elle prend souvent appui sur sa propre expérience. « Je pense à cette belle grande montgolfière rose qui m’a portée tout au long de mon traitement contre le cancer, puis je me demande à quel moment les personnes aux prises avec la maladie mentale auront droit à la leur. Elle est où, leur montgolfière? »

Pour la Dre Charbonneau, la seule chose qui est plus forte que la volonté de trouver cette fameuse montgolfière est sa conviction que chacun de nous peut faire sa part. La puissance des gestes individuels est une immense source de motivation pour elle. Sa devise : Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde. « Nous sommes tous des agents de changement, affirme-t-elle. En modifiant notre façon de penser à la maladie mentale, d’en parler et de nous en soucier, nous pouvons susciter le changement que nous souhaitons voir. »

Auteur:

Amber St. Louis

Phoenix Residential Society : Renaître de ses cendres

J’ai joint Ian Morrison à son bureau de la filiale de Regina de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM). Diplômé en écriture comique, au Humber College, il enseigne aux gens une manière d’exploiter leurs expériences, avec la maladie mentale et la vie en général, à l’aide de sketches comiques.

« C’est tout ce que j’ai toujours voulu faire », a-t-il déclaré. « Juste raconter des blagues, faire rire les gens. »

Mais, il y a 12 ans, ce rêve me semblait aussi lointain que le rêve hollywoodien. Morrison s’est retrouvé dans un refuge de l’Armée du Salut, sans médicaments et sans solutions. « Honnêtement, je pensais que ma vie était finie. Cela aurait été le cas s’il n’y avait pas eu Phoenix [Residential Society]. »

Ici, il a fait une pause. « Je n’essaie pas d’être dramatique », a-t-il déclaré en faisant référence à la passion de sa vie. « Mais, si ce n’était pas pour Phoenix, je serais maintenant mort. C’est simplement la vérité. »

Dès son plus jeune âge, Morrison présentait des symptômes de maladie mentale. Ses troubles obsessionnels compulsifs (TOC), son déficit d’attention et ses difficultés d’apprentissage n’ont été diagnostiqués qu’à l’âge de 16 ans. Mais, il sentait depuis longtemps que ses schémas de pensée étaient différents de ceux des autres.

« Les gens ne comprennent pas à quel point les TOC entraînent des pensées si envahissantes et totalement hors de propos. Ensuite, ces pensées sont ruminées encore et encore. Cela devient un cercle vicieux. À 28 ans, je me sentais complètement déchu. »

En faillite et n’ayant nulle part où vivre, Morrison s’est finalement fait tendre une bouée de sauvetage qu’il n’a jamais relâchée.

La recette magique

Fondée en 1979, la Phoenix Residential Society a des origines modestes.

« Nous avons commencé avec une poignée de clients, environ neuf », a déclaré la directrice générale Sheila Wignes-Paton, qui travaille pour l’organisation depuis plus de 30 ans. « J’ai commencé en première ligne, en aidant des personnes à retrouver l’équilibre après avoir connu l’itinérance ou l’hospitalisation en raison d’une maladie mentale. La famille Phoenix, composée aujourd’hui de 190 personnes, s’est élargie pour inclure des personnes ayant des besoins divers, par exemple des personnes ayant des lésions cérébrales acquises ».

Mme Wignes-Paton a aussi déclaré que le succès de l’organisation ne reposait pas seulement sur les principes de rétablissement, qui donnent aux clients le respect et l’autodétermination nécessaires pour prendre en charge leurs propres soins, mais aussi sur un environnement qui encourage et soutient le personnel.

Pour Lynne Scott, membre du personnel de Phoenix qui travaille directement avec les résidents, ce type de soutien se veut une formation qui l’aide à gérer la pression psychologique liée au fait de soutenir des personnes au moment où elles se sentent particulièrement vulnérables.

« On nous apprend comment nous fixer des limites, recharger nos propres ressources émotionnelles et comprendre que nous ne pouvons rien verser à partir d’un verre vide », a laissé entendre Mme Scott, qui travaille pour Phoenix depuis plus de 15 ans.

« Le mandat de Lynne n’est pas insolite », a affirmé Mme Wignes-Paton. « Nous avons un rythme de croisière ici. Nous effectuons ce travail extrêmement important, qui est gratifiant en soi. Mais nous accordons également une grande importance à notre personnel. Ainsi, nous renforçons le message selon lequel le bien-être de chaque personne représente notre santé globale en tant qu’organisation. »

Pour Mme Scott, la recette du succès est simple, mais cela ne veut pas dire qu’elle est facile. « Nous accueillons les gens comme ils sont, et nous ne portons pas de jugement sur eux. Nous demeurons à leur écoute, nous leur posons des questions, et les résultats sont souvent surprenants. »

Un esprit ouvert et un cœur ouvert

Pour illustrer comment cela fonctionne, Mme Scott a décrit son expérience avec un jeune homme qui était arrivé épuisé, portant des vêtements en lambeaux et ayant besoin de prendre un bain. « Je m’étais dit qu’il faudrait peut-être commencer par mettre l’accent sur l’hygiène, mais j’avais attendu de voir comment les choses allaient se passer. »

Il se trouvait que le jeune homme vivait dans des conditions indécentes, n’ayant même pas accès à de l’eau potable. « Dès qu’une douche était disponible, il n’attendait jamais qu’on lui suggère de s’en servir », a ajouté Mme Scott, qui s’est également rappelé qu’il avait de la difficulté à se réveiller au début, ce qui le mettait souvent en retard pour la thérapie de groupe et d’autres réunions.

« Une consultation chez le médecin avait révélé un cas grave d’apnée du sommeil qui l’empêchait de passer une bonne nuit de repos. Après lui avoir procuré le traitement prescrit, il était désormais toujours à l’heure. »

Mme Scott a été témoin de ce genre de petites transformations à maintes reprises. « J’ai eu une fois un résident qui était arrivé avec des cheveux emmêlés et qui était en situation d’itinérance depuis un certain temps. Je lui avais demandé s’il voulait aller chez le coiffeur. Je n’avais pas eu à lui demander deux fois. »

Ce même résident avait tellement apprécié sa visite chez le coiffeur qu’il s’était acheté une tondeuse et avait commencé à s’exprimer par des styles créatifs. « Il avait les cheveux hérissés un jour, et adoptait un autre style le lendemain », dit Mme Scott en riant, qui admet ne jamais en finir d’être surprise par ce qui capte l’imagination des résidents et par l’immense joie qu’elle éprouve de les aider à explorer leurs champs d’intérêt.

La liberté d’explorer ses champs d’intérêt est exactement le type de soutien qui a conduit Morrison à être là où il en est aujourd’hui. « Je me souviens qu’après avoir quitté le refuge et être arrivé à Phoenix, mon assistante sociale m’avait demandé ce que j’aimerais faire », a-t-il dit. À l’époque, ayant une dépression et se sentant dépourvu de toute perspective, tout en étant reconnaissant d’être logé, Morrison avait répondu : « Je suppose qu’il faudra juste me trouver un autre emploi minable. »

Il n’avait pas osé rêver plus grand, et il n’avait pas cru que quelque chose de plus significatif pouvait se manifester à l’horizon. « Mais, je suis à jamais reconnaissant parce qu’elle [son assistante sociale] m’avait dit : « Je t’ai demandé ce que tu voulais faire ».

Morrison raconte qu’il avait lancé une boutade : « Je veux faire des sketches comiques », en s’attendant à une réponse sarcastique en exprimant son souhait le plus cher qu’il avait abandonné depuis déjà longtemps.

« Mais, elle m’a dit : d’accord, voyons comment tu peux faire ça. »

Un domicile, un emploi et un ami

Cette approche du rétablissement, axée sur l’autonomie de l’individu, est le cœur même de Phoenix. Non seulement Morrison s’était retrouvé à travailler au sein de l’ACSM qui répond à son désir de création, mais il est également en mesure d’aider les autres à trouver leur voix d’humoristes.

« J’ai un endroit où vivre, aussi longtemps que je le veux. J’ai un filet de sécurité qui est prêt à intervenir et à m’aider quand j’en ai besoin. Et je suis entouré de personnes qui peuvent combler les lacunes que je traîne peut-être encore. »

Morrison reconnaît que la gestion des médicaments peut représenter un défi pour lui. « Je prends 14 pilules par jour et je fais une injection toutes les deux semaines », a-t-il expliqué, un programme de traitement qui mettrait au défi n’importe lequel d’entre nous. Mais le personnel de Phoenix assure un suivi pour l’aider à garder le fil. Il admet aussi volontiers que son cerveau est davantage orienté vers les blagues que les finances. Les conseils financiers que lui prodigue Phoenix sont donc essentiels pour l’aider à maintenir son indépendance.

« Ils m’ont aidé à ouvrir un compte d’épargne », a déclaré M. Morrison. « Du coup, quand mon climatiseur est tombé soudainement en panne, j’avais des fonds pour couvrir les frais de réparation».

Cette victoire peut sembler modeste, mais le modèle de Phoenix est financièrement sain à tous points de vue.

Un investissement judicieux

En 2018, l’organisation a dressé une vue d’ensemble de son programme Logement d’abord financé par le gouvernement fédéral et destiné aux personnes en situation d’itinérance chronique ou périodique. Après avoir calculé l’argent des contribuables économisé en se basant sur 49 clients sur quatre ans, les chiffres ont montré que leur service d’hébergement et les mesures d’aide connexes coûtaient beaucoup moins cher pour les finances publiques comparativement aux fonds engagés dans le cadre des interventions de crise répétées.

« Nous savons que le programme Logement d’abord fonctionne », a affirmé Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada, qui a été chargée de mettre en œuvre le plus grand projet de recherche expérimental du genre. « En tant que comptable de métier, je peux voir la valeur des économies qu’un tel projet permet de réaliser. Mon côté compatissant ne me permet toutefois pas de mettre un prix sur l’espoir, la dignité et l’inclusion que procure un endroit sécuritaire où vivre. »

Les économies réalisées sont sans aucun doute significatives. Selon Phoenix, les coûts liés aux séjours à l’hôpital ont à eux seuls été réduits de plus de 335 000 dollars. Les dépenses liées aux consultations en salles d’urgence, trop coûteuses, tant en termes de ressources financières que de ressources humaines, sont passées de plus de 500 000 dollars à seulement 100 000 dollars. Mais la plus forte baisse concerne les coûts engagés pour offrir des séjours de désintoxication, qui ont été réduits d’environ un million de dollars.

« À vrai dire, nous passons davantage de temps à faire le travail plutôt qu’additionner des chiffres », reconnaît Mme Wignes-Paton. Pourtant, les résultats parlent d’eux-mêmes.

Qu’il s’agisse de logements propres, de possibilités de bénévolat, de thérapies de groupe, de soutien par les pairs, de conseils financiers ou de gestion des médicaments, Phoenix adapte ses services aux besoins des résidents, afin qu’ils reçoivent des soins personnalisés qui peuvent être ajustés au fil du temps.

« Les gens peuvent penser que le rétablissement signifie redevenir exactement comme avant de tomber malade », a expliqué Mme Scott. « Mais ce n’est pas forcément le cas. Morrison a connu un succès extraordinaire à tous points de vue en faisant un travail utile et en améliorant la vie de tous les jours. Mais, le rétablissement peut prendre une trajectoire tout à fait différente pour une autre personne. »

Cela est l’une des raisons pour lesquelles l’approche de Phoenix célèbre les petites victoires, offre un filet de sécurité pour les revers (prévus) et, surtout, fournit aux personnes qui en ont besoin un endroit bien à elles.

« Lorsque j’étais à Saskatoon, se souvient Morrison, j’ai été mis à la porte de deux pensionnats en une seule journée, simplement parce que j’avais mentionné que mes médicaments me fatiguaient. Ce sentiment d’être indésirable et indigne demeure vif. Il y a tellement de fausses idées sur les personnes vivant avec une maladie mentale. C’est frustrant et blessant », a-t-il déclaré.

Du haut de ses six pieds quatre et de ses plus de 200 livres, Morrison donne l’impression d’être un gentil géant qui ne demande qu’à vivre ses journées en faisant rire les gens et en leur apprenant à rire d’eux-mêmes.

« Aux côtés de Phoenix, le rire est le meilleur remède. Mais je ne pouvais pas avoir l’un sans l’autre. »

Suzanne Westover

Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.

illustrateur : Remie Geoffroi w: remgeo.com ig: @remgeo

Un ciel incertain

Lorsque la planète s’est confinée au début de 2020, des industries partout dans le monde ont été contraintes de poursuivre leurs activités dans un contexte de pandémie.

Peu de secteurs ont été frappés aussi durement que l’industrie de l’aviation, où plusieurs entreprises ont dû mettre à pied des milliers de travailleurs dans le but de demeurer compétitives dans un contexte où les mesures entourant les voyages changeaient constamment en raison de la COVID-19.

Lisa Dodwell-Greaves, gestionnaire du bien-être organisationnel chez WestJet, raconte l’expérience angoissante vécue au sein de son organisation.

« En mars 2020, nous comptions 14 000 employés. En juillet, nous n’étions plus que 4 300. Ces premiers mois ont apporté beaucoup d’incertitude. Nous devions redéfinir la structure organisationnelle et conserver seulement un équipage minimal pour faire fonctionner la machine. »

Pendant que les employés mis à pied cherchaient un nouveau gagne-pain dans un marché du travail anémique, ceux qui restaient étaient soumis à un horaire prolongé, à un stress accru et à la culpabilité d’avoir conservé leur emploi rémunéré alors que leurs amis et collègues avaient dû quitter.

Dans ce contexte, Mme Dodwell-Greaves savait qu’elle aurait un rôle primordial à jouer pour préserver le bien-être mental des employés et la culture du milieu de travail – dans cet ordre. « Une entreprise ne peut pas faire preuve de résilience si les individus qui la composent ne sont pas résilients aussi », soutient-elle.

Un besoin de soutien

Même en temps normal, le travail dans l’industrie du voyage peut comporter son lot de stress. Avec l’incertitude supplémentaire apportée par la pandémie, les employés étaient de plus en plus souvent confrontés à des voyageurs exaspérés. « Les travailleurs qui interagissent avec le public ont subi énormément d’agression dans les premiers jours de la pandémie », relate Mme Dodwell-Greaves.

Les pilotes et les agents de bord ont été repoussés par des entreprises et ostracisés par leurs amis et leur famille à cause de leurs contacts avec les passagers. Craignant pour leur propre bien-être physique, ils se demandaient s’il était sécuritaire de se présenter au travail.

Malheureusement, ce genre de situation devient chose courante à mesure que la pandémie progresse. Dans ces conditions, les entreprises jugent désormais de plus en plus crucial de protéger leurs employés de tout préjudice et de leur fournir un soutien psychologique et social.

Chez WestJet, ces objectifs étaient déjà sur le radar avant l’arrivée de la pandémie.

L’élaboration d’une stratégie

Au début de 2020, WestJet s’est engagée à adopter la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques et à multiplier les initiatives visant à soutenir les employés et leur bien-être mental. Si la pandémie a interféré avec la mise en œuvre de son plan initial, l’entreprise a néanmoins été en mesure de progresser dans la bonne direction.

« La stratégie que nous avons préparée portait sur les trois à cinq prochaines années, indique Mme Dodwell-Greaves. Nous avons saisi le vaste concept de la Norme et l’avons réparti en pièces détachées pouvant rapporter rapidement des dividendes. Nous avons mis en place des mesures faisant en sorte que les employés se sentent entendus et appuyés. En parallèle, nous avons lancé des initiatives permettant à nos dirigeants de leur fournir une aide plus substantielle. »

L’entreprise a également instauré un éventail d’autres programmes et avantages pour son personnel. En août 2019, avant même la pandémie de COVID-19, à partir de données tirées d’une analyse des réclamations pour des invalidités de courte et de longue durée, WestJet a repéré les secteurs où l’aide devait être accrue et où la couverture des services de psychothérapie, de psychologie et de counseling devait être élargie pour tous les employés admissibles.

L’adoption hâtive d’une vaste stratégie de bien-être mental par WestJet a permis à l’entreprise d’intégrer de nouvelles initiatives essentielles dans sa réponse à la pandémie. Et un des principaux programmes a démarré au sein de l’équipe de direction.

Un déploiement du sommet vers la base

En 2021, WestJet a intensifié les efforts qu’elle consacrait au bien-être mental en offrant à ses gestionnaires la formation L’esprit au travail, un cours de la Commission de la santé mentale du Canada fondé sur des données probantes et conçu pour réduire la stigmatisation entourant la maladie mentale dans les milieux de travail.

« Avant de proposer des mesures s’adressant à nos travailleurs, explique Mme Dodwell-Greaves, nous voulions nous assurer que nos gestionnaires savaient comment leur venir en aide. S’ils sentent le soutien de l’équipe de direction, les employés auront la certitude que l’entreprise est investie dans leur bien-être mental. »

« Cela fait partie d’une stratégie plus vaste sur la santé mentale qui ne se limite pas à nos employés, ajoute-t-elle. Elle inclut nos clients, et même les communautés que nous servons. »

Au cours de la prochaine année, WestJet entend accroître le nombre d’employés formés pour promouvoir la santé mentale et lutter contre la stigmatisation dans le milieu de travail.

Étude de cas : WestJet

Auteur:

Eric Gronke

Diplômé de la Sprott School of Business de l’Université Carleton, Eric possède une vaste expérience du marketing et des communications dans le monde du sport et du divertissement. Eric est le cofondateur de mssn, une marque dédiée à la collecte de fonds et à la sensibilisation à la santé mentale au bénéfice des jeunes dans la région d’Ottawa.

Les recherches menées par le personnel de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en matière de santé mentale à la petite enfance ont incité les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) à lancer une nouvelle initiative de financement totalisant plusieurs millions de dollars. Ce printemps, l’Institut du développement et de la santé des enfants et des adolescents (IDSEA) chapeauté par les IRSC prévoit la publication d’un appel de propositions consacré à la santé mentale des jeunes enfants.

Pour Ed Mantler, vice-président des programmes et priorités de la CSMC, cette nouvelle possibilité de recherche constitue une excellente nouvelle. « En plus de mettre en lumière les profonds retentissements de notre travail, la recherche témoigne de l’importance de ce que nous accomplissons et contribue à faire progresser la question de la santé mentale pour l’ensemble de la population canadienne. »

Bien que les détails de l’initiative n’aient pas encore été divulgués, l’appel de propositions devrait privilégier la recherche axée sur les façons d’améliorer la mise en œuvre d’interventions en santé mentale fondées sur des données probantes auprès des enfants de cinq ans et moins (incluant leurs soignants).

Combler les lacunes actuelles de la recherche

Un élément clé du mandat de la CSMC est de faciliter la mise en place de milieux qui favorisent le développement positif, la bonne santé mentale et la résilience tout au long de la vie d’une personne. Lorsqu’il s’agit d’enfants de moins de six ans, il existe peu de programmes de santé mentale ayant fait l’objet de recherches et d’évaluations adéquates, et encore moins de programmes axés sur des populations parents-enfants ciblées.

« La santé mentale à la petite enfance est un sujet qui n’est pas suffisamment appuyé », a déclaré Brandon Hey, conseiller principal en recherche et politiques à la CSMC. « Il y a de plus en plus de recherches, mais relativement peu de soutien en termes de programmes, de politiques, de financement alloué, de priorisation et de mise en œuvre des données probantes dans les pratiques. »

Au cours des dernières années, M. Hey a fait partie d’une équipe de la CSMC qui a recensé les programmes, services et fournisseurs de services de santé mentale pour la petite enfance. En 2020, l’équipe a publié un rapport sur la portée des recherches, ainsi qu’un résumé d’une page, puis s’est occupée de la tenue d’une table ronde à Vancouver. Pour l’occasion, le forum « Tisser des liens » a réuni des représentants issus de nombreuses organisations : gouvernements fédéral et provinciaux, associations médicales et groupes indépendants de recherche et de défense des droits. Parmi les délégués se trouvait la Dre Christine Chambers, titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 1, qui est également directrice scientifique de l’IDSEA.

Reconnaissant les retombées de cet événement sur le nouveau programme de recherche, Mme Chambers a souligné que « les lacunes et les priorités mises en évidence par la CSMC et abordées dans le cadre du forum concordent tout à fait avec notre Institut et notre mandat. Nous sommes maintenant ravis de pouvoir tirer parti de ces travaux, ainsi que d’autres apports fondamentaux, et de les utiliser dans l’élaboration d’une nouvelle initiative de financement. »

Relier les connaissances au développement humain

Ce qui distingue les projets de recherche de l’IDSEA, c’est qu’ils sont axés sur les enfants et les familles plutôt que sur une maladie ou un organe particulier. L’institut privilégie les partenariats et s’efforce d’accélérer l’application des nouvelles connaissances liées au développement humain, notamment les facteurs biologiques, comportementaux et sociaux.

« Il est gratifiant de savoir que nos efforts initiaux seront poursuivis, » a déclaré M. Mantler. « L’annonce du financement des IRSC appuie également le modèle visant à “renseigner, inspirer et améliorer” que nous avons énoncé dans notre nouveau plan stratégique. Nos travaux sur la santé mentale à la petite enfance ont incité les IRSC à financer des recherches qui permettront une amélioration des connaissances et des programmes. »

Des recherches plus poussées sur la santé mentale des jeunes enfants sont particulièrement importantes à la lumière de la crise de la COVID-19. En raison des fermetures temporaires d’écoles et de garderies, de nombreux jeunes enfants ont eu moins d’occasions de socialiser avec leurs pairs. Dans un contexte où l’anxiété au Canada est perçue comme étant plus élevée que d’habitude, ce manque relatif d’interaction représente un facteur de stress accru pour ces enfants et leurs familles.

En 2021, un document d’information a été rédigé à ce sujet par M. Hey et son équipe, en partenariat avec la Société canadienne de pédiatrie (SCP); on y expose ce que les tensions provoquées par la pandémie peuvent signifier, notamment les répercussions sur le rôle parental, les conflits familiaux et le développement précoce du cerveau. À la lumière des besoins en matière de santé mentale exacerbés par la crise de la COVID-19, le document propose des conseils aux responsables des politiques, aux planificateurs de systèmes et aux décideurs sur les diverses façons de protéger les nourrissons, les jeunes enfants et leurs familles.

« Les liens établis avec des organisations comme les IRSC et la SCP permettent non seulement de valider le travail de la CSMC, mais aussi de s’assurer que nos efforts améliorent la santé et le bien-être de tous les Canadiens », a déclaré M. Mantler.

Auteur:

Peter McKinnon

Réécrire les récits personnels teintés de racisme contre les personnes noires

« Quel soulagement que vous soyez Noire! »

Donna Richards

Donna Richards

Ce sont les premiers mots prononcés par la nouvelle cliente de Donna Richards. Faisant partie des rares cliniciens africains, caribéens et noirs (ACN) travaillant au Programme d’aide aux employés (PAE) et des quelques psychothérapeutes ACN au Canada, elle a souvent entendu cette remarque.

À mesure que sa cliente énumère les difficultés qu’elle rencontre au travail, un autre sentiment familier émerge : l’épuisement. Pas l’épuisement causé par les longues journées et le manque de repos, mais l’épuisement psychologique dû aux microagressions raciales, ces petits actes insidieux de racisme contre les personnes noires qui commencent à peser lourd.

La cliente raconte ne pas avoir reçu des promotions qu’elle méritait pourtant, avoir vu des collègues s’attribuer le mérite pour ses réalisations et même avoir subi des railleries pour avoir participé à une manifestation du mouvement Black Lives Matter.

Lorsqu’elle demande à sa cliente s’il lui serait possible d’en parler à son travail, Mme Richards connaît déjà la réponse.

« Ça ne sert à rien. Personne ne s’en soucie. Rien ne changera jamais. »

Et elle sait qu’il n’est pas facile de désapprendre cette croyance. 

Le supplice de la goutte d’eau

Rohan Thompson

Rohan Thompson

De l’avis de Rohan Thompson, psychothérapeute en cabinet privé exerçant principalement auprès d’hommes et d’adolescents ACN, les effets cumulatifs des microagressions raciales se manifestent tous les jours.

« Souvent, les clients viennent me consulter après une crise, explique-t-il. Ils ne demandent pas d’aide toutes les fois qu’ils sont mis de côté, diminués, humiliés. Ils le font lorsque l’effet combiné de tous ces incidents a mené à un problème de santé mentale beaucoup plus grave. C’est comme le supplice de la goutte d’eau. »

Ces problèmes vont du stress intense à la dépression en passant par l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique, entre autres.

Mme Richards a constaté un effet semblable dans son travail. « Chaque geste de discrimination, si infime soit-il, même s’il est voilé ou fondé sur une bonne intention, laisse une trace invisible. Et lorsqu’ils sont minimisés ou passés sous silence, on envoie le message que ces incidents et ces traces n’ont pas d’importance, explique-t-elle. J’ai vu bien des gens perdre leur estime d’eux-mêmes à force de recevoir ce message, puis s’automédicamenter pour s’en sortir. »

La disparité dans la perception du racisme contre les personnes noires dépasse largement le cadre des milieux de travail. Dans une enquête menée en 2019, alors que près de la moitié des participants convenaient que la discrimination contre les Noirs au Canada ne constituait plus un problème, 83 % des participants noirs ont affirmé qu’ils étaient traités injustement au moins occasionnellement.

Comme le souligne Mme Richards, peu importe que cet écart soit causé par une réelle ignorance ou par le déni, ses répercussions sont coûteuses. « Quelques-uns de mes clients ont quitté leur emploi parce qu’ils craignaient les représailles après avoir dénoncé certains comportements ou demandé des comptes à leur employeur. Pour bien des gens, le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle. »

Il n’est pas difficile de concevoir qu’une discrimination systématique perpétuelle conjuguée au manque de reconnaissance peut engendrer un sentiment de résignation, autant au sens figuré qu’au sens propre. Mais au-delà des brûlures causées par les microagressions répétées, un bûcher transformationnel est prêt à être allumé pour opérer un changement de paradigme.

Le mythe de la méritocratie

« On enseigne aux enfants que s’ils travaillent fort, ils récolteront du succès. Mais pour les personnes noires, ce n’est pas aussi simple, affirme M. Thompson, soulignant la puissance d’un véritable changement dans notre perception de l’égalité et du succès.

« Quand mes clients me racontent ce qu’ils vivent à leur travail, ils ne se rendent pas toujours compte qu’il s’agit de racisme dirigé contre les Noirs. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils ont l’impression de porter un lourd fardeau parce qu’ils sont négligés, sous-utilisés et traités comme étant inférieurs à leurs pairs », explique-t-il. « Je vois énormément d’anxiété intense et d’autoaccusation chez les clients qui adhèrent au mythe de la méritocratie parce que leurs efforts ne produisent pas les résultats escomptés. Puis soudainement, ils se rendent compte que leur expérience n’est pas unique et qu’elle n’est pas causée par leur insuffisance. »

Pour bien des clients de M. Thompson, la reconnaissance que leurs expériences négatives découlent de problèmes systémiques plus vastes est éclairant et valide leurs sentiments, mais le chemin vers cette prise de conscience est ardu.

Souvent, M. Thompson présente des données à ses clients et utilise les statistiques pour réécrire avec eux l’historique de leur remise en question. Il met en relief diverses statistiques démontrant que les diplômés universitaires ACN gagnent seulement 80 cents pour chaque dollar touché par les diplômés universitaires blancs ayant les mêmes titres et compétences.

Il relate les recherches choquantes montrant que les candidats qui « semblent » blancs sur leur CV sont convoqués en entrevue jusqu’à trois fois plus souvent — toujours à qualifications égales — que les candidats qui « semblent » noirs.

Ces chiffres, additionnés aux données selon lesquelles les dirigeants ACN occupent moins d’un pour cent des postes de direction dans les grandes entreprises canadiennes, brossent le portrait d’un terrain de jeu fondamentalement inégal.

La sous-représentation commence dès l’enfance

Or, la faible représentation des personnes ACN ne se borne pas aux cadres d’entreprises, poursuit Mme Richards. « À titre d’exemple, j’aurais voulu exercer la psychothérapie plus tôt, mais dans les milieux cliniques, je ne voyais personne qui me ressemblait, ce qui m’a fait comprendre que je n’y avais pas ma place, comme femme ACN. »

Bien avant les établissements postsecondaires, la sous-représentation ACN parmi le personnel d’enseignement, de direction et d’orientation projette une image faussée des possibilités qui s’offrent aux jeunes racialisés. Avec une proportion de personnes ACN deux fois moins élevée chez les enseignants que chez les élèves (en pourcentage de la population), la disparité saute aux yeux, même pour un enfant.

« Les élèves doivent avoir accès à des orienteurs noirs dès le primaire », affirme Mme Richards. Elle ajoute qu’au fil de leur parcours scolaire, les étudiants ACN sont rarement encouragés à choisir une profession clinique. Cet écart contribue à l’extrême pénurie de psychothérapeutes ACN au Canada.

Comme ancien directeur adjoint de l’équité et des partenariats communautaires au Conseil scolaire du district de Peel, M. Thompson convient sans réserve qu’il faut accroître la représentation ACN dans les écoles.

« Bien souvent, le mythe de la méritocratie et les comportements autodestructeurs qui en découlent naissent dans les écoles. » Des données recueillies dans les écoles secondaires de Toronto montrent que les élèves ACN sont suspendus et expulsés en nombre disproportionné et qu’ils reçoivent deux fois moins de mentions d’excellence de leurs enseignants que les autres élèves, même lorsqu’ils obtiennent les mêmes scores aux tests normalisés.

En outre, des études révèlent que le fait d’avoir un enseignant ACN augmente la probabilité que les élèves entreprennent des études postsecondaires et diminue le risque de décrochage.

Mais comme l’explique M. Thompson, la présence de personnes ACN dans le système scolaire ne suffit pas si les écoles ne s’attaquent pas ouvertement au racisme chez le personnel. « Comment les enseignants noirs peuvent-ils soutenir leurs élèves si personne ne les soutient? »

Donner des outils aux employeurs

Mme Richards est fascinée par le potentiel des employeurs à générer des changements transformationnels dans les milieux de travail, admettant du même souffle qu’il y a beaucoup à faire. « L’inclusion et les formations sur la diversité sont une bonne première étape, mais il faudra beaucoup plus qu’un cours ponctuel pour créer un réel changement. La diversité doit faire partie intégrante de notre façon de travailler, soutient-elle. Les employeurs doivent prendre conscience de leur manière d’interagir avec leurs employés et donner l’exemple. Pour cela, ils doivent prendre le temps d’apprendre à connaître leurs employés et faire preuve d’un esprit critique face à leurs propres préjugés. »

Pour espérer modifier les comportements à l’échelle de leur organisation, ajoute Mme Richards, les employeurs doivent être prêts à exiger que tous adhèrent à des normes plus élevées. « La responsabilisation est incontournable. Il ne s’agit pas seulement de créer de nouvelles occasions d’apprendre et de s’améliorer. Il faut aussi prendre en main les personnes, les pratiques d’embauche, les comportements et les politiques qui perpétuent la culture du racisme. »

De surcroît, Mme Richards indique que les employeurs ont intérêt à élargir la couverture de services psychologiques, puisque très peu de travailleurs, qu’ils fassent partie de la communauté ACN ou non, peuvent se permettre la psychothérapie sans une assurance privée.

Dans son récent document d’information Braquer la lumière sur la santé mentale dans les communautés noires, la Commission de la santé mentale du Canada montre que l’abordabilité constitue un des principaux obstacles à l’obtention de services psychologiques. Compte tenu du revenu moyen inférieur des travailleurs ACN, il est d’autant plus crucial d’améliorer la couverture de ces services pour eux.

Même dans ses fonctions au PAE, Mme Richards signale que la couverture offerte est souvent insuffisante pour répondre aux besoins des clients. « Pour une personne qui souffre de traumatismes raciaux depuis des dizaines d’années, une poignée de séances dans le PAE ne permettra pas de faire un travail en profondeur. Pour aider les personnes ACN à remonter à la source de leurs problèmes et à entreprendre une véritable guérison, il faut leur offrir un soutien de plus longue durée. »

Réécrire la fin de l’histoire

Mme Richards et M. Thompson sont unanimes : pour les personnes qui demandent une aide professionnelle en santé mentale, le parcours de consultation exige un important travail de reconstruction.

« Les gens doivent d’abord déconstruire leurs expériences individuelles et reconnaître les répercussions qu’ils ont vécues, et ce processus peut être éprouvant, souligne Mme Richards. Mais ils apprennent à tirer des leçons de ces expériences et se rendent graduellement compte qu’ils ne valent pas moins que leur voisin, qu’ils sont au moins aussi importants. »

Pour M. Thompson, l’une des plus importantes fonctions de la thérapie est de cultiver la joie. Il invite souvent ses clients à réfléchir à ce qui leur procure de la joie et à faire une plus grande place à ces choses dans leur vie.

« En fin de compte, j’essaie d’accroître leur résilience et de leur inspirer un sentiment de contrôle, explique-t-il. Je veux faire comprendre à mes clients qu’en dépit de ce que la société leur a enseigné, leur expérience a de la valeur, ils sont importants et ils ont le pouvoir de changer leur vie. »

Auteur:

Amber St. Louis

Illustrateur : Dorcas Markwei of, LynSow Creative

La CSMC intervient en proposant une ressource pour aider les parents à soutenir le retour à l’école de leurs enfants.

Mon téléphone sonna. Puis, s’en suit un message texte. C’était un lundi matin et mon amie « Sarah » devait être au travail. C’est bizarre, ai-je pensé.

« Hé, tout va bien? », lui ai-je demandé quand je repris mes esprits.

Silence. Une toux. Puis, après d’interminables moments, « une attente » déstabilisante. Une autre toux grinçante, à gorge profonde. Suivie par un sanglot. « Julia a la COVID. » Une pause. « Je suis sûre que nous l’avons tous aussi. » À entendre sa voix, elle semblait tellement malade, étais-je surprise. Son mari et elle ont tous deux reçu leurs deux doses de vaccin. J’ai essayé d’imaginer à quel point ils pourraient se sentir mal s’ils n’étaient pas vaccinés.

Puis, voici dévoilée toute l’histoire, comme mise à nu par des dominos tombant les uns après les autres. Julia a eu de la fièvre un vendredi soir à la mi-septembre. Mais ses symptômes physiques ont au début été le dernier des soucis de Sarah.

Les retombées émotionnelles de la COVID
« Tu ne peux pas me faire un câlin maman », a dit Julia quand Sarah a commencé à la réconforter. « Les enfants de ma classe ne savent pas toujours garder leurs masques. J’ai oublié aujourd’hui et j’ai parlé pendant le dîner. Je pourrais te rendre malade. Tu dois rester loin de moi. »

Bien que Sarah travaille dans un domaine qui lui permet de reconnaître les signes et les symptômes de l’anxiété, elle a expliqué que le fait de connaître quelque chose au niveau clinique n’est pas toujours utile lorsqu’on est un parent qui s’enfonce dans le bourbier de la pandémie, et Sarah n’est pas la seule à penser ainsi.

Prenons l’exemple d’une recherche récente de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), en partenariat avec la Société canadienne de pédiatrie, qui a révélé que 61 % des parents sont très ou extrêmement préoccupés par la gestion du comportement, de l’anxiété, des émotions et du stress de leur enfant.

« Je dois soutenir mes enfants tout en gérant mes propres émotions. Je suis tellement frustrée et en colère. Nous avons fait tout ce qu’il fallait », a affirmé Sarah, évoquant les contacts sociaux limités de sa famille et l’achat de masques N95 pour ses deux filles, âgées de six et de neuf ans, afin qu’elles les apportent à l’école. « Je ne me sens pas honteuse que nous n’ayons pas échappé à ce monstre. Mais, je me préoccupe de la manière de gérer les séquelles à long terme, non seulement en termes de symptômes physiques potentiels persistants, mais aussi en ce qui concerne comment apprendre à mes enfants à naviguer dans cette réalité sans stress ni inquiétude excessifs. »

Miser sur un partenariat précieux
Le mois de septembre, dans un monde d’après vaccination, était censé porter la promesse d’un retour à la normale. Malgré l’euphorie au début du retour en classe, une nouvelle réalité s’est imposée, en l’occurrence, celle qui consiste à aider les enfants à gérer leurs émotions à mesure que la COVID continue de laisser son empreinte sur les communautés scolaires.

Le président-directeur général de la CSMC, Michel Rodrigue, a rappelé que les membres de la Commission savaient que les parents seraient confrontés à des difficultés cette année. « C’est pour cette raison que nous avons publié à l’automne une fiche de conseils sur comment soutenir les jeunes qui retournent à l’école. Cette fiche visait à aider les parents et les soignants dans ces moments difficiles, ces moments dans lesquels nous sommes tous, et où nous avons besoin de mots de soutien et de réconfort. »

Pour créer cette fiche de conseils, la CSMC s’est associée avec l’Institut des Familles Solides, un important prestataire de formations comportementales basées sur les compétences. Nous l’avons ensuite résumé en quelques conseils et astuces clés à coller sur un réfrigérateur ou à glisser dans le sac à dos d’un enfant en difficulté.

« Il est important que nous soyons prêts à faire participer les enfants à leur manière », a déclaré la Dre Patricia Lingley-Pottie, présidente-directrice générale de l’Institut des Familles Solides. « Il est maintenant temps de surveiller tout écart dans le comportement des enfants. S’ils semblent perturbés et inquiets ou s’ils montrent des changements d’humeur et de tendances sociales, cela pourrait représenter des signes de détérioration de leur santé mentale. »

Une perspective nouvelle
Dre Lingley-Pottie conseille aux parents et aux enseignants d’aborder le sujet avec les jeunes de manière informelle en engageant de préférence des conversations « côte-à-côte », en les écoutant sans émettre de jugements et en leur rappelant qu’il est normal de se sentir mal à l’aise et qu’ils ne sont pas seuls, puisque beaucoup de leurs amis et même d’adultes éprouvent les mêmes sentiments.

Ce sont des techniques que Sarah a commencé à utiliser avec ses filles. « Certains jours sont meilleurs que d’autres, mais nous essayons de maintenir la conversation, en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit pas de questions qui se règlent en un seul jour. À certains moments, ma fille aînée veut parler longuement de ses sentiments, mais à d’autres moments, elle ne veut rien d’autre que se distraire, regarder un film ou jouer à un jeu. »

Dre Lingley-Pottie approuve une telle approche. « En plus d’être disponible pour écouter les jeunes, il est également important de leur parler de vos propres sentiments. » En montrant comment vous, en tant que parent, gérez efficacement le stress, explique-t-elle, vous donnez l’exemple du type de résilience que les enfants peuvent imiter.

En fin de compte, les techniques de la fiche de conseils qui sont en apparence simples renforcent l’importance d’aider les enfants et les jeunes à acquérir la confiance nécessaire pour faire face aux situations difficiles, ainsi que le vocabulaire pour en discuter ouvertement.

Pour la Dre Lingley-Pottie, « il est important de rester vigilant pour relever toute anxiété éventuelle qui perturbe de manière persistante la vie d’un enfant afin d’empêcher une anxiété ou une dépression plus grave de s’installer. Nous avons appris à l’institut des Familles Solides que les compétences qui favorisent une bonne santé mentale dès la petite enfance sont tout aussi importantes que le programme scolaire. »

Sarah abonde dans le même sens. « Mes enfants ont alterné entre l’école virtuelle et présentielle ces dernières semaines. Manquent-ils certains de leurs devoirs? Bien sûr que oui! Mais nous adoptons l’approche selon laquelle la priorité est de rester en bonne santé mentale. Bien que je ne souhaiterais à personne de contracter la COVID, cette période représente une occasion pour nous investir dans le bien-être mental de nos enfants ».

Suzanne Westover

Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.

Nouvel outil pour favoriser le bien-être mental après des démêlés avec la justice

Lorsque Mo Korchinski est sortie de prison, elle n’a reçu aucune trousse d’outils pour l’aider à reprendre sa vie en main. Il n’y avait pas de guide expliquant comment s’adapter à une autonomie retrouvée. Comme plusieurs personnes avant elle, on lui a simplement remis un sac de plastique contenant ses effets personnels et un billet pour retourner d’où elle venait.

« Beaucoup de gens qui vont en prison arrivent avec un peu plus que les vêtements qu’ils portent. Ils arrivent accompagnés des traumatismes du passé et, souvent, d’une maladie mentale, d’une dépendance à des substances, ou les deux », explique Mme Korshinski qui est maintenant directrice générale de la Unlocking the Gates Services Society. « Cela ne signifie pas que l’on doit considérer que nous ne valons pas la peine d’être aidés. Bon nombre d’entre nous ont connu des moments difficiles ou ont perdu pied. L’incarcération devrait permettre d’aider les gens à faire de meilleurs choix. On devrait leur apprendre à suivre une nouvelle voie, celle de la réinsertion. »

Malheureusement, le manque de ressources, de même qu’une coordination incohérente entre les soins de santé des milieux correctionnels, les soins de santé à l’extérieur du système carcéral et les services sociaux en général contribuent à ce que plusieurs se retrouvent sans soutien autant lorsqu’ils sont en prison que lorsqu’ils en sortent.

Un tel manque de soutien entraîne des conséquences réelles, surtout si l’on tient compte de l’usage de substances et des maladies mentales au sein des populations carcérales du pays. Une nouvelle recherche menée par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) étudie les vulnérabilités dans les établissements correctionnels du Canada et montre que 65 % à 70 % des personnes incarcérées vivent avec des problèmes d’usage de substances. Dans une précédente étude de la CSMC, on a démontré que 73 % des hommes détenus dans une prison fédérale et 79 % des femmes détenues dans une prison fédérale avaient au moins une maladie ou un problème de santé mentale.

Bien entendu, quand une personne est libérée, ces problèmes de santé mentale et d’usage de substances ne disparaissent pas; dans la majorité des cas, tout le soutien obtenu à l’intérieur des murs cesse brusquement.

Nouvelle orientation et nouveau répertoire
Afin de combler les lacunes, la CSMC vient de publier un répertoire détaillé contenant une liste des programmes en santé mentale et usage de substances dans chaque province et territoire pour les personnes qui sortent du système de justice pénale, leurs réseaux de soutien et les fournisseurs de soins de première ligne.

En plus des coordonnées des personnes-ressources et d’une brève description de chacun des services, ce répertoire interactif met en lumière les ressources mises à la disposition des populations prioritaires. Pour s’assurer que les personnes accèdent à la liste de services de soutien la plus appropriée et la plus complète possible, le répertoire sera mis à jour périodiquement.

Pour Emilie Coyle, directrice générale de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, un tel répertoire devrait avoir un impact positif auprès des personnes en transition. « Cela peut être déconcertant d’essayer de rétablir des liens dans la communauté ou d’en créer de nouveaux », explique-t-elle. « Le fait de pouvoir chercher l’aide qui se trouve à proximité et qui est adaptée à vos besoins élimine une grande partie de l’incertitude dans cette expérience qui s’avère déjà assez déstabilisante. Les mesures de soutien peuvent réduire les sentiments de frustration, d’abandon et de solitude en les remplaçant par des sentiments de sécurité, d’espoir et de motivation. »

Se débrouiller en pleine pandémie
Pour ceux et celles qui retournent dans la collectivité pendant la pandémie, il peut être particulièrement difficile de trouver de l’aide pour réintégrer la société.

« Les mesures de santé publique en place, comme la distanciation sociale, la suspension ou la fermeture de programmes en présentiel (y compris les services de réduction des méfaits) ainsi que l’accès limité aux services d’aide au logement, peuvent contribuer à empirer les risques et les obstacles auxquels les personnes en transition doivent faire face en dehors du milieu correctionnel, » précise Sandra Koppert, directrice à la CSMC, Promotion de la santé mentale.

Grâce à ce nouvel outil, Mme Koppert et son équipe espèrent offrir aux personnes qui ont eu des démêlés avec la justice une solide base pour refaire leur vie.

« Essayer de cheminer dans les services de santé mentale et d’usage de substances existants peut s’avérer une lourde tâche et la pandémie rend les choses encore plus difficiles, » ajoute-t-elle. « Pour une personne qui sort d’un établissement correctionnel, cela ajoute plus d’obstacles pour tenter d’entreprendre un nouveau chapitre. L’objectif du répertoire consiste à faciliter un peu le processus permettant de passer à autre chose. »

Pour Mme Korchinski, le fait d’aider les gens à réintégrer la société n’est pas seulement important, c’est essentiel. « Les gens ont besoin de nourriture, de vêtements, d’un abri et de soutien le jour de leur libération et non d’être mis à la rue sans endroit où aller. En aidant les gens dans leur cheminement lorsqu’ils sortent du système de justice pénale en les mettant en contact avec des ressources, on leur offre une meilleure chance de prendre de saines décisions qui leur permettront de rester en vie. »

Suzanne Westover

Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.

Inclusion, empathie et guérison

Bien avant le retrait de l’Afghanistan et avant la pandémie, le besoin de soutien en santé mentale des anciens combattants était déjà criant.

Avec l’ajout de ces pressions additionnelles à une poudrière déjà prête à sauter, il est évident que le besoin n’a fait que croître. Plus précisément, devant le rapatriement d’une mission qui durait depuis 13 ans, plusieurs se sont demandé à quoi leurs efforts avaient servi.

La vétérane Sherry Lachine puise un sentiment d’utilité et de valeur dans l’aide qu’elle prodigue à ses pairs et à leurs proches pour explorer leurs émotions et apprendre des stratégies très différentes de celles qu’ils appliquaient sur le champ de bataille.

Mme Lachine est maître formatrice du programme de Premiers soins en santé mentale (PSSM) pour la communauté des vétérans de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Elle est également propriétaire de l’entreprise Broadmind, qui se spécialise dans les stratégies de santé mentale.

Bien que les vétérans forment une de ses principales clientèles, le soutien et les formations offerts à leurs amis et à leur famille sont également cruciaux.

« Si on élargit la perspective pour inclure l’entourage de chacun des anciens combattants, le nombre de personnes touchées par le bien-être mental des vétérans s’élève à des millions », souligne-t-elle.

La formation de PSSM pour la communauté des vétérans est conçue pour que ses participants puissent compatir aux expériences vécues par leurs pairs et former un réseau de soutien en ouvrant leurs oreilles et leurs cœurs aux autres. Depuis le lancement du programme, en 2016, grâce à un partenariat entre la CSMC et Anciens Combattants Canada, plus de 3 700 personnes ont suivi les cours en ligne et en personne.

Ce n’est pas pour moi
Chaque fois qu’elle parle du cours, Mme Lachine contredit la croyance selon laquelle la formation de PSSM n’a d’utilité que pour les personnes ayant pris les armes. « Les premiers soins en santé mentale s’adressent à tout le monde. En fait, la formation enseigne des compétences relationnelles, parentales et humaines. Des compétences dont nous avons tous besoin dans notre vie quotidienne. »

« Ce n’est pas pour moi », ce sont les mots que la mère de Mme Lachine a prononcés lorsqu’elle l’a invitée à assister à l’une des séances. « Ma mère a participé à la formation sous le couvert de le faire pour les autres, et non pour elle-même. Mais elle a rapidement compris que c’était faux, puis elle s’est mise à promouvoir ardemment le programme, presque au point d’imprimer des chandails pour le faire connaître. »

Bien que le programme soit offert en plusieurs versions adaptées à des populations précises comme les vétérans, il s’adresse aussi à toute personne souhaitant renforcer les compétences humaines énumérées par Mme Lachine.

Un espace sûr
L’humanité commune est au cœur des séances de formation PSSM réussies, affirme-t-elle. En se rappelant un cours particulièrement émouvant où un vétéran avait confié avoir honte du comportement qu’il avait eu face à ses proches par le passé, Mme Lachine raconte avoir instantanément perçu une étincelle de reconnaissance dans les yeux des autres participants.

« Quand j’ai vu le sentiment de guérison et de validation que ce vétéran a éprouvé lorsque ses pairs ont reconnu son cheminement et raconté leurs propres histoires, j’ai vécu un moment d’illumination », raconte-t-elle.

L’expérience du cours de PSSM pour la communauté des vétérans est particulièrement précieuse parce qu’elle se déroule dans un espace exempt de jugement. Souvent, les participants y rencontrent d’autres personnes ayant traversé les mêmes épreuves ou accompagné quelqu’un qui l’a fait. C’est particulièrement vrai pour les conjoints et conjointes de militaires.

Lors d’une formation donnée à Ottawa, Mme Lachine a diffusé une vidéo présentant un membre des forces armées posté au Rwanda et décrivant les difficultés qu’il a vécues lorsqu’il est rentré à la maison. Tout le monde avait la larme à l’œil en découvrant ce récit auquel tous les conjoints et conjointes s’identifiaient.

« On pouvait presque palper le soulagement des participants pendant qu’ils se laissaient gagner par le sentiment de validation, se rappelle-t-elle. L’union fait la force. Elle aide à briser l’isolement qui accompagne souvent ces difficultés. »

Un besoin de soutien continu
Dans les semaines qui ont suivi le retrait de l’Afghanistan, la communauté des vétérans a souffert.

« Il était tentant de verser dans la futilité. Les nerfs étaient à vif. Plus que jamais, au cours des derniers mois, l’accès à un espace où il est possible d’avoir du chagrin, d’exprimer sa frustration et de trouver un sens collectivement a été la planche de salut de plusieurs », soutient Mme Lachine.

En réaction à ces événements, elle a d’ailleurs modifié sa façon de faire afin de procurer aux participants l’espace dont ils ont besoin pour démêler une palette d’émotions que la plupart d’entre nous peuvent à peine imaginer.

Depuis un siècle, notre compréhension des cicatrices invisibles causées par la guerre s’est approfondie. Le diagnostic brutal de « traumatisme dû aux bombardements » à la suite de la Première Guerre mondiale a évolué vers une notion plus nuancée du spectre de blessures de stress opérationnel.

« Et avec cette connaissance, affirme Mme Lachine, vient la responsabilité de traiter ces blessures avec tous les outils qui sont à notre disposition. »

Alors que pour la plupart des gens, le jour du Souvenir représente une occasion de manifester de la gratitude pour les membres des forces armées canadiennes, il peut également susciter un trop-plein d’émotions.

Si vous connaissez un vétéran ou un membre de sa famille qui pourrait bénéficier d’une formation de PSSM, veuillez suivre ce lien pour en apprendre davantage. Anciens Combattants Canada offre des ressources additionnelles sur la santé mentale.

Auteur:

Eric Gronke

Diplômé de la Sprott School of Business de l’Université Carleton, Eric possède une vaste expérience du marketing et des communications dans le monde du sport et du divertissement. Eric est le cofondateur de mssn, une marque dédiée à la collecte de fonds et à la sensibilisation à la santé mentale au bénéfice des jeunes dans la région d’Ottawa.

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